Esclavage et Inquisition
Les fausses affirmations d’Oleg sur les mensonges des historiens
Article mis en ligne le 4 juin 2022

par Alexis Seydoux

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Nous avons vu dans les précédents articles qu’Oleg de Normandie invente dans ses vidéos une connexion entre les Celtes, les Germains, les Scandinaves, ainsi qu’avec les religions druidiques et odiniques [1]. Cette construction a pour objet de montrer deux choses : la première c’est l’origine très ancienne de ce groupe, ce qui leur donnerait à la fois une légitimité et un aspect fondateur des « cultures européennes » ; la seconde, c’est que les religions monothéistes, qu’Oleg de Normandie met dans un même sac, veulent imposer à la fois leur religion, et la société esclavagiste qui irait avec.

De fait, l’auteur odiniste veut ici construire une attaque à charge contre les monothéismes, visant les chrétiens, mais également les juifs, accusé d’être des trafiquants d’esclaves, et les musulmans, considérés comme des consommateurs, notamment d’eunuques et de jeunes hommes blonds. On est ici dans des clichés que nous allons démonter.

Au-delà de ces clichés, Oleg de Normandie estime qu’il existe un complot ancien pour cacher ces faits. En effet, il estime que l’Église catholique, et notamment son « bras armé », l’Inquisition, aurait maquillé l’histoire. Ce complot se prolongerait encore, car les historiens universitaires continueraient de cacher ces évidences, d’autant que pour l’auteur, l’Université serait marquée par l’idéologie catholique. Jamais Oleg de Normandie ne présente de preuve à ces assertions, se contentant de phrases toutes faites comme « c’est évident ». Nous allons voir qu’il s’agit d’une construction qui tient plus de l’idéologie et de la méthode « Coué » que d’une démonstration qui s’appuie sur des faits.

Sa vision est très formatée. Ainsi, la Révolution française serait laïque, ce qui n’a pas de sens, car à cette époque, un laïc est une personne qui n’appartient pas au Premier ordre, celui de l’Église catholique [2]. Il estime que toutes les sources historiques proviennent du monde catholique, comme Grégoire de Tours, qui pour notre auteur est un propagandiste catholique [3]. Il estime que l’on a les mêmes sources « dans nos académies », qui ne seraient que de la propagande chrétienne [4]. On a ici un vrai problème de connaissances de la part d’Oleg sur les sources et la manière dont on les traite en histoire et en archéologie. Il faut rappeler qu’une source, c’est un document écrit ou matériel, produit à une époque et qui éclaire une époque donnée [5]. Visiblement, Oleg de Normandie ne s’appuie pas sur des sources, comme des textes d’époque ; il cite parfois des études, c’est-à-dire des travaux issus de sources, mais dont on se rend compte qu’il n’en a lu que des extraits ou les tronque. Pourtant, Oleg de Normandie affirme que ses interventions sont sourcées et que son ouvrage, Notre Dame d’Odin, est un des travaux les plus complets. Donc, pour résumer, il estime que ses sources sont les bonnes et les autres sont fausses, le tout, sans s’appuyer sur aucune source et en n’invoquant que quelques auteurs dont il ne cite pas toujours les ouvrages et sur lesquels nous reviendrons.

Vision des Gaulois au XIXe siècle

Reprenons ce qui est ici le problème, le fait que, selon Oleg de Normandie, les historiens, appuyés par une Inquisition, omettent de parler de certains sujets, comme le massacre des Gaulois par les Romains ou le massacre des Saxons par les Carolingiens. L’idée qu’il présente là est que l’histoire a été reconstruite au profit des « vainqueurs ». Cette idée est résumée dans une phrase de son ouvrage : « car si c’est la franc-maçonnerie de la philosophie des Lumières qui insuffle ses valeurs à notre société, c’est toujours le Vatican qui a la main sur l’histoire » [6]. Ici, nous avons tous les topos classiques de l’histoire réactionnaire et complotiste : les Lumières et le Vatican. Et l’auteur d’ajouter qu’il existe des historiens méconnus « car trop brillants et trop honnêtes », mais qui ne sont pas nommés par Oleg de Normandie [7]. Au fil des lectures et en cherchant bien, il s’agit d’auteurs comme Maurice Guignard (1920-2001), qui fait le lien entre Templiers, cathédrales et Odin, ou encore Jürgen Spanuth (1907-1998) ou Jacques de Mahieu (1915-1990) et Thierry Wirth (né en 1947). Nous reviendrons sur ces inspirations. Ces auteurs « oubliés » ont certes publié, mais leurs travaux de recherches manquent cruellement de méthode et de sources. Il aurait aussi accès à des archives sauvées des inquisiteurs, mais sans les citer et sans les montrer.

