JOHN BOHANNON.
Un
amateur prétend avoir découvert au nord de Sarajevo un édifice
pyramidal haut de 360 mètres et vieux de 12 000 ans. Une
affirmation contestée qui soulève l'enthousiasme en Bosnie.
CELA aurait dû être un grand jour pour l'archéologie des Balkans. Pour
la première fois depuis la fin de la guerre en Bosnie des experts venus
de tout le pays avaient décidé de se rencontrer au Musée national à
Sarajevo. Des équipes de télévision patientaient à l'extérieur pour
faire des interviews. Des scientifiques étrangers étaient aussi
présents, dont Anthony Harding de l'université d'Exeter au Royaume-Uni,
président de l'Association européenne des archéologues. Mais ils furent
profondément frustrés. Les journalistes ne s'intéressèrent ni aux
projets de relance des collaborations internationales ou de
l'enseignement universitaire ni à la préservation des biens
archéologiques. «
Ils n'ont voulu entendre qu'une chose, dit Zilka Kujundzic-Vejzagic, la spécialiste en archéologie préhistorique du musée qui avait organisé la rencontre :
les pyramides, les pyramides, les pyramides ».
Les pyramides en question sont à 30 km au nord-ouest de Sarajevo,
près de la ville de Visoko. Un homme d'affaires bosniaque, Semir
Osmanagic, directeur d'une entreprise dans le bâtiment à Houston aux
États-Unis, a annoncé l'an passé qu'une colline haute de 360 mètres
dominant la localité était en fait une pyramide construite il y a
12 000 ans par une civilisation inconnue. Il l'a baptisée la
« pyramide du Soleil ». Avec l'aide de volontaires, Osmanagic
a mis au jour sur la colline des blocs de pierre et un système de
tunnels qui sont selon lui comme ceux des pyramides d'Égypte. Puis il a
déclaré que deux talus voisins faisaient aussi partie du même
« complexe pyramidal ».
Une
analyse que ne partage aucun archéologue ou géologue parmi la
demi-douzaine qui a visité le site. L'histoire est simple pour Stjepan
Coric, un géologue bosniaque de l'université de Vienne en Autriche
initialement invité par Osmanagic à examiner la colline. Les blocs de
rocher ne sont que les fragments d'un type de sédiments appelé brèche
qui formait le fond d'un lac il y a 7 millions d'années et a été
ensuite soulevé par des forces naturelles pour lui donner sa forme
angulaire. Pour les tunnels, «
s'ils ont été faits par l'homme, dit-il,
sans connaître leur âge, on peut supposer qu'ils faisaient partie d'une ancienne mine ». Pour Anthony Harding, «
c'est juste une colline ».
Les dégâts de la guerreAvant
le début de la guerre en 1992, Sarajevo était vraiment un centre
d'excellence en archéologie estime Harding. Après quatre années de
bombardements incessants, «
nous avons presque tout perdu »,
déplore Zilka Kujundzic-Vejzagic qui a fui en Croatie après une année
de conflit. Les sites archéologiques ont été utilisés comme
retranchements au cours des combats acharnés et les fenêtres brisées du
musée ont laissé celui-ci ouvert à l'hiver et aux animaux. «
Dix
ans après, la communauté scientifique ne s'en est toujours pas remise,
mais nous savons au moins ce que nous devons faire pour nous
rétablir », ajoute Kujundzic-Vejzagic en poste à Sarajevo
depuis 1998. La première priorité est d'évaluer et de protéger les
richesses archéologiques en danger dans le pays, maintenant appelé
Bosnie-Herzégovine.
Ce
territoire, de la taille de la Suisse, a toujours été occupé depuis la
dernière glaciation et même au-delà. On en sait peu sur les premières
tribus slaves qui sont arrivées là il y a 1 500 ans précise
Kujundzic-Vejzagic. On en sait encore moins sur le peuple qui les a
précédées, les Illyriens qui ont dominé la région entre 1 300
avant notre ère et l'arrivée des Romains. La connaissance de leurs
relations avec les cultures voisines, notamment celle des Grecs, nous
éclairerait sur les révolutions qui ont bouleversé les âges du bronze
et du fer en Europe. «
Tous ces sites et ces tombeaux attendent d'être étudiés, reprend l'archéologue,
bien
que nous ferions mieux de tout laisser en place jusqu'à ce que nous
ayons les moyens de les protéger des intempéries et des pillards ».
Lors
de l'ascension de la colline près de Visoko, on peut voir des rochers
mis à nu que les guides locaux désignent comme «
des parties de la pyramide du Soleil ». Les deux autres petits reliefs sont «
la pyramide du Dragon et celle de la Lune »,
noms trouvés par Osmanagic lui-même. Celui-ci est persuadé de
l'existence de pyramides enfouies, au vu de la forme et de la position
des collines. Il est épris des pyramides et dit qu'il en a étudié des
centaines de par le monde, notamment celles des Mayas, qui ont été
construites selon lui par une technique « vibratoire »
héritée des civilisations perdues de l'Atlantide et de la Lémurie...
