« La Révélation des Pyramides » : les références de Jacques Grimault - III
Troisième partie et conclusion
Article mis en ligne le 5 juillet 2013

par Irna

Lien vers la deuxième partie

Gardiennes du ciel

Quittons quelque peu la Terre pour le ciel : à 1h 34mn 12s, à propos du zodiaque, on nous dit, sans donner de référence :

A ces quatre signes sont associées quatre étoiles parmi les plus brillantes du ciel, jadis baptisées « les gardiennes du ciel ». Ce sont Aldébaran dans la constellation du Taureau, Regulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut, au sommet des Poissons [1] à notre époque, mais anciennement dans le Verseau, avant la modification faite par les astronomes modernes [2].

Quelques mots sur ces « gardiennes du ciel » : même si l’expression se retrouve parfois sur des sites d’astronomes amateurs, elle est surtout fréquemment utilisée par des astrologues ; le court article consacré à ces « gardiennes du ciel » ou, plus communément, « étoiles royales », sur Wikipedia est d’ailleurs classé dans la catégorie « Astrologie ». Les textes mentionnant ces « étoiles royales » sur le net datent de façon très curieuse leur identification ; celle-ci, toujours associée à l’astronomie/astrologie perse, est attribuée à une date surprenante : « il y a environ 5000 ans », « aux alentours du XXXe siècle avant JC »... Or l’empire perse n’est fondé que vers 550 avant JC, les premiers souverains achéménides n’apparaissent que vers 650 avant JC, et même si l’on prend la notion plus large de peuple perse, son installation dans la région de l’Iran actuel n’est attestée qu’au cours du premier millénaire avant JC. D’où vient cette idée d’astronomes perses 3000 ans avant JC, et cette idée d’étoiles « royales » ou « gardiennes » sur lesquelles, c’est le moins qu’on puisse dire, l’archéologie moderne n’est guère bavarde ?

Si l’on remonte un peu dans le temps, on trouve mention des « gardiens du ciel » chez Camille Flammarion, dans un ouvrage de vulgarisation intitulé Les étoiles et les curiosités du ciel, un supplément à L’Astronomie populaire, paru en 1882. Flammarion écrit page 441 :

Nous parlions tout à l’heure de Fomalhaut, ou alpha du Poisson austral.
Remarquons à ce propos que Aldébaran du Taureau, Antarès du
Scorpion, Régulus du Lion et Fomalhaut se trouvent à peu près à
angle droit l’une avec l’autre et partagent le ciel en quatre parties
égales. Ces quatre étoiles, brillantes et remarquables, appelées aussi
étoiles royales, étaient vénérées par les Perses 2500 ans avant notre
ère, comme les quatre gardiens du ciel.

On retrouve bien là les noms des quatre étoiles gardiennes, ainsi que l’allusion à des astronomes en Perse au troisième millénaire avant JC.

Mais Flammarion ne fait que recopier, quasiment mot pour mot, François Arago, dans le tome I de l’Astronomie populaire paru en 1854 (livre VIII, page 342) :

Aldebaran du Taureau, Antarès du Scorpion, Régulus du Lion et Fomalhaut du Poisson austral, partagent le ciel en quatre parties presque égales. Ces quatre étoiles, très-brillantes et très-remarquables, appelées aussi étoiles royales, étaient sans doute les quatre gardiens du ciel des Perses, 3 000 ans avant J.-C.

Ces éléments, Arago les reprend lui-même d’autres ouvrages de la fin du XVIIIème siècle. On peut mentionner par exemple un ouvrage du citoyen Dupuis publié en 1795, L’origine de tous les cultes, ou la religion universelle :

Ormusd a encore placé aux quatre coins du ciel quatre sentinelles, pour veiller sur les étoiles fixes. Ce sont vraisemblablement les quatre étoiles Royales de nos Astrologues. L’astre Taschter garde l’Est ; Satevis, l’Ouest ; Venand, le Midi ; Hastorang, le Nord

( 2ème partie, page 720 - « Ormusd » est Ahura-Mazdâ)

On retrouve surtout la même idée chez Jean Sylvain Bailly, auteur d’une Histoire de l’astronomie ancienne, depuis son origine jusqu’à l’établissement de l’école d’Alexandrie dont la première publication remonte à 1775 :

M. Anquetil, dans sa traduction du Zend-Avesta, nous donne quelques détails sur les idées des anciens Perses à l’égard des étoiles. [...] Quatre grandes étoiles sont, selon eux les surveillantes des autres ; ces étoiles sont taschter, qui garde l’est ; satevis, l’ouest, venand, le midi, hastorang, le nord. Nous pensons que par ces étoiles les Perses ont voulu partager le ciel, et qu’ils les ont désignées comme répondant aux quatre points cardinaux. Or la division des points cardinaux naît de celle du zodiaque par les points équinoxiaux et solstitiaux, et par conséquence les étoiles qui désignent l’est, l’ouest, le nord et le midi désignaient alors les équinoxes et les solstices. Cela nous paraît évident. En conséquence, nous remarquons que vers l’an 3000 avant J.C., les étoiles étant moins avancées de 66° [60° dans l’édition de 1781 - NdlA], aldébaran était précisément dans l’équinoxe du printemps. Cette belle étoile a donc pu être regardée comme la gardienne de l’équinoxe ou de l’est. Antarès, ou le coeur du scorpion, se trouvait aussi précisément dans l’équinoxe d’automne : voilà le gardien de l’ouest. Regulus n’était qu’à 10° du solstice d’été et phomalhaut à 6° du solstice d’hiver. Ces quatre étoiles de la première grandeur, toutes très-brillantes et très-remarquables, forment une division du ciel en quatre parties presque égales, qui a trop de rapport avec celle des Perses pour n’y pas reconnaître une identité parfaite, et pour ne pas déterminer à 3000 ans avant J.C. la date de cette division du zodiaque au moins en quatre parties.

