Bien que l’essentiel ait été dit dans l’affaire des « momies aliens de Nazca » - à moins que les « scientifiques » censés étudier ces momies ne finissent par publier autre chose que des posts Facebook et des vidéos à sensation - les nouvelles continuent à arriver du Pérou (et d’ailleurs), et certaines ne manquent pas d’intérêt, même si elles ne vont généralement pas dans le sens de l’authenticité des trouvailles de l’Alien Project. Voici donc, un peu dans le désordre, les dernières nouvelles que j’ai vu passer.
L’identité de « Mario »
Des rumeurs ont commencé à circuler le 27 juillet sur l’identité du huaquero « Mario », celui qui est à l’origine de toute l’affaire et sur la parole de qui tout repose, rumeurs confirmées le 1er août par Alain Bonnet sur le forum AP, lorsqu’il répond, à quelqu’un qui lui soumet l’identité réelle de « Mario » :
L’homme serait un habitant de la région de Puno au sud-est du Pérou, un délinquant déjà interpellé en 2007 pour vol, et en 2010 pour trafic d’antiquités (voir aussi ici, où l’on constate que ce huaquero avait visiblement facilement accès à des restes humains anciens !) ; on trouve également sur Facebook un profil au même nom offrant à la vente des artefacts pré-hispaniques. Cela confirmerait, si cette information était exacte, au moins un élément de l’histoire, l’existence de « Mario »... mais cela confirmerait également qu’on a affaire à un délinquant peu digne de confiance !
Deux haplogroupes différents... mais bien humains !
Mon correspondant généticien, qui s’était penché dans cet article sur les résultats des analyses ADN fournis par Thierry Jamin, a pu approfondir un peu son étude à partir des séquences fournies par le laboratoire canadien (page 27 de ce document originellement publié, mais aujourd’hui plus disponible, sur le site de l’Alien Project) sur une des grandes mains isolées et un fragment de « tissu inconnu » censé provenir d’un des petits crânes. Il a pu comparer ces séquences avec celles fournies par GenBank pour les différents haplotypes, ainsi qu’avec celles fournies par une publication (signalée par le contributeur Camilo Moreno ici) sur l’ADN mitochondrial des populations pré-colombiennes du Pérou côtier (régions de Palpa et Paracas) : « Pre-Columbian Population Dynamics in CoastalSouthern Peru : A Diachronic Investigation of mtDNA Patterns in the Palpa Region by Ancient DNA Analysis ». Cet article est, par ailleurs, très intéressant au sens où il explicite bien les précautions prises pour analyser cet ADN ancien pages 3 et 4 ; en particulier :
DNA Samples were taken from every person who had contact with the sample material. A database was established containing the genetic data of all excavation helpers, archaeologists, project members in Peru, and all people working in our laboratories in Germany and which samples had contact to which persons. This procedure allows a gapless documentation of persons who might possibly contaminate the samples. Samples where a contamination by one of the persons could not be ruled out were excluded from further analyses.
(Des échantillons d’ADN ont été prélevés sur chaque personne ayant été en contact avec le matériel analysé. Une base de données a été établie, contenant les informations génétiques de tous les fouilleurs, archéologues, membres du projet au Pérou, et de toutes les personnes travaillant dans notre laboratoire en Allemagne, et précisant quel échantillon a été au contact de quelle personne. Cette procédure permet d’obtenir une documentation complète des personnes qui auraient pu éventuellement contaminer les échantillons. Les échantillons pour lesquels une contamination par une de ces personnes ne pouvait pas être totalement éliminée ont été exclus des analyses.
