Article précédent : Esclavage et Inquisition
Nous avons vu dans un premier article que Monsieur Oleg de Normandie, sur sa chaîne, met en cause tout un pan de l’histoire du haut Moyen Âge, et donc de l’histoire européenne. Il estime que l’histoire est aux mains du Vatican, et dirigée par l’Inquisition, terme d’ailleurs assez vague qu’il ne définit pas bien ; selon lui, c’est à cause de ce contrôle qu’aucune étude sur l’esclavage des Blancs au haut Moyen Âge n’a jamais été abordée par les historiens. Nous avons montré que ces trois assertions sont fausses : la première, celle de l’histoire contrôlée par l’Église et le Vatican, est l’inverse de la réalité de la construction des sciences historiques ; la seconde, d’une Inquisition censurant les travaux historiques, n’est fondée sur rien ; enfin, la troisième, sur une occultation de l’esclavage des Blancs par les historiens, est l’inverse de la réalité de la recherche. Cela montre par ailleurs que monsieur Oleg de Normandie invente en permanence de faux arguments.
Nous avons vu dans les articles précédents qu’Oleg de Normandie, dans ses vidéos, invente une société celto-odinique idéale, pleine de clichés, mais très éloignée de la réalité [1]. Nous avons aussi vu que sa vision du haut Moyen Âge est totalement fausse ; il fantasme un monde mérovingien anti-esclavagiste, opposé à Rome, face à un monde carolingien au service d’une Église de Rome toute puissante, voulant installer son hégémonie sur le monde, mais combattu par les valeureux Vikings. Tout cela est faux. Mais, surtout, tout cela est au service d’une idée, c’est que cet esclavage blanc, remis en place par les Carolingiens, se fait au profit des Juifs et se dirige vers l’Espagne musulmane. On entre ici dans les topoi antisémites et anti-islamiques : les marchands sont nécessairement juifs et les « consommateurs » sont nécessairement les Musulmans « orientaux » [2]. C’est l’image orientaliste qui se met en place en Europe au XIXe siècle, celle mise en avant par Edward Saïd [3]. Ces topoi montrent que le discours d’Oleg de Normandie plonge dans des clichés racistes anciens.
Il estime que cette traite commence à partir du VIIIe siècle, c’est-à-dire à partir de la mise en place du pouvoir carolingien [4]. Il parle même de 700, pour la mise en place de la traite des Blancs. Dans une autre intervention, il indique que c’est Charlemagne qui a généralisé le servage en Gaule [5]. Oleg de Normandie ajoute que servage et esclavage, c’est la même chose, sans s’appuyer sur les textes juridiques et en mélangeant des concepts différents [6]. Cette idée du passage de l’esclavage au servage est centrale pour les historiens, mais pas pour Oleg de Normandie, dont l’ignorance transparaît ici.
C’est donc, selon Oleg de Normandie, le trafic des esclaves qui est le nœud du problème. Mais, qu’est-ce que l’esclavage et comment a-t-il évolué au début du Moyen Âge ?
L’esclavage est à la fois un terme juridique, politique et social. Par esclavage, on désigne le statut d’un homme privé de ses libertés les plus basiques et réduit à l’état de marchandise, voire de bien mobilier [7]. Dans la vision antique, on distingue deux statuts : les hommes libres et ceux qui ne le sont pas [8]. Les causes d’esclavage sont en revanche nombreuses : dettes, guerre, hilotisme, esclaves de temple [9]. Le statut aussi : entre Polybe, esclave dans la famille de Scipion l’Africain et l’esclave envoyé dans les mines, il y a un écart gigantesque [10]. Durant l’Antiquité, le maître a presque tous les droits sur son ou ses esclaves : le mettre à mort, l’affranchir, le rançonner [11]. Mais c’est dans le monde grec et dans le monde romain que l’esclavage est connu pour être massif. Ainsi, Delos devient une plaque tournante du commerce des esclaves vers le IIIe siècle et les esclaves sont achetés et vendus dans toute la Méditerranée [12].
Les historiens se sont ensuite demandé quel était le statut des esclaves dans le premier Moyen Âge. Le passage du statut d’esclave à celui de serf a posé problème aux historiens, certains pensant même que les serfs n’étant pas des esclaves, l’esclavage disparaît au début du Moyen Âge. Nous avons vu que cette idée n’est plus de mise et que les historiens considèrent que les sociétés du haut Moyen Âge comprennent des esclaves et des serfs, dont le statut est différent. Il est désigné par les termes de servus, de sclavus, ou encore d’ancilla [13]. Cela désigne une palette un peu plus large de statuts, allant d’une perte totale de liberté à des pertes partielles. L’esclave est un bien mobilier qui peut être transféré ou vendu [14]. Un esclave est donc un non libre, qui n’a aucun droit, ne peut posséder, ne peut se marier et ne peut témoigner en justice. Ce statut est différent de celui du serf, qui lui, par exemple, peut se marier et peut posséder des biens [15]. Toutes les sociétés du haut Moyen Âge connaissent l’esclavage : le monde post-romain, l’Empire d’Orient ou byzantin, les royaumes germaniques, les Saxons ou les Scandinaves [16].