(page 480)

On a bien là l’origine de l’idée des quatre gardiennes dont l’identification remonterait à 3000 ans avant notre ère ; on admirera au passage le raisonnement magnifiquement circulaire de Bailly à propos de cette date.

Le Zend-Avesta évoqué par Bailly est l’Avesta, qui regroupe les textes sacrés du zoroastrisme. La première traduction française de l’Avesta venait d’être publiée quelques années auparavant, en 1771, par Anquetil-Duperron, sous le titre Zend-Avesta, ouvrage de Zoroastre, contenant les idées théologiques, physiques et morales de ce législateur, les cérémonies du culte religieux qu’il a établi, et plusieurs traits importants relatifs à l’ancienne histoire des Perses. On y trouve, page 349 du tome II :

Ormusd a encore placé aux quatre côtés du Ciel quatre sentinelles, pour veiller sur les Etoiles fixes. Il les a établies surveillantes sur les nombreuses Etoiles des Constellations. Il a établi l’une de tel côté, sur tel lieu, l’autre, de tel autre côté, sur tel autre lieu ; et cela par sa propre force, par sa puissance, lui qui a donné ces Etoiles fixes, comme il est dit : Taschter garde l’Est ; Satevis garde l’Ouest ; Venand garde le Midi ; Hastorang garde le Nord.

Donc, reprenons : la première mention de ces quatre « gardiennes » apparaît en 1771 dans la traduction de l’Avesta ; elle est ensuite reprise par Bailly, puis par Arago et Flammarion au XIXème siècle, enfin par les astrologues et Jacques Grimault. Il y a par contre un petit problème avec l’identification de ces 4 gardiennes : l’Avesta donne bien sûr leur nom en iranien ancien (avestique). Anquetil-Duperron identifie les 4 étoiles ainsi : Taschter est Sirius (page 186 note 1), Satevis est l’oeil austral du Taureau (Aldébaran - page 186 note 2), Venand ou Venant est le pied d’Orion (Rigel - page 187 note 1), et Hastorang la Grande ou la Petite Ourse (Anquetil-Duperron traduit Hastorang par « les sept étoiles » - page 187 note 2).

Or on constate que Bailly, s’il reprend dans son Histoire de l’Astronomie ancienne les noms avestiques des quatre « surveillantes », ne les identifie pas aux mêmes étoiles : pour lui Taschter est Aldébaran et non Sirius, Satevis Antarès et non Aldébaran ; quant à Venand il l’assimile à Regulus, et Hastorang à Fomalhaut, deux astres non mentionnés par Anquetil-Duperron. Comme on l’a vu par l’extrait cité plus haut, le raisonnement de Bailly est parfaitement circulaire : il décide que l’astronomie perse débute vers l’an 3000 avant JC, constate qu’à cette date ces quatre étoiles-là sont dans la position souhaitée, en déduit que ce sont bien ces quatre étoiles qui sont les quatre « surveillantes », et termine en concluant que c’est donc bien la preuve que l’astronomie perse débute en 3000 avant JC : la boucle est bouclée.

Tous les auteurs suivants ont repris les quatre étoiles identifiées par Bailly ; on les retrouve mentionnées par Dupuis (page 258-9 du volume I de L’origine de tous les cultes), Aldébaran et Antarès pour l’Est et l’Ouest, Régulus et Formalhaut pour le Sud et le Nord. A noter cependant que pour cette dernière Dupuis semble un peu hésitant, puisque dans le volume I page 69 il nous dit que Hastorang « prend son nom des étoiles de l’Ourse »... Dupuis semble bien être également celui qui a introduit l’idée d’étoiles « royales », nullement présente dans l’Avesta, où ces étoiles sont plutôt qualifiées de « sentinelles », « surveillantes », et souvent de « généraux », « chefs » des armées célestes formées des étoiles opposées à l’esprit du mal, Ahriman ou Angra Mainyu. Bailly parle de « surveillantes » et « gardiennes », alors que Dupuis précise lui que « ces étoiles reçurent la dénomination pompeuse d’étoiles royales » (volume I page 259).

Par la suite, d’Arago à Flammarion, à Théophile Moreux (qui les évoque pages 123-124 (nouvelle édition de 1943) de La science mystérieuse des Pharaons), et aux divers auteurs plus ou moins sérieux qui ont repris le mythe créé par Bailly et Dupuis, c’est cette version qui s’est imposée : quatre étoiles « gardiennes » ou « royales », Aldébaran, Antarès, Regulus et Fomalhaut, le tout remontant à environ 3000 ans avant JC.

