Nouvelles égyptiennes
Talk like an Egyptian...
Article mis en ligne le 4 septembre 2007

par Irna

Après le minéralogiste Aly Abd Barakat en juin 2006 et l’égyptologue Mohamed Ibrahim Aly en septembre 2006 [1], une nouvelle série de scientifiques égyptiens est venue prêter main forte à M. Osmanagic. Il s’agit de deux archéologues de la Faculté d’Archéologie du Caire, les Docteurs Soleiman Hamed El-Heweli et Mona Fouad Aly, et d’un troisième membre de la Société d’Archéologie d’Alexandrie, le Docteur Nabil M.A. Swelim, ces trois archéologues étant accompagnés d’un "revenant", le Dr Barakat.

Ces quatre scientifiques sont arrivés en Bosnie le vendredi 31 août (bs) ; le même jour, la Fondation annonçait la tenue d’une conférence de presse le dimanche 2 septembre (bs) en fin de matinée, au cours de laquelle les Egyptiens étaient censés donner leurs impressions après leur visite des "pyramides" le samedi, et confirmer les hypothèses de M. Osmanagic. Les invités égyptiens n’ont pas déçu leur hôte, si l’on en croit du moins la presse locale qui rend compte de cette conférence de presse à grands renforts de gros titres (bs) : "Swelim : la pyramide du Soleil est la plus grande pyramide du monde" ; "La Bosnie sera appelée la terre des pyramides" ; "La Bosnie-Herzégovine sera bientôt le centre du monde"... Alors, les opposants de M. Osmanagic doivent-ils manger leur chapeau ? Avant d’en venir là, quelques remarques s’imposent, si du moins l’on ne fait pas partie des irréductibles crédules qui hantent certains forums (en) :

 Notons tout d’abord que les articles publiés dans les différents titres de la presse locale, et repris par quelques blogs (en) ou portails (en) peu critiques, sont souvent identiques au mot près : il s’agit d’évidence de la reprise d’un communiqué de presse de la Fondation publié par la FENA (l’Agence fédérale de presse, elle-même un des sponsors de la Fondation) et reproduit quasiment tel quel par les divers journaux. Aucun de ceux-ci ne publie de véritable interview des scientifiques égyptiens, comme c’était déjà le cas pour les précédents invités étrangers, dont on ne connaît pour l’essentiel la position que par l’intermédiaire de communiqués de la Fondation.

 Le seul article un peu plus nuancé, celui de Dnevni Avaz (bs), peut faire penser soit que les journalistes ou l’auteur du communiqué ont quelque peu négligé les conditionnels des scientifiques, soit, si la conférence de presse a eu lieu en arabe, que le traducteur a assez mal fait son boulot. Par exemple, alors que les autres journaux annoncent "Le monde appellera bientôt la Bosnie la terre des pyramides" (bs), Dnevni Avaz titre "Si l’existence [des pyramides] est confirmée, la Bosnie deviendra le centre du monde" ; dans l’article lui-même, le Dr Nabil Swelim s’étend sur l’absence totale de restes d’une éventuelle civilisation ayant construit les pyramides, et estime qu’il est nécessaire de rechercher l’opinion des géologues ; enfin son collègue conclut l’article en disant "Si les recherches futures montrent que ces structures sont réellement des pyramides, alors la Bosnie deviendra le centre du monde et sera appelée, au même titre que l’Egypte, la terre des pyramides" : aucune de ces nuances n’apparaît dans les autres articles, pas plus que dans la traduction en anglais (en) qui circule sur internet. Bref, il est urgent d’attendre, de la part de ces scientifiques égyptiens, un rapport ou un compte-rendu dénué de toute exagération journalistique, ou au moins une déclaration précise émanant d’une autre source que la presse populaire locale et la Fondation elle-même.

 Sur le fond, comme je l’avais déjà fait remarquer à propos des "conclusions" de M. Barakat, on peut se demander en quoi des égyptologues et archéologues égyptiens ayant passé 24 ou 48 heures sur le terrain seraient plus à même de fournir un avis expert que les scientifiques bosniens, qui connaissent à fond l’histoire, l’archéologie et la géologie de la région. Même si pyramides il y avait, elles n’auraient aucun rapport avec la civilisation classique égyptienne ; demande-t-on à des égyptologues d’étudier les pyramides mayas ?

