Pour terminer sur la composition de l’équipe Osmanagic (voir les articles précédents sur les scientifiques "fantômes", inconnus, ou dont le CV a été quelque peu "embelli"), reste ce que j’appellerais le "cercle intérieur", toute une série de personnes dont la place au sein du projet semble liée avant tout à leurs liens familiaux ou amicaux avec M. Osmanagic.
Au premier rang de ces personnes, on trouve tout d’abord Muris Osmanagic, le père de Semir. Bien que non cité parmi les membres officiels de la Fondation, M. Osmanagic père, ingénieur des Mines, professeur à l’Université de Tuzla, ancien directeur d’un complexe minier et homme politique (bs) (il a été Secrétaire à l’Industrie, à l’Energie et au Commerce de l’ancienne République de Bosnie), habitué des conférences internationales, est omniprésent sur le terrain : il évoque ses souvenirs de la Résistance (bs) à Visoko (entrée du 29 octobre 2005) ; fait la promotion du livre de son fils ; dirige des analyses géologiques dont on espère sans doute qu’elles seront plus favorables que celles de ses collègues de l’Université de Tuzla (qui n’ont rien vu que de naturel à Visoko) ; interprète les symboles (bs) trouvés dans un des tunnels à proximité de la pyramide (ce sont pour lui les traces de "la première écriture préhistorique de Bosnie" ; le bloc représente le sexe masculin, les symboles gravés le reste de la famille...).
Muris Osmanagic est également le Président de la 5ème "Pan-European Conference on Planning for Minerals and Transport Infrastructure" (= PEMT’06 (en)), dont est membre honoraire un certain Semir Osmanagic, de la Met Company (on retrouve aussi parmi les membres de cette Conférence Ramo Kurtanovic). Etant donnée la date d’ouverture de cette Conférence (le 18 mai 2006) et la date d’arrivée de M. Aly Abd Barakat (le 16 mai), on peut se demander si la venue de celui-ci à Sarajevo n’était pas plutôt liée à cette conférence, M. Barakat étant spécialiste en minéralogie. On peut noter également, parmi les interventions prévues lors de cette conférence, celle de "Mr. Semir Osmanagic, M.Sc. Int. Ec., B.Sc. Ec., B.Sc. Pol.Sc., Met Company, Houston, U.S.A. Paper for Conference. Unexplained Prehistoric Large Stone Spheres Preciously Made from Granodiorith, Found in Bosnia and Costa Rica", dont on a un peu de mal à voir ce qu’elle vient faire au milieu des autres interventions sur les transports et l’ingénierie civile... Un extrait illustré du papier de M. Osmanagic fils présenté à cette conférence est disponible ici (en).
Mario Gerussi, un des directeurs de la Fondation, serait le beau-frère (en) de M. Osmanagic (sans confirmation). Bojan Zecevic, co-directeur également et responsable du "sous-comité pour les sphères de pierre préhistoriques", est un ami de M. Osmanagic qui le cite plusieurs fois dans son livre sur la Pyramide du Soleil ; impossible par contre de trouver la moindre information sur ses compétences, le seul Bojan Zecevic connu par Google habitant à Londres est propriétaire d’une agence de mannequins (IEVE Models (en)), et il semble bien que ce soit celui-là même qui fasse partie de l’équipe, ce qui expliquerait la présence de candidates au titre de Miss Bosnia (en) à l’ouverture du chantier, mais peut laisser planer le doute sur ses compétences archéologiques.
"Jovo Jovanovic" étant un nom très courant, difficile de trouver des renseignements sur cet autre directeur de la Fondation, par ailleurs coordinateur du "sous-comité pour les anneaux de fer préhistoriques" ; en tout cas, pas de Jovo Jovanovic relié en quoi que ce soit à l’archéologie, par contre il fait aussi partie du cercle des amis de M. Osmanagic, cité dans son ouvrage (non traduit) "Des civilisations avant le début de l’histoire officielle" (bs).
