Éric Lesaint ou le vide de la recherche
Article mis en ligne le 26 juin 2022

par Alexis Seydoux

Monsieur Éric Lesaint a proposé, dans une conférence sur la chaine « Horus » de son ami Jérôme Maury, une nouvelle vision de la construction des pyramides d’Égypte, qui remet en cause leur chronologie et explique leur position par la géométrie. Cette hypothèse est fondée sur des observations à partir du logiciel Google Earth.

Selon Jérôme Maury, ces découvertes sont dérangeantes pour « certaines personnes » [1]. Il estime en effet que les « découvertes » effectuées par Éric Lesaint pourraient déranger certains, sans doute selon eux les égyptologues. Rassurons tout de suite ces chercheurs, elles ne dérangent personne, mais contribuent à produire de l’ignorance.

L’hypothèse est la suivante : les pyramides d’Égypte font partie d’un plan conscient de construction dans l’espace selon la géométrie [2]. Ce plan aurait été fondé sur une géométrie spécifique, et sur certaines mesures spécifiques fondées sur des unités modernes. Selon Éric Lesaint, l’ordre de construction est le suivant : Djedefrê, qui n’est, selon l’auteur, pas une pyramide mais une sorte de bureau des architectes, et les pyramides de Djéser, de Meïdoum (qu’il appelle bizarrement « Djé-Meïdoum », mélangeant ainsi le nom arabe de la localité avec une partie du nom égyptien de la pyramide, Djed-Snéfrou), la Rhomboïdale, la Pyramide Rouge, enfin de Khephren, Khéops et Mykérinos [3]. Notons que cet ordre ne comprend que sept pyramides des IIIe et IVe dynasties, et uniquement celles qui sont encore en état. Les autres sont passées sous silence ou ressorties uniquement pour valider une hypothèse comme nous le verrons. L’auteur n’explique pas pourquoi il écarte les autres pyramides.

Cette hypothèse s’affranchit des sources et des connaissances actuelles. En revanche, elle pose comme postulat que les bâtisseurs se servaient du mètre, qu’ils connaissaient la forme de la Terre et pouvaient calculer ses dimensions. Pour Jérôme Maury et Éric Lesaint, cette hypothèse est meilleure que ce qu’ils appellent la thèse officielle, ridiculisée par Jérôme Maury : les pyramides sont des tombeaux ou des cénotaphes et chacun « a fait son petit chantier à gauche, à droite » [4]. Le présentateur ajoute que si les Égyptiens ne connaissaient pas le mètre cela « pose de nombreuses questions au regard de ce que l’on découvre, ce que tu vas nous partager ce soir » [5]. Dans ces affirmations, aucune précision n’est donnée sur les sources ou les méthodes permettant de mettre en doute les hypothèses connues. Or, en science, pour qu’une hypothèse puisse remplacer une autre, il faut démontrer qu’elle est plus valable que la précédente par de sources réinterprétées ou plus récentes, ou de méthodes nouvelles. Ce n’est ici pas le cas, puisque le seul argument est un appel à la dérision.

Quant à Éric Lesaint, il a regardé Le Grand Virage, et remet en question le fait que le papyrus de Merer est bien une source permettant d’attribuer la Grande Pyramide au souverain Khéops [6]. Il traite alors les archéologues de menteurs, estimant qu’ils savent pertinemment que cette source n’est pas une preuve de cette attribution. Il aurait posé la question à certains d’entre eux, mais, comme d’habitude, on ne sait pas lesquels [7]. Pour notre part, nous doutons fortement qu’Éric Lesaint ait lu le Papyrus de Merer ou consulté les études qui lui sont consacrées, comme l’ouvrage de Pierre Tallet, et pensons que ses affirmations sont gratuites [8]. Nous pensons également qu’il n’a jamais évoqué cette question avec des archéologues.

Jérôme Maury met en avant ici sa « méthode » : il faut arrêter de penser de manière rationnelle « sinon on ne va jamais avancer dans cette histoire » [9]. A quoi Éric Lesaint ajoute que si on admet l’existence du mètre à cette époque, cela devient hyper rationnel, car cela explique un plan [10]. On est ici dans la déclaration, jamais dans la démonstration. Par ailleurs, on note que l’auteur écarte le problème du calcul de longues distances, de l’ordre de trente à soixante km ; pour lui cela ne poserait aucun problème [11], car c’est une autre civilisation [12].

D’abord, essayons de comprendre qui sont ces deux personnes et leur rapport à la recherche. Nous avons pas mal discuté avec Éric Lesaint par message et par téléphone, ainsi que dans des posts ou des réponses de posts. S’il se place dans une posture hypercritique et a du mal à comprendre les méthodes de la recherche, il est capable de dialogue. Cela s’est révélé plus difficile avec monsieur Maury qui semble incapable d’échanger avec ce qu’il appelle des chercheurs officiels. Voici une de ses deux réponses :

Dans cette réponse, on note que selon monsieur Maury, il existe quelque chose de plus grand ; on ne sait pas quoi. Notons également que pour Jérôme Maury, il y a quelque chose d’autre à chercher que l’archéologie et l’égyptologie, sans que nous sachions quoi non plus. Là encore, on doit noter qu’il semble pour lui que l’égyptologie et l’archéologie soient une fin en soi, alors que ce sont des sciences dont les champs d’application sont vastes : l’archéologie, c’est l’étude des sociétés du passé à travers leurs restes matériels [13] ; l’égyptologie, c’est l’étude des civilisations de l’Égypte ancienne, en combinant l’étude de la langue (philologie), des textes (histoire) et des restes matériels (archéologie) [14]. Donc, monsieur Maury confond des sciences dont l’objet est l’étude des sociétés anciennes et leur objet lui-même.

Éric Lesaint est défini par Jérôme Maury comme un chercheur [15]. Lui-même se considère comme un artiste [16]. Le fondement de sa méthode semble être l’inspiration [17]. Son outil de travail est Google Earth et sans doute une calculatrice. C’est à partir de cet outil qu’il crée des liens et des corrélations ; sa particularité, selon Jérôme Maury, c’est qu’Éric Lesaint se sert de cercles, dont jamais il n’explique la validité. En revanche, il ne semble pas s’appuyer sur des sources ou sur des études. Rappelons qu’une source est un document produit dans le passé et qui est analysé par les chercheurs ; ce document peut être un écrit, un artefact, une structure, une représentation [18]. Une étude est un travail produit par un chercheur, posant une problématique et s’appuyant sur des sources pour tenter de comprendre l’hypothèse posée en problématique.

Par ailleurs, nous avons le sentiment que pour ces pseudo-chercheurs il existe un fossé, non seulement sur les résultats, mais sur les méthodes. Notons par exemple que jamais ils n’admettent que la recherche s’appuie sur les connaissances acquises à travers les sources. Pour eux, l’absence de sources ne doit pas être un obstacle, mais plutôt une ouverture. Mais ici, ce n’est plus la place de la recherche, mais celle de la fantaisie.