Soutien des politiquesAmer
Smailbegovic, un géophysicien qui dirige une société d'observation de
la Terre et enseigne à l'université de Sarajevo dit qu'Osmanagic n'a
pas pris la peine de regarder leur rapport basé sur des images par
satellite. Celui-ci concluait à l'origine naturelle du relief et qu'un
travail archéologique méticuleux devait être effectué pour déterminer
une éventuelle intervention humaine. «
Après le passage d'Osmanagic, s'alarme un archéologue désireux de garder l'anonymat pour ne pas perdre la possibilité de travailler dans le pays,
nous
ne saurons peut-être jamais ce qu'il y avait vraiment ici. Le matériel
archéologique est entre la surface et la roche sous-jacente, mais pour
un chasseur de pyramides, ce ne sont que des gravats à déblayer ».
Osmanagic dit qu'il en est conscient et qu'il publiera ses résultats
dans une revue à comité de lecture en novembre. «
Mais l'approbation d'une élite scientifique ne m'intéresse pas, dit-il.
Ce projet est pour le peuple. »
Malgré
les protestations du milieu académique, Osmanagic semble être de plus
en plus soutenu par le public et les politiques. Le gouvernement lui a
donné toutes les autorisations nécessaires et l'a même aidé à financer
ses excavations. «
Il est choquant de voir que l'argent public va à Osmanagic au lieu d'aller aux archéologues »,
remarque Johannes Müller, un archéologue allemand qui a effectué des
fouilles dans la région. Osmanagic réplique que seulement 10 % du
budget actuel, qui s'élève dit-il à 300 000 dollars, vient du
gouvernement, le reste provenant de fonds privés. Un expert indique
qu'il est facile de comprendre pourquoi les gens à la recherche d'une
identité nationale suivent le phénomène Visoko. «
Les lubies de pyramides d'Osmanagic sont exactement ce que la majorité des Bosniaques veut entendre »,
explique un sociologue du pays qui désire garder l'anonymat. Il y a
aussi des motivations économiques. Osmanagic a annoncé en août qu'il
projetait de faire construire trois parcs archéologiques en
Bosnie-Herzégovine qui «
récriront l'histoire mondiale »
en dévoilant de nouveaux éléments de la « supercivilisation »
préhistorique en Bosnie. De nouvelles routes et des hôtels sont prévus.
Une chose paraît claire : certains vont profiter de la recherche
d'une civilisation préhistorique en Bosnie, mais ce ne seront
probablement pas les archéologues.
Cet
article est paru dans la revue internationale Science, éditée par
l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS).
Traduction et adaptation de Pierre Kaldy pour Le Figaro.
Un
amateur prétend avoir découvert au nord de Sarajevo un édifice
pyramidal haut de 360 mètres et vieux de 12 000 ans. Une
affirmation contestée qui soulève l'enthousiasme en Bosnie.
CELA aurait dû être un grand jour pour l'archéologie des Balkans. Pour
la première fois depuis la fin de la guerre en Bosnie des experts venus
de tout le pays avaient décidé de se rencontrer au Musée national à
Sarajevo. Des équipes de télévision patientaient à l'extérieur pour
faire des interviews. Des scientifiques étrangers étaient aussi
présents, dont Anthony Harding de l'université d'Exeter au Royaume-Uni,
président de l'Association européenne des archéologues. Mais ils furent
profondément frustrés. Les journalistes ne s'intéressèrent ni aux
projets de relance des collaborations internationales ou de
l'enseignement universitaire ni à la préservation des biens
archéologiques. «
Ils n'ont voulu entendre qu'une chose, dit Zilka Kujundzic-Vejzagic, la spécialiste en archéologie préhistorique du musée qui avait organisé la rencontre :
les pyramides, les pyramides, les pyramides ».
Les pyramides en question sont à 30 km au nord-ouest de Sarajevo,
près de la ville de Visoko. Un homme d'affaires bosniaque, Semir
Osmanagic, directeur d'une entreprise dans le bâtiment à Houston aux
États-Unis, a annoncé l'an passé qu'une colline haute de 360 mètres
dominant la localité était en fait une pyramide construite il y a
12 000 ans par une civilisation inconnue. Il l'a baptisée la
« pyramide du Soleil ». Avec l'aide de volontaires, Osmanagic
a mis au jour sur la colline des blocs de pierre et un système de
tunnels qui sont selon lui comme ceux des pyramides d'Égypte. Puis il a
déclaré que deux talus voisins faisaient aussi partie du même
« complexe pyramidal ».
