Le vase de Dorchester (Dorchester pot en anglais) est considéré par certains comme un OOPArt. C’est l’abréviation de « Out Of Place Artefact », soit en archéologie un objet d’origine humaine découvert en dehors de son contexte historique. On peut penser aux anachronismes tels que dans le film Deux heures moins le quart avant Jésus Christ, ou l’improbable découverte d’une montre à quartz au bras d’une momie égyptienne.
Le vase de Dorchester fait partie de ces objets, a priori découverts là où on ne les attend pas.
C’est un récipient en métal qui aurait été découvert suite au dynamitage d’une roche où il aurait été enfoui pendant une très longue période de temps. Il y a des variantes dans la description, voici par exemple ce qu’en dit le site secretebase.free.fr, c’est assez représentatif de l’explication couramment trouvée :
En 1851, à Dorchester (Massachusetts), au cours d’une opération de minage, 5 mètres en dessous du niveau du sol, les deux parties d’un vase métallique en forme de cloche ont été arrachées de la roche dynamitée.
Ce vase fait 11,3 centimètres de hauteur, il est en alliage de zinc, à très forte teneur d’argent semble-t-il, et finement décoré. Son âge est estimé à 100.000 ans. Le vase a voyagé de musée en musée, puis il disparaîtra de la circulation.
(Source)
Dorchester
En 1850, Dorchester est une petite ville d’environ 8000 habitants, à quelques kilomètres de la ville de Boston, à laquelle elle est peu à peu rattachée. De nos jours, c’est un quartier de Boston. Boston est aujourd’hui la capitale de l’état du Massachusetts, au nord-est des États-Unis.
À cette date, on y trouve déjà l’Université de Harvard, et c’est là que naîtra quelques années plus tard, en 1861, le celebre MIT (Massachusetts Institute of Technology). Étant située sur le bord de l’Atlantique, elle a été un passage obligé pour beaucoup d’immigrants arrivant en bateau. On peut consulter l’histoire de la ville de Dorchester ici et ici.
Géologie
La majeure partie de la roche de la région est connue sous le nom de « Roxbury conglomerate » ou « puddingstone ». Cette roche s’est formée il y a environ 570 à 595 millions d’années. Source
Historique
1852
La découverte du récipient est rapportée par le journal Scientific American du 5 juin 1852. Ce journal cite lui-même un article paru quelques jours auparavant (date précise inconnue) du Boston Transcript. Hélas, les archives du Boston Transcript sur Google ne couvrent pas la période de Juin 1851 à Décembre 1853.
Une relique d’une époque révolue
Il y a quelques jours une puissante explosion a eu lieu dans la roche du « Meeting House Hill » [Ndt : colline où est située l’église], à Dorchester, à quelques perches au sud du lieu de réunion du révérend M. Hall [Ndt : 1 perche = 5.03 mètres]. L’explosion a éjecté une immense quantité de roches, dont certaines pesant plusieurs tonnes, et dispersé des fragments dans toutes les directions. On a retrouvé parmi eux un vase métallique en deux parties, brisé par l’explosion. Après avoir rassemblé les deux parties, le résultat est un vase en forme de cloche de 4½ pouces de haut (11.43 cm), d’un diamètre de 6½ pouces à la base (16.5 cm) et 2½ pouces au sommet (6.35 cm), pour une épaisseur d’environ 1/8 de pouce (3 mm). Le corps du vase semble être du zinc en ce qui concerne la couleur, ou bien un alliage dans lequel il y a une part considérable d’argent. Sur les côtés, il y a 6 images d’une fleur ou d’un bouquet, magnifiquement incrustées en argent pur et on trouve une vigne ou bien une couronne tout autour du bas du vase, également en incrustation d’argent. La ciselure, la sculpture et l’incrustation sont effectuées de manière exquise grâce à l’habileté d’un artisan compétent. Ce vase curieux et inconnu a été éjecté du conglomérat solide d’une profondeur de 15 pieds sous la surface (4.57 m). Il est maintenant en la possession de M. John Kettell. Le Dr J. V. C. Smith, qui a voyagé récemment à l’Est, examiné des centaines de curieux ustensiles domestiques, dont il a des dessins, n’a jamais rien vu de semblable. Il a fait un dessin et pris les dimensions exactes de l’objet, afin de les soumettre aux scientifiques. Il ne fait aucun doute que cette curiosité a été éjectée de la roche, ainsi qu’indiqué ci-dessus. Mais est-ce que le Professeur Agassiz, ou un autre scientifique, aura l’amabilité de nous expliquer comment ce vase est arrivé là ? La question mérite d’être étudiée, car il n’y a pas de tromperie dans l’affaire.
[Ce qui précède est du Boston Transcript, et ce qui nous surprend est que le Transcript suppose le Prof Agassiz plus qualifié pour dire comment le vase est arrivé là que John Doyle, le forgeron. Ce n’est pas une affaire de zoologie, de botanique, ou de géologie, mais une affaire de vase antique en métal, peut-être fabriqué par Tubal Caïn, le premier habitant de Dorchester.
La page complète du Scientific American peut être consultée ici :
Cette copie de l’article provient de Wikipédia, avec cependant une erreur de date, donnée pour le 7 Juin 1851. J’y reviendrai plus tard.
Avant d’aller plus loin, il est intéressant de mieux connaître le lieu et les intervenants cités.
- M. Hall’s Meeting House : C’est l’église où le révérend Nathaniel Hall a officié de 1835 à 1875. Source
- John Kettell : Je n’ai pas découvert son rôle exact, mais il semble être un des notables de la ville.
Son nom apparaît en tant que « citoyen honorable » en 1854 ici (page 85)
- Dr. J. V. C. Smith : Jusqu’en 1849, Jerome Van Crowninshield Smith est le médecin du port de Boston. Ne pas oublier qu’en tant que ville d’immigration, il y a risque d’épidémies (choléra entre autres). Il est également l’éditeur du Boston Medical and Surgical Journal (Source). Il se présente en tant que candidat à la mairie de Boston en 1852 (136.000 habitants à l’époque), en vain, mais sera finalement élu de 1854 à 1856.
