Le feuilleton de l’été
Article mis en ligne le 1er juillet 2017

par Irna

Décidément, l’affaire « Thierry Jamin et les Zitis » est en passe de remplacer avantageusement [insérer ici le nom de votre feuilleton préféré] avec son lot de rebondissements quasi quotidiens. Je n’ai, personnellement, pas grand chose de plus à ajouter à ce que j’ai déjà écrit sur le sujet, à moins que M. Jamin ne se décide enfin à publier autre chose que des vidéos sensationnalistes, mais il m’a semblé intéressant de résumer rapidement les évènements des derniers jours, liés à une avalanche de nouveaux articles et nouvelles vidéos.

Les choses ont commencé à bouger au Pérou, où la diffusion des vidéos de la chaîne Gaia semble avoir provoqué quelques réactions. On peut noter tout d’abord l’apparition de quelques articles critiques sur des sites sceptiques et/ou scientifiques péruviens :
 « La momia falsificada de Nazca » (« La momie falsifiée de Nazca ») sur le blog La mentira esta ahi fuera, qui avait déjà publié en janvier une première analyse critique.
 Une série de deux articles, « Estafa que fomenta excavaciones ilegales y posible destrucción del patrimonio arqueológico nacional » (« Une escroquerie qui promeut des fouilles illégales et la possible destruction du patrimoine archéologie national ») et « Momia de Nasca, parte 2 : Análisis de las manos y pies » (« Momie de Nasca, 2ème partie : Analyse des mains et des pieds »), sur le site cientificos.pe ; l’auteur du deuxième article, largement cité également dans le premier, est le Dr Rodolfo Salas-Gismondi, un paléontologue au CV plutôt sérieux, qui travaille aux Musées d’Histoire Naturelle de Lima et de New York [1].
 Mentionnons encore deux articles de blogs : « ¿Quién está detrás del video de la supuesta momia nazca ? » (« Qui est derrière la vidéo de la momie présumée de Nazca ») et « ¿Extraterrestres en Nazca ? La ciencia responde a los charlatanes » (« Extraterrestres à Nazca ? La science répond aux charlatans »).

Parallèlement, on commence à voir quelques réactions des autorités, en lien avec l’enquête préliminaire déjà évoquée. Le lecteur se souvient peut-être que Paul Ronceros (par l’intermédiaire duquel Thierry Jamin a pris connaissance de toute l’affaire) avait publié un document montrant qu’il avait communiqué au Ministère de la Culture deux des artefacts en sa possession :

Il vient de publier deux autres documents se référant à cette affaire ; le premier émane de radiologues de Resocentro, un centre d’imagerie médicale :

Il permet de comprendre d’où viennent certaines informations données par Paul Ronceros dans sa vidéo sur les momies « trafiquées ». Je ne prétends pas tout comprendre de ce rapport de radiologues, mais on peut noter quelques points :
 présence d’os pneumatiques dans la partie supérieure et « postérieure » du crâne, alors que les os pneumatiques sont normalement présents dans la partie antérieure (sinus) ;
 suspicion d’ajout d’un os occipital à la partie « postérieure » du crâne, avec une limite très nette entre cet os occipital et les os pneumatiques voisins (voir la photo ci-dessous) ;
 traces de fractures qui révèlent une manipulation post-mortem...
Bref, beaucoup d’éléments qui font penser à un montage plus qu’à un crâne réel :

Le deuxième, toujours sur son site, est également visible dans cette vidéo (à partir de 3:30) :

Il s’agit d’un courrier adressé à Paul Ronceros, provenant du Ministère de la Culture, et signé Blanca Alva Guerrero, établissant que les artefacts qu’il a déposés sont pour l’un « des restes modernes d’animaux recouverts de restes de peau » et pour l’autre « un conglomérat de matériau organique moderne ». Le Ministère en conclut donc qu’il ne s’agit pas de biens appartenant au patrimoine culturel de la Nation.

La source de ces documents, Paul Ronceros, est évidemment assez peu fiable, mais deux éléments m’incitent malgré tout à les prendre en considération :
 on imagine mal Paul, alors qu’une enquête préliminaire est en cours, produire de faux courriers et imiter les signatures d’officiels du Ministère de la Culture et les étaler à la face du monde ;
 et par ailleurs ces documents, en particulier le dernier, vont contre la propre thèse de Paul Ronceros, qui affirme contre toute évidence que ces artefacts ne sont pas des fakes modernes, mais des « poupées » fabriquées par les anciens Nazcas - au risque de se voir accusé de recel d’antiquités si c’était le cas !