 Enfin, parions que ces déclarations fracassantes auront le même sort que celles de M. Barakat, M. Andretta, M. Ibrahim Aly, M. Ben Badhann et autres scientifiques ayant participé à la "validation internationale" du projet de M. Osmanagic : on attend toujours de leur part le moindre texte un tant soit peu scientifique confirmant leur soutien et leurs déclarations sur l’existence des "pyramides". Quels sont leurs arguments ? quels sont les éléments archéologiques sur lesquels s’appuient ces déclarations ? Est-il possible enfin d’avoir un argumentaire scientifique un peu plus poussé que "ce que nous avons vu nous a convaincus" ?

Il est de plus en plus évident au fur et à mesure que le temps passe que le but de M. Osmanagic n’est pas de convaincre la communauté scientifique. Ce qui l’intéresse ce sont les effets d’annonce, les déclarations spectaculaires à la presse - et les discours démagogiques. Il ne cherche pas, et ne cherchera pas, à publier quoi que ce soit dans les revues spécialisées, il lui suffit de convaincre le public profane et les hommes politiques. Alors que viennent faire des scientifiques comme ces Egyptiens dans cette affaire, où ils ont tout à perdre du point de vue de leur réputation académique ? Certains (en) en tirent un argument supplémentaire en faveur des thèses de M. Osmanagic. Mais on peut tout aussi bien supposer qu’ils sont mal informés de ce qui se passe réellement à Visoko et des enjeux derrière le "projet", ainsi que de l’utilisation qui va être faite de déclarations polies. Par ailleurs il y a peut-être à l’oeuvre des projets qui n’ont rien d’archéologique ni de scientifique, ce que peut laisser supposer l’intérêt que semble prendre le gouvernement égyptien, par l’intermédiaire en particulier de l’ambassade d’Egypte en Bosnie (voir les nombreuses visites de l’ambassadeur, et ses rencontres avec M. Osmanagic), à l’histoire des "pyramides" bosniennes. Doit-on supposer que l’Egypte (comme d’autres pays musulmans, en particulier la Malaisie où M. Osmanagic a également beaucoup de relations (bs) parmi les hommes d’affaires et les diplomates) a des projets d’investissements en Bosnie, et utilise certains de ses scientifiques comme diplomates d’occasion ?


Mise à jour du 5 septembre

Je viens de voir que la Fondation a mis en ligne sur son site une vidéo (bs) de la conférence de presse donnée en compagnie des trois archéologues égyptiens, ce qui me permet de rectifier et compléter quelques unes de mes premières impressions :

 Les interventions des scientifiques égyptiens lors de cette conférence de presse se sont faites en anglais, la traduction en bosnien étant assurée par M. Osmanagic lui-même. Difficile de vérifier la qualité de cette traduction étant donnée la mauvaise qualité du son ; j’ai cependant pu noter par exemple, entre la 6ème et la 8ème minute, lorsque l’Egyptienne Mona Fouad Aly évoque les connexions entre les tunnels et "ce qui est appelé pyramide" ("which is said pyramid"), que M. Osmanagic ne prend pas les mêmes précautions et traduit tout simplement "la pyramide du Soleil". Il y a même un épisode assez drôle, vers la 12ème/13ème minute : le Dr Nabil Swelim explique que parmi les questions qui se posent il y a celle de la place qu’occupent les pyramides dans l’histoire, et il précise : "historique ? préhistorique ? moderne ?" ; M. Osmanagic, dans sa traduction, oublie complètement l’hypothèse "moderne", et semble faire une drôle de tête au moment où son invité prononce ce mot. Précisons : je n’ai pas eu l’impression du tout que le Dr Nabil Swelim voulait insinuer que la "pyramide" était de construction récente, en tout cas rien dans le reste de son intervention n’allait dans ce sens (mais rien non plus ne confirmait une hypothèse "antique") ; ce qui m’a fait sourire c’est la réaction de M. Osmanagic, qui avait une visible répugnance à laisser supposer dans sa traduction qu’on pouvait même envisager l’hypothèse d’une pyramide "moderne".

