Le lecteur se souvient peut-être qu’une des plus fantastiques prétentions de la Fondation de Semir Osmanagic est la découverte, dans le tunnel de Ravne à trois kilomètres de la "pyramide du Soleil", de symboles que leur "inventeur", Muris Osmanagic, considère comme un alphabet proto-bosnien, "l’ancêtre" de tous les alphabets européens du phénicien aux runes germaniques. Muris Osmanagic prétend avoir identifié 52 symboles différents :
et la Fondation s’est assuré les services d’un éminent "hiérolinguiste" [1], M. Paulo Stekel, par ailleurs spécialiste d’une autre écriture pour le moins contestée, celle de Glozel qu’il prétend avoir déchiffrée (fr).
Reste que l’authenticité de cet "alphabet proto-bosnien" est loin d’être assurée :
– un point significatif est le fait que la Fondation n’a jamais publié de photographies de l’ensemble des symboles ; les photographies qui circulent sur le net montrent toujours les mêmes groupes de symboles (une flèche, ou bien quelque chose qui pourrait vaguement ressembler à un M, un E...). Aucune photo non plus de l’ensemble du "mégalithe" sur lequel sont gravés ces symboles, seules des photos de détails sont disponibles ; l’existence même de 52 symboles différents n’est attestée que par un dessin de la main même de Muris Osmanagic :
– l’équipe d’archéologues du Musée de Sarajevo qui, à la demande du ministère de la Culture, a visité en avril 2007 le site, s’est vu refuser l’accès aux différents "artefacts" trouvés par la Fondation, dont le "proto-alphabet" ;
– dès 2006, la géologue qui travaillait à l’époque pour la Fondation, Nadija Nukic, avait informé Robert Schoch et Colette Dowell du fait que certains symboles n’étaient pas visibles lors de sa précédente visite dans le tunnel. Mme Nukic avait également signalé ce fait directement au comité directeur de la Fondation, par un courrier du 1 septembre 2006, où elle écrivait : "Sur un des blocs une ou plusieurs personnes ont gravé des signes sur le bloc (par exemple une flèche, les lettres E, V, puis lors de ma dernière visite le 3.8 au même endroit il y avait de nouveaux signes comme la lettre M et d’autres)." [2] Dans une interview donnée au magazine BHDani le 30 octobre 2007, Mme Nukic confirme que certains symboles ont en fait été gravés par un des mineurs travaillant pour la Fondation, un certain Ensad Husic.
Malgré ces différentes bizarreries, la Fondation persiste à considérer ces symboles du tunnel de Ravne comme une "écriture préhistorique", et leur consacrera un des grands thèmes de la "conférence scientifique internationale" (en) qu’elle organise au mois d’août 2008 à Sarajevo : "Age-dating and the deciphering of prehistoric writings, including European symbols and the research of embryonic “Proto-Script Visoko” found in the Bosnian Valley of the pyramids."
Cependant, les doutes sur l’authenticité de ces symboles ne peuvent que s’accroître à la lecture du texte récemment publié sur son site par Colette Dowell, intitulé "A Paper on the Controversies Surrounding the Ancient Inscriptions on the T1 and the T2 Megaliths Found in the Ravne Tunnel" (en). Colette Dowell a en effet pris la peine de relever les nombreuses incohérences entre les photographies et dessins publiés par Muris Osmanagic et ses propres photos prises lors de son séjour à Visoko en 2006. Un des exemples les plus frappants est celui de la "flèche préhistorique profondément gravée" montrée par Muris Osmanagic dans son texte sur "la découverte du mégalithe T1" (en) :
Le moins que l’on puisse dire est que la photo prise par Colette Dowell montre quelque chose d’assez différent :
Le lecteur curieux pourra consulter l’article de Mme Dowell, en particulier toute une série de photos du fameux mégalithe qui, si elles montrent bien la présence de quelques symboles (les mêmes que ceux dont la Fondation a fait circuler les photos), montrent aussi qu’on est loin d’atteindre la densité de symboles sur cette pierre évoquée par les dessins de M. Osmanagic père.
Une autre incohérence tout à fait surprenante, relevée par Mme Dowell, concerne les circonstances de la découverte des symboles. Celles-ci sont décrites très précisément dans le texte de Muris Osmanagic (en), que je cite in extenso :
"At the time of the initial investigation, on the first of April, 2006, the mining group discovered at two places some twenty meters apart, at 233 m. and 260 m. from the entrance, two stone slabs which were protruding only some ten centimeters from the wall. In consultation with the project manager, it was decided that they should begin carefully to dig these out. By the end of April these slabs had been dug out, and one of them was reinforced with mining supports. When they had been exposed and partially cleaned, on April 29, 2006, the five participants in this historic finding were able to see with their own eyes a number of unfamiliar symbols, as parts of some old system of writing, with a deeply engraved arrow at the far end of the first megalith, which we named T-1.
