Hype hyperboréenne !
Article mis en ligne le 5 juin 2022

par Abacus

Introduction

Le 30 avril 2022, les membres du groupe Facebook Fraudulent Archeology Wall of Shame ont été intrigués par un article daté de quelques jours auparavant concernant la découverte de deux pyramides très anciennes, antérieures même à celles de Gizeh.

Mais ces pyramides ne sont pas en Égypte : il est dit qu’elles se trouvent dans la péninsule de Kola, à Mourmansk, en Russie, au nord du cercle polaire arctique.

Quelques observations, dont certaines légèrement moqueuses, ont suivi sur le site Facebook. Un contributeur suggère que cette question intéresserait peut-être le « gars de la pyramide bosniaque » (c’est-à-dire Semir Osmanagic). Un autre ajoute que cette partie du monde avait jadis suscité un certain intérêt dans les cercles scientifiques marginaux soviétiques …

Péninsule de Kola

Malgré son éloignement, la péninsule de Kola est habitée depuis l’Antiquité. Il existe des preuves de colonisation dans le nord de la péninsule (péninsule de Rybachy) au cours du 7e au 5e millénaire avant notre ère (en), et d’une colonisation ultérieure par des peuples du sud (Carélie).

Au cours du dernier millénaire, cependant, la péninsule de Kola a été peuplée presque exclusivement par les Samis [1], un peuple d’éleveurs de rennes.

Les 150 dernières années ont vu le développement de l’intérêt scientifique pour la région et, malgré la nature peu accueillante du terrain arctique, de nombreuses expéditions s’y sont rendues.

En 1887 (en) [2], un géologue finlandais, Wilhelm Ramsay (en) (1865-1928) - dont les compagnons comprenaient un étudiant en arpentage, Alfred Gustav Petrelius (fi) (1863-1931) - visita la région, y compris la zone du lac Seydozero. L’expédition a fait d’importantes découvertes minéralogiques et géologiques.

Quelque trente-cinq ans plus tard, en 1922, un certain Alexander Barchenko (1881-1938) [3] – à la vie assez mouvementée (ru) [4] - y mena une autre expédition. Barchenko avait des liens étroits avec l’OGPU soviétique et, jusqu’à son exécution lors des purges de 1938, a maintenu un intérêt pour des domaines tels que la religion et l’occulte. Bien que toutes les notes de l’expédition de Barchenko aient été détruites ou placées dans des archives fermées, il a été affirmé qu’il avait trouvé une pyramide (en) au lac Seydozero [5]. Un an plus tard, en 1923, un certain Arnold Kolbanovsky a mené une autre expédition (en) dans la région, à la recherche de vestiges antiques du type décrit par Barchenko.

Quelque soixante-dix ans plus tard, à la fin des années 1990, l’intérêt pour la région semble connaître un renouveau. Valeriy Nikitch Demin (en) (1942-2006), écrivain et philosophe, a mené diverses expéditions dans la péninsule de Kola (en). Explorant le lac Seidozero, Demin écrit (en) :

Si vous montez plus haut dans les montagnes et que vous vous promenez dans les rochers et les éboulis, vous verrez une pyramide, habilement construite en pierres. Partout beaucoup d’entre elles. Auparavant, elles étaient également plus bas dans le lac, mais ont été détruites (démantelées pierre par pierre) quelque part dans les années 20-30, lors de la lutte avec les vestiges du sombre passé …

Alors Demin avait-il trouvé la preuve des affirmations de Barchenko ? Celui-ci est décédé en 2006 [6] ; mais, en 2007, Sergey Smirnov (en) (mathématicien), Dmitry Subetto (en) (géologue) et Valery Chudinov (ru) [7] (philosophe et professeur à l’Académie russe des sciences naturelles) ont mené une troisième expédition (en) dans la péninsule de Kola : « sur les traces des expéditions d’Alexander Barchenko et de Vladimir Demin. »

Selon certaines sources (par exemple ici (en) [8] et ici (en)), l’expédition a trouvé deux structures pyramidales (en), reliées par un pont, orientées vers les points cardinaux et hautes d’environ 50 mètres.