Ces documents sont de toute façon presque superfétatoires, Thierry Jamin ayant admis à plusieurs reprises que les « momies » de Paul Ronceros sont des montages ; par contre il maintient contre vents et marées que les siennes, dont « Josefina », sont bien « authentiques » - des momies d’êtres ayant été vivants - alors qu’elles partagent pourtant pas mal d’anomalies avec les fausses :

Merci à Pierre Ratbb pour l’image !

On a également vu arriver du Pérou plusieurs petites vidéos intéressantes, partagées sur Facebook par des journalistes ; la première montre une rapide interview de Thierry Jamin à sa sortie du tribunal de Nazca où il a été interrogé pendant 5 heures dans le cadre de l’enquête préliminaire évoquée ici : https://www.facebook.com/EcoTv.Peru/videos/545365235587697/. Il y apparaît beaucoup moins affirmatif que les semaines passées sur la réalité de l’affaire (de même dans cette interview donnée à la chaîne conspirationniste Stop Mensonges - à partir de 1:23:00 : « Je ne dis pas que c’est un fake, je ne dis pas que c’est vrai ») ; c’est pourtant le même qui déclarait fin avril : « On a la preuve absolue que ça ne vient pas d’ici [...]. Le fameux Paul est un clown, il peut dire ce qu’il veut, nous on est sûrs désormais, ça date simplement de quelques jours, on est sûrs à 1000 pour 100 que ça vient pas d’ici »...

Même position assez modérée de Thierry Jamin dans cette vidéo, filmée pendant une conférence qu’il a organisée à Nazca, et où étaient conviés des notables de la ville et des acteurs du tourisme local. Il s’y présente comme un simple passeur d’information, laissant les scientifiques trancher (« Moi, Thierry Jamin, je ne peux dire s’il s’agit d’une fraude ou si c’est réel »). Le but de cette conférence était clairement d’essayer d’obtenir le soutien des décideurs de Nazca, probablement en leur faisant miroiter la possibilité de créer un musée local pour attirer les touristes [2].

Était présent à cette même conférence l’archéologue Jhony Isla Cuadrado, un spécialiste des cultures Paracas et Nazca, et Directeur de la Culture (représentant du Ministère) pour Nazca. Son discours pendant la conférence a été assez neutre en tant que Directeur de la Culture, il est par contre beaucoup plus virulent lorsqu’il est interrogé seul avant la conférence et s’exprime en tant qu’archéologue : https://www.facebook.com/cesargerardo.cayoespino/videos/1510309119026480/ ; là il ne mâche pas ses mots pour dénoncer les « montages », les atteintes au patrimoine et les pseudoscientifiques. Cette vidéo nous montre également qu’il n’était pas prévu de l’inviter à la conférence - il ne figure pas sur la liste des invités triés sur le volet et manque de se faire refouler - ce qui est quand même un comble pour un Directeur de la Culture, et un « couac » peu compréhensible de la part de Thierry Jamin, qui a toujours prétendu agir en accord avec le Ministère...

Passons maintenant au volet français du feuilleton : il s’agit bien sûr de l’émission consacrée par la chaîne BTLV à l’affaire des momies aliens. Après avoir consacré une première émission à Thierry Jamin et à son « représentant » l’ufologue Michel Ribardière, présenté comme membre de l’Institut Inkari et « conseiller permanent chargé des relations au gouvernement » dudit Institut, émission très peu critique comme il est d’usage sur BTLV, Bob Bellanca a décidé, par extraordinaire, de diffuser une deuxième émission offrant un regard beaucoup plus critique sur l’affaire avec deux invités scientifiques. Je ne me prononcerai pas sur les motivations de cette décision tout à fait inhabituelle sur cette chaîne - recherche de la vérité ? tentative de rentabiliser un sujet porteur ? ou volonté de se démarquer de ce qui se présente de plus en plus comme un hoax, même si habituellement contribuer à la diffusion de hoax ou de pseudosciences n’est pas pour gêner la chaîne ? ou même, comme l’ont supposé certains, tentative de s’établir à bon compte une façade critique, pour pouvoir faire ensuite mieux passer la promotion d’autres invités ou projets, par exemple le nouveau film de Patrice Pooyard, dont BTLV est partenaire ? Quoi qu’il en soit, l’émission ne manquait pas d’intérêt, du fait de la présence d’un invité efficace, l’anthropologue Alain Froment, directeur des collections d’anthropologie du Musée de l’Homme - le deuxième invité, qui aurait dû être tout aussi intéressant, le docteur Patrice Josset, anatomo-pathologiste et spécialiste des momies égyptiennes, a malheureusement été très peu entendu du fait de la mauvaise qualité de sa connexion par Skype et par téléphone. On peut déplorer également la mauvaise préparation de l’émission, en particulier dans l’affichage des images censées illustrer les propos des invités, souvent décalé ou fautif, avec parfois des confusions entre des momies différentes [3].