Ici, nous avons dans cet échange une illustration d’un des biais de nos pseudo-chercheurs, l’appel à l’ignorance. En effet, monsieur Lesaint indique bien qu’il refuse l’idée que ce qui n’a pas été découvert n’existe pas, ce qui indiquerait que si une chose n’a pas été découverte, son existence potentielle permettrait d’appuyer une hypothèse ; on pourrait donc fonder une hypothèse sur un postulat non démontré. On pourrait résumer cette idée par la phrase « Ce n’est pas parce que cela n’existe pas que cela n’existe pas ». Cette hypothèse ne peut être acceptée en science, car, justement, cette dernière se fonde sur des preuves et sur l’analyse de ces preuves. Mais Éric Lesaint et Jérôme Maury acceptent l’idée que l’on puisse démontrer une hypothèse sur aucune donnée démontrée, mais uniquement sur des données hypothétiques. Nous en verrons les conséquences.

Essayons de voir clair dans l’hypothèse générale de monsieur Lesaint. Nous allons donc voir quelles sont ces hypothèses mises en avant par Éric Lesaint dans cette conférence, puis sur quoi ces arguments s’appuient, et enfin en quoi on est ici dans un système de croyance qui ne s’appuie sur aucun fait établi.

À son avis, la première structure « qui est arrivée » en Égypte, c’est le Sphinx [19], parce que le Sphinx a été positionné par rapport au Pôle Nord [20], et parce que la distance entre la tête du Sphinx et le pôle Nord est de 3.474 kilomètres, soit le diamètre de la Lune [21]. D’autant que le cercle créé ayant pour centre le pôle Nord et pour point de passage la tête du Sphinx aurait la surface de la Terre, soit 127.551.737.430.016 mètres carrés [22]. Notre auteur crée une fausse corrélation en comparant un diamètre et une surface. Mais, peu importe, tant que cela valide l’analyse. Par ailleurs, on ne sait pas pourquoi, mais le Sphinx est une Lune. Pour lui, c’est une corrélation entre ces deux mesures qui sert de preuve à l’ancienneté du Sphinx, sans tenir compte des datations connues.

Éric Lesaint pose des préalables qui semble démontrer la validité de nombres spécifiques, comme le nombre d’or. On a ici un empilage de nombres. Ainsi, il additionne le diamètre de la Terre au pôle et celui de la Lune, et obtient le nombre d’or (12714 km + 3474 km) [23]. On obtient 16188 (qu’il faut diviser par 10 000 !) ; rappelons que le nombre d’or est 1,61803 ; donc, c’est proche, mais pas identique.

Ensuite, pour lui, le carré qui contient la Terre « contient aussi la Lune » [24]. Il ajoute que le diamètre de la Terre multiplié par le diamètre de la Lune multiplié par Pi donne le diamètre du soleil [25]. Ces corrélations sont toutes illusoires, et jamais l’intentionnalité n’est mise en avant. Notons que cette fois, il applique pour former son carré le diamètre de la Terre à l’Équateur qu’il applique au pôle, car, en réalité, son carré devrait mesurer 12.742 x 2 + 12.714 x 2, soit 50.912 km… le calcul n’est ici encore une fois plus bon. Monsieur Lesaint montre ainsi qu’à l’instar d’autres pseudo-chercheurs, il pratique le cherry-picking.

Il n’y a donc en effet pas de hasard, mais un choix conscient de données pour créer une corrélation illusoire.

Djedefrê

Le fondement de l’hypothèse d’Éric Lesaint, c’est que les sept pyramides qui sont les mieux conservées, ont été disposées en Égypte selon un plan pré-établi. Ce plan s’organise autour de deux structures, l’obélisque d’Héliopolis et la pyramide de Djedefrê. Cette pyramide serait la plus ancienne structure, mais ne serait en fait pas une pyramide, mais le « bureau des architectes » [26]. Nous reviendrons sur ces termes, mais par avance notons les anachronismes. Le terme d’architecte n’apparait qu’au XIIIe siècle [27]. Quant à l’obélisque d’Héliopolis, il date de Sénousret/Sésostris Ier, un souverain de la XIIe dynastie au Moyen Empire. Mais, pour monsieur Lesaint, s’appuyer sur des structures différentes de deux périodes différentes ne semble pas poser de problème.

L’ensemble de la recherche se fonde sur l’usage du logiciel Google Earth. Ce dernier permet de générer des images et des fichiers. Google Earth permet de créer à moindre frais des Systèmes d’information géographique (SiG) [28]. Monsieur Éric Lesaint ne cherche pas à créer des SiG, mais uniquement à se servir de Google Earth pour montrer des corrélations fondées sur des distances « remarquables » entre des objets et des structures. Les distances remarquables sont pour notre auteur des distances exprimées en mètres ou en yards mégalithiques (YM) et en nombres entiers. Rien ne vient conforter ce postulat, sinon son énoncé.

Pour Éric Lesaint, la plus ancienne structure est la pyramide de Djedefrê, dont il estime donc qu’elle n’est pas une pyramide. Cette dernière est positionnée, selon l’auteur, par rapport au pôle Nord [29]. Elle serait placée sur la plus grande droite passant par des terres émergées, une ligne qui passe également par l’obélisque d’Héliopolis. Car, en réalité, ce qui rend la pyramide si remarquable, selon notre auteur, c’est le fait que la distance entre l’obélisque d’Héliopolis et la pyramide de Djedefrê est de 24.880 mètres, soit 30.000 yards mégalithiques – en réalité 29.996, mais encore une fois, pour notre chercheur cette approximation ne pose pas de problème quand ce sont ses calculs [30]. L’idée qui en ressort, sans aucune preuve, c’est que la première mesure, c’est le YM, mais qu’ensuite on est passé au mètre. Pourquoi ? mystère. Le yard mégalithique est une mesure proposée dans les années 1950 par Alexander Thom, en se fondant sur l’analyse statistique d’un certain nombre de cercles mégalithiques [31]. Il a été largement montré que cette mesure ne repose sur aucune réalité concrète et que les calculs d’Alexander Thom se sont révélés erronés [32]. En revanche, cette mesure est très appréciée par certains pseudo-chercheurs qui y voient la mesure première, une sorte de mesure ancestrale. Rappelons que la structure de Djedefrê ou Rêdjedef (2605-2597) est une pyramide, celle du fils de Khéops ; le nom de cette structure est le Firmament de Rêdjedef [33]. C’est bien une pyramide, dont l’état est aujourd’hui très ruiné, à laquelle sont rattachés un temple de la vallée, une chaussée et un complexe funéraire, dont une fosse à barque, et une descenderie qui comprenait le corps du roi. La seconde structure est un obélisque, ou Benben, qui a été érigé sous le règne de Sésostris Ier (1962-1928 avant notre ère) [34]. Un obélisque est un monument dédié au dieu solaire Rê [35]. Ainsi, nous avons deux structures dont les époques sont très éloignées, plus de cinq cents ans, et dont les fonctions n’ont rien à voir. C’est comme si on considérait que la cathédrale de Sens est liée au palais de Versailles, uniquement parce que ces deux structures sont à onze fois dix kilomètres ou à cinquante-neuf milles nautiques, alors que l’un est un palais royal et l’autre le siège d’un évêque. On est obligé de penser que le lien entre ces paires de structures est totalement artificiel.

