Lien vers l’article précédent : Dossier Anton Parks n°3-3 : Archéologie, Art & Histoire, Mythes & Légendes « hors contexte »
Lors d’un live en direct le 13 janvier 2021 sur la page Facebook de BTLV, le média complémentaire [1], j’avais proposé un petit exercice de traduction à transmettre à l’invité du jour, Anton Parks [2].
Afin d’éviter toute recherche avec Google image en partant de la photo originale du site, j’avais recadré l’inscription, modifié la luminosité et posté la nouvelle version sur le net.
Hélas, à aucun moment (malgré mon insistance polie), les modérateurs du live sur Facebook ne lui ont transmis ce petit exercice tout simple. Même chose lorsque j’avais proposé lors d’un autre live (12 février 2020 sur Facebook) qu’il écrive en direct « Isis » en hiéroglyphes.
Oui, oui, ce monsieur prétend pouvoir aussi traduire les hiéroglyphes égyptiens : « Je traduis du sumérien et ponctuellement (?) de l’égyptien », dixit Anton Parks [3].
Il ne restait donc plus qu’à décrypter les réponses d’Anton Parks aux questions posées sur le plateau de BTLV par François Deymier et Mathias Leboeuf ; questions très certainement motivées par l’insistance des incrédules dans les chats du live retransmis simultanément sur Youtube et Facebook [4].
Olivier Lauffenburger, auteur du livre Hittite Grammar [5], a eu la gentillesse de se pencher sur ces réponses, et son analyse est transcrite ci-dessous :
Bien que n’étant pas un spécialiste du sumérien, c’est une langue que j’ai étudiée suffisamment pour pouvoir en parler avec un minimum d’assurance.
Concernant vos questions :
Anton Parks : « Le sumérien est une langue morte, personne ne sait comment elle se prononce ». (Réponse à François Deymier qui lui demande s’il est possible de parler dans cette langue de nos jours. On peut aussi supposer qu’il répond aux « gens » (du site d’Irna ?) qui s’étonnent qu’il ne la parle pas).
Notez qu’il rectifie en disant tout de suite après qu’on ne sait pas exactement comment elle se prononce. C’est vrai de toutes les langues anciennes d’une manière générale.
Cependant, on a fait beaucoup de progrès sur la compréhension de la phonologie du sumérien. Ce qui pose des difficultés :
– Le sumérien a évolué au cours du temps ; en particulier des changements phonétiques ont eu lieu vers 2000 av. J.C.
– L’écriture est plus conservatrice que la langue parlée ; les périodes d’évolution orthographique ne correspondent pas aux périodes d’évolution phonétique
– La phonologie du sumérien est déduite de celle de l’akkadien au moyen des emprunts ; on est donc dépendant de notre compréhension de la phonologie de l’akkadien (heureusement assez bien comprise)
– L’akkadien a lui-même subi de nombreuses évolutions phonétiques au cours du temps
– L’écriture cunéiforme du sumérien a toujours été imparfaite (de notre point de vue !), dans le sens où certains marqueurs grammaticaux n’étaient pas toujours écrits. C’est d’autant plus vrai que l’on remonte plus loin dans le temps.
– Certains phonèmes n’ont jamais été écrits (comme l’aspiration ou le stop glottal), ce qui n’empêche pas de les postuler sur des bases internes ou par comparaison avec l’akkadien.
Cela étant dit, les nombreux emprunts du sumérien vers l’akkadien forment un tout cohérent qui permet de valider les hypothèses sur la phonologie. Par exemple, sum. temen > akk. temennu « fondations », gú-tál > kutallu « arrière », ĝiš-kín > kiškanû « un arbre ».
Inversement pour les quelques emprunts de l’akkadien vers le sumérien : akk. tamkâru > sum. dam-gàr « marchand », râkibu > ra-gaba « cavalier ».
Anton Parks : « Il y a tellement d’homophones entre autres, il y a tellement de "U" avec 15 000 accents différents, le "U" c’est "ou", mais on ne sait pas s’il était prononcé "ouuuu" ou bien "ou". »
C’est quelque chose que l’on entend souvent, mais il y a probablement beaucoup moins d’homophones qu’il ne semble.
