Petite recherche sur une source de Jacques Grimault
Article mis en ligne le 4 août 2014

par Irna

Jacques Grimault vient de publier, pour la « distraction » de ses fans qui souffriraient « de l’isolement culturel et amical » du mois d’août, un texte intitulé « Les vraies conquêtes, les seules qui ne donnent aucun regret, sont celles que l’on fait sur l’ignorance ». On peut trouver ce texte, daté du 30 juillet, aussi bien sur la page Facebook du film La Révélation des Pyramides que sur le forum dédié au dit film. Le texte n’apporte pas grand chose de nouveau : il consiste pour l’essentiel en répétitions d’éléments déjà affirmés ici ou là, avec parfois les mêmes « erreurs ». Ainsi ce texte attribue à l’ouvrage Determination of the Exact Size and Orientation of the Great Pyramid of Giza de l’ingénieur J.H. Cole la détermination de « 440 coudées de 0,5235 m pour la base (soit 230,340 m de côté) et de 280 coudées identiques pour la hauteur (soit 146,580 m) » :

Or il est facile de confronter cette affirmation avec ce que dit le texte original, disponible ici :

 Cole donne comme dimension moyenne des côtés de la pyramide 230,364 mètres (page 6 du texte, 7 du pdf), et non 230,340 mètres ;

 si Cole mentionne bien (dernière page du texte, manuscrite) « 440 Egyptian common cubits », nulle part il n’indique une valeur de « 0,5235 m » pour cette coudée ;

 Cole n’a pas déterminé la hauteur de la pyramide : le but de son travail était de mesurer les dimensions et l’orientation de la base de la pyramide (« The purpose of this present survey is to determine as accurately as possible the exact size, shape and orientation of the original base of the Pyramid on the pavement »). La hauteur n’est mentionnée que dans la dernière page manuscrite, où il est précisé que la hauteur et la pente sont basées sur les données de Petrie (« The height and the slopes of the faces of the pyramid are based upon Petrie’s data »).

Cela fait donc beaucoup « d’erreurs » pour cette courte affirmation, et confirme que l’insertion d’une fausse page au milieu des pages de Cole dans le documentaire (voir ici) n’était pas un accident. Il y a bien, de la part de M. Grimault, manipulation d’une source à laquelle il fait dire ce qu’elle ne dit pas.

Un peu plus loin dans le texte de Jacques Grimault, on trouve, sous le titre « Bizarreries technologiques… », ce passage :

L’ouvrage de W. M. Flinders Petrie mentionné par M. Grimault, The Pyramids and Temples of Gizeh, est lui aussi disponible en ligne. Or, comme le note un internaute dans les commentaires, les citations faites par M. Grimault semblent assez approximatives : erreurs sur les numéros de pages, traductions approximatives, incomplètes, et surtout une phrase qu’il est impossible de retrouver dans le texte original de Petrie (« ils devaient posséder des machines surpuissantes “semblables aux instruments de précision que nous-mêmes venons seulement de réinventer.” »)...

Curieusement, ce texte censé avoir été écrit le 30 juillet apparaissait déjà sur le net, quasiment à l’identique, sous la plume d’un supporter du documentaire, en avril 2014 : https://plus.google.com/104075928675274249486/posts/gT5JrdiWDcW (supporter qui doit d’ailleurs tellement admirer Jacques Grimault qu’il va jusqu’à lui emprunter ses tics de langage et sa façon de rendre un texte illisible en y insérant ses propres commentaires, voir ici ou ). On peut donc supposer que ce texte était déjà écrit en avril, ce qui laissait amplement le temps à M. Grimault de vérifier citations, traductions et numéros de pages.

Plus curieux encore, on retrouve une très grande partie du même texte, bien que pas forcément dans le même ordre, sur un forum dès 2004 (voir le message n° 60 de "joel", en particulier les paragraphes « 6) Le sarcophage de la Chambre des Rois » et « 7) Le mystère des vases de pierre ») : mêmes citations de Petrie dans la même traduction, coupées au même endroit... Mais là, à la différence du texte de M. Grimault, on apprend d’où viennent ces citations : non pas directement de Petrie, mais de l’ouvrage de Graham Hancock, L’empreinte des dieux.

On retrouve effectivement dans l’original en anglais de Fingerprints of the Gods, pages 320 et 321, les citations de Petrie utilisées par Jacques Grimault, y compris les numéros de pages fautifs [1], avec cependant une grande différence : on trouve dans le texte de Grimault cette phrase : « ils devaient posséder des machines surpuissantes “semblables aux instruments de précision que nous-mêmes venons seulement de réinventer.” » ; dans le texte de Hancock, la phrase est « ces artisans aient eu accès à des outils “semblables aux instruments de précision que nous-mêmes venons seulement de réinventer...” » (dans l’original anglais : « these craftsmen had access to tools “such as we ourselves have only now reinvented...” »).

Les « machines surpuissantes » ne sont donc pas dans le texte d’origine, où l’on nous parle seulement d’« outils » ou « instruments ». Mais surtout, cette phrase est suivie dans le livre de Graham Hancock d’une note précisant son origine : elle n’est en effet pas de Petrie, mais de Peter Tompkins, page 103 de Secrets of the Great Pyramid (ouvrage que j’ai déjà mentionné ici, puisqu’il est à l’origine de l’idée, très répandue chez les pyramidomanes et reprise par Grimault, que le géographe grec Agatharchide aurait affirmé que la Grande Pyramide était une « image de la Terre »).

On ne peut en tirer qu’une seule conclusion : pour écrire son texte, Jacques Grimault n’a pas consulté Petrie ; il s’est contenté de recopier les citations fournies par Graham Hancock, ou peut-être même un message de forum recopiant Hancock, attribuant au passage au pauvre Petrie une phrase de Tompkins qu’il « améliore » en outre en transformant les simples « outils » en « machines surpuissantes ». 42 ans de recherches pour en arriver là ?