- Professeur Agassiz : Il n’intervient pas directement, mais est cité. Jean-Louis Rodolphe Agassiz, né à Môtier (Suisse) le 28 mai 1807 et mort à Cambridge (Massachusetts) le 14 décembre 1873, est un botaniste, zoologiste, ichtyologiste et géologue américano-suisse. Il fut l’un des premiers scientifiques des États-Unis de renommée mondiale (Source). Adepte du créationnisme, il s’est confronté à Darwin à de nombreuses reprises (Source). En 1852, il est professeur de zoologie et de géologie à l’Université Harvard.
- John Doyle : Selon toute vraisemblance, il s’agit du forgeron de Dorchester.
- Tubal Cain : C’est le personnage biblique qui aurait inventé l’art de travailler le fer et le bronze. Il est l’ancêtre de tous les forgerons. Source
Comme on peut le voir, ce fait divers a fait déplacer des personnages importants de l’époque.
On peut noter le ton un peu moqueur du Scientific American ; l’article immédiatement au-dessus dans le même numéro relate la découverte d’une route goudronnée prouvant, selon l’auteur, la présence d’une civilisation évoluée en des temps immémoriaux, et là aussi le Scientific American relativise la « découverte »
[Selon le True Virginian de Fairmont] une portion de route goudronnée a été découverte [ …]. Quand et par quelle race de gens cette route a été faite est inconnu actuellement, mais ceci est la preuve de l’existence d’une population présente à cet endroit en des temps anciens, aussi techniquement évoluée que nous-mêmes, du moins en ce qui concerne l’art de faire des routes.
[On voit souvent des pierres rondes profondément enfouies dans une strate appelée « hard pan », et si épaisse que cela ressemble à une très ancienne route goudronnée ; mais il s’agit simplement d’anciens lits fluviaux indurés, qui ne sont pas l’œuvre de la main de l’homme.
Ce type de « découvertes impossibles » censées attester de l’existence de civilisations avancées pré-amérindiennes remplit les colonnes des journaux américains du 19ème siècle, sans pour autant être généralement, comme on le voit ici, prises au sérieux par les scientifiques.
On peut aussi s’étonner que le Prof. Agassiz, en tant que créationniste, n’ait semble-t-il pas réagi à cette « preuve ».
1919
Cette découverte refait surface dans un des ouvrages de Charles Fort : Le livre des damnés page 125 chapitre IX.
Charles Fort recensait tout événement sortant de l’ordinaire, et est considéré par certains comme un auteur de fantastique. Il aurait, selon certains auteurs, inspiré Lovecraft et le Mythe de Cthulhu.
Au programme de ce livre, pluies de poissons, de clous, de bigorneaux, crocodiles sur les côtes anglaises, chutes de débris végétaux radioactifs à Toulouse en 1874, iceberg volant à Rouen en 1853, meule de foin volante aux États-Unis, cadavres arrachés de leur tombe lors d’un tremblement de terre, et s’élevant à 30 mètres dans les airs, tout est permis !
Il y a une nouvelle des plus stupides dans le Scientific American, 7-298, que nous-même rejetons [...]. C’est une anecdote de journal : aux alentours du 1 Juin 1851, une puissante explosion a expulsé un vase d’un métal inconnu et en forme de cloche d’une couche de roche ; des motifs de fleurs incrustés en argent, par "l’habileté d’un artisan compétent". L’opinion de l’éditeur du Scientific American est que la chose a été fabriquée par Tubal Cain, qui aurait été le premier habitant de Dorchester. Je crains que l’éditeur ne s’avance un peu trop ici, mais qui suis-je pour le contredire ?
On remarque plusieurs différences, bien que Fort prétende citer le Scientific American :
– la date n’est plus aux alentours du 5 Juin 1852, mais aux alentours du 1 Juin 1851.
– l’article d’origine évoque un mélange de zinc et d’argent, mais ici le métal est déclaré « inconnu ». On verra plus tard que l’hypothèse du zinc est loin d’être infondée.
– Charles Fort semble laisser entendre que l’éditeur du S.A. est persuadé que l’objet a été fabriqué par Tubal Cain, mais il était assez réputé pour son humour caustique et pince-sans-rire.
La date a été corrigée par la suite. La réédition de 2003 donne à nouveau la date du 5 Juin 1852. Il est intéressant de consulter quelques pages du Livre des damnés, pour voir le nombre de fois où Charles Fort se sert du Scientific American comme source. On peut donc supposer qu’il en avait une collection importante, ce qui rend suspectes ses erreurs de transcription.
Il me semble amusant de citer une édition française de 1967 (Le Livre des damnés, Eric Losfeld éditeur, traduit de l’anglais par Robert Benayoun, page 106), dans laquelle on trouve cet unique paragraphe :
ps : (6)Scientific American, 7-298
La matière n’est plus « an unknown metal », un métal inconnu, mais s’est transformée en « matière indéfinissable »...
1955
Traduction française du Livre des damnés, par Robert Benayoun, aux Éditions des Deux Rives, alors que Louis Pauwels y est directeur littéraire. Jacques Bergier en rédige la préface, ce qui n’est pas un hasard, comme on va le voir ci-dessous.
1970
Jacques Bergier publie Les Extra-Terrestres dans l’Histoire, et mentionne l’article du Scientific American, parmi un tas d’autres exemples de « OOParts ».
Ça n’a rien de très surprenant qu’il reprenne les écrits de Charles Fort, c’est même dans la continuité. En effet, lors de la première édition française du Livre des damnés en 1955 (Éditions des Deux Rives, sous la direction de Louis Pauwels), on trouvait déjà une préface de sa plume.
On trouve déjà la même erreur de date que Charles Fort, 1851 au lieu de 1852. Ceci laisse à penser que sa source d’information est un mélange du Livre des damnés, et de l’article original du Scientific American. Du Scientific American, on a la profondeur (5 mètres), non mentionnée par Fort. De celui-ci, on a l’erreur de date. Comme on va le voir par la suite, cette erreur de date est récurrente chez la plupart des auteurs, et laisse à penser qu’aucun n’a vérifié la source primaire, se contentant de s’appuyer sur leurs prédécesseurs.