Une
analyse que ne partage aucun archéologue ou géologue parmi la
demi-douzaine qui a visité le site. L'histoire est simple pour Stjepan
Coric, un géologue bosniaque de l'université de Vienne en Autriche
initialement invité par Osmanagic à examiner la colline. Les blocs de
rocher ne sont que les fragments d'un type de sédiments appelé brèche
qui formait le fond d'un lac il y a 7 millions d'années et a été
ensuite soulevé par des forces naturelles pour lui donner sa forme
angulaire. Pour les tunnels, «
s'ils ont été faits par l'homme, dit-il,
sans connaître leur âge, on peut supposer qu'ils faisaient partie d'une ancienne mine ». Pour Anthony Harding, «
c'est juste une colline ».
Les dégâts de la guerreAvant
le début de la guerre en 1992, Sarajevo était vraiment un centre
d'excellence en archéologie estime Harding. Après quatre années de
bombardements incessants, «
nous avons presque tout perdu »,
déplore Zilka Kujundzic-Vejzagic qui a fui en Croatie après une année
de conflit. Les sites archéologiques ont été utilisés comme
retranchements au cours des combats acharnés et les fenêtres brisées du
musée ont laissé celui-ci ouvert à l'hiver et aux animaux. «
Dix
ans après, la communauté scientifique ne s'en est toujours pas remise,
mais nous savons au moins ce que nous devons faire pour nous
rétablir », ajoute Kujundzic-Vejzagic en poste à Sarajevo
depuis 1998. La première priorité est d'évaluer et de protéger les
richesses archéologiques en danger dans le pays, maintenant appelé
Bosnie-Herzégovine.
Ce
territoire, de la taille de la Suisse, a toujours été occupé depuis la
dernière glaciation et même au-delà. On en sait peu sur les premières
tribus slaves qui sont arrivées là il y a 1 500 ans précise
Kujundzic-Vejzagic. On en sait encore moins sur le peuple qui les a
précédées, les Illyriens qui ont dominé la région entre 1 300
avant notre ère et l'arrivée des Romains. La connaissance de leurs
relations avec les cultures voisines, notamment celle des Grecs, nous
éclairerait sur les révolutions qui ont bouleversé les âges du bronze
et du fer en Europe. «
Tous ces sites et ces tombeaux attendent d'être étudiés, reprend l'archéologue,
bien
que nous ferions mieux de tout laisser en place jusqu'à ce que nous
ayons les moyens de les protéger des intempéries et des pillards ».
Lors
de l'ascension de la colline près de Visoko, on peut voir des rochers
mis à nu que les guides locaux désignent comme «
des parties de la pyramide du Soleil ». Les deux autres petits reliefs sont «
la pyramide du Dragon et celle de la Lune »,
noms trouvés par Osmanagic lui-même. Celui-ci est persuadé de
l'existence de pyramides enfouies, au vu de la forme et de la position
des collines. Il est épris des pyramides et dit qu'il en a étudié des
centaines de par le monde, notamment celles des Mayas, qui ont été
construites selon lui par une technique « vibratoire »
héritée des civilisations perdues de l'Atlantide et de la Lémurie...
Soutien des politiquesAmer
Smailbegovic, un géophysicien qui dirige une société d'observation de
la Terre et enseigne à l'université de Sarajevo dit qu'Osmanagic n'a
pas pris la peine de regarder leur rapport basé sur des images par
satellite. Celui-ci concluait à l'origine naturelle du relief et qu'un
travail archéologique méticuleux devait être effectué pour déterminer
une éventuelle intervention humaine. «
Après le passage d'Osmanagic, s'alarme un archéologue désireux de garder l'anonymat pour ne pas perdre la possibilité de travailler dans le pays,
nous
ne saurons peut-être jamais ce qu'il y avait vraiment ici. Le matériel
archéologique est entre la surface et la roche sous-jacente, mais pour
un chasseur de pyramides, ce ne sont que des gravats à déblayer ».
Osmanagic dit qu'il en est conscient et qu'il publiera ses résultats
dans une revue à comité de lecture en novembre. «
Mais l'approbation d'une élite scientifique ne m'intéresse pas, dit-il.
