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Les scientifiques de l’Alien Project
Thierry Jamin et les ululeurs font grand cas de l’aspect scientifique de leur projet ; tout en rejetant totalement l’expertise des anthropologues du Musée de l’Homme (voir cet article), volontiers qualifiés de « pseudoscientifiques » pratiquant la télémédecine parce qu’ils n’ont pas eu les momies entre les mains, ils ne manquent pas d’insister sur les « vrais scientifiques » et « scientifiques de haut niveau » qui collaborent au projet et affirmeraient être dans l’incapacité de détecter le moindre indice de fraude. Qui sont ces « vrais scientifiques » ? J’ai déjà évoqué largement, par exemple ici ou là, certains d’entre eux, comme Konstantin Korotkov, le vendeur de gadgets pseudo-médicaux et chasseur d’âmes, et surtout les « spécialistes » régulièrement impliqués dans les fakes ufologiques promus par Jaime Maussan : José de Jesús Zalce Benítez, au CV impressionnant mais dont on ne trouve guère de traces sur internet en dehors de son implication dans l’histoire des diapositives de Roswell ; José de la Cruz Rios Lopez, licencié en biologie et spécialiste des algues qui passe son temps à nommer et décrire des espèces aliens, mais est incapable de produire un article scientifique sur le sujet [1] ; et l’ufologue et biologiste Ricardo Rangel Martinez, incapable d’identifier un hoax, mais qui vend un traitement miracle à base de cellules souches.
Qui sont les autres scientifiques évoqués ? Beaucoup ne sont jamais nommés : par exemple on mentionne souvent « des scientifiques de Cambridge, Cardiff, Glascow [sic !] et Leicestershire [re-sic !] universities », mais bien sûr aucun de ces scientifiques n’est nommé. En fait cette liste vient de Deïmian, « l’ambassadeur de l’Alien Project en France » ; c’est en effet lui qui énonce cette liste (y compris les erreurs sur « Glascow » et « Leicestershire University » qui sont ensuite reprises telles quelles par Thierry Jamin et les ululeurs) en affirmant être entré en relation avec ces scientifiques par l’intermédiaire de ses « contacts en Angleterre ». Les scientifiques ne sont pas nommés, non plus que lesdits contacts ; cependant ces derniers sont assez faciles à identifier : il s’agit d’un ufologue et paraspychologue, Steve Mera, et d’un chasseur de fantômes, Barry Fitzgerald, Steve Mera ayant publié dans sa revue Phenomena Magazine de mai 2017 une longue présentation du film de Deïmian L’Autre Terre des Dieux, film dont Mera est aussi « porte-parole officiel ». Les deux Britanniques ont d’ailleurs réalisé leur propre documentaire sur l’affaire des momies de Nazca, intitulé Three Fingered Peruvian Mummy Documentary that Will Make You Question Everything. Si la fin de ce documentaire annonce une deuxième partie (« Nous avons les résultats, nous allons les donner au monde, et nous allons révéler la vérité »), cette deuxième partie se fait attendre, et nulle part les deux enquêteurs n’ont donné la moindre info sur les scientifiques britanniques qui seraient éventuellement impliqués.
Un autre groupe de scientifiques dont on ne sait pas grand chose est le « Cercle Scientifique pour la Vérité de l’Affaire Nazca ». Ce cercle scientifique - secret, en tout cas pour le moment - est une idée de l’ufologue Michel Ribardière (voir ici) : « Le principe est de constituer une équipe de chercheurs, ayant l’argument d’autorité que représentent leurs diplômes, leurs responsabilités (éventuelles) et leurs carrières. Nous leur donnerons tous les éléments, photos, vidéos, analyses, interprétations médicales que nous détenons et qui leur permettront de se positionner sur la réalité des matériaux. » Michel Ribardière en donnait régulièrement des nouvelles aux ululeurs durant l’été (« Les scientifiques ne sont pas toujours effrayés par les adversités que rencontre l’affaire des reliques de Nazca et certains ont au contraire été intrigués au point de se rapprocher de nous et de postuler à l’étude scientifique légitime que nous projetons. Nous avons donc commencé à recevoir des CV par recommandation. ») ; aux dernières nouvelles, cependant, on ne peut pas dire que ce cercle de scientifiques soit très étoffé : « Une sociologue, une neuro-scientifique, un ostéopathe + un assistant de recherche [?] ; d’autres personnes se déclarent prêtes mais ne s’investissent pas encore : un physicien chimiste, un astrophysicien, un ostéopathe, une archéologue » ; il faut y ajouter plus récemment « une biochimiste et professeur [qui] a rejoint notre équipe. C’est une personne brillante qu’on préfère avoir à ses cotés plutôt que dans le camp adverse. Elle fait peur ». Un assemblage quelque peu hétéroclite donc, où il me semble manquer les spécialités les plus importantes : a priori, un anthropologue serait sans doute plus utile qu’un astrophysicien ou qu’une sociologue...