Ce n’est pas selon nous le seul lien artificiel qui est ainsi créé. Car ce qui justifie également pour notre auteur la primauté de la structure de Djedefrê, ce sont également les liens entre ces structures et la Terre.
Selon notre auteur, en partant de cette pyramide, et en prenant 1/10e de la circonférence de la Terre en YM (soit 40075 km x 0,89244) on arrive à 33239. Il reprend cette distance, maintenant reprise en kilomètres – on se demande pourquoi ce changement de mesure - et indique qu’à 3323,9 km de la pyramide de Djedefrê, on arrive à l’équateur. La distance entre la ligne de l’équateur et la pyramide de Djedefrê est donc précisément le 10e de la circonférence de la Terre en YM, mais remis en kilomètres [36]. Donc, Djedefrê serait positionné par rapport à l’Équateur, mais également par rapport au pôle Nord. Et là, on a de nouveau la distance de 6679 kilomètres jusqu’au pôle Nord, qui est la circonférence de la Terre à l’équateur divisée par six [37]. Donc, pour notre pseudo-chercheur, la pyramide de Djedefrê est positionnée par rapport au pôle Nord et à l’Équateur en YM, mais les mesures qu’il donne sont en kilomètres. Ainsi, sans aucune explication, notre pseudo-chercheur mélange deux systèmes de mesures, sans justification aucune.

Éric Lesaint nous montre sa ligne mauve meilleure que celle d’Howard Crowhurst, car elle est la plus longue ligne passant sur des terres émergées, dont il vante le fait qu’elle ne passe jamais sur une étendue d’eau ; notons qu’elle flirte tout de même fortement avec la mer Caspienne, mais ne chipotons pas [38]. D’autant que cette ligne passe par la pyramide de Djedefrê et par l’obélisque d’Héliopolis.

L’obélisque d’Héliopolis est en plus placé à 6667,70 km du pôle, ce qui, multiplié par six, vaut la circonférence de la Terre au pôle [39]. Rappelons la magie de la division par six, pour la coudée. En réalité, il manque un kilomètre, mais ce n’est pas ce qui gêne notre pseudo-chercheur. Autant dire d’emblée que ce positionnement par rapport au pôle et à l’équateur, sans expliquer comment les constructeurs ont, d’une part connaissance des pôles et de l’équateur, et d’autre part la capacité de calculer de telles distances, n’a guère de sens.

On est ici dans le principe même du mille-feuilles argumentatif : un empilage de données sans cohérence, qui « valident » les conclusions de l’auteur. En plus de cela, on note que notre auteur jongle sans aucune explication d’une unité de mesure à l’autre, le mètre et le YM, et d’une distance à l’autre, liant ainsi la pyramide de Djedefrê avec le pôle Nord, car la distance entre cette structure et le pôle est d’un sixième de la circonférence de la Terre, mais de la circonférence prise... à l’équateur. On passe ainsi sans vergogne du sixième du périmètre à l’équateur, 6679 kilomètres, au sixième du périmètre au pôle, soit 6667 kilomètres.

Ces mesures sont de plus en relation avec la taille de la Terre, ce qui pose un nouveau problème, problème évoqué d’ailleurs par Jérôme Maury : comment les mesures de la Terre sont-elles connues par les bâtisseurs ? Car, pour être capable de positionner les deux structures par rapport au pôle et à la ligne de l’équateur, il faut être capable de positionner ces deux éléments sur le globe. Cela veut dire aussi que les constructeurs savent que la Terre est ronde. Aucune explication n’est donnée. Essayons de savoir ce que les sources indiquent.
Il est admis dans l’histoire des sciences que l’idée d’une terre ronde apparaît dans la Grèce préclassique et classique [40]. Il existe une géographie présocratique, dont les notions se retrouvent dans les récits d’Homère et d’Hésiode (VIIIe-VIIe siècle avant notre ère), mais qui ne permettent pas de penser que les auteurs de cette époque aient conçu ni la forme, ni la taille de la Terre [41]. D’autant qu’au VIe siècle avant notre ère Anaximandre de Milet, synthétisant la connaissance de la Terre à son époque, ne la pense pas ronde, mais sous forme d’un disque [42].

L’hypothèse d’une Terre ronde n’apparaît qu’à la toute fin du VIe siècle avant notre ère, dans les écoles pythagoriciennes de la Grande Grèce, c’est-à-dire du sud de l’Italie actuelle [43]. C’est en effet Pythagore et Parmenide, en ne se fondant que sur des hypothèses, qui imaginent que la terre est une sphère [44]. Il faut noter qu’au Ve siècle, cette idée est discutée et qu’Hérodote, par exemple, ne pense pas la terre comme ronde [45]. Mais Éric Lesaint ne démontre jamais soit que les bâtisseurs de la structure de Djedefrê et de l’obélisque de Sésostris Ier sont postérieurs au VIe siècle avant notre ère, soit que les constructeurs de la période égyptienne connaissaient la forme de la Terre.

Par ailleurs, les Égyptiens ne conçoivent pas non plus la Terre comme un globe, mais plutôt comme un disque [46].

Donc, très clairement, les Égyptiens ne connaissent pas la forme de la Terre, donc, ils ne peuvent pas placer le pôle Nord et la ligne de l’équateur.

Il faudrait en plus que les bâtisseurs connaissent la taille de la terre. Le premier calcul de la taille de la Terre est attribué au grec Eratosthène (vers 276-195 avant notre ère) ; il a calculé la distance d’un arc entre Syène (Assouan) et Alexandrie [47]. Pour que l’hypothèse d’Éric Lesaint soit valable, il faut donc que l’auteur démontre que les bâtisseurs de ces structures aient, avant cette date, calculé précisément la taille de la Terre aux pôles et à l’équateur. Comme ceci n’est jamais montré par nos auteurs, on doit considérer que l’hypothèse mise en avant par Éric Lesaint ne repose sur rien et qu’elle est donc à écarter.

Continuons tout de même à examiner les hypothèses présentées ici. Pour notre auteur, la structure de Djedefrê n’est pas une pyramide, mais un « bureau d’architecte ». Et cela, parce que sur les structures extérieures, on y trouve des « nombres particuliers », comme le nombre d’or ou la coudée royale égyptienne [48]. Comme nous le voyons ici, ce qui sous-tend l’idée que la pyramide de Djedefrê n’est pas un tombeau, mais un bureau d’étude, c’est la présence de ces nombres particuliers. Il nous montre donc des captures d’écran où il aurait décelé le nombre d’or, la mesure supposée de la coudée royale et le nombre Pi.

