"Ancient X Files" en Bosnie
La Vérité est Vraiment Ailleurs
Le lecteur qui aurait suivi sans discontinuer le déroulement de la chronique des "pyramides" de Bosnie depuis leur "découverte" en 2006 aura sans doute noté que - à l’exception de la découverte d’une mystérieuse "structure" dans le tunnel de Ravne [1], des recherches du SBRG sur les ultrasons, et de leur hypothèse selon laquelle la colline de Visoko émettrait une certaine forme de faisceau énergétique dans l’espace - les choses ont été relativement calmes depuis 18 mois à peu près... Un évènement cependant a provoqué un certain émoi chez les commentateurs à l’automne de 2011, c’est l’annonce d’un documentaire produit par la chaîne extrêmement populaire National Geographic.
Comme on pouvait s’y attendre, la perspective de ce documentaire, susceptible de donner au projet des pyramides un coup de pouce bien nécessaire, fut accueillie avec enthousiasme (bs) - d’autant plus que le documentaire projeté devait faire partie de la série "Ancient X Files". Selon la description fournie par le site d’Ancient X Files : « Cette série passionnante suit des universitaires, archéologues et scientifiques, dans leur enquête sur des mythes ou légendes en vue de déterminer les vérités cachées derrière quelques uns des plus anciens récits de l’histoire. Ces Indiana Jones d’aujourd’hui parcourent le globe pour dévoiler le mystère du saint Graal, les secrets de la magie noire, la pierre philosophale disparue, l’Arche perdue et plus encore, pour révéler au grand jour le contenu des Dossiers X antiques. »
Bien évidemment, la question de l’existence de pyramides réelles en Bosnie fournissait un bon sujet pour ce genre de documentaire. Et naturellement, conformément à l’objectif déclaré de la série, deux experts anglais, un archéologue et un géologue, avaient été chargés de l’enquête. Mais, étant données toute la publicité qui allait être générée par le documentaire, et la conviction inébranlable de la Fondation que tout archéologue ou géologue digne de ce nom n’avait qu’à poser le pied à Visoko pour comprendre que les collines triangulaires de cette vallée ne pouvaient être que d’anciennes pyramides construites par l’homme, rien ne pouvait mal tourner.
Quelques mois plus tard, durant l’été 2012, le documentaire fut effectivement diffusé. Des commentaires, émanant tantôt de M. Osmanagic tantôt d’autres personnes, commencèrent bientôt à apparaître sur le site de la Fondation et ailleurs - mais, étonnamment, bien éloignés des congratulations qu’on aurait pu attendre.
Cet article de Danas (bs) (copié ou cité sur plusieurs forums) donne le ton. Il commence par expliquer qu’il s’agit du deuxième documentaire réalisé par National Geographic sur la Vallée des Pyramides de Bosnie, mais que, contrairement au premier de 2009, celui-ci est très négatif. M. Osmanagic lui-même s’est plaint, entre autres choses, que : « Ova dvojica Engleza nemaju nikakvo iskustvo s piramidama, nisu napisali nijedan članak o njima, niti su vidjeli piramide u životu. » (« Ces deux Anglais n’ont aucune expérience des pyramides, n’ont jamais rien écrit sur elles, et n’en ont jamais vu dans la réalité. »)
Un M. Osmanagic furieux a aussi déclaré (bs) que le documentaire de 30 minutes était une tentative ratée pour ridiculiser les pyramides de Visoko, et qu’il n’offrait : « … nije ponudio niti jedan konkretan dokaz, potkrijepljen činjenicama, već kamaru trolanja, netačnih i nelogičnih navoda. » (« pas de preuves concrètes, étayées par des faits, mais un monceau d’affirmations trollesques, inexactes et illogiques. ») De plus, Chapman, l’archéologue co-présentateur du documentaire, serait un spécialiste des "sites de zone humide" (impliquant par là que son expertise ne pouvait s’appliquer à Visoko, qui n’est pas en zone humide). M. Osmanagic est également cité sur un forum comme ayant dit que son équipe avait consacré 300 000 heures de travail aux fouilles archéologiques ; avait également fait analyser des échantillons, et procéder à des datations au radiocarbone.