Pas de noms dans cette liste, mais certains de ces scientifiques sont quand même identifiables. La biochimiste « brillante » mais qui « fait peur » est sans aucun doute une certaine Clara Ines Martinez, dont Thierry Jamin et les ululeurs partagent régulièrement les vidéos sur Facebook. Elle est présentée par M. Jamin comme « biogénéticienne [...] qui travaille à Genève pour le gouvernement suisse ». Mais pas la peine de chercher des publications scientifiques de Mme Martinez, ni sur la génétique ni sur la biochimie : cette dame, licenciée en chimie, est enseignante dans une Ecole de Culture Générale du canton de Genève - l’équivalent du lycée français - et n’a à son actif ni recherche ni publication dans ces domaines. Par contre elle a une chaîne YouTube (en espagnol) très bavarde, intitulée « CienciaConcienciaCritica ». Elle y parle un peu de tout (fractales, « idéologie du genre », darwinisme, huile de palme, Masaru Emoto...) et bien sûr des momies de Nazca ; on y trouve aussi quelques perles, par exemple une vidéo où elle s’interroge sur la possibilité que l’homme et les dinosaures aient pu coexister... en reprenant les innombrables fakes qui traînent sur ce sujet (pierres d’Ica, stégosaure d’Angkor etc.) et en s’appuyant sur les « travaux » d’un groupe créationniste américain (le Paleochronology Group). Effectivement, d’une certaine façon, « elle fait peur »... mais peut-être pas comme l’imagine Michel Ribardière !
Une autre personne identifiable, car citée par Thierry Jamin à plusieurs reprises, est la neuroscientifique Sarah Kouhou - même si on peut se demander ce que viennent faire les neurosciences dans l’histoire... c’est bien la première fois que j’entends parler de l’utilisation des neurosciences dans l’étude de momies ! Quoi qu’il en soit, cette neuroscientifique a bien, elle, les qualifications qu’on lui prête, avec un parcours quelque peu curieux, puisqu’elle enchaîne un DEA en épistémologie, suivi d’un Master en sciences cognitives, et enfin un PhD en neurosciences cognitives (sa thèse est disponible en ligne). Par contre elle ne semble avoir, en dehors de cette thèse, aucune publication scientifique à son actif ; et, contrairement à ce qu’affirme Thierry Jamin (« elle travaille dans un grand laboratoire de Londres »), elle ne semble rattachée à aucune institution. Son CV la présente bien comme appartenant à un laboratoire nommé Epimethylum dont le site est en construction, mais il s’agit en fait d’une petite entreprise privée dont elle détient le capital de 50 livres, et tout juste fondée puisque sa date officielle de création est le 9 octobre 2017. Certes Sarah Kouhou voit grand pour cette société : elle a lancé de multiples offres d’emploi, ainsi qu’un crowdfunding, pour financer son laboratoire, d’un million de livres (campagne qui semble avoir peu de chances de réussite, étant donné qu’il y a actuellement zéro contributeur...) :
Mais pour le moment son laboratoire n’a pas l’air d’être vraiment une réalité, auquel cas on voit mal comment elle pourrait procéder au séquençage de « Maria » annoncé par Thierry Jamin. C’est d’ailleurs peut-être pour cela qu’elle essaie de faire appel, sur sa page Facebook, aux services d’un « bio-hacker » (l’équivalent des hackers mais dans le domaine du bricolage génétique) :
Après, il est possible qu’elle ait réellement fait procéder à un séquençage à Cambridge, auquel cas on aura un jour ou l’autre le résultat ; au moins Sarah Kouhou doit être plus familière que les autres scientifiques de l’équipe avec la procédure de publication scientifique, et nul doute que si ce séquençage révèle des résultats extraordinaires elle aura à cœur de procéder à une véritable publication.