Or l’assimilation des quatre « sentinelles » aux quatre étoiles ci-dessus est loin de faire l’unanimité. Elle repose, comme on l’a vu plus haut, sur un raisonnement circulaire qui n’est appuyé sur aucun élément linguistique, historique ou archéologique. Par exemple, selon George Allen Davis Jr., qui a écrit pour le magazine américain Popular Astronomy un article intitulé « The so-called royal stars of Persia », trois des « sentinelles » doivent être associées plutôt à des constellations : Satevis (« Satevaesa », dont la signification est « une centaine de maisons ») serait la constellation du Verseau plutôt que la seule Fomalhaut, Venant (« Vanant », le victorieux, mais aussi celui qui pique, qui châtie) serait la constellation du Scorpion avec Antarès, et Hastorang (« Haft-Aurang », les 7 trônes ou les 7 cieux) serait la Grande Ourse. De son côté, Gary David Thompson écrit : « Seuls deux d’entre elles peuvent être raisonnablement identifiées, Tišhtya avec l’étoile Sirius, et Haftoreng avec les étoiles de la Grande Ourse. Cependant, de nombreuses publications continuent à identifier Aldébaran, Antarès, Fomalhaut et Régulus avec les quatre étoiles cheftaines (royales) de Perse. Cette erreur repose de façon évidente sur le livre publié il y a 105 ans, Le nom des étoiles, par l’astronome amateur américain Richard Allen. (L’identification d’Aldébaran, Antarès, Fomalhaut et Régulus fut proposée au départ par l’historien et astronome français du XVIIIème siècle Jean Bailly) ». D’une manière générale, l’identification de Taschter (aujourd’hui rendu plutôt comme Tishtrya ou Tishtar) avec Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel, qu’avait faite Anquetil-Duperron, est considérée comme valide par les traducteurs et spécialistes modernes de l’Avesta, qui soulignent son rôle de divinité pourvoyeuse de pluie ; alors que l’identification avec Aldébaran n’est reprise que par ceux qui utilisent Flammarion ou Bailly comme source, et n’est défendue ni argumentée par personne.

L’identité des quatre « gardiennes du ciel » nommées dans le film ne repose donc que sur l’interprétation, elle-même non étayée, de Bailly en 1775... sans compter que, selon ce site :

La reconstitution de ce ciel des anciens montre que ce partage du ciel par les quatre étoiles est approximatif. En 3150 av J.C. Aldébaran et Antarès étaient à peu près à la place qui leur revient, mais Régulus et Fomalhaut en étaient distantes d’une dizaine de degrés. Par contre, vers 2300 avant J.C. Régulus et Fomalhaut étaient à leurs places, et c’est Aldébaran et Antarès qui ne l’étaient plus. Au millénaire suivant, ce repèrage avait perdu son sens, et du temps d’Ézéchiel, encore bien plus.

Ce que disait déjà, près de deux siècles plus tôt, Delambre dans son Histoire de l’astronomie ancienne (volume 1 page 433) :

[Bailly] cherche à prouver que 3000 ans avant notre ère, les Indiens observaient.
Le Zend-Avesta rapporte que quatre étoiles gardaient les quatre points cardinaux du monde. Peut-on imaginer rien de plus vague qu’une pareille remarque ? Or, dit Bailly, Aldébaran et Antarès n’étaient alors qu’à 40’ des équinoxes. On voit en effet que ces étoiles sont diamétralement opposées, au moins en longitude. Où sont les deux autres qui devraient être à 90° des premières ; nous n’en trouvons que de sixième grandeur ou de cinquième tout au plus. Bailly se rejette sur Régulus et sur le Poisson austral, qui sont à 6 et 11° des deux autres points cardinaux.

Annales chinoises

A partir de 1h 38mn 14s on en arrive enfin à l’hypothèse centrale de M. Grimault : les pyramides et le sphinx forment une « horloge » destinée à avertir d’un cataclysme cyclique menaçant la planète :

J’allai fouiller les écrits anciens. On trouvait curieusement dans les mythes, légendes et croyances d’un grand nombre de peuples de notre planète la même idée d’évènements cycliques. La destruction par l’eau revenait souvent, tout comme celle d’une atteinte future par le feu, comme en témoignaient l’Apocalypse de Saint Jean, ou les textes sacrés hindous appelés puranas.

L’idée « d’évènements cycliques » est illustrée dans le film par deux pages mentionnant des Annales chinoises et évoquant des rapports entre Egyptiens et Chinois :

Ces pages proviennent d’un mémoire de Joseph de Guignes, publié en 1774 dans le volume 36 de Histoire de l’Académie royale des inscriptions et belles lettres sous le titre « Examen critique des Annales chinoises, ou Mémoire sur l’incertitude des douze premiers siècles de ces annales, et de la chronologie chinoise » (à partir de la page 164).

Comme on peut le voir dans ce mémoire, ainsi que dans le suivant dans le même volume (« Idée de la littérature chinoise en général »), Joseph de Guignes était obsédé par l’idée de trouver des liens entre Egyptiens et Chinois, idée qu’il avait déjà développée en 1758 dans un autre mémoire lu devant l’Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres, « Mémoire dans lequel on prouve que les Chinois sont une colonie égyptienne ». Inutile de préciser que cette idée fut très rapidement ridiculisée, par exemple dès 1759 par l’orientaliste Le Roux Deshauterayes, qui sermonnait ainsi Joseph de Guignes :

Ce n’est pas assurément que je ne crois très-permis de proposer de semblables paradoxes, fussent-ils même encore plus extraordinaires que ceux-là ; mais je pense qu’en les proposant on doit être ou sur une grande réserve quant à l’expression, ou muni des preuves les plus incontestables. Lorsqu’on n’a que de légères vraisemblances à alléguer et des promesses à faire, devrait-on prendre ce ton décisif et imposant qui n’appartient qu’à la certitude ? Il s’agit moins dans les découvertes historiques d’annoncer du merveilleux que de publier des vérités.