Revenons aux résultats trouvés par le généticien : non seulement il peut confirmer qu’il s’agit bien d’ADN humain, mais il a pu identifier deux haplogroupes différents pour les deux échantillons : il s’agit des haplogroupes B et D, très courants en Amérique du Sud, voir cette carte de l’ADN mitochondrial. Il a même pu affiner un peu plus ses résultats, mais sans revendiquer une grande précision :
– Pour la grande main isolée, le D est quasiment identique à un haplogroupe D rare (D4H3a) qui est connu pour être celui des premiers peuplements d’Amérique qui ont longé la côte Pacifique. Ça collerait donc bien avec un échantillon d’ADN ancien, d’autant que cette main - si c’est bien la même ! - a été datée à -7000 par le laboratoire de Floride, voir page 2 de ce document (mais à -1200 par un laboratoire mexicain, ce qui accréditerait la thèse d’un objet composite...).
– Le 2ème échantillon (tissu inconnu supposément d’origine crânienne) est apparenté à l’haplogroupe B2 des Amérindiens actuels ; il pourrait donc s’agir soit d’une momie beaucoup plus récente que la précédente, soit d’une contamination par un Amérindien bien vivant... hypothèse qui est la plus probable, étant donné que le petit crâne d’où ce tissu est censé venir n’a rien d’humain !
Mon correspondant est également revenu par mail sur la question des 1% de « différence » avec Homo Sapiens pour certaines séquences, 1% utilisé par les tenants d’une origine non humaine des momies qui arguent du fait qu’il n’y aurait également que 1% ou 2% de différence entre l’homme et le chimpanzé ou le bonobo :
Ces quelques bases ambiguës sur la séquence sont un résultat très commun en séquençage, même sur petit fragment, en fonction de la qualité du matériel et de la rigueur appliquée sur l’ensemble du processus. Ce sont bien des bases ambiguës : le séquenceur sait qu’il y a une base, mais n’identifie pas A, T, C ou G, il met donc N.
Mais un marqueur est précisément choisi parce que chacune de ces infimes différences permet de caractériser à un certain niveau taxonomique : ici, dans l’espèce humaine. Toute séquence n’est pas un bon marqueur, toute séquence ne donnerait pas "99%" même entre individus très proches. L’interprétation de ces 99% est marqueur-dépendante.
Or ici on a une séquence non codante, une séquence intergénique de remplissage, où l’accumulation des mutations est en roue libre. Si on a de tels scores, pour cette séquence, on est forcément dans l’espèce humaine. [...]
C’est différent du polymorphisme général chez les primates et le 98% homme-bonobo, un nombre qui est aussi connu et mal compris que les fameux X% « d’utilisation » du cerveau. Pour ce 98%, on est sur l’ensemble des gènes (= c’est à dire du codant). Et là ce sont bien des mutations, pas les incertitudes d’un séquençage ponctuel : A d’un côté, G de l’autre.
Pour en savoir plus, voir cet article : ADN mitochondrial et momies "aliens".
Gadgets
Un ululeur très observateur a repéré, dans le dernier épisode de « En Busca de los Dioses Perdidos », la série consacrée par Jaime Maussan à cette histoire, cette photo :
où l’on observe la présence d’un drôle d’appareil :
Inutile de chercher cet appareil dans les catalogues de fournisseurs d’appareils de mesure à destination des laboratoires, universités et autres chercheurs ! Vous risquerez peut-être de le trouver plus facilement sur des sites consacrés à la santé « alternative », « quantique », « holistique » et autres gourouteries. Il s’agit en effet de l’appareil « Biowell » équipé de son capteur « Sputnik », fabriqués et vendus par un certain Konstantin Korotkov (oui, le même « scientifique » photographieur d’âme appelé à la rescousse par la chaîne Gaia pour étudier les momies de Nazca), et qui permettent des choses aussi extraordinaires que de « scanner l’énergie humaine » et « l’énergie de l’environnement », enregistrer les « émissions électro-photoniques des objets », de voir les « chakras » etc., le tout basé « sur un concept de méridiens de médecine chinoise »... Autant dire qu’avec ce genre de gadget, on n’est pas près d’avoir une étude scientifique des momies !