Il y a tout d’abord les signes que l’on retranscrit de manière identique (hormis les accents et les indices qui ne nous servent qu’à les distinguer) mais qui représentent des sons différents. Par exemple ga et gá, où gá représente en fait le son [ĝa] (où ĝ est le son « ng » de « parking »). Dans le cas de e et é, é se prononçait à l’origine [hay]. Etc…
Mais la plus grande part des signes homophones vient du fait qu’en sumérien, beaucoup de consonnes finales ne se prononçaient pas, mais réapparaissaient quand elles étaient suivies d’une voyelle (ce qui n’est pas sans rappeler le phénomène de liaison en français). L’écriture sumérienne est un mélange de signes idéographiques et phonétiques où les racines des mots sont fréquemment représentées par un idéogramme. Le résultat est qu’un idéogramme peut se lire avec ou sans sa consonne finale. Du point de vue du déchiffrement, cela n’a pas d’importance puisqu’on connaît la signification du mot indépendamment de sa lecture (cela rend même les choses plus simples puisque cela résout le problème de l’homophonie). Par contre, lorsqu’on doit affecter une valeur phonétique à un signe, il faut lui affecter les deux formes (abrégée et complète).
Par exemple, le mot kalag « être puissant » peut se prononcer kala, ou même kal en position finale :
za-gin7 a.ba an-ga-kala : qui est aussi puissant que toi ? (version abrégée)
nitah.kalag.a : un homme puissant (version longue car suivi de la particule de « nominalisation » a)
Le fait que le signe kalag puisse se lire [kal] ou [kala] est démontré par le fait qu’il sert aussi à écrire l’adjectif kal « précieux » (un vrai homophone cette fois-ci !).
D’une certaine manière, cela revient à dire que « il est » et « il hait » sont homophones, ce qui n’est pas faux, mais qui n’a pas le même degré d’homophonie que « vers » et « vert » puisque « être » et « haïr » ne sont pas homophones.
En ce qui concerne la longueur des voyelles dont semble parler cette personne, on sait que le sumérien avait des voyelles brèves et des voyelles longues :
– Dans ses emprunts au sumérien, l’akkadien redouble la consonne qui suit une voyelle courte, mais pas celle qui suit une voyelle longue :
- sum. gag > akk. kakku « arme », donc sum. [gag] (a court)
- kar > kâru « quai », donc sum. [kâr] (a long)
- apin > epinnu « charrue » (i court)
- kid > kîtu « natte de roseau » (i long)
– Les listes de signes de l’époque indiquent leur prononciation qui peut nous aiguiller sur la longueur de la voyelle :
- Le signe DÙG a une prononciation associée du-ú-gu, ce qui suggère un u long. Dans le cas contraire, il aurait été écrit du-ug-gu
Évidemment, on n’a pas reconstruit la longueur des voyelles pour tous les signes, car tous les mots sumériens n’ont pas été empruntés par l’akkadien, et on n’a pas toutes les listes de tous les signes. Mais c’est suffisant pour faire un inventaire des phonèmes du sumérien.
Anton Parks : « Comme c’est la succession de syllabes incroyables... Voilà, on ne sait pas comment cela se prononçait ».
Les sumérologues sont d’accord pour dire que si on parlait à un Sumérien avec ce que l’on sait du sumérien, il aurait du mal à comprendre. Cela dit, je pense qu’on en sait plus qu’en égyptien hiéroglyphique où les voyelles n’étaient pas notées et où il y a une énorme différence entre notre transcription standardisée et la vraie prononciation (par exemple nefer devait se prononcer [nâfi] et Râ quelque chose comme [rî3a] où 3 devait se rapprocher du « aïn » arabe).
Donc on peut dire qu’on ne sait pas comment cela se prononçait exactement, mais on en a quand même une assez bonne idée, et les connaissances sur le sujet se précisent avec le temps.
Anton Parks : « Il n’y pas pas beaucoup de personnes sur terre qui savent traduire le sumérien » (réponse à Mathias Leboeuf).
Là, je suis d’accord. La communauté des sumérologues est restreinte. On peut considérer que chaque pays avec des chaires d’assyriologie n’a qu’une poignée de sumérologues, ce qui au total ne doit pas faire beaucoup.
[NDRL] Comme le souligne Alexis Seydoux lors d’un échange sur Facebook : « Pour ce qui est des cours de sumérien et d’akkadien, c’est plutôt Paris I/Paris X et Collège de France » (et non au Musée du Louvre comme le dit Anton Parks lors du live). « Et je rappelle que la plupart des tablettes mésopotamiennes et leurs traductions (le cas échéant) sont disponibles dans cette base de données interuniversitaire, le CDLI : https://cdli.ucla.edu ».