On peut se demander quelles « vérités » Jacques Grimault a pu tirer de ce texte de Joseph de Guignes ; ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas pu en tirer, contrairement à ce que laisserait entendre la narration du film, la moindre information sur « l’idée d’évènements cycliques » dans la Chine ancienne. Le mémoire n’est en effet qu’une description des annales historiques des diverses dynasties chinoises, dont l’auteur essaie de montrer qu’elles sont très imprécises pour les périodes antérieures à l’ère chrétienne. L’idée de « cycle » n’y apparaît qu’en liaison avec celle de calendrier (cycle de soixante ans), jamais en faisant référence à des évènements, encore moins de type cataclysmique (destructions par le feu ou l’eau). Du coup on se demande vraiment ce que vient faire cette référence à ce moment du film, à part peut-être susciter chez le spectateur l’idée que les Chinois partageaient l’idée de destruction cyclique évoquée par les textes de l’hindouisme. A noter par parenthèse que si l’idée d’un cycle de destruction/recréation du monde au cours d’un âge (Mahayuga) de quatre cycles (Yugas) est bien présente dans les Puranas, en particulier dans le Vishnu Purana, c’est avec une échelle de temps qui n’a pas grand chose à voir avec celle évoquée par le film (où le seul cycle évoqué est le cycle de 25 800 ans de la précession des équinoxes), puisque la durée du Mahayuga est de plus de 4 millions d’années, et celle du Kali Yuga, dans lequel nous sommes censés être, de plus de 400 000 ans...

Philosophes grecs

L’idée de cataclysmes cycliques est ensuite renforcée par l’appel aux philosophes grecs (illustrés par « L’école d’Athènes » de Raphaël) à partir de 1h 38mn 34s :

Plusieurs auteurs grecs évoquaient eux aussi des cataclysmes cycliques, l’un d’entre eux précisait même la période à laquelle ils se produisaient : tous les 10 à 12 000 ans. Ce qui semblait étrangement correspondre au récit de Platon et à la disparition de la fameuse Atlantide, histoire rejetée par la science moderne. Tout comme les écrits d’Aristote, autre savant grec jugé plus fiable, concernant de grandes révolutions dans l’espace environnant la Terre, qui entraînent la disparition cyclique de ce qui recouvre le globe.

Il y a malheureusement de nombreuses approximations dans ce paragraphe. Parmi les auteurs grecs évoqués ici, il y a probablement Héraclite, à qui on attribue souvent l’idée de ces « cataclysmes cycliques », idée qui aurait été reprise ensuite par les Stoïciens qui imaginent le monde finir dans une conflagration puis recommencer à l’identique dans un éternel retour (voir « Eternel retour et temps périodique dans la philosophie stoïcienne » de Jean-Baptiste Gourinat). La pensée d’Héraclite, que l’on ne connaît que par une centaine de fragments repris par d’autres auteurs, est assez complexe, et bien différente de ce qui en est souvent présenté et qui a été contaminé par les idées stoïciennes. Il y a tout d’abord l’idée du feu comme principe fondamental du cosmos :

Ce monde, le même pour tous, ni dieu ni homme ne l’a fait, mais il était toujours, il est et il sera, feu toujours vivant, s’allumant en mesure et s’éteignant en mesure.

( fragment 30, Clément d’Alexandrie, Stromates, V, 104, 2)

Le monde, éternel, est feu ; mais ce feu subit des fluctuations, se transformant en « non-feu » (terre, mer), qui à son tour nourrit le feu :

Conversions du feu : d’abord mer, de mer, la moitié terre, et la moitié souffle brûlant. [...] [Terre] se dissout en mer, et est mesurée selon le même rapport qu’avant de devenir terre.

(fragment 31, Clément d’Alexandrie, Stromates, V, 104, 3 et 104, 5)

Mort de la terre, de devenir eau, mort de l’eau, de devenir air, de l’air, de devenir feu ; et inversement.

(fragment 76, Marc Aurèle, Pensées, IV, 46)

Pour une analyse de ces fragments, voir les Fragments d’Héraclite, traduits et commentés par Marcel Conche (pages 279 à 286, 289 à 292 et 297-298).

Plutôt qu’une « fin du monde », on a donc chez Héraclite transformation permanente, passage du feu au non-feu : « Le devenir est une suite de morts et de naissances, de naissances et de morts, et cela nécessairement, car les opposés sont uns : la mort est naissance, la naissance est mort. Le sort de tout ce qui est fini, particulier (qui est « terre » et pas autre chose, etc.), est de disparaître, de céder la place à un autre fini, un autre particulier. » (Marcel Conche, page 298). Et cette transformation se fait de façon régulière, « en mesure » (fragment 30). A quel rythme ? rien dans les fragments connus d’Héraclite ne permet de le déduire ; mais des auteurs plus tardifs, en particulier le Romain Censorin dans De Die natali (« Le jour natal »), lui attribuent l’idée d’un cycle de 10800 ans, ce qui se rapproche des « 10 à 12 000 ans » évoqués par le film. D’autres encore, probablement par une erreur de traduction, portent la durée du cycle selon Héraclite à 18 000 ans (Plutarque, Les opinions des philosophes, livre second, chapitre XXXII).