Du coût d’une conférence à Lima
On se rappelle que le budget de Thierry Jamin pour l’Alien Project prévoyait une somme de 15 000 euros pour la “présentation officielle” de l’affaire à Lima :
Un de mes « informateurs anonymes » a eu l’idée d’essayer de se renseigner sur le coût de la location d’une salle pour conférence dans l’hôtel Swissôtel de Lima ; d’après les images de la conférence du 11 juillet, il est très probable que la salle réservée était la salle dite “Nazca” visible sur le site de l’hôtel :
Voici donc le tarif de location de cette salle, exprimé en “Sol”, la monnaie péruvienne :
En imaginant que c’est la salle entière (cette salle peut être divisée en deux parties, “Nazca I” et “Nazca II”) qui a été louée pour la demi-journée, on a donc un coût de 5 000 Sols, soit 1315 euros... si c’est bien Thierry Jamin qui a payé cette location ! On peut ajouter à cette somme les allers-retours des membres de l’Institut Inkari entre Cuzco et Lima (environ 150 euros par personne) et quelques faux frais... En comptant très très large, la petite sauterie de Lima a dû coûter au projet AP autour de 3000 ou 4000 euros, on est encore très loin de la somme budgetée. Voilà qui devrait rassurer les ululeurs sur les dépenses de l’Institut Inkari...
L’invasion des momies de Nazca
Comme il était à prévoir, le succès des « momies aliens » - que ce soit celui du crowdfunding de Thierry Jamin ou celui des épisodes diffusés par les chaînes Gaia et Tercer Milenio - a donné des idées à certains : on a vu se multiplier ces derniers jours les exemples de nouvelles « momies de Nazca », présentées par des individus ou groupes indépendants de « Mario », Thierry Jamin etc. Liste non exhaustive :
– une tête isolée présentée le 28 juillet par un « archéologue », Cesar Soriano Rios, dont on parlera un peu plus loin :
L’authenticité de cette tête est quelque peu remise en question : on a en effet vu circuler, quelques jours avant sa présentation, une photo d’une tête momifiée très ressemblante mais non couverte de poudre blanche :
Noter les détails très similaires, en particulier l’œil à droite et la narine à gauche ; voir aussi ici :
– une momie complète de type « Maria », présentée le 28 juillet également, par un utilisateur YouTube anonyme ; voir également ici :
Dès son apparition, cette nouvelle momie a suscité les protestations de certains partisans de l’authenticité des momies de Nazca, qui la considèrent comme fausse ; ainsi José de la Cruz Rios, le biologiste de Jaime Maussan, décrète immédiatement qu’il s’agit d’un fake :
C’est d’autant plus drôle que ce biologiste était parmi les premiers, avec ses compères Jaime Maussan et José de Jesús Zalce Benítez, à dénoncer les scientifiques qui critiquent les momies de Nazca alors qu’ils ne les ont pas vues ni touchées ; lui par contre peut visiblement se permettre de décider que cette nouvelle momie est un fake au simple vu d’une mauvaise vidéo, de même que certains partisans de Thierry Jamin qui y voient une manipulation destinée à discréditer leur idole... Par contre, il faudrait que tous ces gens accordent leurs violons, puisque selon Alain Bonnet Thierry Jamin sait « de source sûre » que cette deuxième « Maria » n’est pas un fake...
Ce point de vue est également affirmé ici ; l’auteur de ce commentaire, « Heliocentric », se présente comme un archéologue français à la retraite vivant au Pérou, et dit avoir des informations de première main de Thierry Jamin. Du coup, les ululeurs ne savent plus sur quel pied danser : vraie ? fausse ?