Pyramides de Crimée et d’Ukraine

Mais les prétendues découvertes de pyramides ne se sont pas limitées à Mourmansk. Dans les années 1990, le scientifique Vitaly Gokh (en) s’est rendu en Crimée (ru), et lors d’une recherche de sources y aurait trouvé une pyramide souterraine (en). Au cours des années suivantes (en), les proclamations de nombreuses autres découvertes (en) de ce type devaient suivre.

En septembre 2007, The Guardian (en) rapportait qu’à quelque 800 kilomètres de la Crimée, en Ukraine :

Les archéologues… ont mis au jour les vestiges d’une ancienne structure pyramidale qui est antérieure à celles d’Égypte d’au moins 300 ans. Les fondations en pierre de la structure, qui ressemblait probablement aux ziggourats aztèques et mayas en Amérique du Sud, ont été découvertes près de la ville de Lugansk, dans l’est du pays.

Il y avait eu une annonce similaire (en) en août précédent (2006) concernant la découverte de pyramides à Luhanschina [Luhansk], en Ukraine (parfois appelées Crête de Merheleva (en) ; supposées se trouver à 48°25′N 38°57′E).

De gigantesques pyramides, très semblables aux pyramides égyptiennes, ont récemment été découvertes à Luganshchina...

L’article de la Pravda était accompagné d’une image de la Grande Pyramide de Gizeh ... sous-titrée : « Anciennes pyramides découvertes en Ukraine ».

On juge l’arbre à ses fruits

Après tant de récits de pyramides découvertes dans le nord de la Russie et en Europe de l’Est au cours du siècle dernier, la plupart des lecteurs seront sûrement ravis de voir des images, des dessins, des descriptions détaillées des fouilles archéologiques… et - surtout à l’ère des SmartPhones - des photographies.

Malheureusement, comme expliqué, il semble que la plupart, sinon la totalité, des notes de l’expédition originale d’Alexander Barchenko soient inaccessibles, nous obligeant à nous fier aux descriptions qui nous sont parvenues.

Il existe différents récits de sa découverte (en) :

Près de Seydozero (Lac Sacré) en 1922 et lors d’expéditions ultérieures, des collines ressemblant à des pyramides ont été découvertes…

Ces structures ont été décrites comme (en) : « … pyramides de la péninsule de Kola… » (deux fois plus anciennes que les pyramides égyptiennes) ; certaines ressources Internet donnent leur position à 67°41′18″N 35°56′38″E.

Pendant ce temps, des recherches sur Internet révèlent qu’il existe de nombreuses images et photographies supposées être des pyramides dans divers autres endroits du nord de l’Europe.

Kola ... ou pas Kola ?

L’une des images les plus frappantes est sans doute celle qui est apparue sur le groupe FaceBook FAWS (30 4 22). Elle provient de ce site (en), sous la légende « Mystère des pyramides de la péninsule de Kola ».

S’agit-il donc des pyramides qui, à l’origine, auraient été découvertes par Barchenko ?

Comme expliqué ci-dessus, il a été affirmé que l’expédition de Demin en 2007 avait trouvé deux structures pyramidales, reliées par un pont, orientées vers les points cardinaux et d’environ 50 mètres de haut.

Malheureusement, les montagnes montrées dans l’image sur le groupe FAWS ne sont clairement pas reliées par un pont, il est peu probable qu’elles soient orientées vers les points cardinaux et - comme nous allons le voir – elles se révèlent avoir environ 500 mètres de haut, soit dix fois la hauteur des structures prétendument trouvées par Barchenko.

Cependant, une enquête décrite sur un autre site Web (en) a révélé la réponse au mystère.

Les pyramides illustrées sur le groupe FAWS et ailleurs ne se trouvaient pas du tout dans la péninsule de Kola.

Elles sont à plus de mille kilomètres de là, dans les îles Féroé.

L’image montrée sur FAWS provient en fait du site Web du photographe Peter Lam (en) et représente deux montagnes : Hafjall (en) (en arrière-plan) et Halgafelli (en) (au premier plan), vues vers le sud-est depuis une montagne appelée Klakkur (en) près d’une ville appelée Klaksvík (en).

Crimée

Les dernières années ont vu des rapports continus de découvertes de pyramides ailleurs : le plus frappant, en Crimée, à environ 2400 km au sud de la péninsule de Kola.

