Comme promis dans un précédent article, je fais de temps à autre le point sur les nouvelles en provenance du cirque péruvien - pardon, de l’affaire des momies de Nazca qui doit révolutionner l’histoire, l’archéologie et la science.
Riri, Fifi et Loulou
Le mois d’août a été assez calme sur le front de Nazca ; avant de partir pour de longues vacances au Brésil, Thierry Jamin et Alain Bonnet ont quand même trouvé le temps début août de diffuser une vidéo de trois nouveaux « petits gris » :
On nous dit que ces trois “corps” auraient chacun 10 paires de côtes :
Ces trois corps sont censés appartenir à la même « espèce » que d’autres de taille comparable déjà montrés. Si c’est le cas, cette espèce fait preuve d’une diversité biologique absolument époustouflante ! En effet, d’après ce document :
– « Première entité biologique » : 13 paires de côtes
– « Alberto » : 6 paires de côtes, plus 2 paires flottantes
– « Josefina » : 9 paires de côtes, plus 2 paires flottantes
– « Victoria » : 6 paires de côtes, plus 2 paires flottantes
– Et donc « Riri », « Fifi » et « Loulou », les trois derniers : 10 paires de côtes.
Surprenant, non ? Surtout si l’on ajoute à cela un nombre assez variable de phalanges : tantôt 3, tantôt 4, parfois le même nombre aux mains et aux pieds et parfois un nombre différent...
Pétition
L’affaire des momies risque de bientôt faire rire dans les couloirs de l’Élysée et de quelques autres palais présidentiels ; Michel Ribardière, qui se présente comme le « chargé de relations avec le gouvernement » de l’Institut Inkari (et qui a tenté en vain de se faire financer un voyage au Pérou par le public), a mis en ligne le 21 septembre une série de pétitions, adressées pour l’une au Président de la République française, pour les autres à diverses autorités gouvernementales. A grand renfort de majuscules, M. Ribardière enjoint à divers présidents de « RECONNAITRE ce qui est la PLUS GRANDE DÉCOUVERTE ARCHÉOLOGIQUE de TOUS LES TEMPS », découverte dont il affirme que « L’AUTHENTICITÉ » est confirmée... alors même qu’on ne dispose d’aucun document ou résultat supplémentaire par rapport à ce que j’ai déjà analysé précédemment, et que Thierry Jamin lui-même continue parfois à ne pas exclure la possibilité d’une fraude (à 8:30). Je dois avouer que je regrette de ne pas avoir mes entrées à l’Élysée, j’aurais adoré assister à la scène de la remise de la pétition [1]...
Une conférence de Jaime Maussan
Un Congrès mondial d’ufologie a eu lieu du 19 au 21 septembre à Montserrat en Espagne ; parmi les intervenants, le journaliste/ufologue mexicain Jaime Maussan - plus connu comme promoteur de hoax ufologiques que comme journaliste sérieux - a donné une conférence d’environ une heure et demi sur les momies de Nazca. Après une introduction sur l’affaire des diapositives de Roswell - dont Jaime Maussan persiste à affirmer qu’elles montrent un corps d’alien malgré toutes les preuves indiquant qu’il s’agit d’un corps d’enfant momifié conservé au musée de Mesa Verde [2] - le journaliste reprend pour l’essentiel le contenu de la série d’émissions qu’il a déjà consacrée aux momies de Nazca, « En Busca de los Dioses Perdidos » (« A la recherche des Dieux perdus »), et qui n’apprend rien de nouveau à ceux qui suivent l’affaire depuis le début. Le clou de la conférence devait être le dévoilement du site archéologique où les momies sont censées avoir été trouvées, et la révélation de nouvelles analyses ADN.
Las, ce fut encore un flop magistral... Le lieu présenté par Jaime Maussan à partir de 2:52 n’a pas grand chose à voir avec la description fantastique qu’en faisait le dénommé « Mario » : pas de salles souterraines, pas de sarcophages, pas de crâne géant fossilisé dans le mur... et des appareils d’enregistrement qui fonctionnent très bien, sans aucune trace du champ mystérieux qui empêchait Mario de fournir des photos du lieu. Thierry Jamin, présent sur place puisqu’on le voit entrer dans la petite grotte (et qu’on l’entend parler en arriière-plan) :
est resté étrangement silencieux les jours suivants malgré les demandes répétées des ululeurs anxieux ; ce n’est qu’au détour d’une interview donnée à un youtubeur péruvien quelques jours plus tard qu’on apprendra de lui qu’il ne s’agit pas du bon site - même s’il n’en a pas l’air très certain, puisqu’il semble penser, « à l’odeur », que cette petite grotte est bien un site funéraire ayant contenu des momies :
Pour ce qui est des analyses ADN, Jaime Maussan annonce à 2:39 une révélation fracassante : les échantillons analysés (mais on ne sait pas lesquels ! Maria ? une des petites momies ? une main ? une tête ?...) ne seraient qu’à 30 % humains, et le reste de l’ADN ne serait qu’à 20% d’origine bactérienne, et à 80% inconnu et différent de toute espèce terrestre connue... Malheureusement, cette extraordinaire révélation scientifique n’est appuyée sur aucun document, M. Maussan n’ayant pas daigné publier les rapports des laboratoires ! Dans la suite de sa conférence, il fait intervenir un de ses « spécialistes » mexicains pour commenter ces résultats, un certain Ricardo Rangel Martinez.