Un troisième « scientifique », indépendant de l’équipe réunie par Michel Ribardière, est un voisin de Thierry Jamin à Cuzco : il s’agit d’un radiologue péruvien, Raymundo Salas Alfaro. Présenté comme un grand radiologue avec 35 ans d’expérience, « spécialiste des IRM », il est fréquemment mis en avant comme caution scientifique par Thierry Jamin, les ululeurs, et l’équipe Maussan, montré en train d’expliquer les radios et scans des momies et interviewé par les youtubeurs péruviens. Nonobstant ses 35 années d’expérience, on notera qu’il n’en a aucune en matière de momies, à la différence des anthropologues du Musée de l’Homme, qui expliquent bien à quel point l’expérience d’un médecin ou radiologue habitué à travailler sur des êtres vivants n’est pas forcément la même que celle d’un anthropologue. Raymundo Salas Alfaro n’a par ailleurs aucun lien avec la recherche, il est un simple radiologue de quartier, propriétaire d’un petit cabinet privé de radiologie, Ray Medic :
Son cabinet semble par ailleurs avoir bien besoin de publicité, si l’on en juge par ce « reportage » publicitaire réalisé en février 2017 :
On peut noter d’ailleurs que ce publi-reportage est quelque peu à la limite de la publicité mensongère :
– il prétend proposer des équipements médicaux « de la dernière génération » ; or le scanner qu’on voit dans la vidéo semble être un NeuViz Dual, dont la période de fabrication est de 2006 à 2008 et qui est présenté par le fabricant comme un système « adapted for economical day-to-day clinical routine » (« adaptés à des examens cliniques de routine économiques ») ;
– il présente, insérées entre des images de Raymundo Salas Alfaro dans son cabinet, des images d’un scanner plus moderne et de scans CT en haute résolution comme celles-ci :
Or toutes ces images proviennent d’un cabinet brésilien nettement plus important appelé Cedimagem, équipé d’un scanner Siemens beaucoup plus récent, et on peut retrouver les images originales dans cette vidéo :
Curieuse pratique...
Imagerie médicale et archéologie
La question du radiologue Raymundo Salas Alfaro m’amène à revenir rapidement sur celle de l’imagerie médicale et de ce que l’équipe d’Alien Project aurait pu ou dû faire ; on a en effet entendu beaucoup d’idioties sur le sujet ces derniers jours - à commencer par Thierry Jamin qui confond régulièrement IRM et scanner. Il semble qu’au moins une partie des scanners diffusés - dont ceux transmis à Alain Froment - ont été réalisés par Ray Medic ; comme l’a constaté Alain Froment, ce ne sont pas des scanners de grande qualité. Par exemple le nombre de coupes est limité (118 pour Maria, 85 pour Josefina) et leur épaisseur est importante (6 mm) - à titre de comparaison, dans cette étude d’une momie péruvienne le nombre de coupes (pour une momie d’enfant) était de 628, avec une épaisseur de 1,4 mm. Or plus les coupes sont fines (et nombreuses), et plus la reconstruction 2D ou 3D sera précise et exploitable (le seul obstacle à la multiplication des coupes fines est le risque de doses trop élevées d’irradiation pour le patient, mais le problème ne se pose évidemment pas pour des momies). À titre d’exemple, voici la différence dans la reconstruction 2D entre des coupes de 2 mm et de 10 mm :
L’acquisition des images médicales, lorsqu’il s’agit de momies, ne se réalise pas de la même façon que lorsqu’il s’agit de corps vivants, et la « paléoradiologie » est une discipline à part entière - sans même parler bien sûr du problème de l’interprétation de ces images, déjà évoqué ci-dessus. Voici à titre d’exemple ce qu’en dit la société Tridilogy, spécialisée dans l’étude et l’expertise des momies : « Nous avons mis au point un protocole d’examen spécifique aux momies car les protocoles habituels fournis par les constructeurs de scanner (et donc utilisés par les radiologues) ne sont pas adaptés : si les images ne sont pas bien réalisées au départ, on risque d’obtenir des données incomplètes. [...] Une fois l’acquisition des images réalisée, la lecture et l’interprétation des données nécessite un avis d’expert. Notre expérience nous permet à la fois une bonne connaissance de l’anatomie et de la pathologie humaines, ainsi que des modifications liées à la momification pour ne pas faire d’erreur d’interprétation. »
Voici quelques exemples de ce qu’on peut réaliser au scanner sur une momie :
– « Apport de l’imagerie médicale 3D à l’étude d’une momie du IVe siècle a.C. » par Sylvain Ordureau et Guy Lecuyot, in Actes du Colloque Virtual Retrospect 2007, Archéovision 3, Editions Ausonius, Bordeaux
– Chapitre « Paléo-imagerie par rayons X : une méthode d’exploration transdisciplinaire, de l’archéologie à la chirurgie », par Hélène Coqueugniot, in Regards croisés : quand les sciences archéologiques rencontrent l’innovation, Éditions des archives contemporaines, 2017.