On trouve plus facilement des informations sur Ahmed Bosnic, "chercheur" et écrivain, par ailleurs directeur de la Fondation et coordinateur du "sous-comité pour la préhistoire". A la différence du précédent, M. Bosnic a une importante activité antérieure au projet "Pyramide du Soleil", et il est le seul de l’équipe à disposer de son propre site : www.bosnic.com (bs). Ce site est un véritable fourre-tout, on y trouve des textes sur des thérapies naturelles et traditionnelles, sur la divination, sur la magie noire, des horoscopes, et bien sûr toute une section sur les "mystères" : Atlantide, Mayas, civilisations perdues... C’est surtout probablement un bon gagne-pain pour son auteur : la plupart des textes, horoscopes etc. sont réservés aux membres, et il vous en coûtera 55 euros à l’année pour pouvoir les consulter - sans parler de la boutique en ligne où vous pourrez acheter les ouvrages de M. Bosnic : "Le livre des mystères", véritable "encyclopédie des connaissances oubliées" (35 euros) ; "Zapisi i hamajlije" (sur les talismans, la magie noire...) ; "Le jour où les scientifiques sont morts" (13 euros, pas cher pour enfin savoir si les Egyptiens utilisaient ou non les robots et l’antigravité !) ; "Les mystères des civilisations disparues" ; "Mer mystérieuse" (les "missionnaires" de l’univers ont-ils, oui ou non, leur base au fond des océans ?) ; "Missionnaires de l’univers" (ufologie) ; "L’Atlantide : plus grand mystère du passé" ; "Hors du corps" (voyages astraux, mystères du Livre des Morts tibétain...) ; "Tous les mystères du monde" (comment peut-on écrire encore un autre livre après celui-là ???)... M. Bosnic est également auteur du projet "Nova Arka" (Nouvelle Arche), une revue New Age (bs) éditée à Sarajevo, grâce à laquelle on apprend aussi qu’il est spécialiste de "bio-énergo-thérapie à distance" (voir par exemple la dernière page du numéro 3 (bs) de la revue en .pdf)... Rappelons, quand même, que c’est bien le même M. Bosnic qui est co-directeur de la Fondation "Pyramide du Soleil" et responsable de la préhistoire sur le chantier...
On terminera ce tour des principaux responsables de la Fondation par M. Senad Hodovic (bs) ; en tant que Directeur du Musée de Visoko, celui-ci joue un rôle essentiel : il est en effet en quelque sorte la "caution" officielle du projet. Mais il faut tout d’abord préciser que M. Hodovic n’est ni archéologue, ni historien, ni géologue, mais professeur de marxisme et de sociologie (ce qui, d’après Mirko Babic (bs), directeur du Musée de Bijeljina, lui ôte toute crédibilité en matière de pyramides). Il est par ailleurs un homme politique, président de la section de Visoko du parti LDS (parti libéral démocrate, auquel appartient également un autre membre de l’équipe Osmanagic, Goran Cakic (bs)).
La rencontre entre M. Hodovic et M. Osmanagic nous est racontée par ce dernier dans son livre (bs) sur la "pyramide du Soleil" : au cours d’un voyage en Bosnie en avril 2005, accompagné de ses amis Jovo (Jovanovic) et Bojan (Zecevic), il visite le musée de Visoko. Le directeur, M. Hodovic, conduit les trois amis sur la colline voisine de Visocica pour leur montrer les restes de la forteresse médiévale qui s’y trouvait. Pour M. Hodovic, la forme pyramidale de la colline n’est qu’anecdotique, et il la signale à son interlocuteur féru de pyramides. Pour M. Osmanagic c’est la révélation, Visocica est une pyramide, et il commence à prendre des photos, repérer des blocs de pierre qui affleurent. De retour au musée, M. Osmanagic entreprend de convaincre M. Hodovic, qui, d’après ce que note M. Osmanagic lui-même, semble assez sceptique.
Quelques mois plus tard, lorsqu’est créée la Fondation et que commencent les premiers sondages, M. Hodovic a semble-t-il perdu une partie de son scepticisme puisqu’il est membre du comité directeur de la Fondation, et confirme à plusieurs reprises l’existence des pyramides devant la presse (fr).
Pourtant, il ne manifeste jamais l’enthousiasme de M. Osmanagic, et ses interventions peuvent parfois laisser penser qu’il ne croit pas vraiment aux pyramides ; exemple :
"We should absolutely allow the research here," said Senad Hodovic, the director of the Visoko Historic Heritage museum.
