
Partie 2 : Prérequis sur les monstres et leurs interprétations
Utiliser la méthode scientifique pour analyser les phénomènes paranormaux est une discipline appelée “zététique”. Maintenant que les rudiments de cette approche ont été vus (cf : Partie 1 : Généralités sur la méthode rationnelle), on va pouvoir entrer dans le vif du sujet : l’analyse critique des monstres.
I - Pourquoi des monstres ?

Les momies : Une momie est un corps desséché. Il ne s’agit pas forcément de corps ayant subi une méthode d’embaumement comme pratiquée par les anciens Égyptiens. En effet, dans des conditions particulières, les chairs peuvent se dessécher plutôt que se décomposer, transformant le cadavre en une momie naturelle. Les corps momifiés laissent généralement facilement entrevoir les caractéristiques du squelette, les tissus mous étant desséchés.

Les carcasses : Lorsqu’un animal meurt, son corps change beaucoup d’apparence selon l’état de décomposition des chairs et l’action des charognards. Généralement, il est plus difficile de les identifier que les momies, car les os sont encore couverts de tissus mous, dont les éventuels gonflements et lambeaux changent la forme du corps.

Les chimères : Parfois, des faussaires combinent entre eux des éléments anatomiques d’animaux divers, voire des morceaux d’origine avec des éléments manufacturés, pour en faire des spécimens extraordinaires et donc lucratifs. Cette vilaine manie date au moins de l’époque des cabinets de curiosités, ancêtres de nos actuels musées.
La raison pour laquelle les corps desséchés ou en putréfaction a tendance à évoquer des monstres est simple : leur apparence est étrange, voire effrayante. En ajoutant à cela le fait que nous sommes généralement plus familiers de l’apparence qu’ont les animaux de leur vivant, toutes les conditions sont réunies pour nous retrouver perplexes face à une telle découverte. Face à la perplexité, une explication est alors nécessaire. Les explications fantaisistes, voire paranormales, seront variables selon l’influence culturelle des personnes qui les émettront.
II - Exemple de traitement médiatique sensationnaliste
Voici une news partagée depuis 2016 dans divers médias à sensation en ligne : le corps d’un “animal ne ressemblant à rien de connu” (ou plutôt, si décharné qu’il en est difficilement identifiable…) a été découvert par des habitants d’une ville ukrainienne.
https://www.mirror.co.uk/news/world-news/hideous-creature-found-dead-european-7765709
Déroulement de l’enquête :
– “C’est une créature si horrible. Un Chupacabra était notre première pensée.”
– “Ce n’est pas un chat. Les dents sont différentes.”
– selon Mykhailo Luschak, spécialiste ukrainien de la faune, “cet animal ne correspond à la description d’aucune espèce connue”
– formulation d’hypothèses alternatives au Chupacabra : mutant irradié, expérience soviétique top secrète échappée d’un laboratoire...
Le premier problème dans le raisonnement des découvreurs du monstre est de s’être laissés influencer par l’allure monstrueuse du cadavre de l’animal. En effet, de son vivant, cet animal ne devait évidemment pas ressembler à un cadavre ambulant, et donc être beaucoup moins glauque. On peut constater ici l’importance de l’influence de la culture populaire et de l’autosuggestion, puisque le Chupacabra est un cryptide [1] originaire d’Amérique Latine. Avant de supposer qu’un animal découvert en Ukraine soit un Chupacabra, il faudrait déjà prouver que le Chupacabra existe là où il est censé exister.
Le deuxième problème est le paralogisme [2] du faux dilemme : deux solutions sont envisagées comme s’il n’y en avait pas d’autre possible. Ici, soit la bête est un Chupacabra, soit c’est un chat. Et comme ça semble ne pas être un chat…
Le troisième problème est l’argument d’autorité. On nous présente un certain Mykhailo Luschak en précisant qu’il s’agit d’un expert en animaux. Le préciser donne du poids à la conclusion, mais les arguments de l’expert ne sont pas détaillés, il nous est donc suggéré de croire sur parole la citation très évocatrice qui lui est attribuée. Là où ça devient intéressant, c’est qu’une simple recherche sur Google nous révèle que toutes les occurrences pour le nom de “Mykhailo Luschak” correspondent à des articles sensationnalistes traitant de cette découverte. Si le nom d’un vrai expert nous avait été donné, les recherches associées à son nom aboutiraient en priorité à ses travaux sur les animaux... Travaux qui n’existent manifestement pas, tout comme l’expert en question.
Dernier problème : formulation d’hypothèses soutenues par l’argument d’ignorance. Pour expliquer un fait, une hypothèse doit s’appuyer sur des éléments la reliant à ce fait. Or, aucun indice ne suggère que l’animal trouvé est un mutilateur de bétail (caractéristique du Chupacabra), ni qu’il est le résultat d’une expérience secrète échappé d’un laboratoire. Tout repose sur l’incompréhension face à l’inconnu.
Conclusion :
Qu’est-ce qui rend extraordinaire le corps d’une créature extraordinaire ?
Tout simplement son apparence étrange. Bien sûr, il est tout à fait possible que de telles découvertes concernent des animaux jusqu’alors inconnus, mais ce qui est inconnu n’est pas nécessairement extraordinaire. Tous les animaux connus actuellement ont d’abord dû être découverts, mais leur description scientifique n’a jamais eu à se baser sur des interprétations fantaisistes. Il n’y a donc pas de raison de penser que le cadavre d’un animal qu’on ne sait pas identifier doit être associé à des explications sortant de l’ordinaire (monstre, extraterrestre, expérience top secrète…), à moins d’avoir des preuves concrètes et solides le suggérant.
Le prochain article sera un guide d’application de l’anatomie comparée sur cadavres de monstres. Le cas des extraterrestres sera traité ultérieurement, car nécessite un niveau de vigilance plus important et une analyse plus pointue. Les bases de la monstrologie critique seront requises.