Ce projet est pour le peuple. »
Malgré
les protestations du milieu académique, Osmanagic semble être de plus
en plus soutenu par le public et les politiques. Le gouvernement lui a
donné toutes les autorisations nécessaires et l'a même aidé à financer
ses excavations. «
Il est choquant de voir que l'argent public va à Osmanagic au lieu d'aller aux archéologues »,
remarque Johannes Müller, un archéologue allemand qui a effectué des
fouilles dans la région. Osmanagic réplique que seulement 10 % du
budget actuel, qui s'élève dit-il à 300 000 dollars, vient du
gouvernement, le reste provenant de fonds privés. Un expert indique
qu'il est facile de comprendre pourquoi les gens à la recherche d'une
identité nationale suivent le phénomène Visoko. «
Les lubies de pyramides d'Osmanagic sont exactement ce que la majorité des Bosniaques veut entendre »,
explique un sociologue du pays qui désire garder l'anonymat. Il y a
aussi des motivations économiques. Osmanagic a annoncé en août qu'il
projetait de faire construire trois parcs archéologiques en
Bosnie-Herzégovine qui «
récriront l'histoire mondiale »
en dévoilant de nouveaux éléments de la « supercivilisation »
préhistorique en Bosnie. De nouvelles routes et des hôtels sont prévus.
Une chose paraît claire : certains vont profiter de la recherche
d'une civilisation préhistorique en Bosnie, mais ce ne seront
probablement pas les archéologues.
Cet
article est paru dans la revue internationale Science, éditée par
l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS).
Traduction et adaptation de Pierre Kaldy pour Le Figaro.
Un
amateur prétend avoir découvert au nord de Sarajevo un édifice
pyramidal haut de 360 mètres et vieux de 12 000 ans. Une
affirmation contestée qui soulève l'enthousiasme en Bosnie.
CELA aurait dû être un grand jour pour l'archéologie des Balkans. Pour
la première fois depuis la fin de la guerre en Bosnie des experts venus
de tout le pays avaient décidé de se rencontrer au Musée national à
Sarajevo. Des équipes de télévision patientaient à l'extérieur pour
faire des interviews. Des scientifiques étrangers étaient aussi
présents, dont Anthony Harding de l'université d'Exeter au Royaume-Uni,
président de l'Association européenne des archéologues. Mais ils furent
profondément frustrés. Les journalistes ne s'intéressèrent ni aux
projets de relance des collaborations internationales ou de
l'enseignement universitaire ni à la préservation des biens
archéologiques. «
Ils n'ont voulu entendre qu'une chose, dit Zilka Kujundzic-Vejzagic, la spécialiste en archéologie préhistorique du musée qui avait organisé la rencontre :
les pyramides, les pyramides, les pyramides ».
Les pyramides en question sont à 30 km au nord-ouest de Sarajevo,
près de la ville de Visoko. Un homme d'affaires bosniaque, Semir
Osmanagic, directeur d'une entreprise dans le bâtiment à Houston aux
États-Unis, a annoncé l'an passé qu'une colline haute de 360 mètres
dominant la localité était en fait une pyramide construite il y a
12 000 ans par une civilisation inconnue. Il l'a baptisée la
« pyramide du Soleil ». Avec l'aide de volontaires, Osmanagic
a mis au jour sur la colline des blocs de pierre et un système de
tunnels qui sont selon lui comme ceux des pyramides d'Égypte. Puis il a
déclaré que deux talus voisins faisaient aussi partie du même
« complexe pyramidal ».
Une
analyse que ne partage aucun archéologue ou géologue parmi la
demi-douzaine qui a visité le site. L'histoire est simple pour Stjepan
Coric, un géologue bosniaque de l'université de Vienne en Autriche
initialement invité par Osmanagic à examiner la colline. Les blocs de
rocher ne sont que les fragments d'un type de sédiments appelé brèche
qui formait le fond d'un lac il y a 7 millions d'années et a été
ensuite soulevé par des forces naturelles pour lui donner sa forme
angulaire. Pour les tunnels, «
s'ils ont été faits par l'homme, dit-il,
sans connaître leur âge, on peut supposer qu'ils faisaient partie d'une ancienne mine ». Pour Anthony Harding, «
c'est juste une colline ».
Les dégâts de la guerreAvant
le début de la guerre en 1992, Sarajevo était vraiment un centre
d'excellence en archéologie estime Harding. Après quatre années de
bombardements incessants, «
nous avons presque tout perdu »,
déplore Zilka Kujundzic-Vejzagic qui a fui en Croatie après une année
de conflit. Les sites archéologiques ont été utilisés comme
retranchements au cours des combats acharnés et les fenêtres brisées du
musée ont laissé celui-ci ouvert à l'hiver et aux animaux. «
Dix
ans après, la communauté scientifique ne s'en est toujours pas remise,
mais nous savons au moins ce que nous devons faire pour nous
rétablir », ajoute Kujundzic-Vejzagic en poste à Sarajevo
depuis 1998. La première priorité est d'évaluer et de protéger les
richesses archéologiques en danger dans le pays, maintenant appelé
Bosnie-Herzégovine.