Ricardo Rangel Martinez est présenté comme biologiste, spécialiste en biotechnologie et « médecine régénérative ». Si l’on ne trouve aucune publication scientifique à son nom dans Google Scholar, il semble être le fondateur de toute une série d’instituts et sociétés spécialisés dans les traitements à base de cellules souches : Institut Bioplenum, Centro Biotecnológico de Terapias Avanzadas, Biotechnology Kids, Cambium Therapies... Cette dernière, par exemple, prétendait dans un article du 2 décembre 2015, en plus de soigner le diabète et les lésions de la peau, vendre un traitement à base de cellules souches permettant d’allonger l’espérance de vie à plus de 100 ans, affirmant qu’il s’agissait d’un traitement sûr ayant l’aval des autorités sanitaires. Cependant, dès le lendemain 3 décembre, lesdites autorités sanitaires mexicaines lançaient une alerte sanitaire sur ce traitement de Cambium Therapies, avertissant la population de son absence d’autorisation, déconseillant l’utilisation d’un traitement coûteux aux effets secondaires inconnus, et menaçant la société de Ricardo Rangel Martinez d’une amende de plus d’un million de pesos... Pas vraiment rassurant sur l’intégrité scientifique de ce biologiste, donc.
De plus, l’homme est un ufologue convaincu, partageant sur ses divers comptes YouTube, au milieu de vidéos sur les cellules souches, de nombreuses vidéos d’ovnis (voir par exemple ici ou là), dont certaines qu’il filme lui-même. Il connaît Jaime Maussan depuis longtemps, puisque celui-ci fait régulièrement l’ouverture des « Congrès internationaux sur les thérapies avancées en médecine régénérative » organisés par Ricardo Rangel Martinez. Il fait donc partie des « spécialistes » auxquels Jaime Maussan a recours lorsqu’il s’agit de donner un vernis scientifique aux hoax ufologiques qu’il promeut. C’est ainsi qu’on a vu apparaître Ricardo Rangel Martinez dans l’affaire de la « fée alien » mexicaine présentée par Maussan comme authentique :
ainsi que dans celle de la « créature de Metepec » :
Dans les deux cas, c’est Ricardo Rangel Martinez qui s’est chargé des analyses ADN des « créatures » ; voici par exemple ce qu’il affirme pour la « fée » :
We have a sample of the tissue from this creature that we sent to a DNA molecular laboratory, but when the laboratory tried sequencing the DNA they found it was not in accordance with DNA from the mammals or another creature… there is no match with DNA creatures related with a mammal…
Nous avons un échantillon de tissu de cette créature, que nous avons envoyé à un laboratoire de biologie moléculaire, mais quand le laboratoire a essayé de séquencer l’ADN ils ont trouvé qu’il ne correspondait pas à de l’ADN de mammifère ou d’autres animaux... il n’y a aucune correspondance avec l’ADN de créatures de type mammifère.
Ce qui permet à Jaime Maussan d’affirmer qu’il s’agit probablement d’un hybride... Inutile de préciser que dans les deux cas la « créature » en question s’est révélée être un hoax réalisé par un taxidermiste, voir ici et là.
On retrouve également Ricardo Rangel Martinez dans l’affaire des diapositives de Roswell où, comme José de Jesus Zalce Benitez et José de la Cruz Rios, il affirme, à partir de deux diapos, l’origine extraterrestre d’un corps qui a ensuite été révélé comme celui d’un enfant momifié... Bref, tout à fait le « spécialiste » qu’il fallait au cirque des momies de Nazca ! A noter d’ailleurs que cette grande révélation de Jaime Maussan sur l’ADN des momies s’est avérée si peu convaincante que Thierry Jamin s’est empressé de s’en désolidariser !
Mario révélé !
