Dans son nouveau "documentaire" sur Netflix Ancient Apocalypse [1], Graham Hancock déclare la guerre aux archéologues. Sa rhétorique sème la méfiance à l’égard des experts, et les théories du complot liées à l’Atlantide encouragent la suprématie blanche ("white supremacy").
Attachez vos ceintures, c’est l’heure d’un FIL ARCHEOLOGIQUE endiablé.
Ce fil de discussion examinera :
1) La rhétorique que Graham Hancock utilise pour couvrir un manque de preuves.
2) Comment le récit de Hancock recycle les idées du 19ème siècle sur l’Atlantide.
3) Comment identifier les théories du complot similaires.
Pourquoi me faire confiance ?
Aucune idée. Je suis juste un mec qui ne veut pas payer pour un badge sur Twitter et qui est maintenant sur Mastodon. Mais je suis un vrai archéologue. J’ai fait des fouilles sur des sites couvrant des dizaines de milliers d’années d’histoire et de préhistoire humaine. Faites confiance à mes références ou ne le faites pas. Mais je vais vous présenter des preuves concrètes que Ancient Apocalypse ne mérite pas d’y consacrer du temps.
Rhétorique et manque de preuves
Les premières minutes de Ancient Apocalypse montrent l’attaque systématique de Hancock contre l’archéologie réelle. Et il fait sans cesse preuve de mépris. C’est une guerre totale contre les archéologues "traditionnels", les "soi-disant experts", qui sont "sur la défensive, arrogants et condescendants" et "complètement déconcertés".
Pourquoi Graham Hancock est-il si agressif envers les archéologues ? Apparemment, c’est parce que mes collègues l’ont traité de "pseudo-archéologue" pendant des décennies. Cela le blesse.
Bien qu’il ait écrit de nombreux livres sur l’archéologie et qu’il anime une émission sur Netflix qualifiée de "docusérie" et couvrant l’archéologie, Graham Hancock affirme qu’il n’est pas archéologue. Il se définit comme un "journaliste" qui enquête sur la "préhistoire humaine".
C’est une affirmation étrange. Les journalistes enquêtent sur des événements qui se déroulent aujourd’hui. Ils interrogent des personnes vivantes. Ils examinent des documents et des récits pour révéler des événements en cours ou récents. Les humains préhistoriques ne peuvent pas donner d’interviews. Ce n’est qu’à l’époque historique que les humains ont laissé des documents derrière eux.
La véritable raison de la rhétorique agressive de Graham Hancock contre les archéologues et les historiens est que cela fait vendre. Cela attire l’attention, déclenche des querelles sur Twitter. Cela correspond à la pensée conspirationniste. C’est aussi un tour de passe-passe qui permet de dissimuler son manque de preuves.
Creusons un peu !
Hancock prétend qu’il existe une MYSTÉRIEUSE civilisation AVANCÉE de l’ère glaciaire qui s’étendait sur tout le globe. Cette civilisation perdue a été détruite dans une inondation APOCALYPTIQUE. Ses quelques survivants ont enseigné aux humains de l’âge de pierre les secrets de l’agriculture, de l’architecture et d’autres technologies avancées.
Pourquoi cette civilisation n’est-elle pas présente dans les manuels scolaires ?
1. Elle a pour l’essentiel disparu dans le déluge en laissant peu de traces derrière elle.
2. Les humains sont "amnésiques" et l’ont oubliée.
3. Les archéologues refusent de l’étudier car elle menace leurs théories.
J’avais l’habitude de rire de ce genre d’argument parce c’est ridicule quand on connaît les preuves. Mais, de plus en plus de gens croient aux théories du complot aujourd’hui, qu’il s’agisse de QAnon, d’anciens extraterrestres ou de l’Atlantide (qui est d’après Hancock cette civilisation de l’ère glaciaire).
Si vous y regardez de près, Hancock ne présente jamais de véritables preuves. Il ne présente qu’une série de preuves négatives : des possibilités et des suppositions infinies, des affirmations non vérifiées et de nombreuses explications pour justifier l’absence de preuves. Nous allons en passer en revue quelques exemples.