– « Application des techniques d’autopsie virtuelle à l’anthropologie : Étude de l’examen tomodensitométrique d’une momie péruvienne » par Mathieu Monamicq, extrait de sa thèse de l’Université Bordeaux 2, Autopsie Virtuelle appliquée à l’Anthropologie, 2009.
Le lecteur pourra avantageusement comparer la qualité des images obtenues dans ces exemples avec celle des documents fournis par l’Alien Project qui ne permettent pas la segmentation (technique qui consiste à isoler les plages de densité correspondant aux organes qu’on veut étudier) :
Anomalies anatomiques suite
On n’en finit plus d’énumérer les bizarreries des squelettes des « petits gris » et autres « artefacts biologiques » [sic] de l’Alien Project ; pour mémoire :
– anomalies sur le nombre de côtes, très variable d’un spécimen à l’autre ; José Rios et les ululeurs essaient de se rassurer en rappelant qu’il existe aussi des variations du nombre de côtes chez les humains, mais ces variations sont relativement rares, et la probabilité de trouver dans le même site plusieurs individus affectés d’une telle déformation est assez faible...
– idem sur le nombre de phalanges ;
– nombreuses articulations non fonctionnelles : épaules, cou, hanches ; ou bien au fonctionnement très limité, par exemple avant-bras et poignet ne permettant pas la supination/pronation ;
– coexistence dans le même spécimen d’os d’individus adultes et et d’os d’individus immatures ; ces derniers se reconnaissent au fait que l’épiphyse est séparée du reste de l’os (la diaphyse), la soudure entre les deux parties par ossification progressive des cartilages de croissance n’intervenant qu’à la fin de la croissance ; ce phénomène est bien visible sur certains des os longs chez Albert et Josefina ;
– présence d’os long sans épiphyse, par exemple les supposés humerus d’Albert ;
– présence d’os coupés (bras de Josefina, grandes mains) ;
– absence de symétrie latérale : les os de chaque côté du corps n’ont souvent ni la même longueur, ni la même largeur, ni la même épaisseur de paroi externe (os cortical) ; là encore, on observe ce type de différences chez les humains ou les animaux, mais rarement d’une telle intensité ;
– os en position anatomiquement fausse, par exemple dans les grandes mains (y compris celles que Thierry Jamin présente pour « vraies », à la différence de celle détenue par Paul Ronceros analysée ici) ;
– « foramen magnum » carré sur les petites têtes isolées, sans trace des structures du cou sur la base du crâne (voir ce commentaire qui détaille le sujet)...
On pourrait encore en relever d’autres, voir par exemple la suite de commentaires d’un participant (Desnes Diev) sur cette page. Étonnamment, aucune de ces anomalies ne semble troubler les « scientifiques » de l’Alien Project, alors que même les ululeurs, en tout cas ceux qui ont gardé un minimum d’esprit critique, s’interrogent sur elles. On peut noter également une gradation très troublante qui va des faux les plus évidents présentés au début, à la momie quasi-humaine (Maria) ; Thierry Jamin a été obligé, devant l’évidence, de décréter faux certains des objets qui lui ont été fournis par Paul Ronceros, et qui lui avaient pourtant servi de points d’appui dans sa campagne de crowdfunding :
Mais d’autres objets tout aussi discutables sont toujours présentés comme dignes d’étude et comme « entités biologiques », par exemple la main évoquée plus haut ou cet autre bonhomme bâton aux trois coudes et trois genoux :
Entre ces faux, ces peut-être faux, et les « petits gris » présentés comme authentiques, on retrouve les mêmes techniques : même mélange d’os matures et immatures, mêmes os parfois coupés, mêmes "articulations" improbables... et bien sûr même couche de diatomite bien utile pour cacher les traces d’intervention. On est passé progressivement, avec le temps, de faux rudimentaires à des objets de plus en plus vraisemblables, où les erreurs les plus grotesques ont été corrigées même s’il reste pas mal d’anomalies ; comme de nombreuses personnes l’ont déjà noté, cela ne peut qu’évoquer une amélioration progressive de faussaires tenant compte des critiques apportées à leur œuvre...