Ouvrages de Jacques de Mahieu : Les Templiers en Amérique (1984), Drakkars sur l’Amazone (1977)

Dans cet article, nous aborderons d’abord le fait que l’histoire soit aux mains des religieux, qui s’appuieraient sur l’Inquisition et auraient occulté l’histoire de l’esclavage des Blancs sous les Carolingiens.

Une accusation à charge : la falsification de l’histoire par l’Église

Le grand argument d’Oleg de Normandie est que l’histoire a été falsifiée et que tous les historiens, sauf les alternatifs dont il fait partie, sont complices. L’histoire ne serait qu’une gigantesque manipulation, orchestrée par les inquisiteurs, depuis la nuit des temps. Et pour lui, c’est le Vatican qui a la main sur l’histoire et son enseignement et qui cache leur identité celto-nordique aux Européens [8]. Il estime que le Nouvel Ordre Mondial (NOM), qui est confondu avec l’Église catholique, ne veut pas que les Européens retrouvent leur « vraie identité » [9]. Il s’agit donc bien, aux yeux d’Oleg de Normandie, d’un complot contre la « vérité ». Rappelons que pour un scientifique et pour un historien, il n’y a pas de « vérité », mais des connaissances ; la vérité, c’est une position de croyant.

Revenons donc sur l’idée que l’histoire serait aux mains de l’Église et plus précisément de celles de l’Église catholique. La science historique, c’est-à-dire l’étude des sociétés du passé, émerge en effet au moment des Lumières [10]. Mais, c’est sous l’ère romantique, dans un objectif scientifique, voire scientiste, que les sciences historiques émergent autour de Léopold von Ranke [11]. Ce que Ranke et ses collègues mettent en avant, c’est la critique des sources (Quellenkritik) ; c’est le fondement de la recherche en histoire [12].

Gabriel Monod (1844-1912)

En France, la science historique s’est justement créée contre l’Église. En 1866 paraît le premier numéro de la Revue des questions historiques [13]. C’est une émanation de l’École des Chartes. Elle cherche à contrer les historiens libéraux en usant de la méthode scientifique historique. En 1876, paraît le premier numéro de la Revue Historique, libérale, antireligieuse et fondée sur la méthode allemande [14]. De plus, elle comprend de nombreux historiens protestants, comme Gabriel Monod, un de ses deux fondateurs (avec Gustave Fagniez) [15]. Son éditorial est essentiel pour définir l’histoire. Il comprend trois parties : une étude des progrès de l’historiographie depuis le XVIe siècle, une analyse de la conjoncture historiographique et une définition du programme des historiens pour la fin du XIXe siècle. Dans cet éditorial, Gabriel Monod place la revue dans l’ensemble de la Nation. Il estime également que l’historien est le dépositaire de la mémoire nationale. En revanche, l’historien doit comprendre et non pas louer ou juger.

Les historiens commencent par définir et préciser le métier et la formation d’historien. Ernest Lavisse joue un rôle considérable dans cette fonction. Il entre à la Sorbonne en 1880. Il réforme le cursus universitaire, notamment la Licence, l’agrégation, met en place le Diplôme d’étude supérieur (DES) et formalise la thèse. Il réforme également les programmes des études primaire et secondaire. Il rédige le Petit Lavisse en 1884, qui sert de manuel du primaire (mise en page novatrice par Armand Colin). Il obtient en 1883 qu’il y ait des cours fermés à la Sorbonne. Il appuie la fondation en 1885 d’une Association des étudiants en lettres. La méthode est définitivement établie par l’ouvrage de Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, publié en 1898 [16]. Tout ce courant historique qui fonde la recherche et l’enseignement contemporain de l’histoire est donc essentiellement dirigé contre l’enseignement religieux et spécialement catholique du passé.