Cette idée d’un « cycle de 10800 ans » qu’aurait défendu Héraclite se trouve, chez Censorin, au sein d’un chapitre (chapitre XVIII) de son ouvrage consacré à la notion de « grande année », présente chez beaucoup d’auteurs grecs. On la trouve par exemple chez Platon, dans le Timée, sous le nom « d’année parfaite » :

Il est néanmoins possible de comprendre comment la véritable unité de temps, l’année parfaite est accomplie, lorsque les huit révolutions mesurées par le circuit et le mouvement uniforme du même, sont toutes retournées à leur point de départ.

La « grande année » ou « année parfaite » est donc le temps nécessaire pour que les cinq planètes connues des Grecs anciens, plus le Soleil et la Lune, se retrouvent dans la même configuration par rapport à la Terre et à la sphère des fixes. Platon ne donne pas de valeur à cette période, mais Censorin note que chaque auteur grec lui donne une valeur différente (De Die Natali, chapitre XVIII) :

Cette année, d’après l’opinion d’Aristarque, se compose de 2484 années solaires. Arétès de Dyrrachium la fait de 5552 années ; Héraclite et Linus, de 10 800 ; Dion, de 10 884 ; Orphée, de 100 020 ; Cassandre, de 3 600 000. D’autres enfin ont considéré cette année comme infinie, et ne devant jamais recommencer.

Cette dernière opinion est sans doute la plus justifiée puisque, selon la newsletter de décembre 2012 (n° 85) de l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides :

Ces cycles n’ont aucune réalité physique, la connaissance des révolutions sidérales moyennes des planètes, même arrondies aux jours, donne une hypothétique période synodique des planètes plus grande que l’âge actuel de l’Univers !

Censorin mentionne également, concernant cette « grande année », la croyance des auteurs grecs en une alternance d’embrasements et de déluges :

Cette année a un grand hiver, appelé par les Grecs κατακλυσμὸς, c’est-à-dire déluge ; puis, un grand été, nommé ἐκπύρωσις, ou incendie du monde. Le monde, en effet, semble être tour à tour inondé ou embrasé à chacune de ces époques.

En fait, seuls chez les philosophes grecs les Stoïciens reprennent cette idée d’une alternance de cataclysmos et ekpyrosis, idée qui provient directement du Babylonien Bérose, prêtre et astronome/astrologue :

Bérose, traducteur de Bélus, attribue ces révolutions aux astres, et d’une manière si affirmative, qu’il fixe l’époque de la conflagration et du déluge. « Le globe, dit-il, prendra feu quand tous les astres, qui ont maintenant des cours si divers, se réuniront sous le Cancer, et se placeront de telle sorte les uns sous les autres, qu’une ligne droite pourrait traverser tous leurs centres. Le déluge aura lieu quand toutes ces constellations seront rassemblées de même sous le Capricorne. Le premier de ces signes régit le solstice d’hiver ; l’autre, le solstice d’été. Leur influence à tous deux est grande, puisqu’ils déterminent les deux principaux changements de l’année. »

(Sénèque, Questions naturelles, Livre III)

On retrouve enfin ici le concept de cataclysmes cycliques évoqué par le film, mais à nouveau avec une échelle de temps qui n’est pas du tout celle de la précession des équinoxes, puisque, d’après Eusèbe de Césarée (Histoire universelle, Chronographia, dans sa version arménienne), Bérose envisageait une « grande année » de 432 000 ans :

Dans son second livre, il parle des dix rois des Chaldéens et du temps de leurs règnes, cent vingt saroi c’est-à-dire quatre cent trente deux mille années jusqu’au cataclysme.

(Le saros de Bérose correspond à 3600 ans, et n’a rien à voir avec le saros des astronomes, voir « L’origine du nom saros » sur le site de l’Institut de Mécanique Céleste)

Si Bérose semble avoir inspiré directement certains Stoïciens, pour qui l’ekpyrosis est le préalable à l’apocatastase, la restauration du monde en son état originel, le lien que fait le film entre ces idées de destruction cyclique du monde et les idées de Platon ou d’Aristote est beaucoup plus discutable. Si Platon évoque bien dans le Timée, comme on l’a vu plus haut, l’année « parfaite », il ne met par contre à aucun moment cette grande année, qu’il évoque dans le cadre de la description de la création du monde, en relation avec un ou des cataclysmes. D’autre part, le Timée décrit bien un cataclysme, celui qui détruit tant l’armée athénienne que l’Atlantide :

Dans la suite de grands tremblements de terre et des inondations engloutirent, en un seul jour et en une nuit fatale, tout ce qu’il y avait chez vous de guerriers ; l’île atlantide disparut sous la mer ; aussi depuis ce temps la mer est-elle devenue inaccessible et a-t-elle cessé d’être navigable par la quantité de limon que l’île abîmée a laissé à sa place.