On trouve aussi des différences plus graves, non conformes ni au texte du Scientific American, ni même à celui de Charles Fort. La première est qu’on apprend que « l’objet circule de musée en musée puis disparaît ». Pour mémoire, un certain M. Kettell l’a emporté chez lui en 1852, ensuite, on ne sait pas, a priori. La seconde est que la roche où a été trouvé l’objet montre, après enquête, être vieille de plusieurs millions d’années. Quelle enquête ?
Cet ouvrage paraîtra en anglais en 1974, sous le titre Extraterrestrial Visitations from Prehistoric Times to the Present.
Jacques Bergier est un pur génie comme il n’y en a qu’un ou deux par siècle. Il parle 14 langues, lit un livre en 10 minutes, est chimiste, agent secret, écrivain, résistant, invité vedette d’émission radio, et surtout (comble de la consécration), a même son personnage dans Spirou (Le Voyageur du Mésozoïque) et Tintin (Vol 741 vers Sidney) :
1978
Jim Brandon relate la découverte dans Weird America, page 103. Je n’ai pas la citation au complet, ni le contexte, mais simplement des extraits trouvés sur Google Books.
Jim Brandon est un personnage intéressant. Son vrai nom est William Grimstad.
Il a écrit des livres en collaboration avec son ami James Shelby Downard. Il est connu pour ses écrits négationnistes, dont AntiZion (The Nontide Press, 1976), The Six Million Reconsidered (Media Research Associates, 1977). Certains écrits font écho de liens avec le KKK.
1979
C’est une année importante, puisqu’une photo apparaît pour la première fois ! Voilà ce qu’on trouve dans le livre de Brad Steiger Worlds Before Our Own page 236 :
Brad Steiger est un auteur spécialisé dans le paranormal, les OVNIs, les mystères préhistoriques, les conspirations et les sociétés secrètes, l’Atlantide, la spiritualité, et énormément d’autres thèmes. Il a à son actif 181 ouvrages, allant de la biographie de Greta Garbo au recueil de témoignages de personnes affirmant avoir rencontré personnellement Jésus. Il est le premier à avoir avancé l’idée d’extraterrestres reptiliens dans son ouvrage Flying Saucers are hostile (1967), thème ensuite repris par David Icke.
La première chose qu’on remarque est que la date (erronée) est de 1851. Mais le texte est la copie de celui du Scientific American. Ce qui porte à croire que la source n’est ni vraiment le Scientific American, ni vraiment Charles Fort. Peut-être un mélange des deux apparu chez Jim Brandon en 1978 ?
La photo semble attribuée à un certain Milton R. Swanson.
Récemment, le propriétaire de ce curieux artefact a écrit à Brad Steiger et l’a informé que le vase n’est toujours pas identifié après plus d’un siècle. D’après Milton Swanson du Maine : « Il a été donné au Harvard College, mais à cause de ses origines mystérieuses ils l’ont relégué dans un placard. Le responsable du bâtiment l’a finalement apporté chez lui à Medford, Mass. Il me l’a vendu juste avant de décéder à l’âge de 80 ans environ.
Au fil des années, certains soi-disant experts l’ont examiné, et jamais un seul n’a eu d’explication. Il est essentiellement noir, mais le métal est composé de laiton avec du zinc, du fer, et du plomb. Les incrustations sont de l’argent pur, et j’ai dû mettre du vernis dessus pour les protéger. J’ai toujours eu le sentiment qu’il s’agissait d’une urne funéraire.
Le Museum of Fine Arts de Boston a le meilleur et le plus complet des laboratoires, qui fut créé en coopération avec le M.I.T., j’ai pu leur faire effectuer tous les tests possibles pendant 2 ans. Toujours aucune réponse quant à sa datation ou son origine. »
Donc, en 1979, il semble que le propriétaire de l’objet soit un certain Milton R. Swanson du Maine. On trouve trace d’un Milton Read Swanson, venant du Massachussetts et décédé dans le Maine, à proximité de Sudbury, en 2005 à l’âge de 92 ans. Il aurait eu un fils, qui est lui-même conservateur du musée Sudbury Historical Society de Sudbury, à une vingtaine de kilomètres de Boston (Source page 8).
Bien que le lien ne soit pas certain, j’ai contacté ce fils afin de savoir s’il était au courant de l’affaire du vase, en espérant également qu’il l’ait encore, mais hélas je n’ai pas eu de réponse. J’ai également contacté le Museum of Fine Arts de Boston, sans plus de succès.
1981
Le Dr. Erich A. von Fange (Time Upside Down) reprend les écrits du Livre des damnés édition 1941 de Charles Fort avec ce simple passage :
A report was carried in Scientific American that in June, 1851, workmen were blasting near Dorchester, Massachusetts. Cast out from a bed of solid rock was a bell-shaped metal vessel. A photo of the vessel, with inlaid floral designs in silver, showed a remarkably high degree of craftsmanship (Fort, 1941, p.128).
Von Fange est un auteur créationniste ; voici un exemple de ses écrits dans In Search of the Genesis World (2006) :
There are good reasons to suppose that at least some dinosaurs were on the ark. (Il y a de bonnes raisons de supposer qu’au moins quelques dinosaures étaient présents sur l’Arche [de Noé]).(p.57)
Le Dr. Erich A. von Fange met systématiquement en avant le fait de détenir un PhD, et d’être un professeur à la retraite du Concordia College à Ann Arbor (Michigan).
Ce n’est pas une université conventionnelle, mais un établissement religieux. On peut avoir un aperçu de son programme ici. D’après ce site, il aurait été professeur de Psychologie et Statistiques au Concordia College de 1962 à 1987. Il aurait un Baccalauréat en Éducation d’une autre université catholique au Nebraska et son PhD serait en « Educational Administration », obtenu à la University of Alberta. C’est une formation qui n’a absolument rien de scientifique. Donc la mise en avant systématique de ses diplômes et de son expérience professionnelle est trompeuse, puisqu’ils ne lui donnent aucune qualification en histoire, archéologie, géologie ou autre domaine lié.
