Dominique Jongbloed, le dernier des situationnistes
Article mis en ligne le 9 novembre 2014

par Don Elly

Le texte ci-dessous a été publié par son auteur, Don Elly, sur Facebook en novembre 2013, à l’occasion d’un passage de l’Aventurier à l’émission « Bob vous dit toute la vérité ». De peur que cet extraordinaire tour de force ne se perde dans les tréfonds d’un réseau social dédié à l’instant, je me permets de le recopier ici.

Jongbloed est un génie.

Il faut le dire, car dernièrement les critiques se font sévères, alors que les gens ne comprennent pas l’essence même de son œuvre. Jongbloed est un situationniste, peut-être un des derniers, en tout cas, le plus radical, le plus absolu. Guy Debord est probablement son inspirateur principal. Cela signifie qu’il crée des situations visant à révéler ce qui est enfoui au plus profond d’entre nous, il met en lumière nos limites et contradictions, nos fantasmes.

Son œuvre, car il faut parler d’œuvre ( certains vont se moquer, mais la postérité jugera), est un formidable coup de pied dans la fourmilière ou plutôt dans les fourmilières tant il arrive à bousculer les uns et les autres, tant il dévoile les dessous, les galeries secrètes de la pensée.

En tant que situationniste, il a créé ce formidable personnage d’aventurier. Cela a été long à mettre en place ; il y a eu tout d’abord un double virtuel : Nick Croft, croisement improbable d’un héros du XIXème siècle avec une égérie du jeu vidéo, lequel s’est embarqué à la recherche de l’Atlantide, des mondes engloutis et des civilisations de légende. Mais l’ambiguïté avec son existence réelle affaiblissait sa posture situationniste.

Il a donc fusionné son personnage virtuel avec son personnage réel et là réside son génie. Tout y est, la tenue Indiana Jones 24/24, l’imagerie de nature. En créant cet aventurier 2.0, construit dans le contexte des réseaux sociaux, des mondes virtuels, de l’information incontrôlée, il démultiplie la portée de son message, pulvérise les frontières intellectuelles et produit une démonstration implacable sur la naïveté des uns et l’élitisme des autres. Car le message est bien là : accaparant Popper, il actionne la notion de réfutabilité pour la faire agir toutes les semaines (chaque semaine, une révélation changera le cours de l’histoire), perdant les scientifiques dans une poursuite infinie et les naïfs dans une dépendance à la révélation.

Là, où l’on peut être perdu d’admiration, c’est dans cette forme d’escalade qu’il propose en inventant des expéditions les plus improbables qui soient, mais en même temps d’une rare poésie : Atlantide, Shamballa, Hyperborée, mais attendez, pas à pied ou en voiture... non, en ballon !! Dans le jeu que nous avons avec lui de faire semblant de croire à tout cela, de faire vivre un roman vivant, nous sommes des enfants : « on dirait que j’aurais trouvé des choses extraordinaires dans les pyramides » et nos yeux brillent. Bien entendu, le jargonnage pseudo-scientifique est un peu ridicule, mais pas plus qu’il ne l’est dans la Guerre des Etoiles avec les doubles inverseurs photoniques à plasma. Ce n’est pas le résultat qui compte, mais la façon de le dire. L’annonce peut se passer de la réalisation ; encore une grande leçon.

Mais au delà des mots, il y a l’image. Prendre la même photo de lui et la coller sur plusieurs fonds pour faire croire aux journalistes qu’il est allé ici ou là, alors que le montage est évident, franchement, respect. Quelle meilleure démonstration pour révéler que les journalistes ne font pas leur boulot de vérification, que le sensationnel l’emporte sur le fond.

Merci donc pour cet art du magnifiquement faux. On ne dénonce pas mieux les naïfs qu’en entrant délibérément dans leur jeu.

Champagne !