Certaines images de ces prétendues découvertes apparaissent sur ce site (en), où elles sont décrites comme :

… un autre groupe unique de pyramides … découvert dans les montagnes de Crimée … façonnées et plates au sommet, ce qui les fait ressembler à l’une des pyramides les plus anciennes et les plus mystérieuses d’Égypte, les pyramides de Gizeh.

Une autre image, très similaire à celle qui vient d’être mentionnée, apparaît ici, légendée : « les pyramides de Crimée, côte sud de la Crimée, près de la ville de Sudak ». Et une troisième image, également très similaire, est affichée ci-dessous. Bien que pris sous un angle légèrement différent, il s’agit clairement du même emplacement :

Source (kotobormot, 2011)

Il s’agit de Soniachna Dolyna (en), ou « Val du Soleil », une ville située à 44.8747N, 35.10256E. (Elle se trouve à environ 10 km à vol d’oiseau à l’ENE de la ville de Sudak.)

Avons-nous vraiment devant nous un ensemble de pyramides antiques ?

Certains géologues n’en sont pas si sûrs …

Pyramid no more … [9]

Paul V. Heinrich [10] commente que le sommet de la soi-disant pyramide semble être situé à 44°52’2.85"N, 35° 6’17.67"E. Dans ce cas, la « pyramide » se révélerait n’être qu’une illusion créée par l’angle sous lequel la photo est prise [11]. Bien que plus d’informations soient nécessaires pour une certitude absolue, le relief suggère une facette triangulaire [12] formée par des failles.

(SD 1)

Les éléments reconnaissables à la fois sur Google Earth et sur les images de ce site (en) et ici (Wikimapia, Kotobormot 2011) sont annotés sur l’image ci-dessus (SD 1) comme suit :

Point B = sommet de la « pyramide »
Lignes A-B et B-C = arêtes de la « pyramide »
Ligne C-D = ligne de crête de la colline s’étendant en retrait de la face de la « pyramide »
B1 et B2 = replats sur la face de la « pyramide »
t = extrémité des terrasses agricoles.

(SD 2)

D’autres caractéristiques reconnaissables à la fois sur Google Earth et sur l’image montrée précédemment, et également ici (Wikimapia, Kotobormot 2011), sont annotées sur l’image (SD 2) ci-dessus comme suit :

Bldg A = bâtiment A
Bldg B = bâtiment B
Bldg C = bâtiment C
church = église ou mosquée
D = ligne de crête de la colline

La forme indéterminée des facettes triangulaires telles qu’elles apparaissent à un observateur au sol est clairement démontrée ici (GoogleMaps).

Les trente-sept Dormants

Nous avons vu plus haut comment, à la fin des années 1990 (en), à Sébastopol, à quelque quatre-vingts kilomètres de Soniachna Dolyna, des pyramides auraient été découvertes par Valery Gokh : trente-sept d’entre elles, pas moins (plus d’informations, et un plan, apparaissent ici (en), ainsi qu’ici (en)).

Des informations ont-elles été révélées depuis qui avaliseraient ces découvertes étonnantes ?

Malheureusement, les enquêtes ultérieures sur ces allégations n’ont pas toujours reçu un accueil enthousiaste, comme le montre l’un des commentaires de cette vidéo YouTube de 2015 :

Ceci n’est pas une pyramide. Je peux comprendre de quoi il parle et il ne dit pas un seul mot sur une pyramide. Il parle de cet endroit, l’appelle « puits ». Il est donc à l’intérieur d’une sorte de puits, mais pas d’une pyramide … [13]

Cependant, d’autres investigations sur d’autres pyramides non loin de Sébastopol, à Chersonèse, se sont révélées plus fructueuses :

Quatre… « tours pyramidales » ont été fouillées dans la chora grecque classique de Chersonnèse de Crimée [Dufkova M et Pecirka J. 1970. « Excavations of Farms and Farmhouses in the Chora of the Chersonnesos in the Crimea. » Eirene 8, 123-74]. Ces sites, les mieux conservés fouillés en 1928, sont remarquablement similaires en tous points : taille, forme, divisions internes, approvisionnement en eau et découvertes, à ceux du Péloponnèse, mais sont clairement associés à un paysage agricole de fermes autour de la cité grecque. [14]

Clairement, des « tours pyramidales » grecques de la fin du 1er millénaire avant JC seraient un peu décevantes pour ceux qui espèrent des preuves de constructions historiques de la taille ou de l’âge des pyramides de Gizeh.