Par ailleurs, petit à petit, l’histoire s’est développée et s’est intéressée à d’autres sujets, notamment religieux. L’histoire des religions s’est totalement détachée de l’Église ; alors qu’il existait une archéologie biblique, il existe surtout un travail sur l’Église.

Revue de l’Écoles des Annales

À partir des années 1920, sous l’influence de l’École des Annales, l’histoire a franchi une nouvelle dimension, sortant de l’étude des faits politiques, ce qui est appelé « l’histoire bataille », pour aborder le temps long, l’économie, les sociétés et les mentalités [17]. Ce courant se détache encore plus de l’Église catholique qu’il critique ; pour les historiens, l’Église n’est plus un guide, et la religion devient un fait social.

Enfin, depuis les années 1960, l’histoire, en tant que science humaine, couvre des champs de plus en plus variés. Elle est totalement détachée de l’Église catholique, notamment dans les Universités.

Donc, contrairement à ce qu’affirme Oleg de Normandie, la recherche et l’enseignement historiques ne sont pas détenus par l’Église catholique. Ils sont le fruit du travail des historiens, professionnels ou non, qui s’appuient sur des méthodes lentement mises en place, et dont l’objet est la critique des sources, afin, justement, de sortir des croyances.

En plus de cette invention, Oleg de Normandie estime que l’Inquisition catholique a effacé les traces de la « vraie histoire ».

Contrôlé par l’inquisition

Si le terme d’inquisiteur n’est employé qu’une fois dans son opuscule [18], il est en revanche très usité dans ses vidéos, notamment cette sorte de FAQ [19]. Chez Oleg de Normandie, ce terme recouvre une sorte de milice de la pensée mise en place par la religion catholique, pour supprimer toute trace de pensée « druido-odinique ». Elle existerait depuis l’aube des temps, notamment lorsque les Carolingiens auraient établi la religion catholique en Gaule et en Germanie. En réalité, l’Inquisition papale, la plus ancienne, est annoncée dans une bulle en 1184 ; elle est fondée en 1231 pour lutter contre l’hérésie cathare. L’institution est confiée à l’ordre dominicain [20]. Le mot employé pour désigner cette institution papale, Inquisition, provient du latin inquisitio, inquisitionis, qui signifie « enquêter ». L’institution n’est pas là pour exécuter, mais, dans une formule devenue classique, enquêter pour livrer au bras séculier les coupables. Rappelons que l’Inquisition a pour objet de lutter contre les hérésies, à commencer par le catharisme ; elle remplace les missions précédentes confiées aux Cisterciens [21]. Elle reçoit du pape Innocent IV en 1252 une autorisation de pratiquer la torture physique par la bulle ad Extirpam [22]. Cette Inquisition papale a été renforcée à partir de la fin du XVe siècle par des Inquisitions locales. La plus célèbre est l’Inquisition espagnole, établie par les rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon en 1478, sous le mandat du pape [23]. Si l’Inquisition a commis des crimes nombreux, et plus spécialement l’Inquisition espagnole, ses objectifs sont avant tout de ramener le « déviant » dans la foi catholique ; c’est en effet plus important et d’une plus grande portée qu’un hérétique reprenne le droit chemin, plutôt qu’il soit exécuté ; il devient la preuve vivante de la victoire de l’Église de Rome [24].

L’inquisition confiée aux Dominicains par Grégoire IX

Donc, on voit que l’Inquisition n’a pas pour rôle de masquer l’histoire, mais uniquement de s’attaquer à ceux que l’Église de Rome considère comme des hérétiques ou des déviants.

