Une autre des "preuves scientifiques" de l’existence des pyramides avancées par la Fondation (dans ce document en bosniaque (bs) [1] ou en anglais (en)) est "l’existence d’un réseau étendu de tunnels" dans la vallée. M. Osmanagic avance l’idée qu’un système de tunnels relierait tous les "objets colossaux" de la vallée, et que l’existence d’un tel réseau souterrain serait caractéristique des pyramides du monde (idée en soi discutable, beaucoup de pyramides n’ont pas de complexe souterrain associé).
Cette idée d’un réseau de tunnels repose semble-t-il au départ sur un certain nombre de rumeurs qui courent à Visoko depuis longtemps, et qui ont été collectées sur ces pages (en). On y trouve en particulier cette histoire à propos des tunnels :
"There are local stories of Bosnian children entering the smaller pyramid, just across a small river that divides the site, and emerging at the top of the larger pyramid, next to the ruins of a medieval walled town." (Des rumeurs locales font état d’enfants entrant dans la plus petite des pyramides, juste de l’autre côté d’une petite rivière qui coupe le site, et émergeant au sommet de la plus grande des pyramides, à côté des ruines de la ville médiévale fortifiée).
De ces rumeurs, M. Osmanagic déduit l’existence de ce fameux "complexe souterrain", et le décrit même avec une certaine précision : il y aurait deux lacs sous la pyramide du Soleil ; ce sont des tunnels artificiels, aux murs droits, et ils sont connectés entre eux en se croisant à angle droit ; le réseau ferait au total plusieurs kilomètres de long, 3800 mètres nous dit-on pour le tunnel principal qui relierait entre elles les trois pyramides (voir ce communiqué de presse (bs) de la Fondation qui précise que les tunnels relient le village de Ravne et les collines de Visocica, Pljesevica et Krstac).
Qu’en est-il réellement de ces tunnels ? L’exploration et la cartographie de ce "complexe souterrain" faisaient partie des projets de la Fondation ; en particulier, le jeune archéologue suédois Sead Pilav était censé prendre en charge cette cartographie des tunnels. Malheureusement, celui-ci a quitté très rapidement le projet, dégoûté semble-t-il par le manque de professionalisme des fouilles (voir aussi ici). Il y a eu cependant plusieurs explorations d’un tunnel, celui dont l’entrée se trouve à Ravne, à 3 km de Visocica. Les explorateurs n’ont pu pénétrer qu’à environ 300 mètres à l’intérieur du tunnel, avant de se heurter à un éboulement (une très mauvaise video de la première exploration du tunnel est visible ici) ; aucun autre tunnel que celui-ci n’a semble-t-il été trouvé ni exploré en 2006. On est donc très loin d’une confirmation du fameux "complexe souterrain" qui relierait Ravne aux trois pyramides...
Reste la question de l’origine de ce tunnel : naturelle ou artificielle ? Il semble que l’origine artificielle ne fasse guère de doute : le tunnel circule, d’après les photos publiées, au sein d’une épaisse couche de conglomérat miocène, a priori peu sujette à dissolution :
De plus, il semble que des puits d’aération soient présents à intervalles réguliers (15 à 30 mètres) ; en tout cas, l’analyse (bs) qu’a fait pratiquer la Fondation sur la ventilation des 200 premiers mètres du tunnel montre une qualité de l’air tout à fait correcte et fait état d’un léger courant d’air.
Il est donc très probable qu’il s’agisse bien d’un tunnel artificiel. Construit par qui, à quelle époque et dans quel but ? Impossible pour l’instant de répondre à ces questions, en l’absence de rapport publié par la Fondation. On peut cependant faire quelques remarques et hypothèses :
– Sur l’âge du tunnel, la seule indication pour le moment est la présence par endroit de stalactites de 2 à 5 cm de long ; difficile d’en tirer une date précise sans données sur la croissance des stalactites dans la région, mais même en prenant une vitesse de croissance très lente, de l’ordre de 0,1 mm/an, cela fait au mieux quelques centaines d’années.
– Toute la région de Zenica-Sarajevo, où se trouve Visoko, est un bassin minier réputé ; l’extraction du charbon, mais aussi du fer et du cuivre, y est attestée au moins depuis l’époque romaine, voire à l’âge du Bronze pour le cuivre. Rien d’impossible donc à ce qu’il s’agisse d’une galerie de mine ancienne.
– Puisqu’on parle de rumeurs et légendes locales à propos de ces tunnels, j’ai trouvé plusieurs mentions d’une histoire (bs) selon laquelle la Reine Katarina, dernière souveraine du royaume de Bosnie, se serait enfuie de sa citadelle de Visoko par un tunnel souterrain au moment de l’invation turque de 1463...
Je suis à peu près sûre qu’en France, en Angleterre, en Allemagne, comme en Bosnie, il n’est pas un château en ruine qui n’ait sa propre légende de souterrains perdus, et ses histoires d’enfants censés avoir retrouvé / être tombés / s’être perdus dans ces souterrains. De là à en faire la preuve de l’existence d’une ancienne civilisation mystérieuse...