Crête de Merheleva

Comme indiqué ci-dessus, en 2007, The Guardian a rapporté la découverte d’une structure pyramidale antérieure aux pyramides égyptiennes de 300 ans, à Luhansk, en Ukraine.

Malheureusement, comme l’a souligné l’archéologue en chef, Victor Klochko, ce rapport était inexact sur de nombreux points (en) :

Je ne sais pas d’où vient l’idée de la pyramide - les médias se sont trompés… Nous n’avons rien trouvé qui ressemble à une pyramide égyptienne. Bien que le site soit sur une colline.

D’autres vestiges antiques mystérieux

De retour sur la péninsule de Kola, des expéditions ultérieures affirment également avoir trouvé d’autres constructions en pierre, supposées être des preuves laissées par les bâtisseurs des « pyramides ». Sur ce site (en), par exemple, apparaît ce texte :

Une autre découverte récente sur la péninsule était les pyramides. L’analyse des données obtenues dans leur étude a montré que l’âge de la pyramide est d’environ 9000 ans, soit la moitié de l’égyptienne [sic]. Les pyramides de Kola sont situées strictement le long de la ligne ouest-est et pourraient avoir été utilisées comme observatoire.

Le texte est accompagné de plusieurs images, dont celle-ci :

L’image de ces « marches » apparaît également, parmi bien d’autres, sur cette page Web (en), à propos de laquelle Paul Heinrich commente que les photos montrent un paysage de substrat rocheux diaclasé profondément érodé par un glacier [15].

Ces « marches » (l’« Escalier vers le ciel ») se trouvent en fait sur le mont Vottovaara (district de Muyezersky, République de Carélie, Russie) [16], à plus de 450 km de la péninsule de Kola.

Ci-dessous, une autre image du même emplacement :

Compte tenu du contexte général fourni par les autres photos, Heinrich interprète les marches de Vuottovaara comme des marches rocheuses érodées créées par l’arrachement, classique à l’aval (dans le sens d’écoulement de la glace) d’un substrat rocheux diaclasé, par un glacier [17], et ajoute qu’il semble que les rebords de ces marches rocheuses ont ensuite été arrondis par l’abrasion glaciaire ultérieure ou une altération post-glaciaire.

Mais pourquoi tant d’efforts ont-ils été déployés pour affirmer l’existence de pyramides dans la péninsule de Kola et à d’autres endroits ?

Barchenko pensait connaître la raison. Il croyait que son voyage à Seydozero et ses découvertes là-bas (en), couplées au matériel ethnographique collecté par les membres de l’expédition - légendes et traditions des Samis - étaient suffisants pour lui permettre de révéler une découverte mondiale sans précédent : la patrie de l’ancienne civilisation d’Hyperborée.

Hyperborée

Selon l’ancien mythe grec, les Hyperboréens étaient un peuple qui vivait dans le nord très reculé. Mais Barchenko (et d’autres) croyaient que le mythe indiquait l’existence d’un vrai peuple qui avait vécu dans un vrai pays : et cette idée semble avoir exercé une certaine fascination sur certains penseurs et dirigeants russes au cours des siècles.

Par exemple, il a été affirmé (en) qu’en 1764, au début de son règne, Catherine la Grande (1729-96) a envoyé une expédition sous le commandement de l’amiral Vassili Tchitchagov (1726-1809), dont le but secret était de trouver Hyperborée (et l’Élixir de Jouvence) : malheureusement, la glace s’est avérée une barrière trop redoutable, Tchitchagov a été contraint de rebrousser chemin, et l’impératrice a dû se passer de l’Élixir de Jouvence [18].

Les expéditions en amateur (en) organisées à la fin des années 1990 par Demin dans la péninsule de Kola, sur les traces de Barchenko, ont été nommées d’après la terre légendaire qu’ils cherchaient : Hyperborée-97 (ru) [19] et Hyperborée-98 (ru). (Malheureusement, l’épaisse végétation a empêché (en) l’expédition de 1997 de voir des vestiges antiques depuis un hélicoptère.)