Dans le dernier épisode, Hancock et Randall Carlson suggèrent que le déluge qui a mis fin à cette civilisation mondiale de l’ère glaciaire a été causé par l’impact d’une comète qui a fait fondre les glaciers. Pourquoi n’y a-t-il pas de cratère ? Parce que cette comète est tombée sur un glacier. Preuve à la fois des inondations et du fait qu’il n’y a PAS DE PREUVES.
L’un des types de preuves préférées de M. Hancock provient de la télédétection. Des outils comme les détecteurs de métaux ou le géoradar (radar à pénétration de sol ou GPR) qui aident les archéologues à se faire une idée de ce qui est souterrain ou non visible. Mais ces outils ne sont pas infaillibles et doivent être "vérifiés sur le terrain". Pensez-y de la manière suivante. Vous avez un détecteur de métaux et vous décidez de faire de la télédétection. Vous traversez un champ et détectez des signaux magnétiques. En concluez-vous automatiquement, sans excavation, qu’il s’agit d’un trésor ?
Même chose avec la magnétométrie, le LIDAR ou le géoradar. Le GPR émet des ondes dans le sous-sol et mesure le signal réfléchi. Il peut y avoir de nombreuses explications pour un signal réfléchi, c’est pourquoi les archéologues vérifient toujours leurs résultats sur le terrain en procédant à des sondages. Vous pouvez lire le fil ci-dessous sur la vérification sur le terrain de notre étude magnétométrique à Histria en Roumanie. Alors qu’il a permis d’identifier le four, le GPR a manqué les nombreuses tombes (y compris une tombe monumentale).
https://twitter.com/FlintDibble/status/1116012524762275840
C’était à moitié vrai/à moitié faux et il fallait vérifier sur le terrain. La vérification sur le terrain est une méthode standard en archéologie. Dans la présentation de Hancock des preuves GPR, aucune n’a été vérifiée sur le terrain. Pas de vides à Gunung Padang, etc. En fait, il a capté un signal déroutant sur un détecteur de métaux et a fait une émission Netflix de plusieurs millions de dollars sur le fait que ce doit être le trésor de Smaug dans le Hobbit.
Si vous vous demandez pourquoi ces sites n’ont pas été fouillés, sachez qu’ils l’ont été ! Les affirmations d’Hancock portent sur certains des sites archéologiques les plus célèbres du monde. Chaque site qu’il met en avant a fait l’objet d’investigations intensives. Les archéologues en savent beaucoup à leur sujet et ont publié de nombreux livres, articles et autres sur ces sites.
La preuve la plus importante que Hancock doit apporter pour avoir raison est celle que tous ces monuments célèbres comme Cholula, Poverty Point ou Ggigantija datent de la période glaciaire. Il présente une grande variété d’arguments basés sur des preuves négatives pour expliquer pourquoi il doit avoir raison.
L’un de ses arguments les plus courants est que les archéologues eux-mêmes ont trouvé de nouvelles preuves montrant que l’occupation de certains de ces sites est plus ancienne que ce que l’on croyait. Mais dans aucun cas ces preuves ne correspondent à son argument. Ils datent presque tous de milliers d’années après la période glaciaire.
Au lieu de cela, il utilise un raisonnement circulaire pour montrer pourquoi ils datent de l’ère glaciaire.
Hancock soutient que les archéologues veulent censurer sa position parce qu’elle ne correspond pas aux leurs. Mais alors pourquoi publient-ils de nouvelles dates pour les sites lorsqu’ils les trouvent et changent-ils leur position ? C’est ainsi que nous nous faisons un nom en tant que chercheurs. Nous arrivons à une nouvelle conclusion et l’argumentons avec des preuves.
Dans un exemple hilarant, à Derinkuyu, Hancock accuse les archéologues de cacher leurs nouvelles dates. Ils les ont publiées, mais les panneaux sur le site n’ont pas encore été modifiés. Donc, il s’agit d’une conspiration pour cacher nos recherches en les publiant, mais en ne rénovant pas encore le site ! (en réalité, l’archéologie a besoin de fonds pour la conservation, la présentation et la gestion des sites)
En fait, les archéologues en savent beaucoup sur l’archéologie de la période glaciaire dans le monde. Des milliers de sites ont été fouillés. Nous avons publié des typologies d’artefacts ; des milliers et des milliers de pages de mots, de dessins et de photographies. Ce matériel n’est pas caché, il est disponible dans toutes les bibliothèques et en ligne gratuitement.