L’esclave est donc une marchandise qui peut être vendue, échangée, donnée. Il existe donc un commerce des esclaves, des moyens de s’en procurer, des réseaux. Selon Oleg de Normandie, il existe un trafic massif et continu d’esclaves blancs [17]. C’est pour cela qu’il emploie le terme de traite des Blancs. Le terme de traite s’applique à un commerce des esclaves régulier. Il va nous falloir distinguer ce qui est de la mise en esclavage comme produit de la guerre et ce qui relève de la traite d’esclaves, c’est-à-dire d’un réseau commercial de marchandise humaine. On emploie le terme de trafic d’esclaves lorsqu’il existe un commerce d’hommes non libres.
Durant l’époque carolingienne, il existe plusieurs statuts des hommes travaillant la terre, connus notamment par les Polyptiques, c’est-à-dire des documents comptables résumant les possessions des monastères [18]. On trouve sur les terres des paysans libres, qui possèdent leurs terres, des dépendants et des esclaves [19]. Par ailleurs, le mode d’exploitation de la terre repose moins sur l’esclavage entre le VIIIe et le IXe siècle [20].
Nous allons donc examiner les positions d’Oleg de Normandie. Nous verrons d’abord son hypothèse d’un esclavage que les Carolingiens auraient remis en place, au profit des marchands juifs et en direction de l’Espagne musulmane. Dans une quatrième partie, nous reprendrons son hypothèse d’un sauvetage de ces esclaves par les Vikings.
L’esclavage rétabli par les Carolingiens ? Une erreur d’Oleg
Pour, Oleg de Normandie c’est Charlemagne qui organise la traite des païens [21]. Oleg de Normandie estime que cette mise en esclavage est une des raisons principales des campagnes de Charlemagne contre les Saxons, entre 772 et 801 [22]. Il cite ainsi, comme élément de preuve, une phrase d’Ibrahim al-Qarawi : « Les Francs sont voisins des Slaves. Ils font ceux-ci prisonniers à la guerre et les vendent en Espagne où il en arrive beaucoup. Ils sont châtrés par des Juifs qui sont sous la protection des Francs et qui habitent dans l’Empire franc et les territoires musulmans voisins. Ces castrats sont exportés d’Espagne dans tous les autres pays musulmans » [23]. Oleg y ajoute l’idée que de nombreux Gaulois réfractaires sont employés comme esclaves dans les abbayes « romaines » [24]. Il évoque le cas des colliberts (le terme latin est collibertus, i). Ce terme s’applique à des serfs et apparaît au XIe siècle, donc bien après la fin du monde carolingien [25]. Il ajoute que les colliberts portent une sorte de collier et qu’un grand nombre de ces derniers sont installés dans la région de Chartres [26].
Son idée, c’est que, sous les Mérovingiens et les Wisigoths, qui seraient des celto-odiniens, l’esclavage aurait été abandonné. Nous allons donc vérifier cette information et nous demander si en effet les Carolingiens ont rétabli le statut des esclaves, ou si, en réalité, les sociétés mérovingiennes, wisigothiques et scandinaves étaient également esclavagistes. Il faut pour cela examiner les sources. Dans les textes du haut Moyen Âge, qui sont en latin, on trouve les termes de servi, ou d’ancilla, ou encore mancipia [27]. Tous ces termes, issus du latin classique, désignent un esclave. Ils sont repris par Isidore de Séville, évêque de la ville au début du VIIe siècle, dont l’ouvrage, les Étymologies, tente d’expliquer l’origine des termes latins [28]. Dans cet ouvrage, l’évêque sévillan reprend bien ces termes de servi, ancilla et mancipium, expliquant bien que ces termes désignent des esclaves, des non libres [29]. Donc, chez les Wisigoths, les termes désignant les esclaves existent. Si ces termes existent dans les sociétés germaniques, que recouvrent-ils ?
Le droit germanique reprend le droit romain, notamment sur le statut des personnes. Aussi, la définition de l’esclave dans le monde germanique reprend celle du monde romain [30]. D’autant que la plupart des « lois barbares », c’est-à-dire des textes juridiques mis en place dans les royaumes qui succèdent à l’Empire romain, évoquent la place des esclaves. Ces textes sont notamment le Pactus Legis Salicæ, la loi salique des Francs, ou le Liber Iudoricum, le Livre des Juges, et reprennent en grande partie les dispositions romaines.
Les lois franques sont assez précises sur le cas des esclaves. Ainsi, tout le titre X du Pactus Legis Salicæ traite de la place et du statut des esclaves dans le monde mérovingien. Leur position est celle d’un cheval, comme il est précisé dans le premier article de cette section [31]. Les lois précisent par exemple les métiers qui sont tenus par des esclaves. C’est, par exemple, le cas des forgerons (faber), métier que les esclaves peuvent exercer [32]. Comme le métier de forgeron est précieux, donc les esclaves forgerons sont protégés par la loi. Ainsi, la loi précise que la compensation à payer au propriétaire d’un esclave par son meurtrier est de quinze sous, mais de vingt-cinq sous si cet esclave fait partie des professions protégées comme celle de forgeron [33].
Dans la société franque, l’esclavage est bien présent. La société sépare clairement les libres des non libres [34]. Les non libres sont exploités économiquement, c’est-à-dire que les non libres sont soumis à leur propriétaire et effectuent des travaux. Les non libres sont privés des activités publiques, comme la participation aux plaids ou aux réunions. Ces non libres dépendent d’un maître auquel ils doivent rendre un service (servitium) [35].