Malgré ce manque de rigueur, l’émission était la bienvenue ; ceux qui suivent l’affaire de près, sur ce blog ou ailleurs, n’auront pas appris grand-chose de nouveau, mais il est toujours intéressant de voir confirmées par des spécialistes les nombreuses erreurs, anomalies et incohérences qui ont été pointées ici ou là. J’en relève rapidement les principales :

 « Maria » est un vrai corps humain, très probablement une véritable momie Nazca extraite d’un fardo ; la totalité des éléments visibles vont dans ce sens-là : radios, position du corps, déformation classique du crâne, présence des organes internes, tout cela renvoie à une momie sud-américaine authentique, la seule anomalie étant les pieds et mains, sur lesquels il y a eu intervention (l’absence du pavillon externe des oreilles pouvant être accidentelle, c’est une partie très fragile des momies anciennes, ou au contraire intentionnelle).

 « Josefina » a un crâne de petit mammifère auquel on a enlevé les dents et la mâchoire inférieure, la taille des orbites est cohérente avec cette hypothèse (chat ou petit primate) ; sa cage thoracique beaucoup trop basse ne permettrait pas la respiration ni l’emplacement des autres organes ; on a une incohérence totale entre les os de mammifère et le caractère « reptilien » impliqué par les « œufs », et il n’y a aucun caractère commun (en dehors des caractères superficiels que sont les 3 doigts et la poudre blanche) entre « Josefina » et « Maria » en terme de structure. D’une façon générale, utiliser l’hypothèse extraterrestre pour expliquer certaines anomalies (les 3 doigts, les « œufs ») ne fait que rajouter de l’incohérence : pourquoi une structure humanoïde et des os humains, résultats d’une longue évolution terrestre, chez des êtres censés avoir évolué ailleurs ? Et par ailleurs la comparaison avec les reptiles ou oiseaux terrestres n’a pas de sens puisque c’est toute leur anatomie qui est différente.

 Les autres « poupées » et les objets isolés (têtes et mains) dont on voit les photos et radios durant l’émission sont trafiqués ; par exemple la grande main isolée contient des os humains (phalanges, métacarpiens) parmi lesquels on a interposé des phalanges supplémentaires (dont une posée à l’envers) puis un « fatras » de petits os sans articulation possible. Une des petites « poupées » (on ne sait pas vraiment de laquelle il parle à ce moment-là, étant donnée la confusion dans les images projetées) comporte des cartilages de croissance d’un individu immature, un enfant de 3-4 ans.

Source
A noter que c’étaient ces mêmes artefacts, dont Thierry Jamin assure aujourd’hui avoir toujours soupçonné qu’il s’agissait de faux, qui illustraient la page d’appel aux dons du "Alien Project"

 Aucun document fiable n’a encore été présenté ; on parle de résultats ADN, mais aucun résultat n’a été publié ; les datations réalisées semblent ne concerner que la grande momie, pas les petites, et elles ne sont pas publiées. L’imagerie médicale présentée est (volontairement ?) très insuffisante : les radiographies ne permettent de voir que le squelette et les parties dures, alors qu’un scanner de bonne qualité permettrait d’étudier les organes avec précision. Alain Froment semble persuadé que la rétention d’information qui consiste à ne faire circuler que des documents de mauvaise qualité et insuffisants est volontaire. Il insiste sur le fait qu’un scanner peut être fait dans n’importe quel hôpital à moindre coût voire gratuitement, et que seul le séquençage ADN, parmi les analyses possibles, peut être coûteux en fonction de la qualité de l’ADN.

 La poudre blanche [qui n’a encore pas été analysée, et dont on ne trouve aucune trace dans les pratiques funéraires sud-américaine, NDLA] pourrait avoir été utilisée à dessein pour masquer le « bricolage » réalisé.

 Aucun des « scientifiques » interrogé (que ce soit par Thierry Jamin, Jaime Maussan ou la chaîne Gaia) n’est anthropologue ; l’anthropologie est un métier, la lecture d’une radio de momie n’est pas la lecture d’une radio d’être vivant, ce qui explique qu’un médecin ou un radiologue puisse se tromper de bonne foi [personnellement, je trouve MM. Froment et Josset bien gentils avec les « scientifiques » du projet, que ce soit M. Korotkov le photographe des âmes, les « spécialistes » mexicains déjà mouillés jusqu’au cou dans un précédent hoax ufologique, ou les médecins péruviens mis en scène par Thierry Jamin, et je maintiens que certaines anomalies sont flagrantes même pour un non-spécialiste, NDLA]. L’absence d’anthropologues et de spécialistes des momies est d’autant plus étonnante qu’il y a d’excellents anthropologues en Amérique latine.

