Une excellente nouvelle pour l’archéologie européenne en provenance de Bosnie : une équipe dirigée par Mme Snjezana Vasilj, professeur d’archéologie aux Universités de Sarajevo et Mostar, vient de publier la découverte des premiers navires illyriens jamais retrouvés (fr) à Hutovo Blato.
Hutovo Blato, situé près de Capljina, à mi-chemin de Mostar et de la côte Adriatique, au sud de la Bosnie-Herzégovine, est un marais de la basse vallée de la Neretva, classé réserve naturelle (en) pour sa faune et sa flore exceptionnelles (en) de zone humide (c’est en particulier une zone de transit et de séjour de très nombreux oiseaux migrateurs) [1]. Le marais communique par la rivière Krupa avec la Neretva et la mer Adriatique. La région d’Hutovo Blato était déjà connue pour un patrimoine archéologique varié : citadelle ottomane de Gabela (en) [2], site médiéval de Pocitelj (en), en cours de classement au patrimoine mondial (en) de l’humanité par l’UNESCO, important site romain de Mogorjelo (en) près de Capljina, nécropole médiévale de Radimlja (en), probablement la plus importante du pays, qui regroupe plus d’une centaine de stecci...
A cette richesse naturelle et culturelle, la région vient donc d’ajouter un site archéologique unique. Les Illyriens (fr) (voir ici une présentation rapide (fr)) installés dans les Balkans occidentaux depuis le deuxième millénaire avant notre ère, sont encore assez mal connus ; en l’absence d’écriture, ils n’ont laissé que quelques traces archéologiques (par exemple des ruines de forteresses comme celles de Varvaria (en) en Croatie ou d’Amantia (en) en Albanie), ainsi que des mentions dans les textes grecs et romains. Les Illyriens sont en particulier fréquemment mentionnés, dans les sources antiques, pour leur commerce, ainsi que pour leur pratique de la piraterie en mer Adriatique et en mer Ionienne, à l’aide de leurs bateaux rapides, les lemboi [3], mais aucun de ces bateaux n’avait jamais été retrouvé. A Hutovo Blato, ce sont les restes de deux de ces navires, d’environ 12 mètres de long sur 4 de large, et datant probablement de 200 avant JC [4], qui ont été identifiés par huit mètres de fond, ainsi que 80 couvercles d’amphores et les fragments d’une trentaine d’amphores différentes portant des cachets d’ateliers qui sont en cours d’analyse [5].
Les fouilles n’en sont qu’à leur début (seuls 8 mètres carrés ont été jusqu’ici véritablement fouillés) et nécessiteront beaucoup de temps et de moyens, mais elles posent déjà d’intéressantes questions sur l’origine de ces bateaux, leurs liens avec les différents sites illyriens et grecs connus dans la région, ainsi que sur les circuits commerciaux en Adriatique et dans les Balkans à l’époque hellénistique. Mais ce n’est pas tout, l’équipe a également identifié les restes d’une construction romaine, peut-être une villa, une lance romaine entière, ainsi que, à proximité, sept tombes beaucoup plus anciennes, datant de l’Age du Bronze ou du Fer.
L’importance de cette découverte a été immédiatement identifiée par les archéologues européens : le projet fait déjà l’objet d’une collaboration internationale avec les institutions archéologiques de Croatie, notamment pour la conservation des objets (en particulier des éléments en bois qui nécessitent un traitement adapté), et l’Association Européenne des Archéologues, par la voix de son Secrétaire Général le professeur Predrag Novakovic (bs), a promis toute l’aide possible à l’équipe du professeur Vasilj. Plus important encore, je dirais, du point de vue de l’avenir de l’archéologie en Bosnie-Herzégovine, il semble que les autorités locales soient conscientes de la portée scientifique - et, pour l’avenir, touristique - de la découverte : le Ministre fédéral de la Culture Gavrilo Grahovac (bs) s’engage à trouver les financements nécessaires à la poursuite des fouilles et aux analyses [6]. Il voit également là l’occasion, comme le professeur Predrag Novakovic de l’EAA, de pousser dans le sens d’une signature par la Bosnie-Herzégovine de la Convention de la Valette (fr), qui permettrait de développer une archéologie moderne, efficace, ainsi que la coopération scientifique dans le cadre européen. Et ce n’est pas un hasard s’ils rejoignent là la demande exprimée par un groupe de scientifiques bosniens dans une lettre ouverte au Haut Représentant de la communauté internationale : la Bosnie-Herzégovine a besoin de moyens et d’outils pour protéger, restaurer, mettre en valeur son inestimable patrimoine archéologique, et la Convention de La Valette est un de ces outils.