ADN le retour
J’avais évoqué rapidement ici les annonces fracassantes de Jaime Maussan lors de sa conférence de septembre en Espagne, en particulier concernant de nouvelles analyses ADN ; il affirme d’une part (mais bien sûr sans rien publier) que de nouvelles analyses pratiquées sur Maria, en particulier sur ses pieds et mains, montrent que ceux-ci n’ont pas été ajoutés, les pieds et les mains appartiennent bien au même être que le corps. Cela ne surprendra pas vraiment les sceptiques : à ma connaissance, personne n’a jamais affirmé qu’on aurait attaché des mains et des pieds venus d’ailleurs à la pauvre Maria, les anthropologues ont plutôt évoqué une modification des pieds et mains de la momie (voir la mise à jour du 24 juin).
Jaime Maussan annonçait d’autre part qu’une autre analyse ADN de Maria n’avait montré qu’environ 30 % d’ADN humain ; le reste serait composé d’un peu d’ADN bactérien, et surtout d’ADN « inconnu » (respectivement 30 et 70 % selon Maussan, 10 à 20 % d’origine bactérienne d’après Thierry Jamin) :
Evidemment, les mots « ADN inconnu » ont fait « tilt » chez beaucoup, qui y ont vu une confirmation du fait que Maria serait un hybride d’alien, et la nouvelle a été reprise par quelques sites ufologiques, par exemple ici (en) ou là (it). Dans le septième épisode de sa série En busca de los dioses perdidos, Jaime Maussan lit quelques extraits du rapport du laboratoire, et en particulier celui-ci :
Mais il ne lit curieusement pas le passage le plus intéressant, que j’ai encadré de rouge, où on apprend que le laboratoire mexicain BioTecMol n’a rien trouvé de bien extraordinaire à cet « ADN inconnu » :
Le reste des séquences sont très probablement des séquences d’origine bactérienne, qui se rencontrent communément dans ce type d’échantillon.
Quelques rappels pour comprendre pourquoi les gens du laboratoire n’ont pas sauté au plafond devant ces résultats :
– La présence d’ADN bactérien n’a rien de surprenant : tout corps humain est porteur d’un microbiote dans lequel le nombre de bactéries est au moins équivalent au nombre de cellules du corps ; ces bactéries présentes « naturellement » dans tout être vivant ne sont bien sûr plus très nombreuses dans une momie desséchée depuis longtemps [2]... mais le sont chez tous ceux qui ont manipulé les momies et les échantillons depuis deux ans ; il faut y ajouter les bactéries de l’environnement présentes absolument partout. Cet ADN bactérien détecté est donc probablement issu des multiples contaminations subies par les échantillons avant leur arrivée au labo.
– Une très faible partie seulement des bactéries (environ 10 000 espèces sur un nombre total d’espèces estimé de 10 à 100 millions, voire plus, selon les auteurs et les nouvelles découvertes) sont réellement connues et identifiées. Pour décrire une espèce de bactérie et générer une séquence de référence qui pourra être incluse dans les bases de données d’ADN connu, il faut qu’elle soit cultivable, c’est-à-dire isolée et multipliée en labo, et il faut définir un milieu de culture. Je cite mon correspondant généticien :
Par définition un milieu de culture n’est pas un milieu naturel. Ce sont des conditions totalement artificielles pour la bactérie, créées par l’homme, et on ne sait pas pourquoi elle peut s’y épanouir. En pratique les milieux de culture sont des brouets de sorcière complètement improbables : sang de mouton, acide/base, une pincée de magnésium,... ou pire : Coxiella burnetii (fièvre Q) par exemple ne pousse en labo - et encore, très lentement - que sur des œufs de poule embryonnés. Rien d’autre. On ne sait pas pourquoi. En condition naturelle on peut trouver Coxiella dans le sang de dizaines d’hôtes différents sans que ça ait l’air de la gêner beaucoup, mais en labo, elle fait la fine bouche. Le moindre écart de protocole à la méthode de culture officielle aboutit à un échec.