Ce commentaire sur un forum étranger expose d’autres critiques : « L’archéologue et le géologue (des sceptiques convaincus avant leur arrivée) n’avaient jamais mis les pieds à Visoko avant leur visite de 4 jours, n’ont vu qu’une partie des sites et n’ont consacré à chacun de ces sites que très peu de temps. Opérateurs, réalisateur, preneurs de son, Osmanagic, les volontaires, les touristes, tout ce tohu-bohu qui les entourait. C’était comme un cirque quand ils sont arrivés aux tunnels. »
Un autre commentateur remarque (bs) qu’en cherchant Henri Jerome Chapman sur Google, il ne peut trouver aucune référence à un archéologue de ce nom.
Si ces critiques sont justifiées, l’équipe de production de National Geographic a fait une grave erreur en demandant à une paire d’Anglais ignorants et incompétents, se faisant apparemment passer pour des scientifiques, de présenter le documentaire. Nous devrions donc peut-être y regarder d’un peu plus près, pour voir où exactement les deux présentateurs se trompent. Contrairement à ce qui est affirmé sur le site de la Fondation ou ailleurs, le documentaire dure en fait 45 minutes et non 30. Malheureusement le lecteur intéressé ne pourra plus le voir sur YouTube, mais il trouvera ci-dessous une description des principaux points forts du documentaire.
Ancient X Files : des scientifiques anglais à Visoko
Jerram et Chapman enquêtent sur cinq facteurs généralement avancés comme preuves à l’appui des théories de Semir Osmanagic. Ils commencent par partir à la recherche des traces de la civilisation censée avoir construit les pyramides il y a 12 500 ans, des preuves de restes d’outils ou autres artefacts qui pourraient avoir été laissés par ces anciens constructeurs. Ils étudient ensuite ce que M. Osmanagic présente comme une série de terrasses construites par l’homme ; puis pénètrent dans les tunnels de Ravne. Ils rencontrent M. Osmanagic à la Pyramide du Soleil, que celui-ci pense construite de blocs massifs. Enfin, ils examinent la forme et l’alignement des pyramides.
Pour trouver des traces des outils de construction des pyramides utilisés aux environs de 10 500 av. JC, Chapman visite d’abord le Musée National de Sarajevo. Mais tout ce qu’il y voit sont de petits outils de silex - pas du tout le genre de chose qui aurait pu être utilisé pour construire des pyramides. Toutefois, comme Chapman va s’en rendre compte plus tard, M. Osmanagic a une théorie qui expliquerait pourquoi aucun artefact n’a été trouvé.
Entretemps, cependant, Chapman et Jerram vont voir la soi-disant Pyramide de la Lune, plus élevée d’une quarantaine de mètres que la Grande Pyramide d’Egypte, et où M. Osmanagic pense avoir identifié des terrasses construites par l’homme. A titre d’exemple, il montre aux deux hommes un pavage de grès qui offre un motif apparemment régulier qui ne peut être que le résultat d’une intervention humaine. Cependant Jerram, en tant que géologue expérimenté, considère qu’il s’agit bien plus probablement des restes d’un rivage sableux, comprimé et fossilisé, ancien de plusieurs millions d’années. Un indice important de l’origine en réalité naturelle du pavage de grès est la présence de ripple-marks dont le dessin, loin d’être interrompu par les fractures séparant les blocs de grès, se poursuit exactement de part et d’autre des fissures de la surface.
M. Osmanagic reste néanmoins de glace face à cet argument géologique, avançant - devant le géologue Jerram qui n’en croit pas ses oreilles - que les anciens constructeurs ont, on ne sait comment, découpé une couche de grès portant des ripple-marks, l’ont transportée sur la Pyramide de la Lune, et remise en place de façon à faire correspondre exactement les rides de part et d’autre des plaques.
