L’Académicien, les pyramides et la Lune
Article mis en ligne le 19 novembre 2007

par Irna

La Fondation de M. Osmanagic avait annoncé, à la fin du mois de juillet 2007, la visite à Visoko de géophysiciens russes, les professeurs Khavroshkin et Tsyplakov (nouvelle en anglais (en) et en bosnien (bs)). Trois mois plus tard, le site de la Fondation proclame (bs), le 16 novembre, que "les académiciens russes confirment l’existence des pyramides", et que leurs travaux feront l’objet d’une présentation, en compagnie de Semir Osmanagic lui-même, au cours du 33ème congrès géologique international (en) d’Oslo en aout 2008. L’article de la Fondation offre un court texte en russe, qui semble être un résumé de l’intervention des géophysiciens russes lors de ce congrès. S’agit-il enfin de la "validation scientifique", souvent annoncée mais jamais réalisée, des hypothèses de M. Osmanagic ? Sans préjuger de ce que le professeur Khavroshkin dira lors de ce congrès, il est permis d’en douter encore un peu...

Commençons par rectifier les approximations et exagérations usuelles de la Fondation :

 Si les professeurs Khavroshkin et Tsyplakov existent bien et travaillent (ru) dans le cadre de l’Institut Schmidt de Géophysique de Moscou (ru), dépendant lui-même de l’Académie Russe des Sciences (ru), il est fort peu probable que ces deux scientifiques, contrairement à ce qu’affirme régulièrement le site de la Fondation, soient "académiciens" et donc membres de cette prestigieuse Académie. En tout cas leur nom n’apparaît pas sur la liste des membres (ru), actuels et passés, à part entière, pas plus que sur celle des membres correspondant ; ce qui n’a rien de bien étonnant quand on sait que l’Académie russe compte moins de 500 membres, élus par leurs pairs sur la base de l’importance de leurs contributions scientifiques.

 La présence du professeur Khavroshkin est effectivement annoncée sur le programme du congrès d’Oslo (version du 30 octobre 2007 téléchargeable ici (en) [1]), mais pas celle du professeur Tsyplakov, et encore moins celle de M. Osmanagic. Le programme annonce une contribution sur "Geophysical and geochemical archaeology" par le professeur Khavroshkin, sans mention des "pyramides" de Bosnie, et le résumé de l’intervention n’est pas encore disponible à ce jour sur le site du Congrès (en) (voir le post scriptum pour les dernières informations sur le sujet).

 Le texte en russe (bs) publié par la Fondation a été traduit de façon pour le moins curieuse. Stultitia (bs) s’est amusée à relever toutes les modifications introduites au texte original par le traducteur (en jaune les parties "oubliées" du texte original, en rouge les ajouts du traducteur) ; par exemple, l’expression "la sismique de toutes les formations pyramidales montre quelques particularités qui correspondent partiellement à celles des pyramides égyptiennes..." est traduite par "la sismique des constructions pyramidales bosniennes confirme l’existence des mêmes caractéristiques que pour les pyramides égyptiennes" ; "l’article de S. Osmanagic" est devenu "le rapport scientifique de Semir Osmanagic" ; si, pour le professeur Khavroshkin, certains traits de l’analyse sismique "montrent la possibilité de l’existence de cavités souterraines", pour le traducteur de la Fondation les mêmes traits montrent la possibilité "de l’existence de cavités continues/tunnels dans les pyramides"... Le plus spectaculaire est l’ajout d’une "conclusion" qui n’existe pas dans le texte original : "Les collines naturelles n’ont pas de telles caractéristiques de fréquence de bruit sismique. Les vibrations énergétiques à 13 Hz mesurées sur la pyramide du Dragon ont une origine inconnue" (Prirodna brda nemaju ovakve frekvencijske karakteristike seizmičkog šuma. Energetske vibracije od 13 Hz izmjerene na piramidi Zmaja imaju nepoznato porijeklo)...