Rappelons que le nombre d’or, qui vaut 1+racine de 5/2, est considéré par de nombreux pseudo-chercheurs comme un nombre clé que l’on trouverait partout et qui serait la marque d’une civilisation de bâtisseurs [49].

Mesure d’Eric Lesaint
Mesure de l’auteur

Deux éléments contredisent cette hypothèse. Le premier, c’est que la mesure prise par monsieur Éric Lesaint n’a pas plus de valeur qu’une autre mesure. En effet, l’auteur choisit de mesurer une partie du mur d’enceinte vers un décrochement, sans expliquer ce qui valide ce choix. Une autre mesure effectuée par nos soins et qui n’est pas moins valable que la première donne un autre chiffre. Donc, la mesure effectuée par notre pseudo-chercheur n’a aucune valeur scientifique, elle n’est qu’un choix délibéré, un cherry picking. Ces deux mesures, celle effectuée par monsieur Éric Lesaint et la mienne, montrent une chose qui a déjà été mise en avant par les chercheurs en métrologie historique, et notamment Alain Guerreau : c’est que prendre une mesure pour déterminer un étalon ou un nombre spécifique n’a pas de sens, car on ne peut savoir d’où prendre la mesure [50]. C’est d’ailleurs pour cela qu’en métrologie historique, pour connaitre un système de mesure, on ne peut s’appuyer sur les mesures des bâtiments, car on ne peut savoir ce qu’il faut mesurer.

Le deuxième élément vient de la valeur elle-même du nombre d’or ou de la coudée. En effet, jamais notre pseudo-chercheur ne démontre que les constructeurs de ces sites connaissent la valeur de Phi ou que la coudée royale a bien la valeur prétendue. Notre auteur présume sans jamais le démontrer que cette valeur est acquise par les constructeurs. Nous revenons ici à un des principaux problèmes de cette hypothèse, à savoir le fait de poser comme des vérités des faits non préalablement démontrés. Pour le nombre d’or, la première mention de cette proportion, qui ne porte pas ce nom, apparait au IVe siècle avant notre ère, sous la plume d’Euclide, et spécialement dans le Livre II, proposition 11, puis en IV, 10 [51].

Ce nombre est un irrationnel dont certains pensent qu’il est la clé de bien des « mystères ». Si le nombre est connu à l’époque grecque, c’est surtout à Luca Pacioli que l’on doit, à la Renaissance, l’usage ésotérique de la proportion sacrée [52]. Mais c’est surtout Matila Ghyka, dans les années 1920 et 1930, qui a créé l’idée que le nombre d’or est la clé à la fois de l’esthétique, mais également de la civilisation [53]. Cette mystique du nombre d’or joue un rôle très important chez les pseudo-chercheurs, car, selon eux, les anciens bâtisseurs ou les civilisations avancées qui ont construit ces structures connaissaient le nombre d’or. Mais nous savons par les documents mathématiques égyptiens que ces derniers ne maîtrisent pas les nombres à virgule ; donc, ils ne peuvent écrire le nombre d’or, soit 1,1618, sauf sous sa forme 1+racine de 5/2, terme que l’on ne trouve pas dans les textes égyptiens [54]. Aussi, l’idée que les Égyptiens aient délibérément inscrit le nombre d’or dans la structure de Djedefrê parait plus qu’improbable. De plus, la présence de ce nombre sur la distance d’un des murets extérieurs apparaît comme fortuite, d’autant que, comme nous l’avons vu, la prise de cette mesure n’est que du cherry picking.

L’autre chiffre magique pour nos pseudo-chercheurs, c’est la coudée royale égyptienne. Ce terme recouvre une des mesures du système égyptien utilisé pour les longueurs. Pour les pseudo-chercheurs, la valeur de la coudée royale n’a pas été prise par hasard, mais « mathématiquement » à partir du mètre [55]. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Jérôme Maury, en indiquant « pour moi, la coudée royale a été définie par le mètre » [56]. Pour l’auteur, la présence du mètre est factuelle, puisqu’on le mesure sur Google Earth [57].

Pour ces chercheurs, la coudée royale fait exactement 52,36 cm, car elle est la division de Pi par six. Cette hypothèse a été développée par René Schwaller de Lubicz, dès 1949, mais c’est l’article du docteur Charles Funck-Hellet, en 1952, qui développe cette relation [58]. Notons deux choses dans cet article : d’une part, le cherry picking, d’autre part le raisonnement circulaire. Nos chercheurs y ajoutent une autre corrélation, en supposant que les Égyptiens auraient déduit la coudée royale en divisant la distance de 6679 km (diamètre de la Terre) par le rayon de la Terre à l’Équateur (12.756 km) [59].

Notons encore qu’aucune démonstration ne nous est proposée. Pour confirmer cette mesure, Jérôme Maury propose alors de faire « des statistiques de probabilité », ce qui paraît un peu étrange, car il s’agit là de deux champs différents des mathématiques dont l’objet n’est pas le même [60]. Par ailleurs, sur quelle population doit-on s’appuyer pour de telles statistiques ?

L’article de Charles Funck-Hellet est fondé sur un cherry-picking et un raisonnement circulaire. Le cherry picking est montré par le choix arbitraire – par arbitraire nous entendons non-démontré – de Charles Funck-Hellet. En effet, ce dernier explique dans son article : « Nous admettons que si l’on choisit pour la coudée royale une longueur intermédiaire entre les estimations officielles (0,5325 et 0,524), on sera à quelques dix-huit millièmes de la coudée de Khéops. Choisissons 0,5236 mètre en notant qu’une coudée à peine différente ne changera rien aux raisonnements qui vont suivre » [61]. Donc, par avance, Charles Funck-Hellet choisit le chiffre qui convient à son raisonnement ; cela s’appelle du cherry-picking, c’est-à-dire le choix volontaire d’une donnée qui colle à son raisonnement.

Le second élément, c’est le raisonnement circulaire. Charles Funck-Hellet relie la coudée au mètre, à Pi et à Phi de la manière suivante : un cercle d’un diamètre d’un mètre, et donc d’une circonférence de Pi (mètres), divisé par 6, égale la coudée royale de 52,36 cm. Cela veut dire qu’il faut au préalable connaitre le mètre pour connaitre la coudée royale, qu’il faut au préalable connaitre la coudée royale pour connaitre Pi et qu’il faut Pi pour connaître le mètre. Ainsi, aucune donnée n’est autonome l’une de l’autre et il faut connaître par avance une donnée pour la retrouver comme résultat de l’opération.

Ajoutons enfin que Charles Funck-Hellet ne se sert pas réellement du nombre Pi, mais d’une approximation de ce nombre, 3,14.

Donc, l’idée que la coudée fait exactement 52,36 cm ne repose sur rien. D’autant, que comme l’admet déjà Charles Funck-Hellet dans son article, d’autres coudées ont été retrouvées et mesurées et que ces dernières n’atteignent pas la mesure désirée. Les recherches sur la coudée ont montré que ces dernières oscillent entre 52,2 et 52,7 centimètres [62]. Là encore, les preuves données par monsieur Éric Lesaint sont très insuffisantes pour admettre que la pyramide de Djedefrê soit un bureau d’étude parce qu’elle comprendrait certaines mesures spécifiques. D’autant, que si on cherche des mesures, on trouve presque ce que l’on veut. En effet, là où monsieur Lesaint trouve le mètre et la coudée, nous avons trouvé le yard.