Par ailleurs, les chroniques et les textes francs évoquent de nombreux cas d’esclaves. Un des exemples les plus célèbres est celui de Radegonde, femme de Clotaire Ier, esclave thuringienne [36]. Cette dernière, capturée dans la guerre de Clotaire Ier contre les Thuringiens, est réduite en esclavage, puis remarquée par le roi franc qui la prend pour femme. C’est aussi le cas de la reine Bathilde, esclave anglo-saxonne, qui devient l’épouse du roi Clovis II [37]. De même, Venance Fortunat, au VIe siècle, raconte comment une femme accusée de vol est condamnée à devenir esclave [38]. Donc, contrairement à ce que dit Oleg de Normandie, les Mérovingiens ne sont pas une société libre et sans esclaves ; c’est encore une invention d’Oleg de Normandie, qui n’a pas pris le temps de lire les sources.
Dans le droit wisigothique, les esclaves sont catégorisés [39]. Dans le Bréviaire Alaric, un texte qui a sans doute été compilé en 506, le statut des esclaves est défini [40]. Ce texte, indique par exemple, reprenant une disposition de la loi romaine, qu’un maître peut battre son esclave, sans être poursuivi [41]. Dans le texte juridique le plus complet, le Liber Iudoricum, promulgué au milieu du VIIe siècle par le roi Receswinthe, le statut des esclaves est précisé et amplifié. C’est d’ailleurs une question très importante, puisque le terme d’esclave est présent dans 229 des 498 articles de la loi [42]. Sans entrer dans les détails de toutes ces lois, on note que dans le monde wisigoth, il existe une différence entre les esclaves au service du roi (servi regis), les esclaves du fisc (servi fiscales) et les esclaves communs (servi), ce qui montre la grande variété des statuts d’esclave [43]. Cela montre bien que ce qu’affirme Oleg de Normandie est faux. En effet, il affirme que les Wisigoths sont odinistes et que ces derniers n’ont pas d’esclaves. Donc, cela veut dire que soit les odinistes sont esclavagistes, soit les Wisigoths ne sont pas odinistes.
Quant aux sociétés scandinaves, dont Oleg de Normandie proclame qu’elles ne comprennent pas d’esclave, qu’en est-il en réalité ? Les Scandinaves ont des esclaves ; et ils participent aussi au commerce des esclaves, comme l’expliquent les études sur le sujet [44]. Même si on estime que la majorité des terres sont cultivées par des hommes libres, les esclaves sont présents dans la société scandinave [45]. Dans un poème appelé le Rigsmal, qui explique la fondation des classes sociales, on indique ainsi que le dieu Heimdallr, appelé Rigr dans ce poème, vient voir successivement trois maisons : la première d’un thrall, une d’un fermier et une d’un jarl [46]. Chaque fois, il dort entre l’homme et son épouse ; et chaque fois, un mois plus tard, un enfant naît. Le premier, né de Ai et Edda, arrière-grand-père et arrière-grand-mère, devient un thrall, un esclave. Le second, né de Afi et Amma (grand-père et grand-mère), devient un fermier. Enfin, le troisième, né de Fadir et de Madir (père et mère), devient un noble. Dans ce poème, chacune des strates sociales visitées par le dieu mange une nourriture différente et vit dans une maison différente [47]. Cette stratification sociale se retrouve également en fouilles, où la taille et la forme des maisons correspondent à des couches sociales différentes, celles des nobles, des fermiers, des affranchis (leysingjar) et des esclaves (thrall) [48]. Évidemment, Oleg de Normandie, dans une vidéo récente, estime que ce poème a été écrit par des chrétiens déguisés en skaldes [49]. Par ailleurs, au VIIIe siècle, lorsque des expéditions sont envoyées en mer, les propriétaires doivent s’appuyer sur les esclaves et les serviteurs pour maintenir la production [50]. Ces esclaves se retrouvent dans les centres urbains, soient comme serviteurs, soit comme marchandise [51].
Le droit scandinave évoque également le statut des esclaves. Un terme, dérivé de la légende citée ci-dessus, thrœllar en vieux norois, désigne l’esclave [52]. Les codes scandinaves, à l’instar des codes wisigoths et francs, traitent les esclaves comme des marchandises sans capacité juridique [53]. Comme dans les autres droits germaniques, les esclaves fautifs sont très fortement punis, les sanctions allant de la flagellation à la décapitation [54]. Des sites dont le nom est resté, comme Trelleborg au Danemark, le Château des esclaves, se développent également autour du travail servile [55].
Les Scandinaves participent aussi au commerce des esclaves dans la Baltique, notamment en razziant des Samis, population finno-ougrienne de Finlande, des Baltes et des Slaves, et en ramenant des prisonniers de leurs raids dans les îles Britanniques, les îles de l’Atlantique ou le continent européen [56]. Les fouilles du site de Ribe ou de Haithabu ont permis de mettre au jour les produits exportés vers les autres régions. De plus, à Haithabu, des marchands francs ont reconnu des nonnes razziées par les Vikings et revendues comme esclaves [57]. D’autres esclaves chrétiens ont été aussi vendus par les Scandinaves sur le site de Birka [58]. Ainsi, comme le soulignent très clairement les sources et études, les deux principaux produits exportés sont l’ambre, et les esclaves [59]. Lucie Malbos, dans son étude sur les ports de la mer du nord, montre clairement que les Scandinaves sont des acteurs du commerce des esclaves [60].