 J’ai remarqué que les scientifiques égyptiens s’adressaient systématiquement à M. Osmanagic avec le titre de "Docteur" ("Docteur Samir") : à ma connaissance, s’il a bien rédigé une "thèse" (voir ici), il ne l’a jamais soutenue ni n’a obtenu le grade de Docteur.

 J’ai été effarée de constater l’absence totale de questions posées par les journalistes : la seule question a porté sur la durée du séjour des Egyptiens. Drôle de conception du "journalisme"...

 L’intervention la plus intéressante est celle du Dr Nabil Swelim, ses deux collègues se contentant de quelques généralités sans intérêt. Le Dr Swelim, lui, s’il semble convaincu de l’existence des pyramides (en tout cas il ne prend pas de précautions oratoires comme sa collègue), aborde quelques points sensibles. Il souligne en particulier l’absence totale de "restes" (poteries, ossements et autres) des constructeurs ("and these are absent"... phrase que M. Osmanagic "oublie" dans sa traduction), et donc l’impossibilité absolue d’émettre une hypothèse de datation. Il relève surtout un des plus gros problèmes, celui posé par la "structure" de la "pyramide de la Lune", Pljesevica (voir cet article) : on aurait en effet affaire là à une pyramide sans aucun mur vertical, ni parement oblique, constituée uniquement de "terrasses" séparées par des couches "d’argile" (en fait surtout des marnes feuilletées). Comment expliquer, demande le Dr Swelim, que des terrasses artificielles (apparemment il n’éprouve aucun doute là-dessus) soient séparées par un mètre ou plus "d’argile" qui elle est naturelle ? L’hypothèse de réponse qu’il suggère me paraît quelque peu tirée par les cheveux : une première terrasse est aménagée par une génération, puis "l’argile" se forme ou se dépose naturellement, et une génération voire des centaines d’années plus tard on rajoute une deuxième terrasse artificielle etc. Heureusement qu’il conclut en précisant que ce sera aux géologues de se prononcer sur cette hypothèse et l’âge des différentes terrasses ; en effet cette hypothèse se heurte à quelques difficultés : le Dr Swelim a-t-il la moindre idée du temps nécessaire pour que se dépose un mètre de marnes ? envisage-t-il une "construction" de la pyramide de la Lune étalée sur plusieurs millions d’années ? suppose-t-il que les terrasses se sont retrouvées régulièrement recouvertes par les eaux ? ou sinon, comment se seraient déposées ces couches "d’argile" ? que dira-t-il si les géologues lui confirment que ces couches "d’argile" remontent à l’époque Miocène ? Bref, les seules questions que j’aurais posées au Dr Swelim si j’avais été dans la salle, auraient été : "Quels sont les éléments archéologiques qui vous permettent d’affirmer avec tant de certitude que ces "terrasses" sont artificielles ?" et "Les contradictions et les quasi-impossibilités que vous relevez dans la structure de la pyramide de la Lune ne seraient-elles pas très simplement résolues si l’on admet que ces "terrasses" sont tout simplement des couches naturelles, fragmentées de façon régulière par l’activité tectonique ?"

Pour le reste, rien dans cette conférence de presse ne contredit ce que j’écrivais hier : les scientifiques égyptiens n’apportent aucune preuve, aucun argument supplémentaire en faveur de l’hypothèse de M. Osmanagic, leurs interventions peuvent ne relever que d’un soutien poli à celui qui les a invités à séjourner en Bosnie - et peut-être d’un souci de l’intérêt national égyptien s’il se confirme que l’Etat égyptien joue un rôle dans cette affaire. Je suis prête à changer d’avis - et à manger mon chapeau, à défaut de celui de M. Osmanagic - le jour où l’un de ces scientifiques publiera un article sur les "pyramides de Bosnie" dans une revue à referee...


Mise à jour Août 2008

Le Dr Nabil Swelim a bien publié un rapport - évidemment pas dans un journal à referee... mais ce rapport ne risque pas de m’obliger à manger mon chapeau !