On y trouverait la coudée royale et le YM. Mais, quand on prend les mesures du mur lui-même, on n’obtient pas les mêmes distances. C’est donc bien un choix conscient de mesure que l’on sort de son contexte. Par ailleurs, nous, nous démontrons que la mesure n’est pas le mètre dans ce bureau d’architecte, mais le yard impérial, avec cette étonnante diagonale à 200,08 yards que nous montrons ici.

Première question intelligente de Jérôme Maury : comment est-ce possible, puisqu’ils ne connaissaient pas la position du pôle Nord et de l’équateur selon les données officielles, comment faire pour calculer de grandes distances [63] ? La réponse d’Éric Lesaint est plutôt une non-réponse. Pour lui, le discours scientifique est faux, car, comme ils ne sont pas capables de démontrer quelque chose, cela n’existe pas. Et il estime que c’est une forme d’inquisition [64].

Pour monsieur Lesaint, seules les probabilités pourraient remettre en cause son hypothèse. Les zététiciens se servent de toutes les sciences sauf de la probabilité et des statistiques ; car pour lui, s’il faut montrer que c’est du hasard, il faut le montrer avec les probabilités [65]. Comment calculer la probabilité du hasard ? Les probabilités calculent une espérance, pas le hasard. Donc, ici, le calcul n’a pas de sens. Par ailleurs, pour permettre le calcul d’une telle probabilité, il faudrait savoir ce qu’il faut calculer, ce qui n’est jamais mis en avant. Enfin, c’est à monsieur Lesaint lui-même d’apporter la preuve que les probabilités vont dans son sens. Quant aux statistiques, très employées en histoire, elles permettent de créer des métadonnées, c’est-à-dire des données construites et regroupées, permettant ensuite, lorsqu’elles sont interrogées, de montrer des corrélations significatives. C’est donc l’étude d’une population homogène dont on va extraire des caractéristiques connues, afin d’en dégager un enseignement. Par exemple, l’âge d’une population à un temps T dans un village afin de créer une pyramide des âges. Enfin, les hypothèses de monsieur Lesaint n’appartiennent pas au champ des probabilités, car rappelons qu’une probabilité se calcule selon la formule nombre de cas réalisé sur nombre de cas possible. Quelles sont donc les données permettant de mettre en place un tel calcul ?

Ainsi tout le raisonnement de monsieur Lesaint ne s’appuie sur rien et surtout sur aucune donnée tangible, mais uniquement des corrélations illusoires, toutes fondées sur des lignes construites avec Google Earth. Aucune source de terrain n’est jamais mise en avant.

Si les mesures sont remises en cause, qu’en est-il des datations ? car monsieur Lesaint estime devoir remettre totalement en cause l’ordre connu de la construction de ces pyramides.

La question des datations : la liste des pyramides et la chronologie

C’est après plus de quarante minutes d’empilage de chiffres qu’Éric Lesaint nous explique que toutes les pyramides sont positionnées par rapport à l’obélisque d’Héliopolis et à la pyramide de Djedefrê. Il annonce que le but de l’obélisque, c’est de créer des cercles, et la pyramide sert à créer des alignements ou des angles droits [66]. Jamais Éric Lesaint ne nous démontre l’ancienneté de l’édifice autrement que par le fait qu’il serait relié au pôle et à l’équateur. Jamais non plus Éric Lesaint ne se penche sur les datations connues de ces édifices. Nous y reviendrons.

Reprenons le raisonnement de monsieur Lesaint. Il relie Héliopolis à l’angle sud-ouest de la pyramide de Djedefrê, et obtient 64,07°, car évidemment, les bâtisseurs se servent de la base soixante pour les angles. Puis, il part de l’angle nord-ouest avec un angle de 64,07° + 90°, donc à 154,07°. À une distance de 30 km, on arrive à la Rhomboïdale [67]. Cela fonctionne si on part de l’enclos de la pyramide, mais pas de la pyramide elle-même, mais c’est sans doute un détail ou une nouvelle approximation.

Dans le même temps, notre pseudo-chercheur indique qu’en créant un cercle de trente kilomètres de rayon autour de l’obélisque d’Héliopolis, on passe sur la pyramide de Djéser [68]. Donc, après Djedefrê, les pyramide de Djéser et de Meidoum seraient les plus anciennes, l’une reliée à Djedefrê, l’autre à l’obélisque. 

Pour notre pseudo-chercheur, ce qui renforce cette idée, c’est que le nom de ces trois pyramides commence par Djé, djed étant un terme signifiant la stabilité [69]. Donc, les pyramides de Djéser, de « Djé Snéfrou » (en réalité Djed Snéfrou, ou Meïdoum) et de Djedefrê seraient « l’ossature » de l’ensemble pyramidal, du fait de leur nom [70]. Le problème, c’est que de nouveau, Éric Lesaint mélange les choses. On ne connaît pas le nom de la pyramide de Djéser ; la pyramide de Meïdoum s’appelle en effet Djed-Snéfrou, mais son souverain est Snéfrou, en revanche, celle de Djedefrê s’appelle l’étoile de Djedefrê [71].Toutes les pyramides en Djé seraient « en palier », c’est-à-dire des pyramides plus ou moins à degré [72]. Il s’agit encore d’une erreur et d’un biais, puisque la pyramide de Djedefrê est à faces lisses et que la pyramide rhomboïdale est aussi une pyramide lisse, mais à deux pentes. Cette idée de palier ne veut en fait rien dire. Ces trois pyramides seraient au service des quatre autres. Enfin, l’hypothèse que Djedefrê n’est pas une pyramide, repose sur le fait que de celle-ci, on voit toutes les autres. C’est un peu léger.

Par ailleurs, si les pyramides dont le nom comprend Djé sont spécialement importantes, pourquoi ne pas prendre en compte celle de Téti Ier, qui porte le nom de « Djed-sout-Teti » [73] ? Ou les souverains dont le nom comprend djé, comme Djer, Djet, Djedkarê ou Djéhouty ? Il y a donc de la part d’Éric Lesaint un choix bien singulier qu’il n’explique jamais ; cela s’appelle du cherry picking, car, dans une démonstration, l’inclusion ou l’exclusion de certaines données – en l’occurrence les pyramides ou les noms des souverains, les deux critères employés par notre auteur, doivent se justifier [74].

En plus, l’auteur mélange des noms de souverains, Djéser et Djedefrê, et de pyramides, Djed-Snéfrou, sans que cela ne lui pose de problème. De plus, Djéser, à l’Ancien Empire, n’est connu que sous son nom d’Horus Netjerikhet, le nom de fils de Rê Djéser n’étant employé que beaucoup plus tard dans les listes royales [75]. Enfin, dans le nom Djéser/Djoser, le Dje ne correspond pas au terme djed, mais au mot djeser qui signifie « sacré ».