Ce
territoire, de la taille de la Suisse, a toujours été occupé depuis la
dernière glaciation et même au-delà. On en sait peu sur les premières
tribus slaves qui sont arrivées là il y a 1 500 ans précise
Kujundzic-Vejzagic. On en sait encore moins sur le peuple qui les a
précédées, les Illyriens qui ont dominé la région entre 1 300
avant notre ère et l'arrivée des Romains. La connaissance de leurs
relations avec les cultures voisines, notamment celle des Grecs, nous
éclairerait sur les révolutions qui ont bouleversé les âges du bronze
et du fer en Europe. «
Tous ces sites et ces tombeaux attendent d'être étudiés, reprend l'archéologue,
bien
que nous ferions mieux de tout laisser en place jusqu'à ce que nous
ayons les moyens de les protéger des intempéries et des pillards ».
Lors
de l'ascension de la colline près de Visoko, on peut voir des rochers
mis à nu que les guides locaux désignent comme «
des parties de la pyramide du Soleil ». Les deux autres petits reliefs sont «
la pyramide du Dragon et celle de la Lune »,
noms trouvés par Osmanagic lui-même. Celui-ci est persuadé de
l'existence de pyramides enfouies, au vu de la forme et de la position
des collines. Il est épris des pyramides et dit qu'il en a étudié des
centaines de par le monde, notamment celles des Mayas, qui ont été
construites selon lui par une technique « vibratoire »
héritée des civilisations perdues de l'Atlantide et de la Lémurie...
Soutien des politiquesAmer
Smailbegovic, un géophysicien qui dirige une société d'observation de
la Terre et enseigne à l'université de Sarajevo dit qu'Osmanagic n'a
pas pris la peine de regarder leur rapport basé sur des images par
satellite. Celui-ci concluait à l'origine naturelle du relief et qu'un
travail archéologique méticuleux devait être effectué pour déterminer
une éventuelle intervention humaine. «
Après le passage d'Osmanagic, s'alarme un archéologue désireux de garder l'anonymat pour ne pas perdre la possibilité de travailler dans le pays,
nous
ne saurons peut-être jamais ce qu'il y avait vraiment ici. Le matériel
archéologique est entre la surface et la roche sous-jacente, mais pour
un chasseur de pyramides, ce ne sont que des gravats à déblayer ».
Osmanagic dit qu'il en est conscient et qu'il publiera ses résultats
dans une revue à comité de lecture en novembre. «
Mais l'approbation d'une élite scientifique ne m'intéresse pas, dit-il.
Ce projet est pour le peuple. »
Malgré
les protestations du milieu académique, Osmanagic semble être de plus
en plus soutenu par le public et les politiques. Le gouvernement lui a
donné toutes les autorisations nécessaires et l'a même aidé à financer
ses excavations. «
Il est choquant de voir que l'argent public va à Osmanagic au lieu d'aller aux archéologues »,
remarque Johannes Müller, un archéologue allemand qui a effectué des
fouilles dans la région. Osmanagic réplique que seulement 10 % du
budget actuel, qui s'élève dit-il à 300 000 dollars, vient du
gouvernement, le reste provenant de fonds privés. Un expert indique
qu'il est facile de comprendre pourquoi les gens à la recherche d'une
identité nationale suivent le phénomène Visoko. «
Les lubies de pyramides d'Osmanagic sont exactement ce que la majorité des Bosniaques veut entendre »,
explique un sociologue du pays qui désire garder l'anonymat. Il y a
aussi des motivations économiques. Osmanagic a annoncé en août qu'il
projetait de faire construire trois parcs archéologiques en
Bosnie-Herzégovine qui «
récriront l'histoire mondiale »
en dévoilant de nouveaux éléments de la « supercivilisation »
préhistorique en Bosnie. De nouvelles routes et des hôtels sont prévus.
Une chose paraît claire : certains vont profiter de la recherche
d'une civilisation préhistorique en Bosnie, mais ce ne seront
probablement pas les archéologues.
Cet
article est paru dans la revue internationale Science, éditée par
l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS).
Traduction et adaptation de Pierre Kaldy pour Le Figaro.
Un
amateur prétend avoir découvert au nord de Sarajevo un édifice
pyramidal haut de 360 mètres et vieux de 12 000 ans. Une
affirmation contestée qui soulève l'enthousiasme en Bosnie.
CELA aurait dû être un grand jour pour l'archéologie des Balkans. Pour
la première fois depuis la fin de la guerre en Bosnie des experts venus
de tout le pays avaient décidé de se rencontrer au Musée national à
Sarajevo. Des équipes de télévision patientaient à l'extérieur pour
faire des interviews. Des scientifiques étrangers étaient aussi
présents, dont Anthony Harding de l'université d'Exeter au Royaume-Uni,
président de l'Association européenne des archéologues. Mais ils furent
profondément frustrés. Les journalistes ne s'intéressèrent ni aux
projets de relance des collaborations internationales ou de
l'enseignement universitaire ni à la préservation des biens
archéologiques. «
Ils n'ont voulu entendre qu'une chose, dit Zilka Kujundzic-Vejzagic, la spécialiste en archéologie préhistorique du musée qui avait organisé la rencontre :
les pyramides, les pyramides, les pyramides ».