1982
Un numéro spécial du Reader’s Digest « Mysteries of the unexplained », disponible ici :
Mis à part la date de 1851, en contradiction avec la citation du Scientific American de 1852, rien à signaler.
1993/1994
Michael Cremo publie son ouvrage L’histoire secrète de l’espèce humaine (Forbidden archeology : the hidden history of the human race). Dans la réédition de 1998, après avoir repris l’article du Scientific American on trouve ceci :
D’après une carte récente de la région de Boston-Dorchester établie par le Service de recherches géologiques américain, le « puddingstone », désigné aujourd’hui sous le nom de conglomérat de Roxbury, date du Précambrien, voici plus de 600 millions d’années. D’après la chronologie officielle, la vie commençait à peine à apparaître sur cette planète durant le Précambrien. Mais avec le vase de Dorchester, nous avons un témoignage de la présence d’artisans chaudronniers en Amérique du Nord plus de 600 millions d’années avant Leif Erikson.
(Leif Erikson, fils d’Erik le Rouge, Islandais né aux environs de 970, serait le premier Européen à avoir découvert l’Amérique aux alentours de l’an mille, bien avant Christophe Colomb.)
On peut le voir dans cette conférence à la minute 2:25. Il attribue là encore la parution du Scientific American à 1851, alors qu’il écrit 1852 dans son livre. Nous voici donc avec une datation de 600 millions d’années !
Michael Cremo est un Américain converti au créationnisme hindou. Son parcours ne montre aucune compétence particulière en archéologie. Selon lui, il existe des preuves archéologiques soutenant l’idée que l’être humain existe depuis des temps extrêmement reculés et qu’il n’est pas une évolution d’un singe. Son livre Forbidden archeology : the hidden history of the human race est largement critiqué par les scientifiques. Il n’apporte aucune preuve de ce qu’il avance, n’hésite pas à utiliser l’existence supposée du Bigfoot et de l’« Abominable homme des neiges » en tant que preuve de ses théories. On peut y lire entre autres :
Devant tant d’éléments aussi convaincants, pourquoi presque tous les anthropologues et zoologistes refusent-ils d’évoquer la question du Sasquatch ?
2003
Tedd St. Rain relate le fait dans Mystery of America page 37, en se contentant de citer Jim Brandon dans son ouvrage de 1978. Les autres sujets du livre sont les Géants, les peuples nains, des épées romaines qui auraient été trouvées en Arizona, des éléphants au Nouveau-Mexique, la machine d’Anticythère dont la réalisation n’aurait pas été possible avant le 16ème siècle, etc ... Son site n’existe plus, mais on en trouve la trace ici.
2003
D’après le site http://www.pureinsight.org/node/1899, l’objet serait daté de 100.000 ans. Il aurait circulé de musée en musée avant de disparaître (perdu ?). La source de la datation n’est pas indiquée, et on se demande comment Brad Steiger a pu en trouver trace 24 ans plus tôt.
2006
Dans son livre Discovering the Mysteries of Ancient America : Lost History And Legends Frank Joseph reprend la déclaration que Michael Swanson avait faite à Brad Steiger, mais en modifiant le texte, au point qu’on ne sait plus trop qui est cité, le propriétaire de l’artefact ou l’auteur du livre :
I hoped to learn something more definite at the Museum of Fine Arts in Boston, which operates a state-of-the-art analysis laboratory built in cooperation with M.I.T. Its examiners ran the object through a thorough battery of tests for two years, which failed to confirm its origin. Privately, however, geologists dated the bell’s rock matrix to approximately one million Years Before Present. None of them, of course, would dare go on record with their conclusion for fear of ridicule, despite the evidence of acid testing to determine credible time-parameters.
J’espérais apprendre quelque chose de plus précis de la part du Museum of Fine Arts de Boston, qui dirige un laboratoire d’analyses très performant créé en coopération avec le M.I.T. Les chercheurs se sont livrés à une batterie complète de tests pendant 2 ans, qui n’ont pas permis de découvrir ses origines. Cependant, les chercheurs m’ont déclaré en privé que la roche était âgée d’environ 1 million d’années. Bien évidemment aucun d’entre eux n’oserait publier ces conclusions par peur du ridicule, bien que des tests à l’acide aient confirmé cette datation.
On retrouve le récit de Michael Swanson en 1979 dans le livre de Brad Steiger, à quelques nuances près : apparaissent des détails sur la datation, détails que Michael Swanson lui-même semblait ignorer. La roche est désormais âgée de 1 million d’années (pour rappel, le conglomérat de Roxbury est évalué à 570 à 595 millions d’années). On peut aussi se demander si le vase était accompagné de sa roche d’origine plus d’un siècle après les faits. Quant aux tests à l’acide qui permettraient de dater du métal aussi vieux, je n’en ai jamais entendu parler dans les méthodes de datation. Si quelqu’un a une information à ce sujet, je suis preneur.
Frank Joseph, de son vrai nom Frank Collin, ancien chef du parti national-socialiste américain et condamné pour pédophilie, a tenté de se refaire une virginité comme écrivain New Age et éditeur de pseudo-archéologie.
2006
Cette version a ma préférence : pour l’écrivain italien Michele Manher, adepte lui aussi d’histoire mystérieuse, l’explication est tout autre. (Ne pas se fier au prénom, il s’agit bien d’un homme.) Les plantes représentées dans les cartouches ovales sur le vase seraient du genre Sphenophyllum, une plante datant du Carbonifère Supérieur, représentées à l’échelle 2:1, soit 2 fois la taille de la plante réelle, connue uniquement par ses fossiles. Quant aux autres plantes sur le reste de la surface, elles ne peuvent être qu’une variété de Sphenopteris. La conclusion évidente est que ce récipient date de l’âge des plantes représentées, à savoir 320 millions d’années ! Le paragraphe suivant nous explique que les hommes étaient présents sur Terre à cette époque, ainsi que plus tard à la période des dinosaures, donc tout reste cohérent. Source
Michele Manher est l’auteur de divers livres, de l’histoire présumée secrète de la Terre aux secrets des pyramides de Gizeh (ceux-ci étant bien cachés pour raisons politiques). Il est membre du CIRPET (Comitato Interdisciplinare per le Ricerche Protostoriche E Tradizionali), qui malgré un nom semblant officiel est un organisme s’intéressant à la pseudo-archéologie. On ne s’étonnera pas de retrouver Michael Cremo parmi les membres et les contributeurs de leur revue.