Quittant la Pyramide de la Lune et son pavage problématique, Jerram et Chapman tournent ensuite leur attention vers les tunnels de Ravne. Des tunnels ayant été trouvés à proximité de nombreuses pyramides égyptiennes, menant parfois à des chambres contenant des restes funéraires, M. Osmanagic en déduit que les tunnels de Ravne pourraient également avoir un lien avec les pyramides bosniennes. Il prétend que ces tunnels furent construits il y a environ 12 000 ans (aux environs de 10 000 av. JC) par une civilisation avancée, avant d’être vidés et condamnés quelque 5000 ans plus tard (il y a 7000 ans, soit vers 5000 av. JC) par une autre civilisation. M. Osmanagic pense que le fait que ces tunnels auraient été nettoyés vers 5000 av. JC explique pourquoi aucun artefact n’a été trouvé - en d’autres termes, que l’absence de preuve est en réalité une preuve d’absence - tandis que le fait qu’ils auraient été alors condamnés indiquerait que la civilisation de l’époque souhaitait dissimuler quelque chose "d’importance mondiale" laissé par la civilisation précédente. Etant données les six années passées à travailler dans les tunnels, et malgré les mauvaises conditions d’éclairage, M. Osmanagic prétend même être capable de distinguer entre ce qu’il appelle le matériau de remplissage (laissé par la civilisation postérieure) et ce qu’il appelle le conglomérat laissé par la civilisation antérieure. Il demande avec emphase à Jerram et Chapman pourquoi, dans les tunnels, le sable semble miraculeusement rester en place sans l’aide d’aucun liant, semblant ainsi défier les lois de la gravité. Jerram est cependant nettement moins optimiste quant à la stabilité à long terme de la voûte, tandis que pour sa part Chapman, clairement non convaincu par la prétention d’Osmanagic d’être capable de différencier les divers matériaux laissés par les deux hypothétiques civilisations anciennes, exprime ses réserves sur la méthodologie archéologique ; en effet, dans la plupart des fouilles en tunnel de ce genre, les archéologues essaieraient d’identifier les variations de texture des différentes couches etc.
En tout état de cause, malgré l’insistance de M. Osmanagic sur la capacité du sable du tunnel à défier la gravité, Jerram et Chapman sont devenus à ce moment très inquiets pour leur sécurité, et décident de mettre un terme à l’exploration, revenant sur leurs pas sans perdre de temps. Une fois en sécurité à l’extérieur, Jerram fait un commentaire sur l’instabilité des parois du tunnel. Chapman, lui, soupçonne que les fouilleurs actuels ont pu être induits en erreur par la nature friable du matériau, et craint que, croyant dégager le tracé d’un ancien tunnel, ils ne soient tout bonnement en train de creuser de nouveaux tunnels - des tunnels qui, de plus, pourraient s’effondrer sur eux à tout moment.
Le moment est venu pour M. Osmanagic de jouer un de ses derniers atouts. Il emmène les deux sceptiques sur la Pyramide du Soleil (la colline de Visocica), dont il pense qu’elle est en réalité une gigantesque pyramide construite de blocs massifs constitués du matériau retiré des tunnels par les anciens constructeurs. Il montre ce qui, d’après lui, est d’évidence quatre rangées de ces blocs. Jerram n’est cependant pas convaincu par ces allégations, et explique qu’il y a de nombreux exemples de roches similaires qui, en dépit d’une apparence artificielle, sont bien d’origine naturelle. Et un géologue bosnien, le Dr Ramovic, montre à Jerram une carte géologique de la région indiquant clairement que ces collines sont constituées de couches de roches que l’on trouve dans toute la région.
M. Osmanagic continue cependant à insister sur l’existence d’un autre facteur qui doit faire pencher la balance en faveur de sa théorie de pyramides anciennes. Il joue alors sa dernière carte : non seulement la pyramide est couverte de "béton naturel", mais elle aurait aussi une orientation parfaite par rapport aux points cardinaux, et des pentes d’exactement 45 degrés.
Jerram et Chapman décident de mettre à l’épreuve la théorie de M. Osmanagic. Depuis l’avion qu’ils ont affrété pour survoler la région de Visoko, ils observent les endroits où les forces implacables de la géologie ont effectivement formé les collines de la région en une série de plaques inclinées, leurs angles donnant des formes à peu près triangulaires, comme une série de gros livres - mettons l’Encyclopaedia Britannica - jetés en tas (bs) et gisant de biais les uns contre les autres. Cette caractéristique triangulaire est particulièrement visible sur le flanc de la colline situé en face de Visoko, mais beaucoup moins dans le cas des autres flancs, qui ressemblent simplement aux autres collines de la région. En effet l’inclinaison des pentes, que M. Osmanagic soutient être de 45 degrés, se révèle être en moyenne d’environ 26 degrés, mais avec des variations allant de 30 à parfois moins de 16 degrés. Quant à l’orientation présumée vers les points cardinaux, Jerram découvre à l’aide d’une boussole que, bien que certaines pentes regardent effectivement grossièrement vers le nord, il y en a beaucoup d’autres pour lesquelles ce n’est pas du tout le cas.