Mais Hancock mentionne-t-il les sites du Natufien ou du Magdalénien ? Non, pas grand-chose en termes d’archéologie réelle de la période glaciaire.
Graham Hancock soutient que cette civilisation avancée vivait aux côtés des chasseurs-cueilleurs qui eux ont laissé derrière eux d’abondantes preuves. Des millions d’outils en pierre, de figurines et d’ossements. De magnifiques sculptures et peintures. Des indices de liens familiaux, de migrations, de festins. Des squelettes humains et animaux. Des graines carbonisées. Des empreintes de pas... Une abondance de preuves dans les grottes et à l’air libre.
Aucune n’est mentionnée par Hancock...
Comment se fait-il qu’en dépit de tant de recherches, de tant de preuves, nous n’ayons pas trouvé trace de la civilisation globale, avancée, de l’âge de glace, de Hancock ? Regardez autour de vous. Regardez les rues, les voitures, les gratte-ciel, les bouteilles et les canettes. Nous sommes une civilisation globale et avancée et il n’y a aucune chance que les archéologues du futur nous ratent.
Encore une fois, l’argumentation de Hancock est basée sur des "preuves négatives". Son "déluge" a effacé les preuves de la civilisation avancée et perdue, mais curieusement pas les preuves abondantes des gens qui vivaient réellement à cette époque.
Je suis convaincu, pas vous ?
Recyclage d’idées anciennes
Mais un point important à retenir ici est que Hancock présente cette théorie d’une civilisation avancée, globale, de l’âge de glace comme si elle était basée sur ses propres recherches indépendantes. Ce n’est pas le cas. Cette théorie existe depuis des centaines d’années. Elle a été réfutée à plusieurs reprises. Hancock admet ouvertement que ses théories sont directement liées à l’histoire de l’Atlantide racontée pour la première fois par Platon. Si vous vous intéressez à l’allégorie philosophique de l’Atlantide de Platon et à son lien avec l’archéologie, consultez mon précédent fil Twitter : https://twitter.com/FlintDibble/status/1393689542914359297.
Mais cette idée d’une civilisation mondiale avancée d’avant le déluge ne vient pas de l’Atlantide de Platon. Elle vient d’un roman de fiction inachevé de Francis Bacon : La Nouvelle Atlantide
L’Atlantide de Platon n’est qu’une autre cité-état de style grec. Puissante, certes, mais vaincue par Athènes, elle n’est pas une super civilisation et n’a pas de survivants avancés pour enseigner aux humains. Cependant, l’Atlantide de Bacon est elle une civilisation avancée, globale, qui reste cachée après le déluge.
Dans l’histoire de Bacon, les explorateurs de la Renaissance visitent New Bensalem, une île du Pacifique habitée par les survivants du déluge de cette civilisation avancée. Ces gens sont chrétiens et avancés technologiquement. Ils observent et guident le monde.
Mais Bacon a écrit de la fiction. Ce n’est pas de lui que Hancock tient ses idées. Non, il reprend à son compte le premier et le plus populaire des livres de pseudo-archéologie jamais écrits : Atlantis : The Antediluvian World, publié en 1882 par Ignatius Donnelly.
Ignatius Donnelly a repris les propos de Bacon et d’une centaine d’autres savants, philosophes, théologiens et charlatans. Il rassemble tout : de l’archéologie réelle et des faits faux, combinés à des hypothèses farfelues pour élaborer un récit universel qui explique toute l’histoire.
C’est l’une des caractéristiques de la pseudo-archéologie par rapport à la véritable archéologie. Tout récit qui prétend qu’il existe une clé unique ou un motif caché expliquant toute l’histoire de l’humanité n’est pas de la véritable archéologie. L’histoire et la préhistoire de l’humanité sont compliquées. Il suffit de regarder notre propre monde.
Donnelly et Hancock affirment tous deux que :
– Un cataclysme a détruit une civilisation mondiale avancée.
– Les survivants de cette Atlantide sont à l’origine de l’agriculture, des pyramides et des technologies avancées.
– Les mythes sur les dieux et les héros sont des réminiscences de ces survivants.