Or les conditions pour décrire une nouvelle espèce bactérienne sont très strictes. Il faut obligatoirement avoir isolé et donc défini un milieu (ça conduit à des situations bizarres : dans certains environnements, les génomiciens savent qu’on a quelque chose qui ressemble fortement à de nouvelles espèces, c.a.d. qu’on retrouve toujours les mêmes séquences à la même abondance ; mais ne pouvant les cultiver, ils doivent continuer à les désigner prudemment comme "les entités Z687810 et UYXYA173" sans pouvoir les nommer).
Bref, dans les bases de données d’ADN connu, il y a donc quelques génomes de modèles étudiés depuis 100 ans de bactériologie, et énormément d’ADN vaguement bactérien (= on a pu identifier des motifs typiquement bactériens dans la séquence) mais qui n’est associé à aucune espèce en particulier, juste des numéros "provisoires".
– Du coup, quand un labo se retrouve avec des séquences non humaines comme ici, ils vont les comparer, avec un outil du type BLAST, aux banques d’ADN connu du type GenBank, mais seule une petite partie des séquences bactériennes pourront être formellement identifiées (« assignées ») grâce aux séquences de référence de ces banques. Le reste n’est pas « connu » (ce sont des séquences qu’on ne retrouve pas dans les banques d’ADN connu), mais cela ne signifie pas que le labo ait le moindre doute sur le caractère bactérien de cet ADN, ce qui semble bien être le cas ici.
Bref, encore un coup d’épée dans l’eau, dirait-on... ce qui était assez prévisible, l’intérêt des promoteurs des « momies aliens » comme Jaime Maussan étant de faire durer le plus possible l’histoire, et de donner l’illusion d’une démarche scientifique, mais en évitant soigneusement les études qui pourraient donner un éclairage trop cru sur l’affaire.
Mise à jour du 14 novembre : les diplômes de Clara Martinez
Le fait que j’ai mentionné brièvement son CV ci-dessus n’a pas du tout, mais alors pas du tout plu à Mme Clara Ines Martinez, celle que Thierry Jamin présente comme « la Doctora Clara Ines Martinez ». Mme Martinez s’est en effet donné la peine de faire une vidéo (à partir de 14:49) où, très agitée, elle s’étend sur les « attaques » et « diffamations » dont elle se dit victime - sans bien sûr indiquer de lien vers mon article, on ne sait jamais, un de ses admirateurs pourrait avoir l’idée de vérifier ce que j’ai écrit...
Si je comprends bien, en vrac :
– Elle me reproche de la présenter comme membre de l’équipe de Tercer Millenio (de Jaime Maussan) et de l’Institut Inkari de Thierry Jamin ; or non seulement je n’ai jamais mentionné Maussan en lien avec Mme Martinez, mais l’origine de l’information selon laquelle elle aurait rejoint le « Cercle Scientifique pour la Vérité de l’Affaire Nazca » provient de Michel Ribardière. Comme on peut le voir ci-dessous, c’est également de lui que provient la phrase « elle fait peur » qui semble avoir choqué Mme Martinez :
– Elle se défend d’être biogénéticienne : effectivement, c’est Thierry Jamin qui la présente ainsi, comme « spécialiste et biogénéticienne », c’est à lui qu’il faudrait expliquer la différence entre biogénéticien, biochimiste et biologiste...
– Même chose pour ce qui est de l’employeur de Mme Martinez : je n’y suis pour rien si Thierry Jamin confond le « gouvernement suisse » avec le canton de Genève, qui est effectivement l’employeur de Mme Martinez puisqu’elle travaille à l’École de culture générale Henry-Dunant.
– Elle semble avoir un peu de mal avec la notion de publication scientifique : elle brandit en effet furieusement son tesis de grado - l’équivalent d’un mémoire de maîtrise ou de master 1 - en réponse à ma remarque sur son absence de publications scientifiques. Je n’ai aucun doute que son mémoire doit être de très grande qualité, mais cela n’a pas grand chose à voir avec la publication d’articles scientifiques sur un travail de recherche.
