Encore des artefacts...
Article mis en ligne le 8 juin 2007

par Irna

En dépit de l’absence d’autorisation de fouilles sur la colline de Visocica, la Fondation de M. Osmanagic poursuit, en ce printemps 2007, ses activités sur les sites non protégés, en l’occurence la colline de Pljesevica et les deux tunnels de Ravne et de KTK (du nom de l’entreprise de Visoko sur la propriété de laquelle s’ouvre le tunnel), ce qui lui permet de continuer à annoncer régulièrement de nouvelles "découvertes" toutes fabuleuses et décisives. On a en particulier eu droit, durant tout le mois de mai 2007, à une avalanche d’"artefacts" ; certains ont un petit air de déjà vu, en particulier les éternels blocs de grès qui se sont multipliés dans le tunel de Ravne : un bloc de grès en forme d’oeuf portant "un possible plan en relief de la vallée de Visoko", ou, à proximité, un autre bloc (bs) "laissé en place pour les futures analyses archéologiques".

Figures sédimentaires

D’autres "artefacts" sont nettement plus originaux, et feraient probablement le régal de sédimentologues. Le premier exemple est celui-ci, trouvé sur Pljesevica (bs), la "pyramide de la Lune" :

Ces pierres surprenantes sont interprétées par la Fondation comme des "pièces moulées" (confirmant donc la pseudo-hypothèse de pyramides formées de blocs coulés sur place), peut-être "des copies de fruits trouvés dans la nature, par exemple des noix" [1]. Il est beaucoup plus probable que ces formes soient des exemples de structures "pré-sédimentaires" : on appelle ainsi des motifs formés par divers processus d’érosion (affouillement du fond par les courants, empreintes ou traces de glissement d’objets sur le fond) à la surface d’un banc juste après son dépôt ; lors d’une nouvelle phase de sédimentation, ces motifs vont être comblés par les dépôts qui forment le banc supérieur. On retrouvera donc ces motifs soit en creux au sommet du banc inférieur, soit en relief (contre-empreinte) à la base du banc supérieur. Ces motifs sont appelés par les géologues, selon les cas, "flute casts" (affouillement du fond par les courants), "groove marks" (figures de traction ou rainures creusées par des objets traînés sur le fond par le courant), "tool marks" (figures d’impact, empreintes formées par des objets transportés par le courant et rebondissant sur le fond) [2]. Voici quelques exemples de "groove marks" en relief à la base de bancs sédimentaires :

D’autres exemples, cette fois de "flute casts" :

D’après le géologue Paul Heinrich, les pierres trouvées sur Pljesevica présentent un exemple assez classique de superposition d’une "groove mark" (la traînée principale, ou plutôt son "moulage" tel qu’il a été conservé à la base du banc supérieur de grès) et de "flute casts" (les petites marques qui divergent à partir de la marque principale linéaire) ; le tout probablement légèrement déformé par le poids du sable qui est venu recouvrir le banc inférieur argileux et remplir les marques.

La Fondation avait déjà, en 2006, mis en exergue sur son site des pierres "bizarres" qu’on essayait discrètement de faire passer pour des artefacts, et qui pourraient bien être également des exemples de figures sédimentaires, par exemple celle-ci en juillet 2006 :

ou bien celle-ci, où M. Goran Cakic croyait reconnaître une sculpture d’oiseau ou de dinosaure volant :

Liesegang rings

Toujours sur la colline de Pljesevica, autres exemples d’"artefacts" purement géologiques (bs), que pourtant "la géologie ne peut pas expliquer" d’après le titre du texte qui les présente :

Ces formes et motifs sont pourtant bien connus des géologues : il s’agit de "Liesegang rings" ou "bandings", auréoles ou bandes formées par la diffusion et la précipitation de divers ions métalliques (souvent du fer, mais cela peut aussi être du manganèse, de l’aluminium...) transportés par les circulations d’eau diffusant à travers une roche poreuse. Un des exemples les plus connus dans le monde de ces "Liesegang bandings" sont les fameux grès colorés de Petra en Jordanie :

mais on en trouve fréquemment dans d’autres grès un peu partout dans le monde :

Lorsque ces grès sont eux-mêmes fracturés plus ou moins orthogonalement (voir ici de nombreux exemples de "dallages" naturels), les auréoles s’inscrivent généralement dans le quadrillage de fractures qui offre une voie de pénétration aisée à l’eau. C’est ce qui explique la disposition dans certains cas en "cellules" ou "nids d’abeille" :

que l’on retrouve sur Pljesevica. De plus, lorsque de telles structures sont soumises à une érosion différentielle, les différentes auréoles, selon leur composition, n’offriront pas la même résistance, ce qui explique la mise en relief d’une partie des auréoles :

Les photos ci-dessus proviennent, pour les trois premières, d’un site situé dans le Tennessee, pour les trois dernières de l’Oklahoma. Ce genre de structure spectaculaire donne souvent lieu à des interprétations "pseudo-archéologiques" du même genre que celles de M. Osmanagic : dans le Tennessee (en), il s’agirait d’une sorte de "code secret" composé par les Indiens ou les aliens ; dans l’Oklahoma (en), d’un genre de forge ou haut-fourneau "phénicien" [3].