Je l’avais déjà évoqué ici, l’identité réelle de « Mario » le huaquero avait commencé à circuler sur certains réseaux il y a déjà plus de deux mois ; cette identité semble confirmée par un message de Mario lui-même, qui intervient parfois sur Facebook sous le pseudo de « Mario Peruano » :
Mario serait donc en réalité Leandro Benedicto Rivera Sarmiento, de Palpa, identité également confirmée par Alain Bonnet (sur le forum AP) et par l’intermédiaire Paul Ronceros. Rivera Sarmiento n’est pas seulement le « découvreur » des momies, il est aussi un trafiquant d’antiquités précolombiennes ; la dernière fois qu’il a été arrêté par la police, en juin 2010, il a été trouvé en possession de nombreux restes humains : 30 crânes, 4 bras, 2 pieds d’enfant...
Aurait-il trouvé le moyen de « recycler » les restes, de faible valeur intrinsèque, de ses pillages archéologiques, en les vendant à des ufologues crédules ? En tout cas, il n’y a pas à aller chercher bien loin l’origine des éléments formant les momies « composites » de Nazca...
Une voiture jaune
Ce même Mario/Sarmiento, Paul Ronceros (= krawix999) affirmait il y a des mois qu’il était guide touristique, et le fait semble aujourd’hui confirmé. Mario est en effet l’heureux détenteur d’une magnifique voiture de luxe jaune :
qu’il affichait sur son profil Facebook aujourd’hui disparu, « Lea » [3] :
Or on retrouve une voiture identique en tous points, d’un modèle et d’une couleur qui ne doivent pas être très courants au Pérou, dans une vidéo tournée par le journaliste local et promoteur du tourisme de Palpa Manuel Angel Caceres Ventura en mai de cette année, montrant une présentation, à des guides touristiques en formation, des pétroglyphes de Chichictara :
Il est donc possible que le huaquero se soit reconverti en guide touristique, c’est en tout cas ce qu’affirme un youtubeur, qui identifie Mario/Sarmiento dans le personnage de droite de cette photo :
Pour la petite histoire, même si c’est probablement une coïncidence, le journaliste de Palpa Caceres Ventura est par ailleurs très impliqué dans l’affaire des momies si l’on en juge par l’en-tête de son profil Facebook, où il s’affiche fièrement avec le « spécialiste » maussannien José de la Cruz Rios :
ou par toutes les photos où il prend la pose avec Jaime Maussan, Jois Mantilla ou Zalce Benitez et Salazar Vivanco... Par contre il n’aime pas du tout du tout l’archéologue Cesar Soriano (voir ici si vous avez besoin de rafraîchir vos souvenirs sur le personnage), qu’il traite de menteur et de charlatan...
Autre coïncidence, Manuel Angel Caceres Ventura connaît aussi très bien Thierry Jamin, qui lui a fait visiter Cuzco en février de cette année, et avec qui il a tourné toute une série de petits films en janvier (vidéos numérotées 00092 à 00077 du 14 janvier 2017 sur son YouTube), films où on le voit répéter la mise en scène d’une « découverte » de fragments de poterie par Thierry Jamin (voir en particulier la vidéo n° 00087 et la n° 00088).
Tout cela n’a évidemment pas grand intérêt pour résoudre l’énigme des poupées de Nazca ; mais cela permet peut-être de cerner un peu mieux le cadre de toute cette histoire. Les partisans de l’authenticité des momies adorent taper sur les autorités (politiques et scientifiques) péruviennes, accusées au mieux d’incompétence, au pire de collusion avec les huaqueros ; ils feraient bien de s’interroger aussi un peu sur ce petit monde qui tourne autour de cette affaire, et sur les liens qu’entretiennent entre eux ces journalistes, pseudo-archéologues et huaqueros...
Edit : Par rapport au dernier paragraphe ci-dessus, je dois corriger un peu ; les ululeurs commencent effectivement pour certains à se poser quelques questions. En particulier par rapport au soi-disant archéologue Cesar Soriano : après l’avoir porté aux nues au début de son implication dans l’affaire, beaucoup commencent à critiquer son manque de sérieux, et par exemple son intervention à une conférence de la secte Alfa y Omega. De même, certains critiquent de plus en plus l’association systématique de toute l’affaire à l’ufologie - oubliant souvent que le premier à avoir tiré l’histoire vers l’ufologie est bien Thierry Jamin, en appelant son projet Alien Project ! D’autres, ou les mêmes, se félicitent de la « neutralité » de Thierry Jamin et de son Institut Inkari dans l’affaire, et de la présence de « scientifiques » dans l’équipe... Il leur reste à comprendre la différence entre scientifique et pseudo-scientifique, et surtout à comprendre que la démarche scientifique ne consiste pas en la publication de jolis dessins sur Facebook et de vidéos sur YouTube...