Nous voyons bien que l’idée d’Oleg d’une réintroduction de l’esclavage par les Carolingiens est fausse, car en réalité, l’esclavage est bien présent dans les sociétés que notre auteur prétend « libres ». Les Francs, les Wisigoths, les Scandinaves pratiquent l’esclavage, au même titre que les autres sociétés de cette époque comme les Lombards et les Byzantins, ou encore le monde musulman. Les Carolingiens n’ont donc pas rétabli l’esclavage, car il n’a juste pas disparu.
Aux mains des Juifs
Un des grands mots d’Oleg de Normandie, révélant ses relents antisémites, c’est le rôle des Juifs dans ce commerce. Nous avons déjà vu que selon notre auteur, les « Juifs de Babylone » seraient à l’origine de la fondation de l’islam ou responsables de la chute du royaume wisigoth de Tolède. Nous avons vu que ces deux assertions sont fausses et ne reposent que sur des préjugés, dont certains ont déjà été mis en avant dès le Moyen Âge. D’autant que pour Oleg de Normandie, les Carolingiens ont offert spécialement leur soutien à la communauté juive afin de mettre en place un commerce d’esclaves.
Pour lui, Charles Martel, dont la femme serait d’origine babylonienne, recevrait déjà de l’argent des Juifs, afin de mettre fin à la présence des Gaulois odinistes en Gaule mérovingienne. Notons qu’Oleg de Normandie n’utilise que rarement le terme de Juif, pour lui préférer celui de « talmudiste », manière déguisée de parler des Juifs après la révolte des années 67-70. Ce terme, employé dès le XVIe siècle en Espagne, désigne les Juifs qui ont adopté le Talmud, un ensemble de commentaires des textes religieux. Ce terme est plus accusatoire que le terme de Juif lui-même, car il désigne un juif actif [61]. Dans la bouche d’un antisémite, il est aussi une manière de désigner un Juif sans employer le terme. De même, Oleg de Normandie parle de Juifs babyloniens, quand bien même Babylone n’existe plus [62].
Pour notre auteur, les Carolingiens ne commercent pas directement avec le monde musulman ; ils passent par des marchands juifs [63]. Ces marchands juifs sont en effet mentionnés par les sources. C’est le cas d’Agobard de Lyon au IXe siècle, ou de Liutprand de Crémone, au Xe siècle, ainsi que de la Vie de saint Adalbert, qui mentionnent bien le commerce des esclaves opéré par des Juifs [64]. Oleg de Normandie cite les marchands rhadanites, qui seraient au centre de ce commerce. Ce terme ne se trouve que dans une seule source, parue vers 870, le Livre des Royaumes et des routes écrit par Ibn Khodadbed un haut fonctionnaire du califat abbasside, qui vit en Perse [65]. Cet ouvrage décrit les différentes routes du califat abbasside, centré autour Bagdad. L’auteur, qui est le chef des postes de l’empire, connaît bien les routes du monde islamique ; en revanche, il ne s’est jamais rendu en Europe de l’Ouest.
Le texte du fonctionnaire abbasside reste assez général. Leur nom semble provenir du vocable ar-Rhadan, celui qui guide, celui qui connait la route [66]. Selon cet auteur « ils parlent arabe, perse, roman, franc, espagnol et slavon ; ils vont d’est en ouest et d’ouest en est sur mer et sur terre. D’ouest, ils rapportent des eunuques, des esclaves féminines, des jeunes hommes, des brocards, des fourrures de castor et de zibeline, et des armes » [67]. Toujours selon ce texte, ils commercent vers l’ouest, se rendant notamment à Rome, mais aussi vers l’est et le pays khazar ou l’Inde. Cette communauté juive, qui semble originaire de Bagdad, conduit en effet des opérations commerciales de la Chine à l’Espagne ; mais rien n’indique qu’ils sont implantés partout [68]. Par ailleurs, il existe d’autres communautés juives, mais aussi syriaques ou orientales, qui pratiquent le commerce, notamment des esclaves, en Méditerranée [69]. Surtout, les Rhadanites sont connus pour être des acteurs du commerce des esclaves, mais essentiellement dans la partie orientale de l’Europe, c’est-à-dire dans les steppes entre la Volga et le Dniepr [70]. Les commerçants rhadanites fournissent sans doute aussi des esclaves slaves vers l’ouest, car ce commerce est attesté. En revanche, rien ne permet d’attester que des communautés rhadanites soient réellement présentes en Europe de l’Ouest. Comme nous l’avons évoqué plus haut, d’autres acteurs commerciaux sont présents sur le marché des esclaves : les Scandinaves, avec des razzias d’esclaves notamment dans les îles Britanniques ou en Laponie, et leurs reventes à partir de sites comme Birka ou Haibathu, mais aussi des marchands francs présents sur l’axe Meuse-Rhône, ou encore des marchands vénitiens, qui vendent des esclaves vers la Sicile musulmane, et des marchands juifs, qui, notamment, vendent vers l’Espagne [71].
