A l’occasion d’une projection publique de leur nouveau film Gizeh 2005, Patrice Pooyard et Jacques Grimault relatent un échange survenu dans la salle (on pourra trouver l’échange complet, tel que présenté par les auteurs, ici) avec un personnage anonyme présenté comme égyptologue retraité :
L’astérisque à la fin de l’intervention de Jacques Grimault renvoie à cette note qui m’est destinée :
Patrice Pooyard, le narrateur ici, m’invitant aimablement (?) à me saisir de la question, je m’empresse de répondre à son invitation. Force m’est cependant de constater qu’on a là un bel « argument de l’homme de paille » : en effet, la question n’est pas de savoir si Flinders Petrie aurait, ou n’aurait pas, mentionné une telle découverte dans la pyramide de Mykerinos (il me semble qu’il la mentionne effectivement dans le premier volume de A history of Egypt, et peut-être ailleurs, mais je ne vois pas l’intérêt de vérifier). Cette découverte est en effet parfaitement connue, de même que ses suites, par la relation du découvreur lui-même, en l’occurence le colonel Howard Vyse, qui en décrit les circonstances dans Operations carried on at the pyramids of Gizeh in 1837, volume II, page 82 et suivantes.
Non, le vrai problème ici est qu’il y a deux erreurs évidentes dans l’intervention de Jacques Grimault. La première porte sur le fait qu’il n’y a pas eu de momie trouvée dans la troisième pyramide au XIXème siècle. Howard Vyse y a découvert d’une part un sarcophage qu’il décrit comme étant fait de basalte, et avec un décor en « façade de palais », sarcophage vide dont le couvercle est retrouvé un peu plus loin ; et d’autre part, au milieu des débris dans l’antichambre, les fragments du couvercle d’un cercueil de bois anthropomorphe, mêlés à des ossements humains (des côtes, des vertèbres et une jambe [1]). Bien que le cercueil de bois ait porté des inscriptions mentionnant Mykerinos/Menkaure, il ne s’agit pas du cercueil originel puisqu’il a été daté de la période saïte (XXVIème dynastie, VIème siècle avant JC) ; certains égyptologues pensent qu’il pouvait s’agir d’un cercueil dit de substitution installé à cette époque de renaissance des pratiques cultuelles et artistiques de l’Ancien Empire. Quant aux ossements, ils ont été d’après I.E.S. Edwards datés d’une période beaucoup plus récente, Ier siècle avant JC voire début de l’époque chrétienne [2]
Il n’y avait donc pas de momie dans la pyramide de Menkaure lorsque Howard Vyse y est entré ; pyramide qui avait été "visitée" au moins trois fois depuis sa construction : à l’époque saïte, au début de l’ère chrétienne, et enfin lorsque l’Egypte est passée sous domination musulmane, puisque Howard Vyse y a observé des inscriptions en arabe.
La deuxième erreur, plus grave, de Jacques Grimault, porte sur le sort du sarcophage, qu’il présente comme ayant été quasiment escamoté par un Howard Vyse « peu scrupuleux ». Howard Vyse a effectivement pris la décision d’envoyer le sarcophage en Angleterre, où il était attendu au British Museum. La justification qu’il donne pour ce transfert (« As the sarcophagus would have been destroyed, had it remained in the pyramid, I resolved to send it to the British Museum » : « Comme le sarcophage courait le risque d’être détruit s’il restait dans la pyramide, je résolus de l’envoyer au British Museum ») peut paraître peu convaincante, mais il faut la replacer dans le contexte de la première moitié du XIXème siècle, où les égyptologues de l’époque, qui sont souvent plus voyageurs et "antiquaires" que scientifiques n’éprouvent guère de scrupules à piller les richesses archéologiques du monde, généralement d’ailleurs avec le consentement des autorités locales [3].
Ce transfert du sarcophage ne s’est fait ni « immédiatement » ni en catimini : la découverte du sarcophage remonte au 1er août 1837 ; Howard Vyse décrit minutieusement les opérations qui furent nécessaires pour sortir le sarcophage de la pyramide et le transporter à Alexandrie, où il fut chargé sur le bateau Beatrice à l’automne 1838, soit plus d’un an plus tard (pages 83 et 84 de Opérations).
Le vrai mystère commence là, puisque la Beatrice coula au cours du voyage vers Londres ; et à moins que M. Grimault ne dispose, encore une fois, de sources mystérieuses et totalement inconnues du reste du monde, rien ne peut lui permettre d’affirmer que le bateau aurait « coulé par 18 mètres de fond ». L’égyptologue anglais Paul Boughton a longtemps enquêté sur ce mystère du sarcophage perdu, et a synthétisé ses trouvailles sur cette page qui reprend le contenu d’un article publié en 2009 dans Ancient Egypt magazine. Pour aller au plus court, on ne sait ni quand le bateau a coulé, ni où, ni même si tout ou partie de l’équipage a survécu. On sait que la Beatrice a quitté le port d’Alexandrie le 20 septembre 1838, puis Malte le 13 octobre après une escale. Tout le reste est rumeurs, on-dits ; le lieu du naufrage est tout aussi flou : certains l’imaginent près de Carthagène (ce que croyait Howard Vyse) ; d’autres parlent de Gibraltar, de la côte toscane ou encore ailleurs.
Impossible donc d’affirmer que l’épave serait à « 18 mètres de fond ». Quant à affirmer que « personne n’a plongé pour tenter de la repêcher », on est encore dans l’exagération pooyardo-grimaultienne. Même si le lieu du naufrage est inconnu, cela n’a pas empêché certains de tenter leur chance ; ainsi on apprend qu’une campagne de prospection par le Ministère de la Culture espagnol pour repérer l’épave a eu lieu durant six mois en 1997 dans la baie de Carthagène, sans succès. D’autres projets ont été annoncés, dont un en 2008 impliquant le gouvernement espagnol, les Antiquités égyptiennes avec Zahi Hawass, Robert Ballard l’inventeur de l’épave du Titanic, Franck Goddio l’archéologue sous-marin, National Geographic et un robot sous-marin ; le projet ne semble pas avoir abouti, mais il y en aura sans doute d’autres, et les chasseurs de trésor ne manquent pas.
A moins que Jacques Grimault, qui semble savoir mieux que tout le monde où se trouve la Beatrice, ne prenne les devants pour récupérer le sarcophage perdu ?