Vous pourriez dire : Allons, Donnelly a écrit ça en 1882, il ne peut pas avoir eu une influence directe sur Graham Hancock.
C’EST FAUX !
Il est facile de prouver l’influence directe de Donnelly sur Hancock puisqu’il y a plusieurs citations de Donnelly dans ses livres.
Mais Hancock ne cite jamais le récit général de Donnelly, seulement des détails. Prenez l’exemple de Quetzalcoatl, qu’Hancock présente comme l’histoire clé d’un survivant de l’Atlantide enseignant la civilisation aux survivants du cataclysme. Un homme étranger et barbu.
Cette description est directement tirée de Donnelly qui décrit Quetzalcoatl ci-dessous comme un "homme blanc" avec une "barbe" qui a enseigné de nombreux arts aux Mexicains.
Et dans Magicians of the Gods, Hancock le décrit comme "blanc", citant Donnelly.
(pour ceux qui sont sensibles au racisme, il est présent clairement dans le texte des images ci-dessous)
Les hypothèses d’Ignatius Donnelly de 1882 sur l’Atlantide sont empreintes de suprématie blanche.
Il était obsédé par la couleur de la peau (elle est évoquée des dizaines de fois), et non seulement ses faits sont erronés, mais son racisme est évident.
Donnelly est également très clair dans sa mise en opposition raciste entre "civilisé" et "sauvage". Dans son idée, toutes les grandes nations américaines n’étaient que des "colonies de l’Atlantide". La fonction de l’Atlantide ici est d’ôter tout crédit aux peuples indigènes pour leur héritage monumental (les captures d’écran ci-dessous sont racistes).
Bien que la couleur de la peau ne soit pas présente dans la série télévisée, les livres de Hancock sont remplis de descriptions de sauveurs blancs. Ces envoyés, comme Quetzlcoatl, ont la peau blanche et de la barbe, et introduisent la "civilisation" auprès de peuples plus "simples".
La pseudo-archéologie, sous plusieurs de ses formes, a pour conséquence d’ôter tout crédit aux peuples autochtones. Ce ne sont pas des gens à la peau noire ou brune qui ont construit les monuments, mais les Atlantes, les extraterrestres ou les blancs. Pour approfondir ce sujet, voir cet article, "Did Aliens Build the Pyramids ? And Other Racist Theories" ("Les extraterrestres ont-ils construit les pyramides ? Et autres théories racistes") par Steph Halmhofer (@Cult_archaeo) : https://www.sapiens.org/archaeology/pseudoarchaeology-racism/
Quelques points communs avec les théories du complot
Nous vivons dans un monde rempli de théories du complot, et ce regard sur Ancient Apocalypse de Hancock révèle quelques indices clés pour les identifier. Soyez à l’affût des explications astucieuses pour un manque de preuves, comme une comète non prouvée dans un glacier qui ne laisse aucun cratère.
Les théoriciens du complot redéfinissent également les termes en fonction de leurs objectifs. Hancock tente de définir une pyramide comme une série de terrasses menant à un sommet. Nous savons que ce n’est pas ça, mais cela semble intelligent avec la bonne imagerie.
Cette définition est ridicule. La plupart des établissements humains sur une pente y correspondent : une série de terrasses qui montent vers un sommet. J’ai personnellement fait des fouilles sur 3 sites de ce type, comme Azoria sur l’île de Crète ci-dessous.
Les théoriciens du complot comblent également le vide des preuves négatives par un raisonnement circulaire.
Tout au long d’Ancient Apocalypse, le raisonnement circulaire est la manière clé dont Hancock intègre les monuments dans sa proposition de civilisation de l’ère glaciaire.
Comme pour Donnelly, les théories du complot ont tendance à être universelles. Ils vont tout mettre dans une boîte bien rangée. Toute l’histoire de l’humanité. Tous les problèmes d’aujourd’hui. Une solution facile à la pandémie... La vraie connaissance est nuancée et compliquée.
Enfin, les théories du complot élaborent leur image universelle en ignorant le contexte. Elles établissent des liens qui n’ont pas vraiment de sens. Des pyramides situées à des endroits différents n’ont pas besoin d’être de la même culture.
En dépit de ce qu’il pense, les archéologues ne haïssent pas Graham Hancock.
Il a juste tort...