Pour finir, insistons sur le fait que ces deux scientifiques font clairement preuve d’ouverture d’esprit : ils ne rejettent pas a priori l’hypothèse ET, ni celle d’humanoïdes inconnus, et ils sont prêts à débattre et à étudier de plus près l’affaire si des documents plus fiables sont présentés, même si d’évidence l’hypothèse de la fraude leur semble la plus probable. Thierry Jamin, qui clame depuis le début de l’affaire sa volonté de transparence, de s’en remettre aux scientifiques, a là une occasion en or à saisir : pourquoi ne pas envoyer à MM. Froment et Josset toutes les « preuves » en sa possession, sa documentation, les résultats d’analyse déjà arrivés ? Qu’il refuse de prendre connaissance de l’opinion d’une archéozoologue que j’ai publiée ici, sous prétexte qu’elle est anonyme, soit ; mais MM. Froment et Josset eux ne sont pas anonymes, et on ne peut guère rêver mieux comme spécialistes...

Thierry Jamin va-t-il saisir cette opportunité ? La suite ne semble pas vraiment aller dans ce sens ! Il devait intervenir au cours de l’émission de BTLV, mais n’a pas pu être joint, officiellement parce qu’il était en déplacement ; cependant, alors que l’émission n’était pas terminée même si les deux scientifiques étaient déjà partis, on a retrouvé M. Jamin en direct, mais dans une autre émission, celle du délirant Stop Mensonges. Je ne sais pas si M. Jamin avait suivi ou pas l’émission de BTLV, mais il ne prend pas le chemin d’un débat scientifique. Il commence par affirmer, dans une logique complotiste qui ne doit pas être pour déplaire aux auditeurs de Stop Mensonges, que les autorités péruviennes essaient d’étouffer toute l’affaire et qu’elles font « venir un scientifique des États-Unis pour démonter les arguments des chercheurs qui sont en train de travailler dessus ». Il dit ensuite : « Nous on a eu la chance de travailler sur les corps, et ces pseudoscientifiques ne travaillent que sur la base des vidéos qui ont été diffusées sur internet ». Je ne sais pas qui sont ces « pseudoscientifiques », qu’il qualifie plus loin de « pédants » et « suffisants », j’ose espérer qu’il ne parle pas des deux anthropologues français... L’idée ne semble visiblement pas l’effleurer que peut-être il aurait pu ou pourrait encore mettre à la disposition des scientifiques de bonne volonté de meilleurs documents que ses vidéos...

Je passe sur le reste de cette interview assez lamentable, où M. Jamin prouve qu’il n’a toujours rien compris à la démarche scientifique, et tente maladroitement l’inversion accusatoire en expliquant qu’il est lui « ouvert au débat », « prudent », totalement « transparent », qu’il « tient le matériel à la disposition de la science » et préfère le débat scientifique, tout en qualifiant toute critique de son projet de « polémiques superfétatoires et inutiles », et les auteurs de ces critiques de « imbéciles qui se disent scientifiques ». On apprend quand même dans cette vidéo qu’il n’a toujours pas trouvé le temps de faire analyser la poudre blanche (ce qui étonne et inquiète un peu même les ululeurs les plus convaincus sur leur forum privé !) ; et on a la liste des « scientifiques » qui interviendront lors de sa grande « divulgation » du 11 juillet : le docteur Edson Salazar Vivanco, le biologiste José de la Cruz Rios, et le docteur Zalce Benitez, tous déjà évoqués dans cet article... un jeune médecin généraliste péruvien visiblement dépassé par les évènements, et les deux amis de Jaime Maussan qui se sont déjà ridiculisés dans l’affaire des diapositives de Roswell, ça promet de la divulgation solide !

Bref, même si l’affaire était mal engagée dès la fin de l’année dernière, Thierry Jamin avait l’occasion d’en sortir par le haut ces jours-ci en prenant contact avec les anthropologues français et en étant totalement transparent avec eux. Ce n’est visiblement pas la voie qu’il a choisie, et il va essayer de pousser au bout sa démarche « Alien Project » ; il y trouvera peut-être la notoriété - de mauvais aloi - après laquelle il court depuis des années, puisqu’il est probable que, quels que soient les arguments apportés, il se trouvera toujours une petite communauté de croyants qui verront en lui un génie persécuté par la « science officielle »...


Mise à jour - 6 juillet 2017

A voir pour compléter, une vidéo de la chaîne StopScience : « Comment reconnaître un vrai extra-terrestre d’un faux grâce à l’anatomie comparée »