2013
Le site The Arrows of Truth (« Taking Aim at Lies, Hidden and Supressed Information ») reprend les explications de Frank Joseph 10 ans plus tôt. Là encore l’article du Scientific American est de 1851 (1 an avant les faits, rappelons-le). Nous apprenons que :
Through the years it has been examined by experts, including the Museum of Fine Arts in Boston, which operates a state-of-the-art analysis laboratory built in cooperation with M.I.T. It was run through a thorough battery of tests for 2 years, which failed to confirm its origin. However, geologists dated the rock matrix the vessel was found in to 1,000,000 years old and acid testing on the vessel confirms these could be credible time parameters.
Durant des années, il a été examiné par des experts, incluant le Museum of Fine Arts de Boston, qui dirige un laboratoire d’analyses très performant créé en coopération avec le M.I.T. Il a subi une batterie complète de tests pendant 2 ans, qui n’ont pas réussi à établir son origine. En outre, les géologues ont daté la roche dans laquelle le vase a été trouvé de 1.000.000 d’années, et des tests à base d’acide sur celui-ci ont confirmé que cette datation est cohérente.
La datation à 1 million d’années semble être devenue officielle. Autre fait amusant, la photo du vase n’est plus la même. C’est désormais une autre :
Cette nouvelle version (apparue en 2010 semble-t-il) semble plaire, puisqu’on la retrouve régulierement sur d’autres sites :
http://www.paroleaupeuple.com/archives/2014/03/31/29562529.html
http://secretaryofinnovation.com/2010/10/15/freaky-friday-ooparts-out-of-place-artifacts/
Elle semble provenir d’un ouvrage sur l’art indien « Arte indiana » de K. Bharatha Iyer (Arnoldo Mondadori Editore, 1964, photographie hors texte n°81). C’est un debunker italien, Biagio Catalano, qui a fait remarquer la ressemblance avec le vase trouvé à Dorchester :
2013
Dominique Jongbloed « l’Aventurier » présente, sans source, le même objet :
On revient à un âge de 100 000 ans, mais cette fois avec une mystérieuse disparition dans un musée. Comment sait-il que la photo « date des années trente », puisqu’elle n’apparaît qu’en 1979 dans le livre de Brad Steiger qui dit la tenir du propriétaire de l’objet ?
Pour Dominique Jongbloed, les lecteurs de ce site savent à quoi s’en tenir sur ses aventures, ses associations et sa production littéraire.
2013
On touche ici à une interprétation originale, qui mérite d’être citée parmi les nombreuses références au « Dorchester pot ». Il s’agit de celle de Kevin D. Randle. Des extraits de son ouvrage Alien Mysteries and Conspiracies (2013) sont disponibles ici :
http://books.google.ca/books?id=7LKOoxP04asC&pg=PA19&lpg=PA19&dq=scientific+american+june+5+1852&source=bl&ots=X1kLZUvvNs&sig=_TEpJK6tMUNH3SnIgLd-wY8IDd0&hl=fr&sa=X&ei=d0ZDVLS-J9aeyAS4yYIg&ved=0CFEQ6AEwBw#v=onepage&q=scientific%20american%20june%205%201852&f=false
Et on a de la chance, c’est justement les passages qui concernent le « Dorchester pot ». Rappel de la conclusion ironique du Scientific American de 1852 :
Ce n’est pas une affaire de zoologie, de botanique, ou de géologie, mais une affaire de vase antique en métal, peut-être fabriqué par Tubal Caïn, le premier habitant de Dorchester.
Kevin Randle a le mérite de chercher à retrouver la source de l’information. C’est plutôt rare et tout à son honneur. Mais il accorde une importance toute particulière à cette dernière phrase. Petit-fils de Caïn, Tubal-Caïn est bien plus que le premier forgeron, il est aussi une référence pour les francs-maçons, voir http://www.gadlu.info/macon-celebre-tubalcain.html ou http://hautsgrades.over-blog.com/article-tubalcain-105538403.html. Il n’en faut pas plus à Kevin D. Randle pour imaginer une signification cachée dans l’article du Scientific American, dont seuls les francs-maçons ont le code pour la décrypter ...
Voici un autre détail qui sort du cadre usuel de l’étude des OVNI : Tubal Caïn est une phrase maçonique secrète, ce qui n’était certainement pas un fait connu en 1852. Ceci nous amène à une question : cette légende d’un vase découvert dans la roche est-elle réelle, ou bien a-t-elle une signification pour les maçons et l’utilisation du terme « Tubal Caïn » en est la clé ? Je dois avouer que je l’ignore. Je suis plus que perplexe d’apprendre l’histoire de Tubal Caïn et la référence qui y est faite dans cet article précis. Il n’y a aucune raison pour que les autres auteurs aient tiré quelque chose de cette référence, à moins qu’ils ne soient eux-même maçons et connaissent le code. Sans l’aide d’Internet et des moteurs de recherche, je n’aurais jamais fait le rapprochement, pas plus que je ne me serais posé la question.
C’est négliger totalement l’époque à laquelle le texte a été écrit. Au 19ème siècle, il n’était pas rare de citer Tubal-Caïn en tant que premier des forgerons. Le lecteur n’avait pas besoin d’être franc-maçon pour comprendre l’allusion. Une simple recherche dans des archives, comme ici, renvoie 233 occurrences pour la période 1831-1900.
2013
Derek Gunn publie une photo du soi-disant artefact sur son site Amazing Massachusetts :
Je l’ai bien sûr contacté afin d’avoir des détails sur cette photo, mais n’ai pas reçu de réponse. Il ne m’a pas non plus été possible de savoir de quand date cette photo, ni où et par qui elle a été prise. Il attribue lui aussi la date de la découverte à 1851 au lieu de 1852, mais cette erreur devient si habituelle qu’on se demande si la plupart des intervenants ont pris le soin de vérifier l’information, ou s’ils se recopient les uns les autres.