Pour Oleg de Normandie, la plaque tournante des communautés juives en Europe de l’Ouest serait la ville de Narbonne et la région de la Narbonnaise, alors appelée Septimanie ou Gothie dans les textes. Pour lui, les Carolingiens donnent la Septimanie aux Juifs et les marchands juifs rhadanites y sont installés [72]. De plus, pour ajouter à la confusion, Oleg de Normandie indique que les Sarrasins, dont il dit qu’ils sont des Bretons, sont les vrais battus de la bataille de Poitiers, et qu’après cette défaite, ils rejoignent leurs alliés wisigoths en Septimanie [73].
Cette hypothèse ne s’appuie sur rien de sérieux et montre encore une fois sa méconnaissance totale de la Septimanie. C’est une province qui est restée sous le contrôle des Wisigoths entre le milieu du Ve siècle et 719. Elle est occupée par les Musulmans entre 719 et 759, avant que Pépin III ne prenne la ville de Narbonne [74]. On sait également que cette région a été très riche commercialement et que des marchands qualifiés de Syriens et de Juifs étaient présents au moins dès le VIe siècle, car dans le 4e canon du concile de Narbonne, destiné à mettre en application les décisions du IIIe concile de Tolède, il est demandé aux Goths, aux Romains, aux Syriens, aux Grecs et aux Juifs habitant la ville de respecter le repos dominical, sauf en cas de nécessité absolue [75]. Outre la question du repos, ce canon montre qu’il existe des populations orientales associées au commerce à longue distance, dont sans doute aussi le commerce des esclaves.
D’autres communautés sont installées dans le sud de la Gaule, notamment à Arles ; elles relient cette région avec la Méditerranée orientale [76]. Il y a donc des communautés juives qui pratiquent le commerce des esclaves, comme d’autres groupes de commerçants. Mais, ce qui caractérise le commerce des esclaves par les Juifs, selon Oleg de Normandie, c’est le soutien accordé à ces commerçants par le pouvoir carolingien. Il est vrai que Louis le Pieux donne aux commerçants juifs des sauf-conduits, mais pour toutes les formes de commerce [77]. En revanche, il invente des informations, sans aucune source, comme cette idée de marchands rhadanites qui suivraient directement les armées de Charlemagne lors des campagnes contre les Saxons [78].
Si, en effet, les Juifs font partie des commerçants durant le IXe siècle, leur rôle n’est pas accepté par tous, surtout dans le commerce des esclaves. Tout d’abord, plusieurs religieux s’opposent au commerce des esclaves, surtout celui aux mains des Juifs. Agobart de Lyon, évêque de la ville, dans une lettre à l’empereur Louis le Pieux, De insolentia Iudaerorum (De l’insolence des Juifs), se plaint que les Juifs puissent faire le commerce d’esclaves, en s’appuyant sur des lettres et des capitulaires données par l’empereur Louis le Pieux lui-même [79]. Dans sa lettre, Agobart de Lyon est inquiet non pas du commerce des esclaves par les Juifs, mais du risque de conversion au judaïsme de ces derniers [80].
De même, le concile de Meaux/Paris, en 845/846 demande que les esclaves qui entrent sur le territoire soient vendus à des chrétiens, afin qu’ils aient une chance de baptême [81]. Pour les chrétiens, l’essentiel n’est pas l’esclavage, qui est admis, mais la conversion des esclaves, afin qu’ils deviennent des chrétiens. Oleg de Normandie voit dans le rachat de païens par l’Église catholique comme une manière cynique de les convertir [82]. Pour une fois, Oleg a raison, l’objectif des religieux est bien la conversion des esclaves, mais sans cynisme.
Il existe bien durant cette période un commerce des esclaves, qui traverse les territoires carolingiens. Mais, contrairement aux affirmations d’Oleg de Normandie, ce dernier n’est pas uniquement aux mains de marchands juifs, mais de marchands de toutes origines, dont des Francs chrétiens et des Scandinaves païens. Tout le commerce des esclaves n’est pas aux mains des Juifs.
À cette idée, Oleg de Normandie ajoute l’idée que ces esclaves sont tous à destination de l’Espagne musulmane. Il décrit ainsi l’idée d’une route commerciale, passant notamment par la ville de Verdun, dont il estime qu’elle est une « usine à castration ». Nous allons voir que, là encore, Oleg de Normandie tronque la réalité historique.
Pour envoyer des eunuques en Espagne
Pour Oleg de Normandie, le commerce des esclaves qui se met en place au VIIIe siècle se fait en direction du califat de Cordoue [83], qu’il appelle aussi Empire islamique ; il est aux mains des marchands juifs comme nous l’avons vu plus haut [84]. De même, notre auteur fait du califat de Cordoue la plaque tournante du commerce des esclaves en Méditerranée, comme si les autres empires ou états du haut Moyen Âge ne pratiquaient pas le commerce des esclaves. Il explique que l’Espagne musulmane est connue pour ses harems et est friande d’esclaves surtout blonds [85]. Il y ajoute le cliché sur les eunuques [86]. Il met en avant les hypothèses sur la castration, ajoutant au prix de l’esclave et amenant souvent la mort. Par ailleurs, les « consommateurs » sont en Afrique du Nord et au Moyen-Orient [87].On a ici une construction assez classique et une vision orientaliste proche de celle du XIXe siècle, d’un Orient à la fois cruel et indolent, tyrannique et incapable [88].