Hiéroglyphe Dd = djed
Hiéroglyphe Dsr = djéser

Les quatre autres pyramides seraient donc dans l’ordre la pyramide Rhomboïdale, la pyramide Rouge, celle de Khéphren, celle de Khéops et celle de Mykérinos. Cet ordre n’est fondé sur des calculs géométriques, sans tenir compte des datations connues. Ainsi, Mykérinos devient la pyramide suivante, car notre ami déplace ensuite son cercle sur Mykérinos, et obtient le même chiffre [76]. En fait, c’est sur une pyramide satellite de Mykérinos, qui n’est pas prise en compte dans les sept pyramides. Encore une fois, c’est du cherry picking : Éric Lesaint indique en préalable ne prendre en compte que les sept pyramides encore en état, mais tout d’un coup, il sort du chapeau une pyramide satellite, et là, sans aucune explication préalable.

Qu’en est-il des datations connues par l’archéologie ? les archéologues ont déterminé la succession des pyramides sur deux éléments distincts : les datations relatives et les datations absolues.

Tout d’abord, et de manière assez logique, par la succession des rois connue par les listes royales. C’est ce que l’on appelle une datation relative, c’est-à-dire le fait de pouvoir déterminer les événements les uns par rapport aux autres. Pour cette période, la liste royale la plus ancienne est la Pierre de Palerme [77]. Elle mesure 27 cm sur 43,5 de haut [78]. On estime que le document original mesurait deux mètres de long sur 60 cm de haut [79]. Cette pierre relate l’histoire des rois de Narmer, premier pharaon de la Ier dynastie, à Neferikare-Kakaï, troisième pharaon de la Ve dynastie [80]. La pierre est divisée en cases verticales qui correspondent chacune à une année de règne. Chaque case comprend le nom du roi et les événements importants de l’année, c’est-à-dire les couronnements, les fêtes religieuses, les fondations de temples ou de villes. Enfin, une dernière case donne la hauteur de la crue du Nil. De la première ligne très endommagée, il reste les noms de sept rois, portant la couronne de Basse Égypte, mais sans aucune mention d’événements [81]. Cette liste nous permet donc de connaître la liste des rois des IIIe et IVe dynastie, ceux qui sont les commanditaires de ces pyramides. Cette liste est assez claire et montre que les rois de la IIIe dynastie sont Djéser, Djéserty, Khaba, Nebka et Houni, et ceux de la IVe dynastie sont Snéfrou, Khéops, Rêdjedef (Djedefrê), Khéphren, Mykérinos et Chepseskaf [82]. La liste est corroborée par certains textes qui montrent comment les successions entre souverains s’effectuent et ce que sont les liens filiaux [83].

Pierre de Palerme - Source : Wikipedia

Donc, l’ordre des constructions donné par monsieur Éric Lesaint ne correspond pas aux successions connues. Mais jamais notre pseudo-chercheur ne nous explique comment il résout cette contradiction. Dans des dialogues privés ou des échanges de posts, il semble mettre en avant l’idée que les listes royales sont tardives, et ont pu être modifiées. Mais ce n’est pas le cas de la Pierre de Palerme. Par ailleurs, les canons et les listes royales plus tardives se recoupent parfaitement, ce qui montre que ces listes sont fidèlement recopiées, tant leur importance est grande. Elles permettent aux souverains de se légitimer en montrant que leur pouvoir est hérité de leurs ancêtres.

Liste connueListe Lesaint
Djéser Djedefrê
Djéserti Djéser
Khaba
Sanakht
Houni
Snéfrou Snéfrou
Khéops Khéphren
Djedefrê
Khéphren Khéops
Mykérinos Mykérinos

Par ailleurs, en plus de ces listes royales, nous avons des datations absolues, c’est-à-dire fondées sur un calendrier. Elles sont obtenues au Carbone 14, car les pyramides contiennent des matériaux datables, notamment des charbons contenus dans les mortiers [84]. De nouveau, les dates permettent de montrer que la succession connue des bâtiments correspond aux listes royales.

Notons qu’Éric Lesaint ne tient jamais compte de tous les souverains, mais uniquement ceux dont les structures funéraires sont visibles par Google Earth. C’est de nouveau du cherry picking. Ainsi, pourquoi ne pas prendre en compte la pyramide de Djéserty, qui devait comprendre sept degrés, et aurait été une structure plus imposante que celle de son prédécesseur et dont le nom commence aussi par Djé [85] ? Si cette pyramide n’a pas été prise dans l’échantillon c’est soit qu’Éric Lesaint ne la connaissait même pas, ce qui signifie que la population de pyramides qu’il a étudiée n’est pas complète, ce qui fausse son hypothèse, soit qu’il l’a volontairement ignorée car cela ne validait pas son hypothèse, ce qui biaise le résultat. Le fait de ne choisir que les structures visibles est, par ailleurs, un biais terrible, qui montre que notre chercheur en herbe a dans sa tête une idée préconçue et qu’il cherche des moyens de la valider, ce qui est l’inverse de la démarche d’un chercheur. Cela montre enfin la limite de Google Earth, car il ne peut poser son hypothèse que sur ce qui est visible du ciel, se privant ainsi de nombreuses informations.

Monsieur Lesaint établit donc une succession de construction des pyramides sur des liens « géométriques » dont il n’explique pas réellement la méthode et la clé, sans tenir compte des listes royales, des datations connues ou encore de toutes les pyramides, puisqu’il n’en choisit que certaines.

En réalité, les hypothèses de monsieur Éric Lesaint s’appuient sur un système de croyance, combinant paresse, incompétence et manque de curiosité en ce qui concerne la recherche historique.

Un système de croyance

Nous avons vu donc que les hypothèses mises en avant par Éric Lesaint et présentées par Jérôme Maury ne se fondent sur aucune méthode, mais sur une lecture spécieuse de Google Earth. Ainsi, aucun des postulats nécessaires à la démonstration, connaissance du mètre, des nombres irrationnels, de la forme et de la taille de la pierre, ne sont démontrés.

Pour ces deux pseudo-chercheurs, l’ensemble de la recherche qui se fonde sur des sources et des études est fausse. Le problème, c’est que l’on ne sait pas très bien pourquoi, sinon qu’ils rejettent les recherches effectuées par ce qu’ils appellent « l’histoire officielle ». L’idée d’une histoire officielle n’a pas de sens. L’histoire, en tant que science, se met en place au début du XIXe siècle en se fondant sur l’usage des sources écrites et de leur critique [86]. Rappelons encore qu’il n’existe aucune officine chargée de concevoir l’écriture de l’histoire, mais que cette dernière est effectuée par les historiens, en se fondant sur les sources et sur les méthodes de recherche. Rappelons enfin que les méthodes et les outils de la recherche historique ont évolué dans le temps et évoluent encore [87]. Mais tout cela ne semble pas avoir d’importance pour nos deux pseudo-chercheurs.