"This isn’t about whether there are pyramids or not... But it’s important to create a climate for research, also of the medieval town of Visoki, which has never been explored." source (en)
("Nous devons absolument autoriser les recherches ici. Il ne s’agit pas de savoir s’il y a des pyramides ou pas... Mais il est important de créer un climat pour la recherche, y compris sur le site de la ville médiévale de Visoki qui n’a jamais été explorée")
"This has nothing to do with science," head of Visoko Home Museum, Senad Hodovic, told IPS. "It is a historical fact that Visoko was the home town of Bosnian kings in medieval times, with the castle on Visocica Hill. Excavations nearby have shown that the castle was built on the site of an ancient Roman checkpoint."
But, said Hodovic, "if this pyramid craze means some hope or improvement for local people, one cannot be against it." source (en).
(Ceci [en parlant de la "pyramid-mania" qui s’est emparée de Visoko] n’a rien à voir avec la science. C’est un fait historique que Visoko était le siège des rois de Bosnie au Moyen-Age, et qu’ils avaient leur château sur la colline de Visocica. Des fouilles à proximité ont montré que le château était bâti sur le site d’un ancien poste de garde romain. Mais si cette folie des pyramides peut apporter de l’espoir ou une amélioration pour la population locale, on ne peut pas s’y opposer)
"Pyramid craze", ce n’est pas le vocabulaire d’un obsédé des pyramides... Mais ces quelques citations peuvent permettre d’avancer une hypothèse sur le compte de M. Hodovic : qu’il soit ou non convaincu par les thèses de M. Osmanagic, il voit surtout dans l’affaire une occasion, d’une part de développement pour la région, d’autre part de faire financer par la Fondation la fouille du site médiéval que les autorités de Bosnie n’ont pas les moyens de financer. En effet, il semble que M. Hodovic ait passé beaucoup de temps à plaider la cause de "son" site du Visoki médiéval, par exemple ici (en) en 2003 auprès de la Commission chargée de la protection des monuments nationaux de Bosnie :
He was of the view that the previous complement of the Commission had failed to include several very important sites in Visoko municipality on the Provisional List of National Monuments of Bosnia and Herzegovina. He drew attention to three of these : the Visoki old fort (which is older than Kraljeva Sutjeska, but no archaeological excavations have ever been conducted apart from a few test probes), [...]
(Son opinion était que la Commission avait ignoré plusieurs sites très importants de la municipalité de Visoko, non inclus sur la Liste Provisoire des Monuments Nationaux de Bosnie et Herzégovine. Il attira l’attention sur trois d’entre eux : le vieux fort de Visoki (plus âgé que Kraljeva Sutjeska, mais aucune fouille archéologique n’y a jamais eu lieu en dehors de quelques sondages), [...])
Cette hypothèse expliquerait pourquoi M. Hodovic "couvre" de son autorité le projet "Pyramide du Soleil", allant jusqu’à refuser d’admettre l’existence du risque souligné par de nombreux archéologues locaux (en), européens (en) ou américains (en) : celui que les fouilles, peu professionnelles, de l’équipe de M. Osmanagic n’endommagent gravement des sites "réels" ; le site du fort de Visoki, reconnu et apparemment protégé, ne risque sans doute pas grand chose, mais ce n’est pas le cas d’autres sites dans l’environnement immédiat de la "pyramide" ; M. Hodovic serait-il prêt à les sacrifier ? On peut se poser la question à la lecture de cet article (bs), où l’auteur montre la contradiction entre deux déclarations de MM. Osmanagic et Hodovic, disant tous deux que le site de la forteresse de Visoki est tout petit (30 mètres sur 60 d’après M. Hodovic) et donc ne craint rien de fouilles qui se déroulent à quelques centaines de mètres, et un extrait d’un ouvrage d’historien intitulé "Les villes du royaume de Bosnie au Moyen-Age", qui montre que Visoki était un centre de pouvoir important et que toute la vallée de la Bosna (la rivière qui passe à Visoko) était relativement densément peuplée...