Déjà, mais cela devient une habitude, Oleg montre sa méconnaissance du sujet. Il nous parle de califat de Cordoue à l’époque de Charlemagne, dont le règne court de 768 à 814. Or, à cette date, Cordoue n’est qu’un émirat ; il faut attendre 926 pour qu’Abd al-Rahman III se proclame calife. On voit encore une fois qu’Oleg ne connaît pas les données historiques et plaque ses clichés, surtout quand il s’agit de mondes non-européens, comme c’est déjà le cas des Juifs de Babylone. Autre cliché de notre auteur, l’Espagne musulmane est nécessairement esclavagiste [89]. Et pour ajouter aux clichés et aux erreurs factuelles, Oleg de Normandie pense qu’il existe une solidarité entre les trois monothéismes (juifs, musulmans et xhrétiens), alors que cette période est marquée par de nombreux conflits [90]. L’autre topos qu’Oleg de Normandie met en avant, c’est qu’il existe des usines à castrer, plus spécialement des esclaves saxons.
Notre auteur insiste énormément sur le fait que Verdun soit un des pivots du commerce des esclaves tenu par les Juifs. Et, en effet, Verdun est aux IXe et au Xe siècle, un des centres du commerce des esclaves [91]. Mais, en réalité, un axe se dessine entre le Rhin et la Méditerranée, passant par Mayence, Verdun, Lyon et Arles. Pour Oleg, Verdun joue un rôle pivot, du fait de la présence des Juifs et des « centres de castration ». C’est vrai que Verdun est une ville importante pour le commerce des esclaves, mais, en revanche, dans cette ville, il n’y a pas de marchands juifs : aucune communauté juive n’est attestée dans cette ville à cette époque. Les premières communautés juives ne sont attestées dans cette ville qu’au XIIe siècle [92]. En revanche, une partie de ces esclaves sont transportés vers l’Espagne musulmane, mais d’autres routes sont connues, notamment vers l’Empire byzantin ou vers la Méditerranée orientale [93].
Pour Oleg de Normandie, la ville de Verdun joue un rôle central, étant le principal centre où les esclaves sont castrés, de manière quasi « industrielle » [94]. Par ailleurs, c’est Charlemagne qui aurait protégé ces centres de castrations ; ce serait plus spécialement pour castrer des adolescents blonds [95]. On entre ici dans un autre cliché habituel, celui des eunuques présents dans les « cours orientales » et les harems, de la castration mécanique des adolescents blonds, induisant un gout spécifique des Orientaux pour les jeunes hommes. C’est la construction d’un Orient fantasmé, opposé aux valeurs de l’Occident, qu’Oleg met en avant, pour mieux le rejeter.
Oleg oublie que la castration est aussi une peine judiciaire qui est appliquée par les Francs. Ainsi, un esclave qui vole plus de quarante deniers et qui ne peut payer une amende de 240 deniers/six sous est condamné à être castré [96]. En revanche, la castration est règlementée. À Byzance, sous Léon VI Le Sage, il est interdit aux Byzantins de castrer des non libres d’origine grecque ; en revanche, il n’est pas interdit de pratiquer cette mutilation sur les autres ethnies [97]. La pratique de la castration d’esclaves existe donc dans l’univers chrétien. On pratique en effet la castration dans la ville de Verdun, comme en témoigne le diplomate Liutprand de Crémone [98]. D’autres sites sont connus pour être « spécialisés » dans cette sinistre pratique, notamment Prague, la Haute-Égypte, la Crimée ou l’Asie centrale [99]. Tous les eunuques ne sont pas castrés avant leur transfert, certain le sont à leur arrivée, comme l’indique al-Muqqadasi, qui signale que dans la ville espagnole Pacchina, la castration se pratique aussi [100]. Cela montre d’une part que les routes de l’esclavage ne passent pas toutes par l’axe Meuse-Rhône et d’autre part que les Juifs n’ont pas le monopole de la castration. Donc, encore une fois, Oleg de Normandie invente n’importe quoi pour appuyer ses préjugés notamment sur les Juifs et les Musulmans.
Par ailleurs, si Verdun, Arles ou Trèves sont des marchés aux esclaves les principaux marchés d’esclaves sont les îles Britanniques, et les Vikings y jouent un rôle central [101]. Comme les Scandinaves jouent un rôle essentiel dans le commerce des esclaves samis, finnois et slaves [102]. D’autres groupes ou civilisations participent au commerce des esclaves, les Byzantins, les Khazars ou les Musulmans d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient ou d’Asie centrale [103].
Autre idée préconçue, Oleg de Normandie estime que les Musulmans, les Juifs et les Carolingiens mettent en esclavage ceux qui refusent la nouvelle religion [104]. Il explique ainsi que les esclaves sont appelés dans l’émirat de Cordoue des Wendes [105]. Ce terme désigne des Slaves, une tribu qui est installée dans la zone de la Baltique ; c’est un terme germanique/franc ; en latin, c’est winidi (Wendes) [106]. Il ne désigne pas spécialement des esclaves, mais bien des membres d’une tribu slave. En revanche, le terme de sclavus est lui attesté pour désigner au Xe siècle des paysans chasés – installés sur des terres – en Francie orientale, sans que l’on soit certains qu’ils soient réduits en esclavage [107].