Mais il n’y a pas grand chose de « cyclique » dans ce cataclysme-là. Le prêtre égyptien qui décrit à Solon l’Atlantide évoque bien plusieurs cataclysmes, mais là encore le paragraphe n’évoque pas vraiment ni une destruction généralisée, ni une périodicité liée à un quelconque cycle :

Le genre humain a subi et subira plusieurs destructions, les plus grandes par le feu et l’eau, et les moindres par mille autres causes. Ce qu’on raconte chez vous de Phaéton, fils du Soleil, qui, voulant conduire le char de son père et ne pouvant le maintenir dans la route ordinaire, embrasa la terre et périt lui-même frappé de la foudre, a toute l’apparence d’une fable ; ce qu’il y a de vrai, c’est que dans les mouvements des astres autour de la terre, il peut, à de longs intervalles de temps, arriver des catastrophes où tout ce qui se trouve sur la terre est détruit par le feu. Alors les habitants des montagnes et des lieux secs et élevés périssent plutôt que ceux qui habitent près des fleuves et sur les bords de la mer. Pour nous, le Nil nous sauve de cette calamité comme de beaucoup d’autres, par le débordement de ses eaux. Quand les dieux purifient la terre par un déluge, les bergers et les bouviers sont à l’abri sur leurs montagnes, tandis que les habitants de vos villes sont entraînés par les torrents dans la mer. Chez nous, au contraire, jamais les eaux ne descendent d’en haut pour inonder nos campagnes : elles nous jaillissent du sein de la terre. Voilà pourquoi nous avons conservé les monuments les plus anciens. En tout pays, le genre humain subsiste toujours en nombre plus ou moins considérable, à moins qu’un froid ou une chaleur extrême ne s’y oppose.

Platon décrit des catastrophes naturelles : séismes, inondations, canicules ou incendies ; mais ne les met absolument pas en relation avec la « grande année », et envisage très clairement des catastrophes limitées dans l’espace.

En ce qui concerne Aristote, nous n’avons aucun texte de lui évoquant une « grande année », mais uniquement des indications très indirectes : certains supposent qu’un texte disparu de Cicéron, l’Hortensius, qui évoque une grande année de 12 954 ans, serait basé sur un texte également disparu d’Aristote, le Protreptique. Ce chiffre de 12 954 ans est mentionné par Tacite, mais ce dernier ne fait pas référence à Aristote :

S’il est vrai, comme Cicéron l’écrit dans son Hortensius, que la grande et véritable année soit accomplie, lorsqu’une position donnée du ciel et des astres se reproduit absolument la même, et si cette année en comprend douze mille neuf cent cinquante-quatre des nôtres, [...]

(Tacite, Dialogue des Orateurs, XVI)

Qu’en est-il chez Aristote des « grandes révolutions dans l’espace environnant la Terre, qui entraînent la disparition cyclique de ce qui recouvre le globe », comme il est dit dans le film ? Je n’ai pas la prétention d’avoir lu tout Aristote, mais il me semble que le texte qui se rapprocherait le plus de cette idée de « disparition cyclique de ce qui recouvre le globe » serait le chapitre XIV du livre I de la Météorologie :

Les mêmes lieux de la terre ne sont pas toujours humides ou secs ; mais leur constitution varie selon la formation ou la disparition des cours d’eau. C’est là ce qui fait que le continent et la mer changent aussi de rapport, et que les mêmes lieux ne sont pas toujours de la terre ou toujours de la mer. La mer vient là où était jadis la terre ferme ; et la terre reviendra là où nous voyons la mer aujourd’hui.
Il faut croire d’ailleurs que ces phénomènes se succèdent, selon un certain ordre et une certaine périodicité. Le principe et la cause de ces mouvements, c’est que l’intérieur de la terre, tout comme les corps des plantes et des animaux, a ses époques de vigueur et de dépérissement.
La seule différence c’est que dans les plantes et les animaux ces changements n’ont pas lieu en partie seulement, mais c’est l’être tout entier qui par une loi nécessaire fleurit, ou se meurt, tandis qu’au contraire pour la terre, ces changements ne se font que partiellement par le froid et par la chaleur.
Le froid et la chaleur eux-mêmes s’accroissent ou diminuent par le soleil, et par le mouvement de révolution ; et c’est par le chaud et le froid que les diverses régions de la terre prennent une propriété différente, pouvant, durant un certain temps, rester humides, puis se desséchant et vieillissant ensuite. D’autres lieux revivent et redeviennent par portions successivement humides

Ce que Aristote nous décrit ainsi, ce sont des alternances d’assèchement/submersion des continents (il s’appuiera dans la suite du texte sur le cas du delta du Nil, autrefois mer puis comblé progressivement par les alluvions tandis que l’Egypte se desséchait). Mais il est très loin de penser à des catastrophes brutales, de type déluge ou sécheresse caniculaire :