– Le 30 juillet, une chaîne YouTube intitulée « Conocimiento Extraterrestre » met en ligne deux vidéos portant sur deux petites momies ; l’une semblait déjà connue (montrée par Paul Ronceros au printemps), mais l’autre à ma connaissance n’avait encore pas été montrée :
– Le 30 juillet également apparaît une « momie de Nazca en Argentine » :
Celle-là est complète, avec les trois doigts, la poudre blanche, la tête d’ET, et même un « implant » dans la main. Immédiatement, Thierry Jamin, chevalier blanc du patrimoine péruvien, dénonce vigoureusement le trafic des momies de Nazca :
de même que « l’archéologue » Soriano :
Las, si les deux hommes avaient regardé un peu plus attentivement cette vidéo d’Argentine, ils auraient pu voir que son auteur révèle vite le pot aux roses : sa « momie » est un fake avoué, fait de polystyrène et de papier mâché, dans le but de faire comprendre aux spectateurs à quel point il est aisé de faire avaler à peu près n’importe quoi avec des images et des vidéos... Il est quand même inquiétant de penser que Thierry Jamin et son ami archéologue aient pu croire un instant que cette « momie » ouvertement fausse était une de leurs « momies aliens »...
Bref, entre vraies momies, fausses momies, vraies fausses momies, et fausses vraies momies, l’invasion des momies de Nazca ne fait probablement que commencer, et personne n’y retrouve déjà plus ses petits, même les « spécialistes » !
Un bien curieux archéologue
J’ai évoqué ci-dessus un personnage qui semble chercher à « occuper le terrain » dans l’affaire des momies de Nazca, il s’agit de l’archéologue Cesar Soriano Rios, qui multiplie depuis quelques semaines les interventions sur le sujet. Cesar Soriano semble être vraiment archéologue ; à tout le moins il est inscrit sur la page du Collège Professionnel des Archéologues Péruviens, et il a participé à quelques fouilles : ainsi il se présente ici comme ayant participé avec Walter Alva aux fouilles de Sipán en 1987 (une des photos le mentionne comme étudiant) ; et il a produit en 1989 un mémoire pour l’obtention du titre de « Licenciado » en archéologie, mémoire cité par exemple dans cette bibliographie. Mais il n’a depuis lors semble-t-il aucune publication scientifique à son actif, et ne semble pas avoir participé à beaucoup de chantiers archéologiques légitimes ces dernières années. Son CV, tel qu’il l’a publié sur linkedin, est assez curieux. On y trouve très peu d’expériences archéologiques proprement dites : un an en 2008-2009 à la Unidad ejecutora Naylamp 111, un organisme chargé des musées de la région de Lambayeque, où il semble s’être occupé essentiellement de développement économique et touristique ; et 7 mois en 2012 comme consultant pour le tourisme culturel de la ville de Juanjuí. Depuis 2014 il a une activité au sein d’un projet intitulé La ruta de la Totora, projet de développement d’une route touristique, écologique et ethnologique, le long de la côte péruvienne, pour lequel il semble faire un peu de prospection archéologique.
Par contre, pour toute la période qui va de 2008 à aujourd’hui, son CV offre des éléments surprenants, par exemple :
J’ai beau chercher, le seul Cambrian Archaeological Projects Limited qui existe sur le net est une société basée au Pays de Galles qui n’a strictement rien à voir avec notre archéologue péruvien. Plus subtil :
Cette société (?) CIRA SAC de Trujillo semble avoir un éventail d’activités assez étendu d’après sa page Facebook (voir aussi ici) : elle est classée dans les catégories « Alimentation et boissons · Agence de visites · Service géologique », et offre des « services professionnels » à la fois en archéologie et en négoce international ??? Quoi qu’il en soit l’activité de cette société (dont l’existence officielle n’est pas attestée) semble se dérouler strictement sur Facebook...
La page Facebook de Cesar Soriano Rios mentionne quelques autres activités de « consultant » invérifiables, ainsi qu’un poste de « business manager » au sein d’une fondation intitulée Archeological Peruvian Andes Research Foundation :
Là encore, cette « fondation » ne semble exister que sur les réseaux sociaux, et n’avoir aucune activité dans la vie réelle ; les lecteurs de ce blog doivent commencer à avoir l’habitude des fondations et instituts archéologiques qui ne sont que prétextes à la promotion d’un personnage...