En réalité, Oleg de Normandie ne fait que reprendre à son compte les hypothèses, pourtant très partielles et partiales, de Rosa Plumette-Uribe, qu’il remet à sa sauce [108]. En effet, cette dernière se focalise sur le rôle des Juifs dans le commerce de l’esclavage, sans jamais se poser la question de ce qu’est l’esclavage. Nous pensons qu’Oleg de Normandie s’est contenté de ce premier chapitre pour fonder son hypothèse, sans questionner les sources ou sans chercher d’autres travaux. Il y ajoute les clichés anti-judaïques et anti-musulmans, clichés qui mettent en avant une opposition Orient/Occident, afin de valoriser son fantasme d’hommes du Nord sages et libres. Par ailleurs, Oleg de Normandie ne prend que les sources qui vont dans son sens. Nous y voyons une forme de cherry picking.
Mais contré par les Vikings
Nous avons déjà vu dans l’article sur les Vikings libérateurs qu’Oleg de Normandie fantasme sur l’idée que les Scandinaves sont intervenus contre le monde franc afin d’aider leurs frères saxons attaqués par les Carolingiens. Il va plus loin, il estime qu’à partir du IXe siècle, les Vikings se lancent dans une « croisade » contre les esclavagistes. Odin et Thor seraient les dieux de la liberté et de la justice [109]. Pour lui, les Vikings, c’est un mouvement autour de la tradition des anciens, de la notion de liberté, autour des dieux nordiques contre le Dieu unique esclavagiste [110]. Il pense que les Vikings veulent rétablir les assemblées démocratiques et rendre le pouvoir au peuple, ainsi qu’instaurer une liberté religieuse [111]. Cette construction ne s’appuie sur rien de concret et n’est qu’un empilement de prêt-à-penser opposant sociétés du nord « libres » et sociétés du sud tyranniques. C’est, de nouveau, le cliché orientaliste auquel il associe les chrétiens, définis parfois eux aussi comme des orientaux.
Cette société viking libre serait, pour Oleg de Normandie, construite autour de l’assemblée, le Thing ou Althing [112]. Ces assemblées existent en effet dans le monde scandinave. Ce sont les riches paysans propriétaires qui administrent le canton au sein de l’assemblée des hommes libres, le Thing, l’institution politique fondamentale des Scandinaves [113]. C’est au sein de cette assemblée que sont légitimés les grandes décisions politiques et les grands actes de justice. C’est par exemple au cours d’une de ces assemblées, vers 999/1000, que les aristocrates islandais adoptent le christianisme [114]. Ces assemblées sont importantes, mais elles n’ont aucun caractère démocratique, contrairement aux assertions d’Oleg de Normandie. D’une part, elles sont dominées par les aristocrates, d’autre part, elles ne sont réunies que de manière épisodique. Elles sont surtout issues des assemblées de la société germanique, connues notamment dans le monde carolingien, les Placitum [115]. Il existe trois raisons de réunir des assemblées de ce type : avant de partir en campagne, pour discuter des problèmes politiques et religieux, et comme assemblée judiciaire supérieure [116]. Le placitum n’est pas une cour de justice à proprement parler, mais un endroit où on peut délivrer un jugement. Ce sont les mêmes fonctions que l’Althing. La société scandinave est formée essentiellement d’hommes libres. Elle comprend les aristocrates, les jarls, le peuple libre, souvent de petits propriétaires, et les esclaves, comme nous l’avons vu précédemment [117]. La terre est tenue et gérée par ces hommes libres et leur famille. Les études récentes ont montré que les fermes sont assez grandes et ne peuvent pas être gérées par une seule famille. On doit donc considérer que ces fermes emploient un grand nombre de dépendants, dont des esclaves [118]. On estime aussi qu’une grande partie de ces terres sont tenues par des magnats et que la gestion est effectuée par des tenanciers [119]. On a donc ici une organisation de la société qui ne différe pas beaucoup de celle de l’Angleterre saxonne ou de l’Europe carolingienne.
Donc, contrairement aux affirmations d’Oleg de Normandie, ce ne sont pas des Vikings épris de liberté qui se lancent dans des raids pour sauver les derniers celto-odinistes.
Qu’en est-il de ces raids ? Nous avons vu dans un article précédent que les premières attaques visaient des points non défendus, notamment des abbayes isolées comme Lindisfarne. Dans les années 820 et 830, les Vikings – terme que l’on peut alors employer – visent des cibles qui sont à la fois faciles d’accès, riches, et mal défendues. Ce sont essentiellement des ports, comme Dorestad, attaqué en 834, de nouveau les trois années suivantes [120]. Ou encore le monastère situé sur l’île de Noirmoutier, que les moines finissent par abandonner et quitter avec les reliques de saint Philibert emportées en Bourgogne [121]. Donc, contrairement aux affirmations d’Oleg de Normandie, les attaques de Vikings n’ont pas pour but de libérer les « Gaulois réfractaires » ou les « celto-odiniques » mis en esclavage, mais de piller des cibles faciles et d’emporter leur butin chez eux.
Oleg de Normandie évoque l’attaque des ports servant au transport des esclaves vers l’Espagne musulmane. Mais, là encore, Oleg de Normandie invente de toute pièce une affirmation non étayée. Il estime qu’ils attaquent les lieux de pouvoir, à commencer par les églises [122].