Qu’en est-il de son rôle dans l’histoire et dans l’écriture de l’histoire ? Là encore ce rôle est nul puisque ce n’est pas son objet. En revanche, à partir du XVIIe siècle, l’Église en France commence à se préoccuper de la conservation des archives, notamment celles des monastères. Ce sont les moines de la Congrégation de Saint-Maur, des moines bénédictins, qui se préoccupent d’une part de conserver les textes des monastères, mais aussi de les critiquer et notamment d’identifier les faux. C’est d’abord Dom Mabillon qui développe une manière de lire les chartes, qui est la première critique des sources [25]. Ainsi, en 1750, les Mauristes publient L’Art de vérifier les dates, dont l’objet est avant tout d’écarter les fausses chartes [26]. Donc, si au XVIIe et au XVIIIe siècle, quelques moines s’occupent de traiter des sources, c’est avant tout pour les conserver et pour savoir les lire. Par ailleurs, il faut noter que l’Inquisition ne s’occupe absolument pas de conserver ou de détruire une quelconque archive. Encore mieux, l’Inquisition, avec l’ensemble de ses procédures d’enquête, laisse plus d’archives qu’elle n’en détruit.

Encore une fois, Oleg de Normandie plonge dans les clichés de l’occultation des sources historiques, afin de cacher sa fameuse vérité, chère à notre auteur. Et cette occultation est nécessairement le fruit de l’Inquisition, non pas parce que Oleg de Normandie est capable de le démontrer, mais parce que le terme et l’institution sont des plus symboliques.

Et quelle est donc cette vérité que les inquisiteurs auraient caché ? Pour Oleg de Normandie, c’est l’esclavage des Blancs que l’Église aurait caché et que les historiens, au service de l’Église, auraient laissé de côté. Nous avons déjà vu que l’idée que les historiens sont au service de l’Église est fausse. Nous allons voir en quoi cette vision est encore une fois fausse.

L’occultation de l’esclavage des Blancs par les historiens

Monsieur Oleg de Normandie explique que la réalité de l’esclavage des Blancs à partir de la période carolingienne a été occultée, voire effacée par les historiens [27]. Pour lui, il y aurait une transformation de la réalité historique, qui entraîne aussi la construction d’un discours négationniste de la part des historiens académiques [28]. Par ailleurs, il s’étonne qu’il n’y ait pas de vidéo sur les réseaux alternatifs sur le sujet [29]. On note d’ailleurs que l’important pour lui, c’est l’existence de vidéos, et non d’articles, ce qui semble montrer qu’il se nourrit des premières, et pas d’études documentées. Commençons par une remarque : Oleg de Normandie parle de Blancs, pour bien faire une opposition à la traite négrière, et afin de bien créer une opposition entre les Noirs et les Blancs et montrer qu’il existe un oubli sur l’esclavage de la « race blanche ».

Cette occultation est liée, selon lui, au fait que la mise en esclavage de ces hommes ne concerne que des païens blancs et que l’Église catholique, au même titre que les Juifs et les Musulmans, participe à cette « traite » [30]. C’est un discours qui fait écho à cette idée de racisme anti-blanc présent dans l’extrême droite française.

Serfs travaillant la terre

Mais, le discours d’Oleg paraît ici peu convaincant. En effet, il parle d’occultation de l’esclavage des Saxons au Moyen Âge, mais cite tout de même plusieurs auteurs. C’est donc que les historiens se sont intéressés à l’esclavage durant le haut Moyen Âge et notamment celui des guerres saxonnes, et que donc l’histoire de l’esclavage des Saxons n’a pas été occultée. Il cite ainsi un extrait de l’ouvrage d’Édouard Perroy, Le Monde carolingien, indiquant que ce dernier écrit que le commerce des esclaves devait être celui qui rapportait le plus de revenus [31]. L’auteur évoque également la ville de Verdun et la destination de ces esclaves vers l’Espagne musulmane, sujet sur lequel nous allons revenir. Rappelons qu’Édouard Perroy (1901-1974), n’a rien d’un historien alternatif ; il est un des grands spécialistes du Moyen Âge dans les années 1950 et 1960, et professeur à la Sorbonne entre 1949 et 1971 [32].

Il cite également Charles Verlinden, dont le travail principal est justement l’esclavage dans l’Europe médiévale ; le tome 1 est consacré à la péninsule ibérique [33]. Oleg de Normandie se trompe sur le titre de l’ouvrage, qu’il n’a sans doute pas lu. D’autant que Charles Verlinden estime dans ses ouvrages qu’il n’y a plus d’esclavage à la période carolingienne, mais uniquement du servage, c’est-à-dire des paysans qui sont chasés sur des terres [34]. Cela montre, encore une fois, le niveau de vérification de l’auteur de ces vidéos sur les études qu’il prétend employer. En revanche, Charles Verlinden indique dans L’esclavage dans le monde médiéval l’importance du commerce des esclaves vers le monde musulman [35].