Les pyramides en question sont à 30 km au nord-ouest de Sarajevo,
près de la ville de Visoko. Un homme d'affaires bosniaque, Semir
Osmanagic, directeur d'une entreprise dans le bâtiment à Houston aux
États-Unis, a annoncé l'an passé qu'une colline haute de 360 mètres
dominant la localité était en fait une pyramide construite il y a
12 000 ans par une civilisation inconnue. Il l'a baptisée la
« pyramide du Soleil ». Avec l'aide de volontaires, Osmanagic
a mis au jour sur la colline des blocs de pierre et un système de
tunnels qui sont selon lui comme ceux des pyramides d'Égypte. Puis il a
déclaré que deux talus voisins faisaient aussi partie du même
« complexe pyramidal ».
Une
analyse que ne partage aucun archéologue ou géologue parmi la
demi-douzaine qui a visité le site. L'histoire est simple pour Stjepan
Coric, un géologue bosniaque de l'université de Vienne en Autriche
initialement invité par Osmanagic à examiner la colline. Les blocs de
rocher ne sont que les fragments d'un type de sédiments appelé brèche
qui formait le fond d'un lac il y a 7 millions d'années et a été
ensuite soulevé par des forces naturelles pour lui donner sa forme
angulaire. Pour les tunnels, «
s'ils ont été faits par l'homme, dit-il,
sans connaître leur âge, on peut supposer qu'ils faisaient partie d'une ancienne mine ». Pour Anthony Harding, «
c'est juste une colline ».
Les dégâts de la guerreAvant
le début de la guerre en 1992, Sarajevo était vraiment un centre
d'excellence en archéologie estime Harding. Après quatre années de
bombardements incessants, «
nous avons presque tout perdu »,
déplore Zilka Kujundzic-Vejzagic qui a fui en Croatie après une année
de conflit. Les sites archéologiques ont été utilisés comme
retranchements au cours des combats acharnés et les fenêtres brisées du
musée ont laissé celui-ci ouvert à l'hiver et aux animaux. «
Dix
ans après, la communauté scientifique ne s'en est toujours pas remise,
mais nous savons au moins ce que nous devons faire pour nous
rétablir », ajoute Kujundzic-Vejzagic en poste à Sarajevo
depuis 1998. La première priorité est d'évaluer et de protéger les
richesses archéologiques en danger dans le pays, maintenant appelé
Bosnie-Herzégovine.
Ce
territoire, de la taille de la Suisse, a toujours été occupé depuis la
dernière glaciation et même au-delà. On en sait peu sur les premières
tribus slaves qui sont arrivées là il y a 1 500 ans précise
Kujundzic-Vejzagic. On en sait encore moins sur le peuple qui les a
précédées, les Illyriens qui ont dominé la région entre 1 300
avant notre ère et l'arrivée des Romains. La connaissance de leurs
relations avec les cultures voisines, notamment celle des Grecs, nous
éclairerait sur les révolutions qui ont bouleversé les âges du bronze
et du fer en Europe. «
Tous ces sites et ces tombeaux attendent d'être étudiés, reprend l'archéologue,
bien
que nous ferions mieux de tout laisser en place jusqu'à ce que nous
ayons les moyens de les protéger des intempéries et des pillards ».
Lors
de l'ascension de la colline près de Visoko, on peut voir des rochers
mis à nu que les guides locaux désignent comme «
des parties de la pyramide du Soleil ». Les deux autres petits reliefs sont «
la pyramide du Dragon et celle de la Lune »,
noms trouvés par Osmanagic lui-même. Celui-ci est persuadé de
l'existence de pyramides enfouies, au vu de la forme et de la position
des collines. Il est épris des pyramides et dit qu'il en a étudié des
centaines de par le monde, notamment celles des Mayas, qui ont été
construites selon lui par une technique « vibratoire »
héritée des civilisations perdues de l'Atlantide et de la Lémurie...
Soutien des politiquesAmer
Smailbegovic, un géophysicien qui dirige une société d'observation de
la Terre et enseigne à l'université de Sarajevo dit qu'Osmanagic n'a
pas pris la peine de regarder leur rapport basé sur des images par
satellite. Celui-ci concluait à l'origine naturelle du relief et qu'un
travail archéologique méticuleux devait être effectué pour déterminer
une éventuelle intervention humaine. «
Après le passage d'Osmanagic, s'alarme un archéologue désireux de garder l'anonymat pour ne pas perdre la possibilité de travailler dans le pays,
nous
ne saurons peut-être jamais ce qu'il y avait vraiment ici. Le matériel
archéologique est entre la surface et la roche sous-jacente, mais pour
un chasseur de pyramides, ce ne sont que des gravats à déblayer ».