Cependant, la croyance dans les liens entre la terre mythique et la péninsule de Kola continue à ce jour (en) [20]. L’écrivain et ethnologue Victor Schnirelmann explique plus en détail la nature du mythe, et son attrait à une époque plus récente, ici (en) :

Les anciens sont considérés comme robustes, nobles, fiables, véridiques, courageux, généreux, habiles, bien informés et sages. Ils ont développé une grande culture et construit une haute civilisation sur une île du nord nommée Arctida, ou Hyperborea, située dans la région polaire. Selon le mythe, les habitants étaient « des blancs, les Aryens »...

À la fin du XXe siècle, le mythe aryen a été relancé en Russie par des scientifiques occultes, des néo-païens et des nationalistes russes radicaux, qui ont fait de leur mieux pour en faire la base de « l’idée nationale » afin de renforcer le peuple russe, de le réveiller de son apathie...

… les caractéristiques du mythe aryen sont l’hyper-migrationnisme et la théorie cyclique. Il considère le passé russe comme un cycle sans fin de hauts et bas - la formation du plus grand empire mondial, englobant toute l’Eurasie sinon la moitié de l’ancien monde, et son effondrement et sa désintégration ultérieurs en de nombreux peuples et États qui ont mené des guerres sanglantes les uns contre les autres. Apparemment, ces cycles se sont répétés maintes et maintes fois tout au long de l’histoire. Adhérer à ce concept permet aux gens d’aspirer à plusieurs objectifs. Premièrement, cela justifie l’empire et en fait un élément permanent et significatif de l’histoire humaine ; deuxièmement, cela légitime les revendications russes sur tous les territoires de l’ancien empire russe ou de l’Union soviétique ; et troisièmement, cela donne de l’espoir pour la restauration de l’État russe puissant et universel dans toute sa puissance [21].

Shnirelman ajoute :

Parmi ceux qui ont restauré ce mythe figurait Alexandre Douguine… un partisan zélé de la nouvelle droite. De nombreux néo-païens russes contemporains favorisent également le mythe ... des ancêtres aryens, qui se seraient développés du cœur de l’Eurasie et ont établi des civilisations anciennes ... [22]

Le nom d’Alexandre Douguine (né en 1962) est particulièrement intéressant ici, étant donné qu’au moment de la rédaction (mai 2022), il serait un proche confident de Vladimir Poutine, président de la Russie. (Il a même été suggéré (en) que c’est Douguine - partisan enthousiaste du concept d’Hyperborée [23], berceau de la civilisation - qui aurait conçu le scénario de l’annexion de la Crimée en 2014, et de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022).

Ainsi, surtout au cours des vingt ou trente dernières années, il semble que le concept d’Hyperborée en soit venu à servir un programme idéologique (et spécifiquement nationaliste) en Russie.

Cela pourrait-il expliquer pourquoi certains universitaires et chercheurs basés en Russie ont été si anxieux de trouver d’anciennes structures construites pouvant être présentées comme des preuves à l’appui de la théorie selon laquelle Hyperborée était autrefois un lieu réel ? Parmi les plus impressionnantes de toutes les structures construites antiques figurent, bien sûr, les pyramides : des constructions impressionnantes qui, pour beaucoup de gens, rappellent immédiatement celles de Gizeh, en Égypte.

Est-ce la raison pour laquelle tant de sites Web et de sources ont été si anxieux de publier des images et/ou des descriptions trompeuses de structures pyramidales ? Deux pyramides prétendument trouvées à des milliers de kilomètres par Demin dans la péninsule de Kola se révèlent être des montagnes d’origine volcanique dans les îles Féroé. Un ancien « escalier » de la même région s’avère être un lit rocheux diaclasé érodé par une calotte glaciaire. Une facette triangulaire formée par des failles, et photographiée sous un angle trompeur, est présentée comme une pyramide, ou des pyramides, en Crimée. Très peu de preuves ont émergé pour les trente-sept « pyramides » prétendument trouvées à Sébastopol ; et aucune pour le caractère pyramidal de la structure supposée trouvée près de Luhansk en Ukraine.