Il s’appuie encore sur Jacques Heers, spécialiste de la ville et du commerce au Moyen Âge. Oleg de Normandie ne cite aucun ouvrage, mais il tire sans doute ses informations de Esclaves et domestiques au Moyen Âge dans le monde méditerranéen ou de l’ouvrage Les Négriers en Terre d’islam [36].

Donc, Oleg de Normandie ment en expliquant que les historiens ne se sont pas intéressés à la question des esclaves durant le haut Moyen Âge. En réalité, l’auteur odiniste use d’un prêt-à-penser, celui de l’oubli volontaire d’un sujet, car ce dernier serait trop sensible. Il emprunte cela à madame Rosa Amelia Plumelle-Uribe qu’Oleg de Normandie prend comme référence. Rosa Amelia Plumelle-Uribe est une juriste ; elle a écrit des essais sur l’esclavage. Elle écrit notamment cet ouvrage : Traite des blancs, Traite des noirs : aspects méconnus et conséquences actuelles [37]. Au vu des citations qu’OIeg de Normandie produit dans ses vidéos, il a emprunté à cette dernière les passages présents sur le net [38].

Le travail de madame Plumelle-Uribe est critiqué pour son manque de rigueur [39]. Or, cet ouvrage est en fait pour la période du Moyen Âge, un résumé, sans critique, des travaux anciens sur cette question. Dans ces pages, on trouve en effet mention de Charles Verlinden, de Jacques Heers ou d’Évariste Levy-Provençal. Les citations faites par Oleg de Normandie dans ses vidéos sont directement tirées du livre de Rosa Amelia Plumette-Uribe. Ainsi, la phrase de Charles Verlinden, citée par Oleg de Normandie, « les esclaves étaient l’article d’exportation le plus important de l’Europe occidentale et centrale vers le monde islamique », est citée par l’autrice colombienne [40]. C’est aussi le cas de la citation de Jacques Heers « On assurait aussi que, les musulmans s’y refusant, ces trafiquant israélites veillaient à la bonne tenue des centres de castration » [41]. C’est aussi le cas des deux sources citées par Oleg de Normandie, Ibrahim el-Qarawi et Ibn Khordadbeh, qui sont les deux seules mentionnées par l’avocate colombienne [42]. On peut, dès lors, se demander si Oleg de Normandie a lu les autres livres qu’il cite. Surtout, l’ouvrage cité plus haut (Traite des blancs, traite des noirs…) concerne essentiellement la traite des esclaves africains et ne se centre pas sur la période qu’Oleg de Normandie prétend étudier. Ainsi, Oleg de Normandie n’a pas beaucoup cherché ; il s’est contenté de répéter sans vérifier une thèse controversée et qui ne concerne pas sa période qu’il a trouvée sur le net.

Ce qui ressort, c’est que l’affirmation d’Oleg de Normandie indiquant qu’aucune étude n’a été produite sur l’esclavage est fausse, puisque lui-même en cite.

Qu’en est-il réellement de la recherche historique sur l’esclavage et les marchés d’esclaves au haut Moyen Âge ?

Il est vrai que longtemps, les historiens ont estimé qu’à partir du IVe siècle, du fait de l’arrivée du christianisme, l’esclavage diminuait en Europe de l’Ouest. Aussi, jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, il n’y a eu que peu de recherches sur l’esclavage à l’époque médiévale [43]. Si, jusqu’aux années 1930, la question de l’esclavage médiéval est peu traitée, l’article de Marc Bloch, « Pourquoi et comment finit l’esclavage antique ? » ouvre le débat sur cette question [44].