Éric Lesaint donne sa définition de la différence dans la méthode de recherche entre lui et un scientifique/zététicien : « Nous, quand ça n’existe pas, on accepte tout » ; et eux « quand on n’arrive pas à prouver, cela n’existe pas » [88]. Ainsi, monsieur Lesaint n’est pas sur la réalité du terrain et des sources, mais sur l’imagination. Si nous le suivons, ce n’est pas la peine d’avoir une preuve que quelque chose existe pour qu’elle existe. Cela veut dire que tout est possible ; mais ce n’est plus de la science, mais de la fiction. C’est ici le débat médiéval sur la foi et la raison ; la foi, c’est ce que l’on croit sans avoir besoin de preuve ; la science, c’est justement ce qui exige une preuve pour être admis.

Il tente de montrer que les scientifiques sont étroits d’esprit en inventant une parabole autour des poissons. Il estime qu’un scientifique ne penserait pas qu’il y a des poissons dans la mer, puisqu’il ne les voit pas ou estime qu’ils ne peuvent respirer sous l’eau. On est évidemment dans une grossière exagération, qui oublie comment les sciences se sont construites lentement, depuis l’Antiquité, autour de l’observation de la nature. Ainsi, la science part de l’existence des poissons dans l’eau pour expliquer leur mode de respiration. Il ignore également comment la science moderne s’est formée au début du XVIIe siècle par le développement de l’expérimentation, mise en place en Angleterre, par plusieurs savants dont Francis Bacon [89]. La science moderne commence à se mettre en place à cette époque et se fonde sur l’observation des phénomènes, en commençant par ceux qui sont déjà connus, comme nos amis les poissons. Ainsi, la question des scientifiques du XVIIe et du XVIIIe siècle n’est pas de savoir s’il y a des poissons dans l’eau, les hommes le savent depuis qu’ils les pêchent, mais plutôt comment ils se comportent sous l’eau. Cette méconnaissance de l’histoire des sciences est caractéristique dans les croyances de monsieur Lesaint.

Il estime que les archéologues ne font que réciter ce qu’ils ont appris [90]. Ils sont obligés de croire ce que leur disent leurs pairs [91]. Et selon eux, ce n’est que la religion qui explique toutes les structures archéologiques. Là encore, il plaque sa croyance sur le monde de la recherche, oubliant que l’innovation en est le moteur ; de même, monsieur Lesaint est resté sur l’archéologie du XIXe siècle, oubliant que l’archéologie, c’est l’étude des sociétés et pas juste des structures.

Nos auteurs empilent alors les invraisemblances sur l’Égypte ancienne. Les mastabas ne seraient que des niches à chien ou des igloos pour les mastabas antérieurs à la pyramide de Djéser [92]. C’est avoir une énorme méconnaissance de l’évolution des constructions funéraires anciennes de l’Égypte, des premières tombes complexes de la période Nagada II aux grandes nécropoles de Nagada III, puis aux tombes en pierre des premières dynasties et enfin aux pyramides des dynasties suivantes [93]. Autre raccourci de monsieur Lesaint : pour les archéologues, l’explication, c’est que Djéser était mégalomane ; on ne sait pas où Éric Lesaint a trouvé cela. Selon lui, Imhotep aurait tout inventé en trente ans pour construire la pyramide du pharaon [94]. Évidemment, il ne tient pas compte des progrès et des évolutions de l’architecture de pierre en Égypte [95]. Ces deux exemples cités montrent que monsieur Lesaint ne s’est jamais penché sur l’histoire ou l’archéologie de l’Égypte ancienne. En réalité, il semble que ce sujet n’intéresse pas ces pseudo-chercheurs ; la seule chose qui les intéresse, ce sont de prétendues relations entre les structures qu’ils voient à partir de Google Earth et des données qu’ils jugent importantes, sans jamais se demander si les corrélations entre ces données sont valables.

Ces croyances aveuglent Éric Lesaint, qui, du coup, ne voit pas les sources qui attestent par exemple que la pyramide de Khéops est bien la tombe de ce souverain. Car, pour nos pseudo-chercheurs, la Grande pyramide n’est pas nécessairement le tombeau du souverain Khéops. Ainsi, Éric Lesaint aimerait voir les photos de ce qu’il appelle les graffitis d’angle, qui montrent que ces graffitis sont nécessairement antérieurs à la pose de ces pierres, donc à la fin de la construction de la pyramide. De fait, il existe dans les chambres de décharge de la Grande pyramide des inscriptions portant notamment les noms de Khéops sous deux formes, son nom de naissance, Khoufou, et son nom d’Horus, Medjédou.

Il veut aussi que ces graffitis soient datés par une méthode physico-chimique, méthode qui est pourtant parfois réfutée par les pseudo-archéologues. Nous avons beau lui montrer ces dessins, et notamment ceux qui sont cachés ou partiellement visibles et qui ne peuvent avoir été tracés après la pose du bloc, il refuse cette explication. Pire, lorsque nous expliquons que cette datation est inutile, car l’endroit où se trouvent ces marques est postérieur au début de la construction de la Pyramide et antérieur à sa fin, il ne cherche pas à comprendre. En effet, les blocs de décharge ont été posés au-dessus de la chambre haute, donc après la finition de cette dernière, et avant les blocs qui ont été posés au-dessus. C’est en soi une unité stratigraphique close et nous savons par les textes antérieurs et par les mémoires de Howard Vyse qu’il est le premier à y être entré [96]. Il relève les hiéroglyphes présents, et comme il ne sait pas les lire, il les transmet à monsieur Pering, qui les traduit [97]. Par ailleurs, monsieur Vyse se dit certain que les hiéroglyphes ont bien été inscrits avant la fin de la construction, car ils étaient inatteignables une fois l’édifice terminé [98]. Donc, clos, postérieurs au début de la construction de la pyramide et antérieurs à sa finition, ils sont à dater entre le début et la fin de l’édification de la structure. Et on connaît ces dates, car la GP est datée par les moyens physico-chimiques [99]. En conclusion, les cartouches présents dans la chambre de décharge ne peuvent avoir été introduits plus tard. Mais cela ne suffit à monsieur Lesaint qui demande des preuves supplémentaires. Cette attitude s’appelle l’hypercritique et nous y reviendrons.

Ajoutons que lors d’une discussion que l’on trouve sous cette page, monsieur Lesaint a montré son ignorance totale du sens de lecture des hiéroglyphes [100]. Cela montre encore une fois que monsieur Lesaint est un chercheur en chambre, qui ne s’intéresse pas à l’objet de ses recherches, mais uniquement à des empilements numérologiques.

Monsieur Lesaint indique qu’il a discuté avec un archéologue du Papyrus de Merer et que certains archéologues lui auraient dit que la pyramide pourrait être un remploi [101]. On ne sait pas qui est cet archéologue, ni comment un archéologue pourrait penser que la Pyramide de Khéops est un remploi. Mais, pour notre chercheur, les archéologues auraient menti. C’est une accusation très grave. Nous lui demandons donc de nous dire qui sont ces archéologues qui indiquent que la pyramide de Khéops est un remploi.