A l’issue de leur visite en Bosnie, les deux hommes n’ont donc pas d’autre choix que de conclure que ce qu’ils ont observé sont les restes de sédiments lacustres et fluviaux déposés il y a plusieurs millions d’années. Ils n’ont trouvé aucune trace archéologique ; ce à quoi ils ont assisté est la mise en oeuvre d’une méthodologie déficiente, qui aurait pour effet de détruire tout reste archéologique qui se trouverait là.
Cependant, en dépit de tous les arguments de Jerram et Chapman, l’opinion de M. Osmanagic reste fermement arrêtée : « Les pyramides sont là, elles étaient là, et resteront là longtemps après que nous aurons disparu. »
Mais de leur côté Jerram et Chapman soupçonnent que les seules preuves de l’existence des pyramides de Bosnie résident dans l’imagination de M. Osmanagic.
Erreurs commises par de soi-disant "experts"
On ne peut nier que de nombreux autres experts anglophones ayant visité les pyramides de Bosnie sont arrivés à des conclusions similaires à celles de Jerram et Chapman. Ces experts se trompaient-ils eux aussi ?
Un des premiers à avoir visité le site en 2006 est le président de l’Association des Archéologues Européens, Anthony Harding ; il décrit sa visite dans “The great Bosnian pyramid scheme” [2]. Il y conclut qu’il n’a rencontré : « ... aucun signe de quoi que ce soit qui ressemble à de l’archéologie ». La Fondation protesta qu’il s’agissait d’une affaire de : « ... jalousie, ou d’esprits fermés aux idées nouvelles », et critiqua également Harding en affirmant (bs) qu’il n’avait pas passé suffisamment de temps sur place pour être en mesure d’offrir une opinion éclairée (cette critique basée sur un temps trop court passé sur le site est bien sûr semblable à celle faite en 2012 à Jerram et Chapman, à qui on reproche de n’avoir passé que quelques jours dans la région).
Mais il y a eu d’autres experts anglophones dont la visite fut - au moins au début - accueillie chaleureusement par la Fondation, des experts tels que le géologue Robert Schoch, célèbre dans la communauté des tenants de l’histoire alternative pour sa théorie selon laquelle le Sphinx de Giza serait beaucoup plus ancien que ce qui est communément accepté ; ce qui impliquait que, bien qu’étant un universitaire reconnu, il était aussi considéré comme une sorte de franc-tireur pas vraiment intégré dans le monde universitaire dominant.
On pouvait donc probablement imaginer qu’il adopterait, dans le cas des pyramides de Visoko, un point de vue également non conventionnel.
Mais quand Schoch et sa collègue le Dr Colette Dowell révélèrent leur conclusions, la Fondation vit ses espoirs brutalement anéantis (la visite de Schoch est décrite ici, ainsi que dans “The Bosnian Pyramid Phenomenon” [3] et dans “Pyramid No More” [4]). En effet, quel que soit par ailleurs le point de vue non conventionnel de Schoch sur la question du Sphinx, les pyramides de Bosnie étaient néanmoins une tout autre affaire. La seule chose que son oeil de géologue lui révélait en regardant la Pyramide du Soleil était une colline naturelle ; de même, tous les phénomènes présentés par la Fondation comme preuve de l’activité d’une civilisation disparue depuis longtemps pouvaient pour lui être expliqués beaucoup plus simplement par des caractéristiques géologiques. L’opinion de la Fondation sur Schoch en fut modifiée, et plusieurs articles attaquant celui-ci furent publiés, comme par exemple ici. Les raisons données pour ce rejet des conclusions géologiques de Schoch sont décrites ainsi : « Certains géologues prétendent que les pyramides de Bosnie ont été créées par des "mouvements tectoniques". Ces allégations devraient être basées sur les cartes correspondantes, cependant les cartes disponibles des processus géologiques pour la région montrent clairement que l’orientation des faces de la pyramide ne pourrait pas avoir été créée par ces fameux mouvements tectoniques. Voilà un détail apparemment oublié par le Dr Robert Schoch. »
Malgré ces frustrations, un autre visiteur redonna de l’espoir à la Fondation en 2010 - pas un historien alternatif cette fois, mais un anthropologue éminent, Ezra Zubrow, donc membre du même "establishment" universitaire que la Fondation affecte de mépriser et défier. De plus, le professeur Zubrow fit des commentaires encourageants, rapportés dans cet article du 14 juin 2010 sur le site de la Fondation, ainsi que dans celui-ci daté du 29 juin 2010. Il est cependant regrettable, pour la Fondation, qu’une recherche menée par la suite par Tera Pruitt dans le cadre de sa thèse de doctorat à Cambridge ait révélé quelques problèmes avec cette présentation du professeur Zubrow comme partisan enthousiaste du projet des pyramides de Bosnie : « Zubrow estimait que sa visite avait été largement mal interprétée, et manipulée pour la faire apparaître comme un "consensus des experts" et une "preuve" des pyramides » [5].