Bref, dans ce texte de quelques lignes, les géophysiciens russes ne "confirment" absolument pas les hypothèses de M. Osmanagic, ils se contentent de noter quelques caractéristiques de la sismique de formations pyramidales, même si leur visite a déchaîné l’imagination de certains amis de M. Osmanagic ; ainsi, une nommée Jadranka Bencic (bs) s’enthousiasme pour "la fréquence de la pyramide de l’Amour", comparée à un gigantesque "tambour" émettant des "ondes alpha" qui nous remplissent d’optimisme et "d’énergie positive" ; de même, le dénommé Hrvoje Zujic, qui voyait jusque là dans les pyramides des "radiateurs", les imagine maintenant (bs) comme de "gigantesques oscillateurs" ayant pour fonction de "stimuler l’hémisphère droit" du cerveau pour "favoriser la méditation"...

Reste qu’on peut se demander ce qui a amené le professeur Khavroshkin et son collègue à s’intéresser aux "pyramides" de Bosnie, et avant elles aux pyramides d’Egypte (voir ici (en) une série de communications qu’il a faites lors d’une conférence de géophysique appliquée en 2004 en Italie). Le professeur Khavroshkin est un spécialiste de sismique (fr) (terrestre et semble-t-il lunaire), une branche de la sismologie (fr) ; il s’intéresse particulièrement au bruit sismique (les perturbations d’un signal sismique) et, d’après quelques uns des articles qu’il a publiés, à la part, très difficile à déceler, de ce bruit qui pourrait être d’origine extra-terrestre voire extra-solaire, par exemple l’influence de lointains pulsars (fr) (voir par exemple ici (en)). S’il s’intéresse aux formes pyramidales, c’est, d’après ce que je crois comprendre, pour leur effet "d’amplicateur" du bruit (voir ici (en)), qui semble indépendant de la nature de la pyramide : "geophysical, natural and artificial concentrators of vibrations in form of pyramid" ("des concentrateurs géophysiques, naturels ou artificiels, de vibrations en forme de pyramide"). Je retire de la lecture de ces textes que le professeur Khavroshkin a pu venir en Bosnie à la recherche d’un de ces "concentrateurs de vibrations", et qu’il a donc pu constater que les collines pyramidales de Visoko avaient bien, au moins en partie, les caractéristiques recherchées.

Il semble donc, à première vue, qu’on ait affaire, avec le professeur Khavroshkin et son collègue, à des scientifiques dont le domaine de recherche n’a pas grand chose à voir avec la pseudo-archéologie de M. Osmanagic. J’ai pu faire cependant quelques observations curieuses, qui pourraient laisser penser que ce n’est pas totalement par hasard que ce scientifique russe s’est retrouvé en Bosnie, et qu’il a peut-être plus de points communs avec M. Osmanagic qu’on ne l’imaginerait. Je note tout d’abord qu’il est impossible de trouver trace d’une publication dans un journal scientifique des articles de M. Khavroshkin sur les pyramides d’Egypte, même s’ils ont bien donné lieu à communication lors de la conférence internationale évoquée plus haut. Nulle part, dans aucune bibliographie, on ne trouve la moindre référence à une publication de ces textes, et le seul site web qui en donne à lire l’intégralité (et non le seul résumé publié sur le site de la conférence italienne) est un site russe intitulé "Laboratoire d’Histoire alternative" (voir ici (ru) "champs géophysiques et signaux de quelques pyramides égyptiennes" et là (ru) "modèle physico-sismique de quelques pyramides égyptiennes"). Voilà qui ne doit pas trop dépayser M. Osmanagic, auteur d’un "cycle ambitieux" intitulé "Histoire alternative" (bs)...