Marc Bloch (1886-1944)

Ainsi, Marc Bloch indique « À y regarder de plus près, des symptômes très clairs attestent que, dès le IXe siècle, l’esclavage était loin de tenir dans les sociétés européennes une place comparable à celle qui, précédemment, avait été la sienne » [45]. Cette position relance les études sur l’esclavage au Moyen Âge et entraine la première synthèse, celle de Charles Verlinden, parue en deux volumes en 1955 et en 1977, L’esclavage dans l’Europe médiévale [46]. Donc, avant même les années 1960, l’esclavage du Moyen Âge est un sujet d’étude. Il est peut-être sous-estimé, comme le reconnaît l’historienne du droit et de la justice médiévale Claude Gauvard dans une interview, mais il n’est pas négligé, comme veut le faire croire Oleg de Normandie [47].

D’autant qu’avec le développement de l’histoire économique, qui remet en avant la question de la force de travail, et surtout des subaltern stories et des post-colonial studies, l’histoire de l’esclavage au Moyen Âge se développe fortement depuis les années 1970. Il faut ainsi citer l’ouvrage de Jacques Heers, dont Oleg de Normandie cite les passages mis en avant par l’autrice colombienne ; Jacques Heers a écrit deux ouvrages autour de l’esclavage, Esclaves et domestiques au Moyen Âge dans le monde Méditerranéen et Négriers en terre d’islam [48]. Il n’est pas le seul médiéviste dans les années 1980 à publier sur cette question. Jacques Bonnassié qui a travaillé notamment sur la Catalogne, publie en 1991 un recueil d’articles sur la question, From slavery to feodalism in South-Western Europe [49]. Ce dernier évoque fortement les esclaves en Europe de l’Ouest et la question complexe de la différence entre l’esclave et le serf. Donc, comme on peut le voir, l’histoire de l’esclavage au Moyen Âge, et spécialement celui des esclaves blancs, n’a pas été occultée.

Depuis les années 2000, l’esclavage est devenu un des sujets importants des études sur le haut Moyen Âge. Citons ainsi deux exemples de ces études. La première est celle de Didier Bondue, De Servus à Sclavus, qui explique bien l’évolution de l’esclavage au haut Moyen Âge [50]. La seconde est le travail de synthèse très récent sur l’esclavage au Moyen Âge publié par l’Université de Cambridge, dans le cadre d’une histoire générale de l’esclavage [51]. Cet ouvrage comprend une bibliographie assez exhaustive, qui montre l’ampleur des travaux sur la question de l’esclavage au Moyen Âge. Tous les ouvrages récents sur l’économie du Moyen Âge abordent aussi la question de l’esclavage, que ce soit comme force de travail ou comme marchandise. Citons The Origins of European Economy, publié en 2001, The Carolingian Economy, publié en 2002, ou Framing the Early Middle Ages, publié en 2005 [52]. C’est bien sûr aussi le cas des ouvrages en français, comme celui de Laurent Feller ou de Jean-Pierre Devroey [53]. Enfin l’ouvrage en français, Les mondes de l’esclavage, qui vient de paraître, consacre des articles à l’esclavage du haut Moyen Âge [54].

On peut admettre qu’Oleg de Normandie n’ait pas lu les ouvrages les plus récents, mais, en revanche, son affirmation qu’aucune étude n’a été produite sur l’esclavage est essentiellement dûe à son manque de travail et à son manque de recherches.

Le cœur de l’argument d’Oleg de Normandie est que l’histoire est contrôlée par l’Église de Rome, effacée par l’Inquisition – dont nul doute je fais maintenant partie aux yeux d’Oleg et de ses thuriféraires – et les crimes contre les païens blancs ont été volontairement occultés. Mais Oleg ment sur tous les points. L’Église catholique n’est pas dépositaire du travail en histoire, et non, l’Inquisition n’a rien effacé, et enfin non, les historiens n’ont pas caché l’histoire de l’esclavage des Blancs.

Ici, on ne peut plus taxer Oleg de Normandie de n’être qu’un mauvais chercheur qui passe à côté des sources et préfère raconter son roman, mais on doit ici admettre qu’il est un menteur. Et son mensonge, que nous pensons conscient, est au service d’une vision délétère de la société, une vision racialiste et identitaire.
Dans un dernier article, nous allons voir comment, à partir de ces mensonges, Oleg de Normandie déroule son discours identitaire qui vise directement les Juifs et les Musulmans.