Derek Gunn se dit chercheur indépendant, intéressé aux OVNIS et au paranormal.
Il déclare avoir découvert une pierre de 5 pieds de haut (1.5 mètre), nommée « Devil’s Hollow », sans préciser ce que cette pierre a de particulier, mis à part le fait d’être dressée et non couchée à terre …
Au total, on observe donc une certaine imprécision dans les faits et les dates. Les auteurs ou les sites Internet relatant cette découverte, qui se recopient les uns les autres, sont sans exception assez controversés quant à leur pertinence scientifique. Chacun s’efforce d’ajouter sa touche personnelle, sans jamais s’appuyer sur des sources fiables (quand une source est citée, ce qui n’est pas toujours le cas).
Le thème du vase de Dorchester a également été repris par une multitude de sites ou auteurs pseudo-scientifiques. Chacun insiste sur 2 éléments du problème :
– de quelle époque date le vase ?
– quelle est son origine ?
Mais le plus surprenant, après plus d’un siècle et demi, c’est qu’aucun n’a réussi à en trouver de semblables. Pourtant, voici le résultat donné par votre moteur de recherches préféré :
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Bidriware
Quittons un peu Boston, et remontons dans le temps, à Londres en 1851.
L’Exposition Universelle de 1851 fut la première du genre, et eut lieu à Londres au Crystal Palace du 1er Mai au 15 Octobre. Il y eut 6 millions de visiteurs. Sur les 15.000 exposants, 7000 étaient d’origine britannique, et occupaient la moitié de l’espace. C’était l’occasion pour le Royaume-Uni d’exhiber la puissance de son empire. Donc un grand nombre de ces exposants venaient des colonies, dont l’Inde. On vit même un éléphant !
Parmi les objets originaires d’Inde qui firent sensation, il faut compter l’art Bidri. Ce succès fut reconduit lors de l’exposition suivante en 1855 à Paris, on en trouve les traces dans les écrits de Owen Jones, architecte et décorateur, qui participa à l’organisation de l’exposition de Londres en tant que responsable de la décoration intérieure. Il publia en 1856 un ouvrage, The Grammar of Ornament, qui fut une source d’inspiration pour d’autres artistes décorateurs. Voir dans ce livre pages 77 a 79 et planches XLIX et suivantes. On y retrouve des motifs s’approchant assez bien du vase de Dorchester, motifs provenant majoritairement de pipes à eau, présentes en abondance lors de l’exposition de 1851 :
:
Le Bidriware est un art originaire de Perse qui a été introduit dans la région de Bidar, sur le plateau du Karnataka en Inde.
Une des traces les plus anciennes de cet art date d’environ 1770. On trouve une carte de la région de Bidar dans les écrits du colonel français Jean Baptiste Gentil. Cette carte est aussi visible dans le livre de Susan Gole Maps of Mughal India Drawn. La version originale de cette carte semble être à Londres, et l’historien Rehaman Patel demande actuellement son rapatriement en Inde.
Cette technique est aussi utilisée dans la région de Hyderabad, beaucoup d’artisans de Bidar ayant migré vers Hyderabad pour raison économique. Elle consiste à incruster des motifs en or ou en argent sur des objets généralement en alliage à base de zinc noirci. L’objet de base est fabriqué par des techniques de fonderie artisanale, avec un moulage au sable vert (comprendre humide, et non la couleur). Le processus de fabrication peut être vu ici.
Mais à quoi peut servir cet objet ? On en a un aperçu en regardant aux pieds de ce charmant visiteur de l’Exposition Universelle de Paris de 1867.
A studio portrait of a Kathiawar Rajput gentleman posed with a hookah, from the Archaeological Survey of India Collections. This was taken by Hurrichund Chintamon and shown in the Paris Exhibition of 1867
Ou de ce colon, tiré du livre The European in India : From a Collection of Drawings (Charles Doyley 1813, planche X, page 63 du pdf)
C’est ce qu’on appelle un hookah, c’est-à-dire une pipe à eau. Le mystérieux artefact n’en est autre que la base. Boston étant un port d’immigration, l’Exposition Universelle de Londres ayant eu lieu un an auparavant et vu le succès que cette forme d’art indien a connu, faut-il s’étonner d’en découvrir un à Dorchester ?
Dès la description initiale de l’objet, en 1852, on retrouve toutes les caractéristiques propres aux hookahs Bidri du 19ème siècle :
– forme de cloche (ceux du 18ème siècle sont ronds)
– le métal est du zinc
– l’objet est globalement noir
– il comporte des incrustations en argent, représentant des fleurs et/ou de la vigne
– les dimensions sont plutôt petites par rapport à un hookah habituel, mais ce n’est pas un réel problème, j’y reviendrai plus bas.
Il y a cependant une différence majeure : la description de 1852 précise qu’il y a 6 motifs de fleurs ou de bouquets. Or, la photo de Brad Steiger montre que cet objet est subdivisé en 4 parties (les motifs étant toujours régulièrement répartis sur les hookahs, il est impossible que cette photo montre un objet comportant plus de 4 motifs). Le reste de la description semble avoir été fait avec soin, et serait éventuellement l’œuvre de J.V.C. Smith, le médecin du port qui l’a examiné. Il serait surprenant qu’il note les détails de gravure, et ne soit pas capable de distinguer 4 et 6.
On peut donc en déduire soit que le Dr Smith ne savait pas compter, soit qu’il y a eu erreur de l’auteur de l’article en recopiant le Boston Transcript (ou dans l’article original)... ou alors que la photo de Brad Steiger est sortie d’un chapeau !
L’autre photo que l’on trouve est celle d’un hookah du 19ème siècle, en provenance directe de la page Wikipédia, où l’objet est clairement identifié comme tel.