Autre exemple de sa méconnaissance et de son hypercritique, la conduite des chantiers des pyramides. Il nous parle de « logistique », terme anachronique. Il dit que les archéologues ne travaillent pas sur la logistique et qu’on devrait trouver les ports pour décharger des pierres de 40 tonnes. En réalité, il n’a pas étudié ces chantiers. Ainsi, il se demande comment les chantiers des trois pyramides de Snéfrou se sont déplacés. S’il avait étudié ces chantiers, il saurait que les chantiers sont simultanés. Il se demande où sont les traces des ports sur ces trois chantiers, mais ces pyramides ne comprennent que des blocs de calcaire venus du plateau. Quant aux chantiers de Gizeh, qui eux comprennent du granite d’Assouan, nous savons justement qu’il existe un port, appelé l’étang de Khoufou [102].

Mais, Éric Lesaint insiste : « aujourd’hui on n’a aucune preuve » [103]. Par exemple, sur la traction des charges lourdes, monsieur Lesaint demande que cela soit refait devant ses yeux, sans jamais regarder ou lire les liens qui montrent que de tels déplacements ont été effectués, tel que celui de l’obélisque de la Concorde, de la Pierre Tonnerre, de l’obélisque du Latran, des obélisques de la reine Hatchepsout ou encore du colosse de Djéhoutyhotep. En fait, il nous semble que monsieur Lesaint refuse toutes sources ou toutes études allant à l’encontre de sa croyance, prêchant pour un faux pragmatisme qui n’est qu’une hypercritique. De plus, il estime qu’un article scientifique, fondé sur une méthode de recherche et sur des sources, est un avis comme un autre auquel il faut adhérer ou pas. C’est donc bien un système de croyance, fondée sur aucune preuve, et qui s’oppose à la science, que monsieur Éric Lesaint met en avant et défend. C’est même une position hypercritique, qui consiste à estimer que si un seul élément est mis en doute, toute l’hypothèse tombe d’elle-même. Le problème, c’est qu’il ne suffit pas de mettre en doute un seul élément, il faut démontrer que celui-ci n’est pas valable. Or monsieur Lesaint ne démontre jamais rien, il ne fait que dire que c’est impossible.

Le problème, c’est que nous avons envoyé de très nombreux liens à monsieur Lesaint. Et lorsque des preuves sont présentées ou que l’on indique des études qui apportent ces preuves et ces sources, monsieur Lesaint les refuse. D’une part, il ne les lit pas, d’autre part, il demande des preuves supplémentaires. Et même si elles lui sont présentées, par paresse, monsieur Lesaint et ses soutiens se refusent à les observer, les considérant comme de la « littérature ». On est ici avec des croyants, qui ont la foi dans leurs hypothèses, et se refusent à les confronter aux réalités du terrain. Pourtant, ces liens ou ces études s’appuient sur des données concrètes, des données de terrain, comme celle de Denys Stock, par exemple, qui a testé les techniques égyptiennes, ou celle de Dieter Arnold, ou de Frank Monnier [104]. Ce sont des études fondées sur les sources de terrain, menées par des personnes qui sont allées en Égypte et ont vérifié ces données. Pas de vulgaires lignes dessinées de chez soi avec Google Earth, sans aucune vérification et sans aucune preuve apportée. Que valent ces hypothèses ainsi formulées ?

L’hypothèse de monsieur Lesaint se fonde sur l’idée que certaines pyramides de la IIIe et de la IVe dynastie sont implantées non pas afin de répondre aux demandes des chantiers (carrières, proches du Nil, sur d’autres nécropoles) et par rapport aux autres sites essentiels de l’Ancien Empire (palais, capitale, centre de pouvoir), mais selon un schéma « géométrique » fondé sur la taille de la Terre et l’usage du mètre. Nous avons montré que cette hypothèse n’est pas fondée, car elle s’appuie sur de nombreux biais : mille-feuilles argumentatifs, calculs approximatifs, sophismes, incapacité à démontrer les postulats nécessaires que sont la connaissance du mètre, de la forme et de la taille de la Terre par les constructeurs.

L’ordre de construction des pyramides présenté par monsieur Lesaint est tout aussi erroné. Il se fonde sur des constructions géométriques spécieuses, comprenant notamment des changements d’unité (on passe du yard mégalithique au mètre, sans savoir pourquoi), ou du cherry-picking, choisissant certains angles de pyramides. De plus, Éric Lesaint ne choisit que sept pyramides sur l’ensemble de celles qui ont été construites. C’est encore un choix inexpliqué, qui confine à une nouvelle cueillette de cerise. Cela montre que notre auteur ne s’attache qu’à ce qu’il voit sur son écran d’ordinateur et jamais aux réalités de terrain. Monsieur Lesaint invente donc des corrélations illusoires sur son écran et ne les confronte jamais aux connaissances acquises. Sans doute s’estime-t-il au-dessus de ces dernières. Le problème, c’est que ces connaissances sont issues de données concrètes, pas des empilements de chiffres. Ainsi, l’ordre de construction qu’il établit n’est jamais confronté aux listes royales, aux datations au carbone 14 ou aux données archéologiques. Or, ces dernières contredisent totalement l’hypothèse formulée ici.

Si monsieur Lesaint veut que son hypothèse soit acceptable, il doit apporter des preuves à sa théorie, (existence du mètre, connaissance de la forme et de la taille de la Terre) et apporter des preuves que les théories en place sont fausses, en critiquant les sources et pas en demandant aux autres que ces sources soient valables ; car il pratique ici l’inversion de la charge de la preuve. C’est lui qui avance une hypothèse nouvelle, c’est à lui de la démontrer, ce qu’il ne fait jamais.

Et s’il ne le fait jamais, c’est qu’il ne s’en donne pas les moyens. Nous pensons que c’est par orgueil, par paresse et par étroitesse d’esprit. Par orgueil, car monsieur Lesaint pense, avec monsieur Maury et d’autres, que leurs hypothèses, qui tiennent plus de la numérologie, sont plus solides que celles des chercheurs de terrain. Par paresse, car monsieur Lesaint, malgré toutes les informations données, ne prend pas le temps de lire les informations ou les lit partiellement. Par étroitesse d’esprit, car, comme un croyant refusant de dévier de sa foi aveugle, il refuse d’écouter les autres, pensant être dans la vérité. Rappelons, si cela est encore nécessaire, qu’en recherche, il n’y a pas de vérité, seulement des connaissances et des théories qui ne sont valides que jusqu’à preuve du contraire ; seuls les croyants cherchent la vérité.

Nous estimons que, de toute façon, le sujet de l’Égypte ancienne ne l’intéresse pas du tout. Ce qui l’intéresse, c’est de proposer une nouvelle « vérité » géométrique, qui ferait de lui un nouveau prophète. Le problème, c’est que cette prophétie qui se veut « mathématique » repose sur une montagne de biais.