Des experts qualifiés ?
Si de tels experts reconnus ont échoué aussi lamentablement à reconnaître l’existence des pyramides de Bosnie, il n’est pas vraiment surprenant que des individus maladroits et incompétents comme Jerram et Chapman aient pu cafouiller tout autant. Mais quelles sont exactement leurs compétences ?
Le lecteur se souvient peut-être qu’un commentateur s’était plaint de ne pouvoir trouver une seule référence sur le site de National Geographic à un archéologue appelé Henry Jerome Chapman (bien qu’il y ait sur le même site trois références à Osmanagic). La même personne avait aussi constaté qu’une recherche sur Google pour "Henry Jerome Chapman" n’avait donné que des résultats renvoyant au documentaire de National Geographic. Donc cet archéologue n’existait pas... Qu’en est-il réellement ?
Une recherche sur le site de National Geographic donne effectivement trois résultats pour Osmanagic, et aucun pour M. Jerram et/ou M. Chapman. Cependant, le documentaire ne figurant pas encore sur la liste des épisodes d’Ancient X Files disponibles en DVD (liste datant de 2010), ce n’est pas vraiment surprenant.
Il semble également y avoir une certaine confusion, difficilement explicable, sur le nom du Dr Chapman. Celui-ci confirme que son nom est "Henry Chapman", que "Jerome" ne fait pas du tout partie de son nom, et qu’il n’a jamais utilisé le nom de "Henry Jerome Chapman" [6] : en conséquence, toute recherche d’un archéologue de ce nom peut difficilement produire un quelconque résultat (en dehors des versions erronées de son nom en lien avec le documentaire sur les pyramides de Bosnie). Par contre, le Dr Henry Chapman (sic) est maître de conférence en archéologie à l’Université de Birmingham ; ses qualifications professionnelles (avec une description complète de ses recherches et publications) sont détaillées ici.

On peut noter que les recherches de Chapman portent essentiellement sur la préhistoire tardive, et en particulier sur les relations entre activités humaines et changements environnementaux dans les paysages du passé, notamment dans les sites de zones humides :
« Je travaille dans un domaine un peu frontière, essayant de comprendre des questions culturelles à propos du passé, mais des questions telles qu’il est impossible d’y répondre sans commencer à reconstruire, modéliser et visualiser les paysages du passé, les objets et les mouvements des hommes. »
Le lecteur se souvient peut-être également d’une critique adressée au documentaire de National Geographic, disant que les présentateurs étaient continuellement environnés de techniciens et opérateurs, sous-entendant par là que cela les avait empêchés d’accorder toute leur attention aux pyramides et aux tunnels. Cependant, aussi bien Chapman que Jerram ont une large expérience des médias et des émissions, et sont à l’évidence tout à fait habitués à travailler aux côtés d’une équipe de tournage. Dougal Jerram, par exemple, a participé à une longue liste d’émissions de télévision.