Ce qui fait que ces phénomènes nous échappent, c’est que toute cette formation naturelle de la terre ne se fait que par additions successives et dans des temps immensément longs, si on les compare à notre existence ; des nations tout entières disparaissent et périssent avant qu’on ne puisse conserver le souvenir de ces grands changements, de l’origine jusqu’à la fin.
Les destructions des peuples sont les plus considérables et les plus rapides dans les guerres ; d’autres tiennent à des épidémies, d’autres à des famines ; et ces causes tantôt détruisent les peuples tout à coup, tantôt petit à petit. Aussi ne se rend-on pas compte des transmigrations de ces populations ; car tandis que les uns abandonnent la contrée, d’autres persistent à y rester jusqu’à ce que le sol ne puisse plus absolument y nourrir personne.
Entre la première observation et la dernière, on doit croire qu’il s’est écoulé des temps si considérables que personne n’en a conservé le souvenir, et que ceux qui avaient pu être sauvés et qui sont restés ont tout oublié par la longueur même du temps. C’est de la même façon que nous échappe, à ce qu’on doit croire, l’époque du premier établissement des nations sur ces terrains qui changent et qui deviennent secs après avoir été marécageux et inondés.
C’est qu’en effet cet accroissement du sol habitable, ne se fait que petit à petit et après de longs siècles, de sorte qu’on ne sait plus ni quels ont été les premiers occupants, ni à quelle époque ils sont venus, ni quel était l’état de la contrée quand ils y vinrent.

On est donc bien là sur des échelles de temps longues, et ce que Aristote nous décrit s’apparente plus, en termes actuels, à des changements climatiques et phénomènes de subsidence ou d’alluvionnement, qu’au déluge décrit par l’Ancien Testament ou à la « grêle de feu » de l’Apocalypse de Jean - qui n’ont eux, par ailleurs, aucun caractère cyclique qui ne pourrait qu’être contraire au discours eschatologique.

La cause que l’on pourrait peut-être assigner à tous ces faits, c’est que de même qu’à certaines époques fixes, l’hiver se produit dans les saisons de l’année, de même aussi se produit un grand hiver qui relève de quelque immense période, et qui amène une excessive abondance de pluies.

On retrouve bien ici chez Aristote la notion de « grand hiver » exposée plus haut (voir Censorin), et donc probablement de « grande année » (« quelque immense période ») ; Aristote évoque une sorte d’année « cosmique » avec ses hivers pluvieux (cataklysmos) et ses étés secs et chauds (ekpyrosis), mais à la différence de Bérose ou des Stoïciens n’envisage pas de fin du monde, de catastrophe touchant toute la planète :

Ce n’est pas du reste toujours dans les mêmes contrées que ce phénomène se manifeste, et c’est comme ce qu’on appelle le déluge de Deucalion. Ce déluge s’est étendu surtout sur les contrées helléniques, et parmi elles sur la vieille Hellade.[...]
Avec le temps, tel lieu se dessèche davantage, tel autre se dessèche moins, quand il a été bien inondé, jusqu’à ce qu’arrive de nouveau la révolution de cette grande période.
Comme il y a nécessairement quelque changement de l’univers, sans qu’il y ait cependant pour lui ni naissance ni destruction, puisqu’il subsiste toujours, il y a une nécessité égale, ainsi que nous le soutenons, que les mêmes lieux ne soient pas toujours inondés par la mer ou les fleuves, et que les mêmes lieux ne soient pas toujours secs. Les faits sont là pour le prouver.

L’idée même de destruction du monde est étrangère à Aristote, pour qui l’univers est éternel, incréé, indestructible et régulier : ainsi, par exemple dans Du Ciel, le philosophe s’attache à « montrer qu’il n’y a qu’un seul et unique ciel, qu’il est incréé, éternel, et de plus qu’il se meut d’une façon régulière et uniforme. » (Livre II chapitre VI)

Pour terminer sur cette idée de cataclysmes cycliques, il est clair que le film amalgame peu subtilement des idées parfois contradictoires et des auteurs bien différents. Il est clair également que les spéculations philosophiques de ces auteurs anciens sur la « cyclologie » ne sont que cela : des spéculations. S’appuyer sur ces auteurs pour affirmer l’existence d’une « grande année » entraînant son cortège de destructions cycliques revient à s’appuyer, par exemple, sur l’autorité d’Aristote pour affirmer que les séismes sont provoqués par le vent, ou que la Terre est immobile au centre de l’Univers... Déjà au XVIIIème siècle l’astronome François Arago (plus critique sur ce point que sur celui des « gardiennes du ciel », voir plus haut) montrait l’inanité de cette « cyclologie des Anciens » :

À une époque où tant de philosophes se persuadaient que les destinées des hommes et même celles de la Terre, considérée en masse, étaient réglées par le cours des astres, il n’y avait rien d’outré à supposer que chaque grande année ramènerait la même suite, le même ordre de phénomènes moraux et physiques ; le même cours d’événements politiques ou militaires ; la même succession de personnages célèbres par leurs vertus, par leurs vices ou par leurs crimes. Dans ce système, l’histoire d’une seule grande année aurait été celle des suivantes.[...]
L’alternat de cataclysmes et de conflagrations n’était pas admis généralement. Certains philosophes ne croyaient qu’à des déluges ; d’autres qu’à des incendies. Il en existait enfin qui, assimilant les âges du monde à ceux de l’homme, voyaient la nature croître en force et en vigueur pendant la première moitié de la grande année, et marcher ensuite, durant la seconde moitié, vers la décrépitude. Quant à Platon, il s’était rangé à l’opinion que le monde, au premier jour du grand cycle, possède le maximum de force, et qu’à partir de là, tout décroît, tout s’affaiblit graduellement. La tradition sur les quatre âges caractérisés par quatre métaux, est la traduction vulgaire de l’idée de Platon.[...]
Les anciens tombèrent encore moins d’accord sur la longueur de la grande année que sur sa signification. Les uns portèrent cette longueur jusqu’à 6 570 000 ans, d’autres la réduisirent à quelques centaines d’années. Cicéron, dans le Songe de Scipion, dit qu’il n’ose pas décider de combien de siècles l’année parfaite se compose.[...]
Les grands noms de Platon, de Cicéron, de Sénèque, de Plutarque, ne doivent pas nous empêcher de ranger les opinions des anciens sur les relations de la grande année avec les événements de toute nature observables sur la Terre, au nombre des conceptions les plus creuses que l’antiquité nous ait léguées.

