Le miel des pyramides
Article mis en ligne le 17 février 2015

par Nali

Effet de mode sur les bienfaits du « bio » et des nourritures « naturelles », le miel est souvent paré de toutes les vertus, et en particulier de vertus de guérison miraculeuse allant jusqu’à la guérison du cancer [1].

A ces bienfaits pour la santé, le miel ajouterait une autre vertu : celle de se conserver indéfiniment. C’est une idée qui circule beaucoup sur le net, y compris sur des sites aussi sérieux que celui du Smithsonian :

Modern archeologists, excavating ancient Egyptian tombs, have often found something unexpected amongst the tombs’ artifacts : pots of honey, thousands of years old, and yet still preserved.
Les archéologues d’aujourd’hui, en fouillant d’anciennes tombes égyptiennes, ont souvent trouvé parmi les artefacts quelque chose d’inattendu : des pots de miel, âgé de milliers d’années, et pourtant conservé.

Ailleurs, ce miel trouvé « dans les pyramides » serait même encore comestible :

C’est donc le seul aliment qui ne périme jamais, à condition qu’il soit conservé dans un endroit sec.
On raconte même que du miel vieux de 2000 ans retrouvé dans les pyramides égyptiennes est encore propre à la consommation (même s’il n’a plus aucun goût). (Source)

Par contre le doute règne sur l’origine de ces découvertes archéologiques : dans les pyramides, ou bien dans le tombeau de Toutankhamon ?

Honey based mixtures can last almost indefinitely if no moisture is introduced ; still-edible honey was found in King Tut’s tomb, untouched for centuries ! (Source)
Les mélanges à base de miel peuvent durer presque indéfiniment si aucune humidité n’est introduite ; du miel encore comestible a été trouvé dans la tombe du roi Toutankhamon, intacte depuis des siècles !

Qu’en est-il sur le plan historique ?

Il ne fait aucun doute que le miel a été utilisé par les Égyptiens depuis très longtemps. La trace la plus ancienne a été trouvée dans la « Chambre des Saisons », dans le temple solaire du roi Niouserrê à Abou Ghorab, et est datée d’environ 2400 avant JC.

Mais a-t-on réellement retrouvé du miel comestible ?

Dans le cas de la tombe de Toutankhamon, découverte en 1922, des pots ayant contenu du miel ont été effectivement été retrouvés. Je n’ai pas trouvé d’analyse du contenu, mais il semble que les inscriptions sur les pots en font mention.
http://www.griffith.ox.ac.uk/gri/carter/614j-c614j.html
http://www.griffith.ox.ac.uk/gri/carter/614k-c614k-1.html
Par contre, le contenu a disparu depuis longtemps.

Pour trouver une mention de miel conservé, il faut remonter au 12 février 1905, date de la première visite de la tombe KV46 de la Vallée des Rois par les égyptologues Theodore M. Davis, Arthur Weigall et Gaston Maspero. Il s’agit de la tombe de Yuya et Thuyu, décédés aux alentours de 1375 avant JC, qu’on suppose être, par une curieuse coïncidence, les grands parents de Toutankhamon. Pour en savoir plus sur cette tombe :
http://s3.e-monsite.com/2011/02/09/92877682la-tombe-de-youya-et-touyou-pdf.pdf

Parmi les divers objets, on trouve deux vases en albâtre, qui sont référencés 51105 et 51106 :

Les témoignages des trois visiteurs sont convergents. Arthur Weigall écrit à sa femme, entre le 14 et le 16 février 1905 :

In one corner were some jars of wine, the lids tied on with string ; & among them was one huge alabaster jug full of honey still liquid. When I saw this I really nearly fainted. The extraordinary sensation of finding oneself looking at a pot of honey as liquid & sticky as the honey one eats at breakfast and yet three thousand five hundred years old, was so dumbfounding that one felt as though one was mad or dreaming (Source, page 297)
Dans un recoin il y avait des jarres de vin, avec le couvercle fixé grâce à de la ficelle ; et parmi eux se trouvait un gros vase en albâtre plein de miel encore liquide. J’ai cru défaillir à cette vue. La sensation de me retrouver en train de regarder un pot de miel aussi liquide et collant que celui qu’on prend pour déjeuner, et pourtant âgé de 3500 ans, était irréelle au point que je me demandais si j’étais fou ou en train de rêver.

Pour Gaston Maspero, même son de cloche le 29 mars 1905, avec toutefois un peu plus de romantisme :

(Source : Causeries d’Égypte, 1907)

Theodore M.Davis écrit quant à lui :

(Source : The tomb of Iouiya and Touiyou : the finding of the tomb, 1907)

Des lambeaux de tissu pendaient du col d’un des vases, qui avaient servi originellement à en couvrir l’ouverture. A l’évidence, le pillard espérant y trouver un contenu de valeur l’avait arraché. 3000 ans plus tard, je regardai dans le vase avec le même espoir ; nous avons été tous deux déçus, il contenait seulement un liquide que nous avons tout d’abord pris pour du miel, mais qui s’est finalement avéré être du natron.

On trouve dans le même ouvrage des photos des vases en planches XXV et XXVI, ainsi que leur description en page 30 et 31.

Ce dernier témoignage laisse entendre que le contenu n’était pas du miel, ce qui sera confirmé en 1908. La tombe avait été originellement découverte par James Edward Quibell, absent lors des fouilles et remplacé par Arthur Weigall en tant que « Chief Inspector » ; et c’est celui-ci qui s’est chargé de publier le compte rendu : Tomb of Yuaa and Thuiu (1908) https://openlibrary.org/books/OL14045561M/Tomb_of_Yuaa_and_Thuiu

On retrouve les deux vases en albâtre dans la liste des objets en page 49 :

51105 : Vase en albâtre.
Vase avec une poignée. Contenu environ 100 cc d’un liquide brunâtre et visqueux, qui s’avère être de l’huile de ricin.
51106 : Vase en albâtre. Quasiment rempli d’une substance rouge sombre.

Ainsi que les résultats de l’analyse en page 75 à 77 :

La jarre 51105 contient donc de l’huile de ricin, de couleur jaunâtre, comme le miel.

La jarre 51106 contient une solution de natron contenant encore 8,70% d’eau, ce qui explique probablement la consistance sirupeuse malgré son âge.

Qu’est ce que le natron ? C’est un minéral, abondant en Égypte, qui servait notamment lors du processus de momification. Il est en usage encore aujourd’hui, et peut servir aussi bien de lessive que pour la conservation des viandes. Il est composé principalement de carbonate de sodium hydraté et de bicarbonate de sodium.

Les trois ans écoulés entre la découverte de la tombe KV46 en 1905 et la publication des analyses en 1908, analyses bien moins diffusées auprès du grand public, ont suffi pour que prenne vie la légende urbaine du « miel des pharaons », comme l’indique cet article de 1913 du très sérieux National Geographic, qui cite cette fabuleuse découverte datant de 3300 ans :

(Source, page 999)

Le plus surprenant fut la découverte d’une jarre de miel, encore liquide et ayant conservé son odeur caractéristique après 3300 ans ! M. Weigall déclarait : « On regardait les objets l’un après l’autre avec l’impression que notre conception humaine du temps était fausse. C’étaient là des objets d’hier, âgés d’à peine un an ou deux »

Et, du « miel des pharaons » des tombeaux de la Vallée des Rois au « miel des pyramides », il n’y a qu’un pas dans l’amalgame ...

Pour conclure, en ce qui concerne la légendaire capacité de conservation du miel, il semble qu’elle ne dépasse guère quelques années dans des conditions habituelles de stockage.