De son côté Chapman a travaillé pour la série bien connue Time Team de la chaîne Channel 4 ; la description de cet épisode, par exemple, explique comment, à un moment où une certaine confusion régnait sur la question de savoir si deux ensembles de fossés étaient liés entre eux ou non : « Henry Chapman, notre archéologue expert, est intervenu pour résoudre le mystère. Son modèle informatique du paysage montrait que la pente des rebords du promontoire avait été artificiellement accentuée, créant ainsi effectivement un rempart de terre entourant la colline ». Cet intérêt pour les paysages du passé est au centre de la thèse de doctorat de Chapman (archéologie du paysage et SIG - Systèmes d’Information Géographique), qui était : « centrée sur les applications possibles de la cartographie numérique et des méthodes de levé à la compréhension des paysages archéologiques ». De plus : « Il était auparavant employé comme expert/enquêteur sur les paysages au sein de la Commission Royale des Monuments Historiques d’Angleterre (RCHME), maintenant intégrée à English Heritage (Patrimoine de l’Angleterre), et a participé à un projet de grande envergure basé à l’Université de Hull, sur l’archéologie des zones humides et les problèmes de conservation en milieu humide ».
Bref : loin d’être un imposteur inepte et incompétent, le Dr Chapman a en réalité à son crédit un éventail impressionnant d’expériences et de compétences archéologiques. Si quelqu’un est susceptible de reconnaître un paysage artificiellement modifié dans le passé, c’est bien lui. S’il avait trouvé à Visoko des indices d’une telle modification ancienne du paysage par l’homme, on peut être sûr qu’il l’aurait dit rapidement.
Le problème : il n’a rien vu de tel. Et donc n’a rien pu dire.

Et c’est exactement la même chose pour le Dr Jerram, qui n’est ni superficiel ni un ignorant, mais plutôt un spécialiste très qualifié des Sciences de la Terre, maître de conférences depuis des années au Département des Sciences de la Terre de l’Université de Durham. On pourra trouver ici ou ici des détails sur sa biographie et la liste de ses qualifications professionnelles (entre autres ouvrages, il est le co-auteur de The Field Description of Igneous Rocks [7] ("Guide des roches ignées"). Comme Henry Chapman, s’il avait observé un paysage ancien impossible à expliquer par la géologie, et donc artificiel, on peut être sûr qu’il l’aurait dit.
Le problème...
Avis géologiques
Il semble que les avis d’autres géologues convergent généralement avec ceux de Robert Schoch et Dougal Jerram. Parmi ceux-ci :
– Stjepan ĆORIĆ (résultats décrits dans l’interview) ; un email concernant ces résultats est décrit dans cet article.
– Dr. Mohamed Ibrahim El Anbaawy [8].
– Amer Smailbegovic (son rapport au format PDF peut être téléchargé ici) [9].
– Dr. Sejfudin Vrabac (descendre en bas de la page ; son rapport téléchargeable en PDF (bs)).
– Paul Heinrich, avis décrit dans l’article (il a aussi publié plusieurs articles sur le sujet sur le web, y compris cette lettre de 2007 au journal "Science", "Pseudoscience en Bosnie").
– Le Dr Gorazd Žibret [10] a écrit un "Rapport géologique sur une brève inspection de la région de Visoko, centrée sur la colline de Visocica" (cité ici : « La forme de la colline de Visocica est, du point de vue géomorphologique, tout à fait inhabituelle. Du point de vue géologique il ne fait aucun doute que toute la colline est d’origine naturelle. »
– Le dernier paragraphe du rapport géologique produit par le Dr E. Nunzia Croce pour le SBRG précise : « La soi-disant Pyramide du Soleil est le résultat de la sédimentation continentale clastique terrigène du Miocène pour ce qui concerne les matériaux qui la constituent et leur stratification ; la forme de la colline, l’inclinaison des couches et leur dislocation, ainsi que la fissuration qui confère aux diverses couches un aspect de pseudo-pavement, sont le résultat du modelé géomorphologique post-Miocène, ainsi que des phénomènes tectoniques locaux et globaux. »
On a donc neuf avis de géologues (sans compter l’avis d’Irna elle-meme [11], qui a une formation de géomorphologue), et tous sont en parfait accord sur la question.
Et pourtant, en dépit de toutes ces opinions contraires, la Fondation continue résolument à affirmer que ces collines bosniennes sont des pyramides artificielles dont l’origine ne doit rien à la géologie.