Cependant, peut-être pourrions-nous examiner de plus près la question d’un éventuel malentendu et d’une mauvaise interprétation du terme « pyramide ». Demin avait décrit (en) avoir vu près du lac Seydozero : « … une pyramide, habilement construite en pierres. Partout beaucoup d’entre elles. » Mais, par « pyramide », aurait-il voulu dire une sorte de construction à peu près conique : un cairn de pierre, comme celle-ci ?

Plutôt que celle-ci :

The Great Pyramid, Giza (Source : Irna, 2022)

Car il écrit aussi :

Le véritable objectif des tas de pierres artificielles en forme de pyramides, en particulier là où les traditions pertinentes ont été perdues, semble mystérieux et inexplicable. De tels tas (pyramides) se trouvent partout dans le nord de la Russie [24].

Comme le nez au milieu de la figure

À ce stade, certains lecteurs pourraient se demander pourquoi l’un des exemples les plus remarquables de « pyramides » en Europe de l’Est n’est jusqu’à présent pas mentionné dans cette discussion : à savoir, la « Pyramide du Soleil » bosniaque (il est maintenant démontré de manière concluante qu’il s’agit d’une formation géologique).

Semir Osmanagic déclare avoir pris connaissance pour la première fois de la pyramide bosniaque en avril 2005 [25], environ un an après qu’une pyramide ou des pyramides auraient été découvertes par des écoliers en 2004 près de Luhansk en Ukraine.

En avril 2009, après quelques années d’enquêtes confuses et inexpertes à Visoko, il devient membre de la RAEN [26] :

Les lecteurs du Site d’Irna se souviendront bien sûr de la RAEN depuis cet article de 2011 qui mentionne également Chudinov, chef de l’expédition de 2007 dans la péninsule de Kola à la recherche d’Hyperborée. L’article d’Irna se réfère à lui comme suit :

... particulièrement rigolo, un Valery A. Chudinov (ru), spécialiste en épigraphie et paléographie : tenant d’une civilisation slave et « védique » qui serait la plus ancienne d’Europe, il en découvre les traces partout sous forme de mystérieuses inscriptions en russe présentes sur toutes sortes de supports : des murs, des parois de grottes, des dessins de Pouchkine, et même la surface de la Terre, de la Lune et de Mars...

2011 s’est également avéré être l’année où Chudinov a publié une longue et admirative série d’articles sur les pyramides bosniaques [27]. Cette section particulière (ru) comprend cette déclaration :

- la présence de géoglyphes sous forme de couvert herbeux et arboré, ainsi que de géoglyphes sous forme de traces au sol vues de l’espace... indiquent que telle ou telle pyramide appartient à un certain dieu russe ;

et conclut :

… les dernières découvertes indiquent la présence en Europe d’une civilisation paléolithique très puissante, et que les pyramides étaient des temples de dieux russes.

Pas des dieux des Balkans : des dieux russes. Si les « pyramides » prétendument trouvées en Bosnie, et ailleurs en Europe du Nord et de l’Est, étaient vraiment toutes des « temples de dieux russes », cela pourrait-il être la preuve que les territoires qui les entourent étaient considérés comme appartenant autrefois aux peuples russes ou à leurs lointains ancêtres... ? [28]

Cela pourrait-il être l’une des raisons pour lesquelles la dernière décennie, sous la présidence de Vladimir Vladimirovitch Poutine, a été témoin d’une préoccupation accrue concernant la recherche de « pyramides » en Europe de l’Est : en particulier l’Ukraine ? L’Ukraine est présentée par certains - par exemple, Chudinov (ru) - comme étant l’une des régions associées à l’Hyperborée (ru) [29].

En 2004 (en) et 2005 [30], certains membres de la RAEN - mentionnant l’expédition de Demin dans la péninsule de Kola au passage - ont même exprimé un intérêt à venir au Royaume-Uni… Malheureusement, au sein du Royaume-Uni, il ne semble pas y avoir le même niveau d’intérêt pour l’Hyperborée que dans certaines régions d’Europe du Nord et de l’Est, il aurait donc peut-être été difficile pour les chercheurs russes d’entrer en contact avec des personnes partageant les mêmes idées. En l’état, ils ont limité leur intérêt déclaré à un désir d’étudier les monuments mégalithiques, en particulier au Pays de Galles et en Écosse [31] ... où il n’y a à ce jour aucun exemple connu de pyramides.