Pour résumer, l’archéologue Cesar Soriano est assez discret dans le champ de l’archéologie péruvienne ; son heure de gloire remonte au 16 décembre 2008 lorsque, employé par la Unidad ejecutora Naylamp 111, il annonce à la presse la mise au jour de la citadelle Wari de Cerro Pátapo ; la nouvelle est alors reprise par les journaux du monde entier, et son nom intègre même Wikipedia comme découvreur du site. Assez curieusement, c’est immédiatement après l’annonce de cette découverte qu’il quitte son emploi à la Unidad ejecutora Naylamp 111, en janvier 2009. Faut-il y voir un lien avec les conditions de cette découverte ? On apprend en effet ici ou ici (sur ce dernier lien avec une tonalité résolument anti-gouvernementale) que l’Institut National de la Culture s’est inquiété de l’absence d’autorisation pour ces fouilles dans une zone protégée, ce qui a obligé le directeur de la Unitad ejecutora à se justifier en expliquant qu’il s’agissait uniquement de maintenance préventive suite à des déprédations sur le site. Il est évidemment impossible de savoir si les deux éléments sont liés, mais encore une fois il est assez surprenant de voir l’archéologue responsable d’un chantier quitter son poste juste au moment où ce chantier fait parler de lui dans le monde entier ! - [Mise à jour de mai 2018 : Il semble effectivement qu’il y ait un lien entre cette « découverte » de Cerro Pátapo et le départ précipité de l’archéologue Cesar Soriano de son emploi ; on apprend en effet en septembre 2017 qu’il fait l’objet d’une procédure judiciaire où il lui est reproché la dégradation du monument pré-hispanique par ces travaux sans autorisation (je n’ai pas réussi à trouver le résultat du jugement, s’il a été rendu).]
Depuis 2009, Cesar Soriano ne semble plus avoir travaillé sur le site de Cerro Pátapo, ni pour aucune organisation gouvernementale ; on voit par exemple ici que ses qualifications n’ont pas été considérées comme suffisantes pour obtenir un poste sur le complexe archéologique de Chan Chan. On trouve quand même quelques traces de lui dans la presse péruvienne, mais pas forcément d’une manière très flatteuse. Un exemple : en octobre 2014 il est mentionné dans la presse péruvienne pour avoir dénoncé un trafic d’antiquités pré-incas :
La dénonciation du trafic d’antiquités et du vol du patrimoine péruvien semble une de ses préoccupations majeures, comme on peut le voir sur ses pages Facebook, ce dont on ne peut que le féliciter ; cependant une lecture attentive de l’article montre qu’il n’a pas fait de signalement officiel de ce qu’il présumait être un trafic illégal, il s’est contenté de publier les photos prises sur Facebook ! Curieux, pour quelqu’un qui dit vouloir mettre fin aux trafics mafieux... Par ailleurs, selon un spécialiste, le docteur Santiago Uceda Castillo, les pièces photographiées par Soriano ne seraient pas de vraies antiquités, mais des répliques fabriquées en grande quantité pour être vendues à des touristes et collectionneurs naïfs - ce qui serait effectivement assez cohérent avec l’amoncellement de poteries en parfait état qu’on observe dans le camion...
Un autre exemple de son apparition dans la presse péruvienne est tout récent : en octobre 2016 un journal local de la côte péruvienne lui consacre un article (page 15) l’accusant de prélèvement illégal et de traitement inapproprié de matériel archéologique d’une zone protégée dans le district de Paramonga :
Cesar Soriano a en effet publié sur ses pages Facebook une série de photos où il se met en scène manipulant en particulier des textiles anciens qu’on le voit laver à grande eau...
On apprend dans l’article qu’à la suite de cette affaire la Municipalité de Paramonga a suspendu son contrat de prestataire de services...
S’il est relativement discret en matière d’archéologie scientifique, Cesar Soriano Rios est par contre extrêmement présent et actif sur les réseaux sociaux, où il mutiplie les profils, pages et groupes : Cesar Alejandro Soriano Rios, Cesar Soriano Rios, Archaeological Peruvian ANDES, PUEBLOS ARTES Y CIVILIZACIONES CONTINENTAL, EXTRATERRESTRE E INTRATERRESTRE, PARAMONGA CIVILIZATION ANCIENT SOCIETY IN WHOLE WORLD, HYSTORIES AND MYSTERIES OF ANCEINT WORLD (sic !), tout récemment Wawita de Nasca, et j’en oublie sûrement, sans compter ses diverses pages Google, YouTube, Vimeo etc., voire certaines pages d’acolytes qu’il semble également animer, comme celle de Nilda Torres...