Par ailleurs, le professeur Khavroshkin s’intéresse depuis longtemps à la sismicité lunaire, toujours avec le même objectif qui est d’essayer de détecter des influences spatiales, voir cette liste d’articles (en). Il relève par exemple ici (en) la possibilité que cette sismicité lunaire soit influencée par des courants de gaz et poussières émanant d’étoiles doubles proches du système solaire. Il en déduit, si son hypothèse était confirmée, que tous les objets de notre système solaire ont pu être atteints, au cours des longues révolutions de ce système autour de la galaxie, par des particules provenant de tous les secteurs de la galaxie et donc que la vie sur Terre serait d’origine galactique (c’est d’ailleurs le titre de son article "Genesis of Life"). Si l’hypothèse d’une origine extra-terrestre de la vie, sous forme d’une "contamination" par des molécules organiques complexes, envisagée par de nombreux scientifiques, n’a rien pour surprendre, la dernière phrase du professeur peut faire douter de ce qu’il entend réellement par "genèse de la vie" : "We must attach modern data of archaeology to confirm these results" ("Nous devons nous attacher aux résultats de l’archéologie moderne pour confirmer ces résultats"). A moins qu’il y ait ici un problème de langue, et qu’il ait voulu signifier "paléontologie", j’ai un peu de mal à voir comment l’archéologie pourrait donner une réponse à la question de l’origine de la vie ; et pourtant, le lien entre les idées du professeur Khavroshkin sur l’origine de la vie et l’archéologie - et les pyramides de Bosnie - existe, puisqu’il avait lui-même évoqué, dans une correspondance avec un géodésiste bosnien (voir ici) malheureusement supprimée depuis du blog de ce dernier, le fait qu’il cherchait à Visoko à confirmer l’hypothèse d’Arrhénius (fr) (un des premiers à poser l’hypothèse plus connue aujourd’hui sous le nom de panspermie). On trouvait en particulier dans cette correspondance ces phrases : ""All the more that the Arrhenius’s hypothesis about life genesis probably right so the life appeared on the Earth few times possibly so the general tasks for archeology must change" ("De plus l’hypothèse d’Arrhenius sur l’origine de la vie est probablement juste, de sorte que la vie est apparue sur terre peut-être plusieurs fois, donc le but général de l’archéologie doit changer") ; et "Sorry you have not understanding about modern development of the Arrhenius’s hypothesis so we can not discus it in future. This hypothesis as a clue develops in few country and I do`t understand why we must discriminate Bosnia." ("Désolé que vous ne compreniez pas les développements modernes de l’hypothèse d’Arrhenius, de sorte que nous ne pouvons poursuivre cette discussion. Cette hypothèse se développe dans plusieurs pays, et je ne comprends pas pourquoi la Bosnie devrait être tenue à part."). Quel rapport entre des supposées pyramides, même agées de 12 000 ans, et l’origine de la vie sur terre ? J’ose espérer que le professeur Khavroshkin ne partage pas les idées de M. Osmanagic sur les ancêtres des Atlantes venus des Pléiades...

En tout cas, un des plus récents articles du professeur Khavroshkin, publié en 2006 et intitulé "Les courants interstellaires de gaz et poussières comme instruments de l’exobiologie" (en), laisse entrevoir une évolution du géophysicien russe vers un mélange des genres souvent explosif, celui de la science et de la religion, ou plutôt de la science utilisée comme outil et prétexte à une entreprise de prosélytisme. Il reprend en effet dans cet article sa théorie de l’origine extra-terrestre de la vie, et l’étend à l’idée d’un "génome universel galactique" et d’un "designer" à l’origine de ce génome ; je cite sa phrase de conclusion : "The universal model of the gene
logically contacts the concept of a prediction and designer, hence,
the model of occurrence of life and the Creator is logically more
proved.
" (la phrase me paraît très maladroite, mais doit vouloir signifier à peu près ceci : "Le modèle universel de gène est logiquement en relation avec une prédiction et un concepteur, et donc le modèle de l’apparition de la vie et du Créateur est logiquement prouvée"). Malgré son insistance sur la logique, il me semble bien que le professeur Khavroshkin quitte là quelque peu le domaine de la démarche scientifique pour verser dans une forme d’intelligent design...

Qui se ressemble s’assemble ? Finalement, entre le scientifique russe qui cherche à démontrer l’existence du Créateur par la sismologie, et l’homme d’affaires bosno-américain convaincu d’avoir découvert des pyramides construites par des Atlantes descendants d’extra-terrestres, les convergences sont peut-être plus nombreuses que les divergences...