Un autre exemple d’interprétation farfelue d’un cas de "Liesegang ring" est fourni par l’affaire de "la semelle triasique" (en) :

affaire étudiée par Glen J. Kuban (en). A mettre en relation avec cette magnifique "empreinte" (en) trouvée sur Pljesevica :

"Artefacts potentiels"

La Fondation a par ailleurs publié la découverte de ce qu’elle appelle des "artefacts potentiels" :

Ces "artefacts potentiels" sont interprétés, pour le premier (bs), comme un éventuel "moule" qui aurait pu servir à couler des objets en métal ; pour le deuxième (bs), comme l’éventuel reste d’un outil ancien formé de pierre et d’une partie métallique dont il ne resterait que la trace (et on nous précise que les traces de métal "résistent aux acides", il s’agirait donc d’un "alliage mystérieux"). Notons que :
 des traces métalliques n’ont rien de déterminant : les couches de la région contiennent toutes sortes de métaux à l’état de traces, et des oxydes métalliques peuvent par des processus naturels se retrouver par endroits à une plus forte concentration ;
 l’absence de "réaction aux acides" du métal ne veut pas dire grand-chose sans plus amples précisions : tous les métaux ne réagissent pas à tous les acides, la dilution et les proportions de métal et d’acide sont à prendre en compte. Sachant la propension de la Fondation à déformer le moindre résultat scientifique, j’aimerais être sûre que les "analyses de laboratoire" pratiquées n’ont pas juste consisté à jeter quelques gouttes d’acide chlorhydrique dilué ou même de vinaigre, suffisant pour provoquer une réaction avec les carbonates de la pierre mais pas avec le métal !

Sans pouvoir être aussi affirmative qu’en ce qui concerne les précédents pseudo-artefacts, je dirais simplement que ce type de cavités dans une pierre peut parfaitement s’expliquer : soit par l’érosion d’un matériau plus tendre, incorporé au moment du dépôt sédimentaire au sein d’un matériau plus résistant, comme ici ces empreintes de cristaux de sel :

soit par le départ d’une concrétion dont la pierre garde l’empreinte, concrétion qui peut d’ailleurs être métallique, ce qui expliquerait la présence de traces métalliques dans l’empreinte ; on peut voir par exemple ci-dessous sur la pierre de droite une concrétion encore en place dans sa gangue, et l’auréole d’oxydation autour de la concrétion :

Bref, la Fondation a bien raison de parler pour une fois d’"artefacts potentiels" !

Un éclat de verre ne fait pas une pyramide !

Terminons par les "vrais" artefacts : la Fondation en a semble-t-il trouvé trois en 2007. L’un est un simple fragment de verre, d’environ 2 cm de long, trouvé dans les déblais du tunnel de Ravne (bs) :

En admettant qu’il puisse être daté, il pourrait tout juste indiquer le moment où certaines galeries du tunnel ont été comblées ; de là à en faire une preuve de l’existence de pyramides...

L’autre artefact est cette "roue" de pierre qui provient elle du tunnel KTK :

Le premier article (bs) sur cette roue prétendait qu’elle avait été laissée en place pour "étude archéologique". Cependant, il est apparu (en) que la roue présentée dans cet article n’était qu’une reconstitution, puisqu’une photo datant de février 2007 ne montrait que deux des fragments en place :

ce qui a obligé la Fondation à reconnaître, dans un second article (bs), qu’elle avait bien "inventé" cette roue à partir de fragments trouvés dispersés, ce qui explique la forme pour le moins curieuse de cette roue [4], faite de morceaux qui n’ont ni la même courbure ni la même épaisseur...

Enfin, un texte de M. Goran Cakic (bs) du 5 juin 2007 présente cette pierre sculptée :

Cependant, il ne donne absolument aucune indication sur l’origine de cette pierre, l’emplacement où elle a été trouvée ; tout son texte n’est qu’une longue lamentation sur l’aveuglement et la méchanceté des "scientifiques et ministres" qui s’opposent à M. Osmanagic, et il laisse juste entendre que la pierre a pu être réutilisée plusieurs fois, et qu’elle provient d’une ruine. Sur le forum bosnian-pyramid.com, il est dit (en) qu’elle viendrait "de la vallée de Visoko", ce qui est plutôt large.

Que prouve cette pierre, qui provient peut-être d’une construction médiévale ? Absolument rien en matière de pyramides. Par contre, sa publication montre bien la technique de "propagande" utilisée par M. Osmanagic et sa Fondation : convaincre le public "qu’il y a quelque chose" dans la vallée de Visoko en réalisant ce que Paul Heinrich appelait une "chimère", c’est-à-dire en créant de toutes pièces une construction pseudo-archéologique intégrant à la fois la fascinante géologie de la région et des éléments d’archéologie réelle transformés et détournés pour en faire des pièces de son puzzle. C’est aussi l’analyse que fait Stultitia de l’émission (bs) qu’il a réalisée pour le compte de la télévision fédérale de Bosnie : par un montage qui alterne en permanence images de Bosnie (sphères, "pyramides", tunnels...) et images de sites réels d’Amérique latine ou d’Egypte, il s’agit de brouiller les cartes, d’amener, de façon quasi-subliminale, le spectateur à confondre et assimiler l’archéologie fantasmatique de M. Osmanagic avec l’archéologie réelle. D’où ce mélange, sur le site de la Fondation, d’artefacts vrais, faux, et potentiels, qui là aussi brouille les cartes et les pistes.