Osmanagic dit qu'il en est conscient et qu'il publiera ses résultats
dans une revue à comité de lecture en novembre. «
Mais l'approbation d'une élite scientifique ne m'intéresse pas, dit-il.
Ce projet est pour le peuple. »
Malgré
les protestations du milieu académique, Osmanagic semble être de plus
en plus soutenu par le public et les politiques. Le gouvernement lui a
donné toutes les autorisations nécessaires et l'a même aidé à financer
ses excavations. «
Il est choquant de voir que l'argent public va à Osmanagic au lieu d'aller aux archéologues »,
remarque Johannes Müller, un archéologue allemand qui a effectué des
fouilles dans la région. Osmanagic réplique que seulement 10 % du
budget actuel, qui s'élève dit-il à 300 000 dollars, vient du
gouvernement, le reste provenant de fonds privés. Un expert indique
qu'il est facile de comprendre pourquoi les gens à la recherche d'une
identité nationale suivent le phénomène Visoko. «
Les lubies de pyramides d'Osmanagic sont exactement ce que la majorité des Bosniaques veut entendre »,
explique un sociologue du pays qui désire garder l'anonymat. Il y a
aussi des motivations économiques. Osmanagic a annoncé en août qu'il
projetait de faire construire trois parcs archéologiques en
Bosnie-Herzégovine qui «
récriront l'histoire mondiale »
en dévoilant de nouveaux éléments de la « supercivilisation »
préhistorique en Bosnie. De nouvelles routes et des hôtels sont prévus.
Une chose paraît claire : certains vont profiter de la recherche
d'une civilisation préhistorique en Bosnie, mais ce ne seront
probablement pas les archéologues.
Cet
article est paru dans la revue internationale Science, éditée par
l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS).
Traduction et adaptation de Pierre Kaldy pour Le Figaro.
Un
amateur prétend avoir découvert au nord de Sarajevo un édifice
pyramidal haut de 360 mètres et vieux de 12 000 ans. Une
affirmation contestée qui soulève l'enthousiasme en Bosnie.
CELA aurait dû être un grand jour pour l'archéologie des Balkans. Pour
la première fois depuis la fin de la guerre en Bosnie des experts venus
de tout le pays avaient décidé de se rencontrer au Musée national à
Sarajevo. Des équipes de télévision patientaient à l'extérieur pour
faire des interviews. Des scientifiques étrangers étaient aussi
présents, dont Anthony Harding de l'université d'Exeter au Royaume-Uni,
président de l'Association européenne des archéologues. Mais ils furent
profondément frustrés. Les journalistes ne s'intéressèrent ni aux
projets de relance des collaborations internationales ou de
l'enseignement universitaire ni à la préservation des biens
archéologiques. «
Ils n'ont voulu entendre qu'une chose, dit Zilka Kujundzic-Vejzagic, la spécialiste en archéologie préhistorique du musée qui avait organisé la rencontre :
les pyramides, les pyramides, les pyramides ».
Les pyramides en question sont à 30 km au nord-ouest de Sarajevo,
près de la ville de Visoko. Un homme d'affaires bosniaque, Semir
Osmanagic, directeur d'une entreprise dans le bâtiment à Houston aux
États-Unis, a annoncé l'an passé qu'une colline haute de 360 mètres
dominant la localité était en fait une pyramide construite il y a
12 000 ans par une civilisation inconnue. Il l'a baptisée la
« pyramide du Soleil ». Avec l'aide de volontaires, Osmanagic
a mis au jour sur la colline des blocs de pierre et un système de
tunnels qui sont selon lui comme ceux des pyramides d'Égypte. Puis il a
déclaré que deux talus voisins faisaient aussi partie du même
« complexe pyramidal ».
Une
analyse que ne partage aucun archéologue ou géologue parmi la
demi-douzaine qui a visité le site. L'histoire est simple pour Stjepan
Coric, un géologue bosniaque de l'université de Vienne en Autriche
initialement invité par Osmanagic à examiner la colline. Les blocs de
rocher ne sont que les fragments d'un type de sédiments appelé brèche
qui formait le fond d'un lac il y a 7 millions d'années et a été
ensuite soulevé par des forces naturelles pour lui donner sa forme
angulaire. Pour les tunnels, «
s'ils ont été faits par l'homme, dit-il,
sans connaître leur âge, on peut supposer qu'ils faisaient partie d'une ancienne mine ». Pour Anthony Harding, «
c'est juste une colline ».