Ce monsieur prétend aussi avoir appris à déchiffrer le sumérien en quelques mois par email, avec l’aide de Don Moore. Est-ce possible ? Ce monsieur Moore existe-t-il vraiment ?
Là j’ai un gros doute ! En premier lieu, la grammaire du sumérien n’est pas facile à maîtriser. Il faut ensuite apprendre à déchiffrer le cunéiforme, ce qui prend beaucoup de temps pour l’akkadien, mais encore plus pour le sumérien. En effet, l’écriture a beaucoup évolué sur 3000 ans, et il faut savoir reconnaître au minimum les écritures de la période sumérienne classique (Ur III), de la période paléo-babylonienne et de la période néo-assyrienne qui sont les périodes les plus productives. Les signes sont vraiment très différents d’une période à l’autre. Par ailleurs, la plupart des signes ont plusieurs lectures (sans parler de l’homophonie), bien plus qu’en akkadien, ce qui rend le déchiffrement particulièrement tortueux. Enfin et surtout, le sumérien ne note pas tous les sons (ou bien certains sons disparaissent par contraction), ce qui fait que l’analyse grammaticale nécessite de réintroduire des morphèmes pour obtenir des formes correctes.
Par exemple la forme verbale écrite in-ši-sa10 « il l’a acheté auprès de lui » s’interprète grammaticalement comme ì.n.ši.(n).sa10.Ø avec :
– ì : préfixe de conjugaison
– n : préfixe pronominal indiquant l’origine de l’action (« lui » dans « auprès de lui »)
– ši : préfixe dimensionnel (« auprès de »)
– n : affixe personnel indiquant l’agent de l’action (« il »), amuï dans cette position
– sa10 : la racine verbale « acheter »
– Ø : absence de signe indiquant le patient de l’action (« l’ »).
Enfin, on ne peut raisonnablement pas réussir à déchiffrer du sumérien sans s’appuyer sur les déchiffrements antérieurs. En effet, chaque type de texte a ses codes et ses stéréotypes qui aident à déchiffrer un texte en s’appuyant sur le travail fait par les traducteurs précédents qui ont déjà défriché le terrain. Acquérir cette expérience prend du temps.
Evidemment, tout dépend de ce qu’on appelle « déchiffrer ». S’il s’agit de partir d’une transcription en cunéiforme, c’est un très gros travail qui nécessite beaucoup d’expérience. S’il s’agit de partir d’une translittération où la valeur des signes a déjà été déchiffrée, c’est plus simple, mais cela nécessite quand même pas mal d’expérience et une bonne connaissance de la grammaire (cf. l’analyse du verbe précédent). S’il s’agit d’étudier une translittération avec sa traduction et de comprendre comment le traducteur en est arrivé là, c’est nettement plus simple ! Mais plus le travail a été mâché, et moins on fera de découvertes originales.
Concernant ce M. Moore, je n’ai trouvé aucune référence à son nom dans les bibliographies à ma disposition. Ca ne veut pas dire qu’il n’existe pas, mais c’est assez curieux de la part d’un universitaire de ne rien publier.
Cordialement, Olivier Lauffenburger.
Conclusion :
Il est impossible de dire si ce Monsieur Parks est vraiment capable de traduire le sumérien et « ponctuellement », comme il le dit, les hiéroglyphes égyptiens. La charge de la preuve lui incombe, mais hélas, aucun média « alternatif » ne lui a proposé d’écrire un mot en hiéroglyphes ou de traduire en direct une courte phrase en cunéiforme (mot et phrase préalablement choisis par nos soins bien évidemment). Pourquoi ne pas relever le défi avec nous, Monsieur Parks ? L’invitation est lancée :)
Prononcer le sumérien ? il le dit lui-même... Il en est incapable.
Pour finir, on peut aussi légitimement douter qu’il ait appris à traduire le sumérien - par email - en si peu de temps, et penser que son mentor, Don Moore, n’existe pas. L’ouvrage The Cuneiform for Dummies de Don Moore est aussi rare que le Necronomicon... Mais peut-être qu’avec la bonne incantation reptilienne... #Humour :o)
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