(François Arago, Astronomie populaire, Livre XXXIII, chapitre 43)

Conclusion générale

Au terme de ce recensement des quelques références bibliographiques qui apparaissent dans le film La Révélation des Pyramides, je voudrais noter quelques points :

 J’ai bien conscience des limites de l’exercice : un film, particulièrement un film grand public, n’est pas un ouvrage scientifique, et ne saurait ni entrer très avant dans le détail de questions complexes, ni fournir des références exhaustives. Cependant, en l’absence du livre de Jacques Grimault censé avoir servi de base au film et jamais paru suite semble-t-il à un imbroglio juridique, et devant le refus du même de fournir le moindre élément bibliographique au cours des échanges avec lui - ne faisant que la vague promesse d’en dire plus dans l’opus suivant - c’est un des rares moyens dont on dispose pour évaluer, non pas la qualité du film, mais celle de la démarche de construction de l’hypothèse des auteurs telle qu’elle nous est présentée.

 Rien ne dit que les ouvrages entr’aperçus dans le film et les auteurs mentionnés font réellement partie de la bibliographie de Jacques Grimault, ni qu’ils en représentent la totalité. Mais même si on peut admettre que le choix de certaines couvertures ou gravures ait reposé sur des considérations esthétiques, comme l’affirme le réalisateur Patrice Pooyard, il est difficile de croire que tous ces ouvrages aient été choisis au hasard ; quant aux auteurs mentionnés (Agatharchide, Platon, Aristote...), on voit mal quelle dimension esthétique leur nom aurait pu apporter au film.

 Je n’ai volontairement rien dit ici des contemporains interrogés dans le film. D’une part parce que le travail d’analyse de leur témoignage a déjà été partiellement fait ailleurs (voir ici ou ) ; d’autre part par choix de me consacrer aux références livresques.

Si l’on résume maintenant ce qui semble transparaître de cette liste de références :
 Absence de toute référence contemporaine, particulièrement en égyptologie ; la bibliothèque du film est très riche en ouvrages du XVIIIème et XIXème siècles, mais on n’y voit pas grand chose comme ouvrages récents. On peut admettre un choix esthétique, les vieux livres ayant une connotation surannée et érudite assez sympathique ; mais il est pour le moins malheureux que ces « vieux bouquins » illustrent régulièrement la critique de l’égyptologie et de « l’histoire officielle ».
 Références dont le moins qu’on puisse dire est que leur contenu scientifique est assez limité : Stéphen-Chauvet sur l’Ile de Pâques, Taylor, l’abbé Moreux et Tompkins sur les pyramides, le chamane New Age Aribalo sur Cuzco...
 Recours fréquent à l’autorité des Anciens : Pline, Agatharchide, Platon, Aristote sont appelés à la rescousse pour soutenir les hypothèses du film, au prix parfois d’une distorsion de leurs idées ; c’est d’autant plus amusant que les auteurs reprochent vivement aux égyptologues de s’appuyer sur Hérodote...
 Non vérification des sources : de vieilles lunes de la pyramidologie ou de l’astrologie sont reprises, visiblement sans qu’il y ait eu recherche et vérification des sources primaires ; exemples : « gardiennes du ciel » incorrectement identifiées en se basant sur une interprétation erronée de Bailly au XVIIIème siècle, référence à une pseudo-citation d’Agatharchide inventée de toutes pièces par Stecchini en 1971...
 Enfin, manipulation d’une référence, l’ouvrage de Cole sur les mesures de la pyramide, par l’insertion d’une fausse page, insertion que le réalisateur justifie par deux fois en prétendant absurdement qu’elle était nécessaire pour que le public français n’ait pas à convertir les mesures anglaises de Cole - alors même que l’original de Cole contient les mesures en mètres...

Tous ces éléments ne sont, pour Jacques Grimault, que des détails, et pour Patrice Pooyard, des éléments nécessaires à la réalisation d’un film où il faut présenter les choses « de manière spectaculaire et un peu sensationnelle ». Personnellement, il me semble y avoir un monde entre le fait pour les égyptologues de « publier de beaux livres » et « soigner leur style », et le fait d’utiliser, sciemment ou non, des références inexistantes ou déformées, ou d’ignorer volontairement les acquis de toute une discipline. Un esprit mal tourné pourrait de plus discerner dans ces réponses des auteurs un certain mépris pour le spectateur considéré comme incapable d’appréhender la complexité de « sujets qui lassent vite l’attention du public »...