Les dégâts de la guerreAvant
le début de la guerre en 1992, Sarajevo était vraiment un centre
d'excellence en archéologie estime Harding. Après quatre années de
bombardements incessants, «
nous avons presque tout perdu »,
déplore Zilka Kujundzic-Vejzagic qui a fui en Croatie après une année
de conflit. Les sites archéologiques ont été utilisés comme
retranchements au cours des combats acharnés et les fenêtres brisées du
musée ont laissé celui-ci ouvert à l'hiver et aux animaux. «
Dix
ans après, la communauté scientifique ne s'en est toujours pas remise,
mais nous savons au moins ce que nous devons faire pour nous
rétablir », ajoute Kujundzic-Vejzagic en poste à Sarajevo
depuis 1998. La première priorité est d'évaluer et de protéger les
richesses archéologiques en danger dans le pays, maintenant appelé
Bosnie-Herzégovine.
Ce
territoire, de la taille de la Suisse, a toujours été occupé depuis la
dernière glaciation et même au-delà. On en sait peu sur les premières
tribus slaves qui sont arrivées là il y a 1 500 ans précise
Kujundzic-Vejzagic. On en sait encore moins sur le peuple qui les a
précédées, les Illyriens qui ont dominé la région entre 1 300
avant notre ère et l'arrivée des Romains. La connaissance de leurs
relations avec les cultures voisines, notamment celle des Grecs, nous
éclairerait sur les révolutions qui ont bouleversé les âges du bronze
et du fer en Europe. «
Tous ces sites et ces tombeaux attendent d'être étudiés, reprend l'archéologue,
bien
que nous ferions mieux de tout laisser en place jusqu'à ce que nous
ayons les moyens de les protéger des intempéries et des pillards ».
Lors
de l'ascension de la colline près de Visoko, on peut voir des rochers
mis à nu que les guides locaux désignent comme «
des parties de la pyramide du Soleil ». Les deux autres petits reliefs sont «
la pyramide du Dragon et celle de la Lune »,
noms trouvés par Osmanagic lui-même. Celui-ci est persuadé de
l'existence de pyramides enfouies, au vu de la forme et de la position
des collines. Il est épris des pyramides et dit qu'il en a étudié des
centaines de par le monde, notamment celles des Mayas, qui ont été
construites selon lui par une technique « vibratoire »
héritée des civilisations perdues de l'Atlantide et de la Lémurie...
Soutien des politiquesAmer
Smailbegovic, un géophysicien qui dirige une société d'observation de
la Terre et enseigne à l'université de Sarajevo dit qu'Osmanagic n'a
pas pris la peine de regarder leur rapport basé sur des images par
satellite. Celui-ci concluait à l'origine naturelle du relief et qu'un
travail archéologique méticuleux devait être effectué pour déterminer
une éventuelle intervention humaine. «
Après le passage d'Osmanagic, s'alarme un archéologue désireux de garder l'anonymat pour ne pas perdre la possibilité de travailler dans le pays,
nous
ne saurons peut-être jamais ce qu'il y avait vraiment ici. Le matériel
archéologique est entre la surface et la roche sous-jacente, mais pour
un chasseur de pyramides, ce ne sont que des gravats à déblayer ».
Osmanagic dit qu'il en est conscient et qu'il publiera ses résultats
dans une revue à comité de lecture en novembre. «
Mais l'approbation d'une élite scientifique ne m'intéresse pas, dit-il.
Ce projet est pour le peuple. »
Malgré
les protestations du milieu académique, Osmanagic semble être de plus
en plus soutenu par le public et les politiques. Le gouvernement lui a
donné toutes les autorisations nécessaires et l'a même aidé à financer
ses excavations. «
Il est choquant de voir que l'argent public va à Osmanagic au lieu d'aller aux archéologues »,
remarque Johannes Müller, un archéologue allemand qui a effectué des
fouilles dans la région. Osmanagic réplique que seulement 10 % du
budget actuel, qui s'élève dit-il à 300 000 dollars, vient du
gouvernement, le reste provenant de fonds privés. Un expert indique
qu'il est facile de comprendre pourquoi les gens à la recherche d'une
identité nationale suivent le phénomène Visoko. «
Les lubies de pyramides d'Osmanagic sont exactement ce que la majorité des Bosniaques veut entendre »,
explique un sociologue du pays qui désire garder l'anonymat. Il y a
aussi des motivations économiques. Osmanagic a annoncé en août qu'il
projetait de faire construire trois parcs archéologiques en
Bosnie-Herzégovine qui «
récriront l'histoire mondiale »
en dévoilant de nouveaux éléments de la « supercivilisation »
préhistorique en Bosnie. De nouvelles routes et des hôtels sont prévus.
Une chose paraît claire : certains vont profiter de la recherche
d'une civilisation préhistorique en Bosnie, mais ce ne seront
probablement pas les archéologues.
Cet
article est paru dans la revue internationale Science, éditée par
l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS).
Traduction et adaptation de Pierre Kaldy pour Le Figaro.