– Mme Martinez semble également me reprocher de ne pas avoir parlé de tous ses diplômes : elle a deux licences (une en chimie et une en biologie), dont acte ; plus divers diplômes universitaires suisses et colombiens. Le but de mon article n’était cependant pas de faire une biographie complète de cette dame (même si le lien vers sa page linkedIn permettait au lecteur intéressé d’approfondir), mais de s’interroger sur son degré d’expertise ; merci à elle de confirmer qu’aucun de ses diplômes ne dépasse le niveau de la licence suisse (c’est-à-dire l’équivalent de la maîtrise), ce qui ne fait d’elle, quelles que soient ses qualités, ni une « Doctora » ni une chercheuse.
– Il en est de même pour tous ses anciens emplois : elle affiche dans sa vidéo une dizaine de documents peu ou pas lisibles qu’elle présente comme des « contrats de travail » - peu convaincants, d’ailleurs : diverses conventions de stage, une attestation de suivi des cours, un formulaire destiné aux « personnes professionnellement exposées aux radiations ionisantes », une lettre d’embauche comme assistante d’un service client chez BioMérieux, une attestation de participation à un « Programme de promotion de la jeunesse et d’utilisation créative du temps libre en tant que stratégies de prévention de la toxicomanie »... Quoi qu’il en soit, rien de tout cela ne vient contredire le seul fait contenu dans mon article : Mme Martinez enseigne bien dans le secondaire du canton de Genève...
Bref, j’ai un peu de mal à comprendre la grande colère de Clara Martinez, qui semble ne pas supporter qu’on expose très simplement sa position en corrigeant les exagérations de MM. Jamin et Ribardière. Décidément, cette tendance à la victimisation et à accuser à tort et à travers de « diffamation » toute analyse qui ne serait pas empreinte d’admiration béate est assez caractéristique des acteurs de cette affaire de Nazca...
Menaces, le retour
Nouvelle mise à jour le 18 novembre 2017 : Sarah Kouhou, docteur en neurosciences évoquée plus haut, me menace d’un dépôt de plainte si je ne retire pas toute mention de son nom et de son prénom de cet article, en s’appuyant sur l’article 9 du Code civil. Cet article ne concernant que le domaine de la vie privée, je lui ai fait remarquer que toutes les informations contenues dans l’article, qui ne concernent que ses activités professionnelles, émanent de pages publiques : page LinkedIn, site de la SISSA, registre britannique des sociétés, Google Scholar, site d’offres d’emploi, profil public Facebook... ou de déclarations publiques de M. Jamin. Mais peine perdue, Mme Kouhou ne veut visiblement pas voir son nom associé à cette affaire des momies de Nazca, dont elle me dit qu’elle ne voit pas le rapport avec elle. Aussi, pour lui faciliter la tâche et lui permettre de demander la même chose à toutes les personnes qui auraient évoqué son implication dans l’affaire, je me permets de lui indiquer ici quelques unes des pages ou vidéos qui sont dans ce cas, en lui souhaitant bon courage :
– Interview en espagnol de Thierry Jamin où il parle de son séjour au Pérou et de son opinion sur « Mario » et les momies : https://www.youtube.com/watch?v=DwSBHQ2s_zY&feature=youtu.be&t=2202
– Post de Thierry Jamin sur Facebook où il parle de son analyse des résultats ADN présentés par Jaime Maussan : https://www.facebook.com/thierry.jamin/posts/1657806387597884 (attention, ce post a été partagé 83 fois à l’heure où j’écris, sans parler des reprises sur divers forums, par exemple celui-ci : https://www.forosperu.net/temas/revelan-extraterrestre-ante-cientificos-internacionales.1106290/pagina-163#post-24498525, ou des retweets comme celui-ci : https://twitter.com/Gran_Paititi/status/911999412464955393)
– Inclusion dans la « Liste des médecins et spécialistes qui ont analysé, radiographié et étudié les momies » sur le site Les émanants, messagers de la nature : http://messagesdelanature.ek.la/alien-project-les-momies-du-perou-1-p1230820?noajax&mobile=1
– Mention de son opinion sur les analyses ADN dans un article du Matin d’Algérie : http://www.lematindalgerie.com/comment/237
– Inclusion dans la liste des « scientifiques qui se sont exprimés après avoir procédé à des examens des corps et les matériaux biologiques » dans un document produit par M. Michel Ribardière et repris ensuite par plusieurs sites : http://www.sciences-faits-histoires.com/medias/files/analyse-de-l-argumentation-communaute-scientifique-1.pdf
– etc...