Après 860, les raids vikings deviennent plus importants et surtout restent sur place pour hiverner. C’est durant cette période qu’un chef de guerre, nommé Hasdings ou Hastings, aurait lancé des raids pour, selon Oleg de Normandie, libérer des esclaves druido-odinistes. Il serait selon lui le plus grand chef viking, né à Thorigny, donc, une ville avec le nom du dieu scandinave de la Foudre [123]. Avant de voir en quoi les exploits d’Hasdings ou Asdings sont conformes aux positions d’Oleg de Normandie, commençons par son assertion du fait que le nom de la ville de Thorigny est lié au dieu Thor, comme toutes les villes qui commenceraient par le préfixe Tor. Il se trouve que le terme de Tor n’a rien à voir avec le dieu Thor, mais fait référence au terme torre, de Tur en latin puis torre en langue romane. Il existe de très nombreux exemples de ce nom dans le sud de la France actuelle, mais aussi en Espagne, au Portugal, en Italie, en Allemagne. Il existe des mots français dont la racine est scandinave, comme les villes de Normandie se terminant par -vic, qui vient de la racine wik, la baie, nom que l’on retrouve par exemple à Quentovic [124], mais ce n’est pas le cas de Thorigny.
Selon Oleg de Normandie, Asdings est un libérateur, et il aurait détruit les ports esclavagistes, dont Narbonne et près de Marseille, dans le lieu qu’il appelle Marseillan [125]. Il en fait un « serf » de la région de Bourgogne, qui se serait révolté, sans fournir une source quelconque pour appuyer cette hypothèse.
Les Vikings trouveraient aussi du soutien parmi les populations locales. Ainsi, selon lui, beaucoup de Gaulois auraient formé des unités auxiliaires auprès des Vikings [126]. Ainsi, selon lui, lors de la prise de Nantes par les Vikings (vers 856 ?), ce seraient des espions gaulois qui auraient ouvert les portes [127]. Beaucoup d’espions gaulois auraient été de leur côté. Il parle d’armées vikings de plus de 10.000 hommes parce que gonflées par des Gaulois [128].
Qu’en est-il réellement ? Hasting ou Alsding est connu dans les sources souvent sous le nom latinisé d’Aldingus. Il apparait comme chef de guerre en 866, ce qui fait qu’il était sans doute actif avant cette date [129]. Il est souvent lié à l’attaque contre la ville d’Angers en 873. On ne peut pas dire que les villes visées jusqu’alors sont des centres du commerce des esclaves. Par ailleurs, des groupes de Vikings sont déjà présents en Aquitaine dès 843 [130]. Au début des années 860, il est de nouveau en Aquitaine. C’est sans doute lors de cet épisode que le chef Alsding se révèle et participe aux combats. Mais, les Vikings ne sont pas toujours vainqueurs, surtout lors des affrontements rangés. C’est le cas en 843, lorsque Charles le Chauve s’empare de neuf longships sur la Dordogne en 848 ou bat une armée viking près de Chartres en 856 [131]. Donc, contrairement, encore une fois, aux assertions d’Oleg, les Vikings n’ont pas battu les Carolingiens ni fait tomber l’empire carolingien.
Qu’en est-il des attaques contre les ports esclavagistes, comme le dit Oleg de Normandie ? En effet, les Vikings attaquent les ports, car ce sont des lieux où on trouve des richesses. Mais, contrairement à ce que dit Oleg, ce sont tous les ports qui sont attaqués. En revanche, des sites spécifiquement désignés comme étant esclavagistes, comme Verdun ou Lyon, ne sont pas attaqués. De plus, les villes désignées par Oleg de Normandie, comme Narbonne, ne sont pas attaquées que par les Vikings, mais également par les Musulmans. Les Vikings ont pillé Narbonne en 859, sans doute après avoir attaqué des ports le long de la côte ibérique [132]. Le raid hiverne alors sur les côtes de la Camargue. Mais, Narbonne, dont l’importance reste grande au IXe siècle, est aussi une cible des Omeyyades, qui pillent la ville en 795. Est-ce que les Musulmans, qui, selon Oleg de Normandie, sont esclavagistes, attaquent un port qui vend leur marchandise ? on est ici dans les contradictions que le manque de travail de l’auteur fait apparaitre. En réalité, de nouveau, notre auteur invente des faits afin de construire une fausse histoire.
Donc, encore une fois, les propos d’Oleg de Normandie sont faux et mensongers. L’esclavage n’a pas été rétabli par les Carolingiens, afin de punir les Gaulois réfractaires ou les Saxons qui ne veulent pas se convertir au christianisme. De même, le commerce des esclaves n’est pas confié exclusivement aux Juifs, qui ne sont pas non plus les seuls à se charger de leur castration le cas échéant pour envoyer des eunuques vers l’Espagne musulmane. Enfin, les Vikings n’auraient pas déclenché leurs raids pour libérer l’Europe de l’esclavage des Carolingiens.
On voit donc que les hypothèses mises en avant par Oleg de Normandie sont encore fausses. Nous estimons que ces dernières reposent sur le fond raciste et suprémaciste d’Oleg de Normandie. Ce dernier défend, contre toutes les études et les sources, une société primordiale venue du Nord et supérieure aux autres. Nous conclurons dans un dernier article sur les positions d’Oleg de Normandie.