J’ai donc contacté un des spécialistes de l’art Bidri, nommé aussi « Bidriware », et lui ai posé quelques questions au sujet de la photo, auxquelles il a eu l’extrême gentillesse de répondre. Il s’agit du Dr. Rehaman Patel, détenteur d’un Ph.D. de l’Université de Gulbarga pour sa thèse Bidari Art of Karnataka – A Study. Il me semble difficile de trouver meilleur spécialiste, il est l’auteur de l’unique thèse réalisée sur le sujet, et est actuellement le président de la Indian Royal Academy of Art and Culture et professeur à la faculté Visual Art at Gulbarga University. Source
Question : Quelle est l’origine de l’objet ?
Dr. Rehaman Patel : Bidar 100 %Q :Ce hookah semble plus petit que ceux que je vois en général, et ne comporte que 4 cartouches, alors que la plupart semblent en avoir 5 ou 6. N’est-ce pas curieux ?
Dr. R. P. : There are many mini huqquas and other items having 4 "cartouches", in the collection of Victoria & Albert Museum, Indian Museum Kolkata.
(Il y a beaucoup de mini hookahs et autres objets ayant 4 « cartouches » dans la collection du Victoria & Albert Museum, Indian Museum Kolkata.)Q : Quelles sont les plantes et les fleurs représentées ?
Dr. R.P. : Poppy plants/flowers
(Des plants et fleurs de pavot.)Q : Peut-on estimer la période de ce hookah ?
Dr. R.P. : Made between 1830 - 1880. Because the Bidri artisans not mentioned the date, year and signature.
(Entre 1830 et 1880. Les artisans Bidri n’indiquaient ni la date, ni l’année ni ne signaient.)
En conclusion, faut-il voir dans le « vase de Dorchester » un « OOPArt », un objet n’ayant aucun rapport avec l’endroit où il a été découvert, âgé de 600 millions d’années ? Ou bien n’est-ce qu’un « objet cassé jeté dans un pré », qui aurait été retrouvé au milieu des gravats ? Laissons le rasoir d’Ockham trancher !
Mise à jour du 10 septembre 2014
Il y a quelques jours, Mme Susan Stronge m’avait informé du fait qu’un hookah très semblable se trouve dans son musée. Mme Stronge est conservatrice au Victoria & Albert Museum, à Londres, dans la section asiatique, et est une spécialiste de l’art musulman en Inde du 16ème au 19ème siècle. Elle est l’auteur, entre autres ouvrages, de Bidri Ware : Inlaid Metalwork from India (1985) :
Je dois avouer que je m’attendais à voir un hookah ressemblant, tout comme les autres plus haut, mais pas à ce point ! Il s’agit de l’objet référencé 137-1852 du musée. Il n’est pas actuellement exposé, mais est dans les archives.
Si la description sur le site est plutôt succinte, Mme Stronge m’a fourni quelques précisions.
I have finally managed to find a photograph of the huqqa base that most resembles the "Dorchester pot". Its museum number is 137-1852 and it was acquired by this museum in 1852 - and it was exhibited at the Great Exhibition of 1851 as an example of recently produced ’industrial arts’ of India. Its designs and the way the rather low grade silver is applied are all typical of Lucknow bidri.
J’ai finalement réussi à trouver une photo de la base de hookah qui ressemble le plus à celle du « Dorchester pot ». C’est la référence 137-1852 du musée, et il fut acquis par le musée en 1852. Il était exposé à l’Exposition Universelle de 1851, en tant qu’exemple de la production artistique contemporaine en Inde. Son style, ainsi que la manière dont l’argent, de qualité plutôt médiocre, est utilisé, est typique de l’art bidri de Lucknow.
L’art bidri a plusieurs influences selon la région d’origine. Le style de la région de Lucknow est de laisser un peu de relief aux incrustations d’argent. Source
Alors que ma théorie que le hookah venait de l’Exposition Universelle de Londres en 1851 n’était basée que sur des rapprochements, il me semble qu’on peut désormais la considérer plus que crédible. On peut affirmer sans trop prendre de risque que le « Dorchester pot » a été fabriqué aux alentours de 1850, dans la région de Lucknow, et rien n’empêche d’imaginer qu’il provient du même atelier que celui de la collection du Victoria and Albert Museum de Londres, tant les ressemblances sont frappantes. Ci-dessous un comparatif, où au lieu de mettre en évidence les points communs, j’ai trouvé plus simple d’insister sur les differences, peu nombreuses.
En haut, le « Dorchester pot », et en bas l’exemplaire de Londres.
Mise à jour juillet 2015
Une mise à jour que je voulais faire depuis longtemps. Ça n’apporte pas de réels éléments nouveaux, mais des précisions. Vu que personne ne semble s’être intéressé à ce sujet aussi profondément, autant être exhaustif et rassembler ici tout ce que je trouve.
J’ai retrouvé l’article d’origine du Boston Transcript, grâce à l’aide de la Boston Public Library qui en avait une copie sur microfilm, les archives de Juin 1851 à Décembre 1853 n’étant pas disponibles sur Internet. On trouve quelques détails intéressants qui ne sont pas repris dans le Scientific American.
Page complète :
L’édition est datée du Mercredi 26 Mai 1852, et rapporte des faits survenus le Mardi précédent. Le Boston Transcript était un quotidien, donc a priori l’évènement a eu lieu la veille, voire la semaine précédente. Ce qui vient définitivement enterrer la date de Charles Fort, qui annonce la date du 1er Juin 1851, ainsi que la copie disponible de l’article sur Wikipedia anglophone, reprise présumée du Scientific American le 7 Juin 1851.
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It has been examined by nearly 300 persons, many of whom were scientific men, but no-one has yet been able to say what it could have been made for.
Il a été examiné par près de 300 personnes, dont beaucoup étaient des hommes de science, mais personne n’a encore été en mesure de dire dans quel but il a été fabriqué.
Il n’y a hélas pas de noms fournis, mais il semble que ça ait fait déplacer pas mal de monde… Ne pas oublier que le M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology) se trouve à quelques kilomètres à peine.
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It is now in the possession of Mr. John Kettell, at his mansion house, opposite the ledge from which it was blown.
Il est maintenant en la possession de M. John Kettell, dans sa maison de maître, à l’opposé de la corniche à partir de laquelle il a été expulsé.