Nord, sud, est et ouest
Comme on l’a vu, un des éléments clés de leur réfutation des arguments des géologues est l’affirmation de l’orientation des faces de la Pyramide du Soleil vers les points cardinaux. En guise de réfutation des objections du Dr Jerram sur ce point [12], M. Osmanagic dit : « La géométrie et l’orientation de la pyramide ont été déterminées par des institutions compétentes. Cela a été fait par l’Institut de Géodésie de Bosnie-Herzégovine, qui a conclu que "la Pyramide du Soleil de Bosnie est une pyramide imparfaite avec trois faces bien conservées, et les faces sont parfaitement orientées vers les points cardinaux de la planète (NSEO)". La déviation par rapport au nord cosmique est seulement de zéro degrés, zéro minutes et 12 secondes (0°0’12"), ce qui est bien plus proche de la perfection que la pyramide de Chéops (déviation de zéro degrés et 2 minutes). »
Etant donné que la Fondation ne semble pas avoir beaucoup d’autres arguments scientifiques à sa disposition, il vaut peut-être la peine d’examiner d’un peu plus près ces allégations pour vérifier leur solidité. Une discussion détaillée de ce point par Irna apparaît ici :
Dans l’ouvrage (bs) de M. Osmanagic il est dit qu’il s’agit d’une pyramide à 4 faces orientées selon les points cardinaux, ce qui est confirmé par une étude (non publiée mais reprise en partie dans le document "Naucni argumenti") de "l’Institut de Géodésie de Bosnie-Herzégovine" (dont un membre, M. Enver Buza, est "conseiller" de la Fondation [13]) ; le même document ajoute que la face nord est orientée « vers le nord cosmique »... [Mais] clamer que la face nord de Visocica est orientée vers le "nord cosmique" n’a guère de sens du point de vue scientifique [14]. M. Osmanagic ou ses collaborateurs précisent parfois que Visocica est « orientée dans la direction de l’étoile Polaire » [15]. Cependant, du fait du phénomène de la précession des équinoxes, les pôles célestes se déplacent lentement. Si aujourd’hui Polaris (l’étoile Polaire) se trouve à peu près correspondre au pôle Nord céleste, ce n’était sûrement pas le cas il y a 12 000 ans (âge proclamé par M. Osmanagic pour la pyramide). A ce moment-là, le pôle Nord céleste était très proche de Vega (voir par exemple ici une carte montrant la lente rotation du pôle Nord céleste sur une période d’environ 25 000 ans). Le fait que Visocica soit « orientée vers l’étoile Polaire » n’est donc qu’une coïncidence. Admettons qu’ils aient simplement voulu dire, maladroitement, que la face nord de Visocica est orientée exactement vers le nord : reste que "l’exactitude" de cette orientation me paraît loin d’être parfaite.
L’article continue ensuite en approfondissant la discussion ; il est accompagné de plusieurs cartes [16] et graphiques à l’appui de cette argumentation qui, pour autant qu’on sache, n’a encore jamais été abordée, et encore moins réfutée, par la Fondation.
Si tout ce que la Fondation peut offrir en matière d’arguments est simplement de continuer à répéter en 2012 les mêmes thèses (bs) qu’en 2006, refusant de tenir compte des objections soulevées par Irna, Jerram et d’autres, cela signifie qu’un des points importants à l’appui de la théorie de pyramides construites par l’homme s’effondre tout simplement.
Ce qui ne laisse guère plus de support à cette théorie que l’imagination de M. Osmanagic - imagination, il est vrai, plus que fertile, comme le révèle l’examen rapide de quelques unes de ses oeuvres.
Les fans de J.R.R. Tolkien auront bien sûr noté que le titre de cet article - qui fait principalement référence au voyage aller et retour de Jerram et Chapman à Visoko - évoque aussi le sous-titre du livre de Tolkien "Bilbo le Hobbit", une oeuvre de fantaisie inspirée située dans le monde imaginaire de la Terre du Milieu. Par une coïncidence curieuse, un essai de superposition de la carte faite par Tolkien de la Terre du Milieu sur celle de l’Europe moderne fait apparaître des collines (Emyn Arnen) à l’endroit approximatif où se trouve Visoko...
Mais, bien sûr, ni dans "Le Hobbit" ni dans "Le Seigneur des Anneaux" on ne trouve mention des pyramides : même l’imagination de Tolkien ne pouvait aller jusque là...