The five participant eye-witnesses were :
1. Dr. Aly Abdulah Barakat, Egyptian geologist, specialist for the pyramids in Giza. He spent two month in Visoko, studying intensively the complex of the Bosnian pyramids ;
2. Prof. dr. Muris Osmanagic, the author and project manager for the tunnel research ;
3. Enver Hasic, M.S., an experienced mining expert and scientist, who undertook to transport the mining team to come to work every weekend on the tunnel ;
4. Mesud Talic, mining engineer, and assistant to Enver Hasic ;
5. Islam Cero, photographer from Sarajevo and volunteer assistant to Prof. Osmanagic.
Dr. Aly Barakat was the first to notice the engraved arrow and the first few groups of unknown symbols. We were thrilled to hear him quietly pronounce : “What we have here are the first symbols of Bosnian writing from pre-history.”"
Le texte ne laisse donc aucun doute sur les circonstances de la découverte : elle a eu lieu le 29 avril 2006, en présence des cinq personnes nommées, et le docteur Barakat a été le premier à noter la présence de symboles qu’il a immédiatement qualifiés, d’après M. Osmanagic père, de préhistoriques.
On retrouve la même information dans un document daté du 9 décembre 2007 (bs) [3] et publié sur le site bosnien de la Fondation le 13 décembre 2007 (bs), en réponse aux accusations portées par Nadija Nukic et le magazine BHDani à propos des symboles. Ce document se présente comme une attestation officielle, où 4 des personnes citées plus haut comme témoins de la découverte, plus une cinquième (Enes Hasic), confirment que le Dr Barakat a été le premier, le 29 avril 2006, à remarquer la flèche et autres symboles préhistoriques. Un troisième document relate également la même histoire, il s’agit du "projet multidisciplinaire de recherche" (bs) publié en février 2007, page 22 [4].
Une première incohérence porte sur les personnes réellement présentes le jour de la découverte ; en effet, dans un autre texte, écrit par Ensad Husic (le mineur qui d’après Nadija Nukic et BHDani, aurait gravé les symboles "pour s’amuser"), celui-ci dit avoir été présent, de même que d’autres mineurs, au moment où le Dr Barakat découvrait les symboles : "It wasn’t until the very end of our working assignment that we found that block in question, and that was when it was cleaned. It was cleaned by Dr. Aly Barakat, the miners, including myself and my colleagues." Or Ensad Husic n’est pas cité par Muris Osmanagic parmi les 5 témoins de la découverte.
Plus gênant, et de loin : l’arrivée du Dr Barakat à Visoko n’a eu lieu que le 15 mai 2006 (bs) ! Comment le géologue égyptien aurait-il pu découvrir les symboles gravés le 29 avril de la même année ? Peut-on supposer une erreur sur la date - triple erreur, puisque la même date du 29 avril est citée dans au moins trois documents différents ? La découverte des symboles a-t-elle eu lieu le 29 mai, en présence du Dr Barakat ? Cependant, la première mention de ces symboles gravés par Muris Osmanagic remonte au 22 mai, à l’occasion d’une conférence de presse à Sarajevo (bs). Donc erreur sur le mois, et erreur sur le jour ? De telles imprécisions, passe encore dans un texte destiné à la rubrique "délirante" du site de la Fondation où a été publié le texte de Muris Osmanagic sur la découverte du monolithe T1 ; c’est beaucoup plus gênant dans un rapport officiel de la Fondation, et encore plus dans une attestation : quelle valeur accorder au témoignage de ces personnes sur l’authenticité des symboles, quand le document contient une erreur aussi manifeste ?
Quelles conclusions tirer de ces multiples incohérences ? Seul le Dr Barakat pourrait confirmer (et j’espère qu’il le fera un jour) s’il était ou non présent lors de la découverte des symboles, et à quelle date. Reste que Mme Dowell a mis le doigt sur une contradiction gênante qui, au mieux, confirme l’amateurisme et le manque de sérieux de la Fondation, et au pire serait un indice de dissimulation.
La Fondation n’a pas réagi officiellement au texte de Mme Dowell [5]. Cependant, dans les jours qui ont suivi sa publication, une de nos vieilles connaissances, la pseudo-journaliste Merima Bojic [6], a déposé sur le site de la Fondation un étron... pardon, un texte (en) tout à fait gracieux contenant des allusions d’une rare élégance au séjour de Mme Dowell à Visoko et à ses supposées "déviances" sexuelles. Merima Bojic faisait déjà dans le malhonnête et l’insultant, il lui manquait de faire dans l’abject. Il faut croire que l’article de Colette Dowell a dû quelque peu mécontenter M. Osmanagic, pour qu’il ait ainsi délégué à un de ses chiens de garde le soin de l’insulter (ainsi que quelques autres personnes) sur son site...