Ce que cette boulimie de communication permet de noter (en plus d’un ego probablement passablement développé si l’on en juge par le nombre de selfies dans ses publications sur Facebook !), c’est que Cesar Soriano est un ufologue convaincu, et un adepte de l’archéologie qu’on pourrait qualifier d’« alternative », c’est-à-dire de la théorie dite « des anciens astronautes ». Cela fait des années qu’il affirme trouver partout des preuves d’une intervention extraterrestre dans les affaires humaines ; ainsi, il affirmait en 2014 avoir la preuve de la présence de « créatures aliens » au Mexique, partage des photos d’un crâne déformé (tenu à bout de bras par son acolyte Nilda Torres pour le faire paraître plus grand qu’il ne l’est en réalité) ou des vidéos sur les Annunaki et l’ADN extraterrestre, voit des aliens dans tous les crânes déformés, et n’hésite pas à reprendre et partager toutes sortes de hoax archéologiques, exemples récents :
On trouvera un bon résumé de toutes les obsessions ufologiques, complotistes et pseudo-archéologiques de Cesar Soriano dans ce post par exemple.
Bref, il n’est pas surprenant de retrouver ce bien étrange « archéologue » dans l’affaire des momies « aliens » de Nazca, dans laquelle Cesar Soriano a sans doute vu l’occasion de parfaire son curriculum de spécialiste des anciens aliens. Il a cherché à se rapprocher des différentes équipes (Institut Inkari, équipe de Jaime Maussan) dès le printemps, et multiplie en particulier depuis le mois de juin les posts, partages Facebook et vidéos sur le sujet. Depuis la « conférence internationale » du 11 juillet 2017, il s’est en quelque sorte autoproclamé le « champion » péruvien des momies de Nazca, jouant un peu sur tous les tableaux dans son discours :
– il rappelle volontiers qu’il est archéologue et péruvien, alors que tous les principaux protagonistes publics de l’affaire jusqu’ici sont étrangers (Français, Mexicains, Américains...), ce qui peut lui valoir les faveurs du public péruvien ;
– il flatte le public le plus complotiste en accusant les autorités péruviennes et les « archéologues officiels » de dissimulation de la vérité, en l’occurrence la présence d’hybrides ET dans les cultures péruviennes :
– il se fait également le champion de la « société civile » de Nazca et du Pérou face aux autorités et aux mafias qui voudraient la déposséder de son patrimoine.
Il a donc mené sur les réseaux sociaux une véritable campagne : il commence par insister sur le fait qu’une vérification « neutre et impartiale » du site des momies de Nazca doit avoir lieu, et annonce modestement qu’il se tient à la disposition des institutions pour ce faire ; tout en laissant entendre que ce site est menacé de destruction par « les sociétés secrètes, la NASA, l’OTAN, la CIA, le Vatican, les francs maçons ». Le même jour (26 juillet) il fait mettre en ligne sur Avaaz une pétition adressée au Ministre de la Culture du Pérou demandant que « l’archéologue César A.Soriano Rios soit chargé de vérifier les momies de Nazca », et il invite « avec beaucoup d’humilité » la population à signer « massivement » pour qu’il puisse représenter « l’humanité tout entière » (343 signatures à ce jour, dont une très grande majorité de Français ayant participé au crowdfunding de Thierry Jamin). Il annonce le 29 juillet avoir sollicité une audience avec le Ministre de la Culture pour lui parler de « la présence extraterrestre dans les sociétés pré-américaines [sic] du Pérou qui doit être reconnue comme patrimoine culturel de l’Humanité » .