On se rappelle que le dernier possesseur connu, à l’époque du moins, était John Kettell. Ceci peut s’expliquer facilement. Il semble que le John Kettell que je soupçonne ait été réellement un des notables de la ville, celui-là même qui avait demandé la venue de Edward Everett à Dorchester pour un discours le 4 Juillet 1854.
Grâce à d’anciennes cartes, on peut retrouver un plan du quartier, ainsi que la localisation de sa maison, à quelques pas du lieu de la découverte. La maison a été rasée depuis, mais le plan des rues n’a pas changé. Avec StreetView, on peut même visiter et admirer le conglomérat rocheux. À droite, on a l’emplacement de la maison de John Kettell, au coin des rues actuelles Winter et Adams. En remontant la rue, on tombe sur l’église du Reverend Nathaniel Hall.
Entre sa maison et l’église, on trouvait le Lyceum Hall, démoli pour cause de vétusté en 1955. L’église actuelle n’est pas la même que celle de l’époque, qui a brûlé en 1896.
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La cause précise du dynamitage n’est pas connue, mais on peut trouver des indices dans les archives de la ville. Toujours pour la curiosité, j’ai eu des informations grâce à M. Earl Taylor de la Dorchester Historical Society.
Meeting House Hill was a hill largely of rock outcropping composed of puddingstone. It is not surprising that blasting might occur there. The blasting was probably done a little southeast of the church along East Street. Although the place of blasting is not specified, the Dorchester report of expenditures for the fiscal year ending February 1, 1853, has an entry for $234.75 to James Glenning for 192 1/2 days of blasting and $153.70 to Andrew Glover for powder and fuse. "New roads are being made every year, and we now have about 37 miles of roads to repair".
Meeting House Hill était une colline avec des affleurements rocheux de puddingstone. Il n’est pas étonnant que du dynamitage ait eu lieu là, probablement un peu au sud-est de l’église, le long de East Street. Bien que l’emplacement ne soit pas indiqué, le rapport des dépenses de Dorchester pour l’année fiscale finissant le 1er Février 1853 mentionne un paiement de 234,75$ à l’ordre de James Glenning pour 192 ½ jours de dynamitage, ainsi que 153,70$ à l’ordre de Andrew Glover pour de la poudre et des mèches. « De nouvelles routes sont construites chaque année, et nous avons maintenant 37 miles (60 km) de route à entretenir »
À l’époque, l’explosif utilisé était la poudre noire, la dynamite ne sera inventée qu’en 1866 par un certain Alfred Nobel. La colline a servi régulièrement de carrière afin de fournir du remblais pour la construction de routes. Il est donc difficile de savoir si le but ce jour-là était de niveler le terrain ou de créer une nouvelle rue.
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John Doyle, le forgeron, n’est pas cité dans l’article original du Boston Transcript, c’est un ajout du Scientific American. Par ailleurs, je n’ai trouvé aucun forgeron de ce nom dans les archives, même si un certain nombre de Doyle sont forgerons dans la région. Peut être un nom générique et inventé, John Doyle étant le « John Smith » de la profession ?
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On peut également lire dans cet article :
In the top there is a hole for a handle, and in the bottom opposite a larger hole is filled with lead, soldered up close. The inside is considerably corroded, but the outside is smooth and free from rust
Il y a un trou pour une poignée à la partie supérieure, et le dessous a un grand trou qui a été bouché avec du plomb soudé. L’intérieur est considérablement corrodé, mais l’extérieur est lisse et dénué de rouille.
Ni Milton Read Swanson, ni Derek Gunn ne mentionnent l’existence de ce trou dans le vase qu’ils prétendent avoir eu en main. Il faut croire que sa présence a également échappé aux chercheurs du M.I.T. :)
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Légèrement hors sujet, mais amusant, voilà ce qui pourrait ressembler à la morale de l’histoire. L’article original du Boston Transcript finit par la phrase suivante :
As Pope says of the fly in amber :
"Tis not because the thing is rich and rare ;
The wonder s, how the devil it got there."
Ainsi que Pope écrit au sujet de l’insecte dans l’ambre :
« Ce n’est pas que la chose soit précieuse et rare ;
La question est de savoir comment diable elle est arrivée là ».
L’ambre est de la résine fossilisée, dans laquelle on trouve souvent des insectes piégés, comme dans le film Jurassic Park.
C’est censé être du poète anglais Alexander Pope (1688-1744). Il n’a jamais écrit ça, mais plutôt :
Pretty ! in amber to observe the forms
Of hairs, of straws, or dirt, or grubs, or worms !
The things, we know, are neither rich nor rare,
But wonder how the devil they got there.
(Prologue to the Satires, line 169).
Magnifique ! Dans l’ambre on observe la forme
De poils, de pailles, ou de poussières ou de larves ou de vers !
Ces choses-là, nous le savons, ne sont pas précieuses ni rares.
La question est comment diable sont elles arrivées là.
Comme on le voit, il ne parle pas de mouche ou autre insecte volant. C’est un autre poète anglais, Robert Herrick (1591-1674) qui fait référence à une mouche dans un de ses poèmes :)
I saw a fly within a bead
Of amber cleanly buried ;
The urn was little, but the room
More rich than Cleopatra’s tomb.
(The amber bead)
J’ai vu une mouche dans une perle
D’ambre proprement inhumée ;
L’urne était petite, mais la chambre
Plus riche que la tombe de Cléopâtre.
(La perle d’ambre)
Lequel Robert Herrick semblait lui même inspiré par Francis Bacon (1561-1626) :
Whence we see spiders, flies, or ants entombed and preserved forever in amber, a more than royal tomb.
(Historia Vitæ et Mortis ; Sylva Sylvarum)
D’où l’on voit les araignées, les mouches, ou les fourmis ensevelies et préservées à jamais dans l’ambre, une tombe plus que royale.
La citation du Boston Transcript ressemble à un mélange. Décidément, on ne ne peut faire confiance à personne quand il s’agit de rapporter des mots. Après toute une série de citations tronquées, modifiées, voire inventées, il ne faut pas s’étonner que l’objet de la découverte traîne encore une aura de mystère autour de lui près de 160 ans plus tard :)