Enfin, il met en ligne sur Facebook le 3 août une vidéo où il se filme devant le Ministère de la Culture du Pérou, brandissant une liasse d’autorisations. Les fans de Cesar Soriano et les ululeurs de Thierry Jamin sont très heureux et y voient une grande avancée :
Et les jours suivant, Cesar Soriano annonce ses projets pour l’avenir : projet de centre culturel et de musée dédié aux extraterrestres de Nazca par exemple, départ pour la zone de Nazca, organisation d’un plan pour la « première phase des investigations », annonce d’un « rituel ou cérémonie » pour se concilier les entités « reptiloïdes, hybrides et homonidés », etc.
Cependant, une écoute attentive de sa vidéo du 3 août devrait amener ses partisans à être un peu plus prudents :
– d’une part, à moins que j’aie complètement raté quelque chose, il ne dit nulle part avoir reçu les autorisations en question : il a déposé au Ministère sa demande le 3 août...
– d’autre part, on aperçoit rapidement le début de cette demande, et il n’y est pas question de fouilles archéologiques ou d’étude des momies de Nazca :
Ce qu’on peut traduire par « Je sollicite l’autorisation d’accès à la zone archéologique de Nasca pour faire du repérage, des enregistrements photographiques, filmiques, sans collecte de céramique ou toute autre preuve qui pourrait altérer un site culturel entre les secteurs Nasca, Palpa, embouchure du Rio Grande, Changillo et Cabildo » ; ce qui, à peu de choses près, équivaut à une « demande de promenade touristique dans une zone archéologique », dixit un archéologue de ma connaissance. Cesar Soriano n’a donc pas le droit de prélever ne serait-ce qu’un fragment de poterie, sans parler d’une momie, qu’elle soit alien ou pas ; et vu son passif, je serais étonnée qu’il obtienne ce droit par la suite...
Mais, sans surprise, cela ne l’empêche pas de réclamer... de l’argent ! Après tout, si Thierry Jamin a pu récolter près de 40 000 euros grâce à ces momies, pourquoi se priver ?
Les rumeurs les plus folles courent aujourd’hui dans le petit milieu des adeptes des momies de Nazca : certains affirment que « l’archéologue » Cesar Soriano aurait été « éjecté » par les autorités du site, crient à la censure, accusent les autorités de collusion avec la mafia ou avec une entreprise étrangère, en l’occurrence National Geographic qui aurait obtenu l’exclusivité d’un reportage sur les momies et le site, pendant que d’autres accusent Soriano d’être un mythomane...
Il faut dire que notre ami Cesar Soriano laisse libre cours à son imagination depuis quelques jours : il prétend avoir découvert des pyramides, avoir trouvé l’entrée du site et une mine de diatomite, avoir identifié une « princesse alien » dans une momie conservée au Musée Maria Reiche (celle-ci), etc.
« Sorianistes » et « anti-sorianistes » se déchirent sur Facebook, s’accusent mutuellement de fraude et de désinformation, postent des commentaires vengeurs sur la page du Ministère de la Culture...
Je ne sais pas si Cesar Soriano a été effectivement « éjecté » de la zone archéologique de Nazca, mais même s’il l’avait été, cela n’aurait rien de bien étonnant : la demande d’autorisation de prospection du site qu’il a déposée le 3 août est toujours en cours d’étude, contrairement à ce qu’il laissait entendre et à ce qu’affirmaient certains ululeurs, comme chacun peut le vérifier en allant sur cette page et en entrant son numéro de dossier, 0000027182. A la date du 8 août 2017, sa demande d’autorisation est « en cours de traitement » :
Il n’a donc pas le droit de pénétrer dans la zone archéologique pour y faire de la prospection et du repérage, y filmer ou y prendre des photos, tant que cette demande n’est pas accordée, et l’on comprend que ses forfanteries facebookiennes puissent inquiéter légitimement les institutions chargées de la protection du site de Nazca, protection contre les pilleurs, mais aussi contre les pseudo-archéologues et spécialistes des momies aliens en mal de célébrité...