Préambule : Mes chers amateurs d’archéologie alternative
En 2011 sortait le film La révélation des pyramides (LRDP pour les intimes), devenant un petit phénomène sur internet, et amenant de l’intérêt pour l’archéologie fantastique chez un public qui n’en avait pas le souci jusque-là. Pendant plusieurs années l’argumentation du film fut attaquée de toutes parts, sous toutes les coutures, invoquant une large gamme de raisons de ne pas donner le moindre crédit à cette fiction. Et puis… le temps a fait son œuvre, et curieusement on voit encore très régulièrement des commentateurs sur internet qui invoquent ce film pour soutenir leur propos. C’est comme si ce film était passé dans l’imaginaire collectif de façon positive, et ce sans aucune légitimité, malgré ses imprécisions, malgré ses erreurs, malgré son emphase toute fictionnelle, et surtout malgré ses mensonges.
Alors, après tout ce temps, et l’impression que tout a été dit et largement diffusé sur ce film, pourquoi conserve-t-il de la pertinence aux yeux de certains amateurs d’archéologie romantique ? Parmi un grand nombre de paramètres qui entrent en compte dans l’appréciation du film malgré ses débunkages, nous pouvons en identifier un qui me semble le plus récurrent et est à l’origine de beaucoup d’autres : c’est la limite floue entre ce qui est perçu comme exceptionnel, suspect, révélateur, et ce qui est simplement normal, banal, quelconque. Cette capacité à trouver significatives des informations ou valeurs qui ne le sont pas, à voir des causalités ou des coïncidences partout où il y a de simples corrélations, me semble être un des ressorts majeurs de l’approche romantique des sciences.
Nous allons donc nous intéresser ici une nouvelle fois à LRDP, en nous focalisant uniquement sur cet aspect des coïncidences numériques.
I - Vous n’êtes pas seuls
Tout d’abord, il faut bien comprendre que ce questionnement « est-ce que cette donnée est significative et pertinente ? » n’est pas une banalité que les scientifiques académiques balaient d’un revers de la main, assis sur leur arrogance, vous toisant du haut de leur morgue et méprisant vos doutes et incertitudes. En réalité, cette question est à la base de la méthode scientifique, elle est complexe autant que féconde, et toutes les recherches en passent par cette épineuse question tôt ou tard. Et c’est justement parce que cette question est pertinente que les chercheurs ont mis en place des outils objectifs pour appréhender la significativité d’un résultat afin d’avancer sereinement dans la compréhension du monde. Ces outils statistiques et probabilistes ont l’avantage d’être normalisés, ils fonctionnent indépendamment de l’avis de l’expérimentateur. Ces outils ne sont pas parfaits d’ailleurs (il y a des faux positifs même dans la plus rigoureuse des pratiques scientifiques), mais comme leur mécanisme est bien compris, il devient facile de discuter de la pertinence des résultats en fonction de l’utilisation faites de ces outils, c’est un processus beaucoup plus efficace que si chaque chercheur devait gagner ses collègues à sa cause sur la seule force de ses convictions et de son éloquence.
Malgré cette introduction générale, la suite du présent propos sera très concrète et accessible à n’importe qui.
II - Inventaire de LRDP
Commençons par relever les informations et les méthodes utilisées dans LRDP, cela nous servira de base de travail. Cela pourra sembler fastidieux mais c’est un passage obligé car il s’agira ensuite de reproduire la méthode pour une petite démonstration.
A - Données
1 - Valeurs
Le film utilise plusieurs valeurs auxquelles il donne une grande importance symbolique et mystique :
– la coudée associée à la grande pyramide, de 0.5236 mètres
– le mètre
– Pi
– le nombre d’or noté Phi
– Dans la seconde moitié de la vidéo nous voyons que certaines constantes de l’univers peuvent également être pertinentes dans l’analyse, puisque Jacques Grimault trouve la vitesse limite c, décrite ici comme étant la vitesse de la lumière dans le vide.
Je leur fais grâce de l’unité de mesure « grosse berline » qui semble pourtant fortement tenir au cœur des auteurs du film :
[03 : 25] « blocs de dallage aux formes étranges pesant chacun en moyenne le poids d’une grosse berline »
[13 : 40] « une vingtaine de grosses berlines »
[22 : 10] « le poids de 850 grosses berlines »
J’ignore si cette mesure en Grosse Berline est liée à l’idée finale du film qui est que le réchauffement climatique n’est pas d’origine anthropique mais annonce la fin des temps… dans le doute je vais ignorer.
2 - Transformations
Pour trouver des correspondances, le film utilise ces données dans des séries de calculs, qui sont plutôt auto-légitimés par leur résultat. Nous pouvons relever la multiplication de 2 à 5 et le carré ici :
La division par 2 et jusqu’à 7 des grandeurs :
Et une autre fois une division par 6 de Pi :
On peut également soustraire ces valeurs (avec une nouvelle mise au carré) :
D’autres soustractions :
[1 : 08 : 45] « Cette dimension en mètres, et il insista sur le mot, moins la hauteur toujours en mètres donne 314.16, soit 100 fois pi »
[1 : 09 : 13] « Cette dimension en mètres égale 10 fois pi en mètres, moins celle-ci égale 10 fois le nombre d’or au carré en mètres »
On peut également multiplier par nos valeurs :
[1 : 14 : 45] « La distance Nazca-Gizeh multipliée par le nombre d’or est égale à la distance Nazca-Angkor »
Et vous m’excuserez d’avoir perdu la référence, mais j’ai également noté l’utilisation d’une racine carrée quelque part.
Je m’arrêterai à ces transformations « simples », car il y aurait de nombreuses autres méthodes de calculs à ajouter si l’on tenait compte de toutes les manipulations géométriques parfois très osées que l’on retrouve dans le film, l’exemple le plus complexe étant probablement ce passage étrange :
B - Cadre méthodique
1 - A-dimensionnalité de toutes les valeurs
La plupart des nombres de vos calculs quotidiens ont des dimensions, c’est-à-dire qu’ils prennent une valeur associée à une unité. Vous n’additionnez pas le nombre de carottes (l’unité est la carotte) que vous achetez avec le prix des poireaux (en euro... ou en francs si vous êtes vieux) , ou avec la longueur des saucisses (en centimètres… ou en mètres si vous êtes allemand), pas plus qu’avec le volume d’eau utilisé (en litres), même si c’est pour le même pot-au-feu (il est bête cet exemple, maintenant j’ai faim). La méthode utilisée en physique pour savoir en quelle unité s’exprime le résultat d’un calcul théorique se nomme l’analyse dimensionnelle. Elle consiste à refaire le même calcul, sans se soucier des chiffres, mais en les remplaçant par leurs unités respectives.
Exemple :
Si je parcours 30 kilomètres en 3 heures, ma vitesse sera 30/3 = 10, et l’unité sera en kilomètres par heure, que l’on note km/h ou km.h-1.
Pour connaître cette unité j’applique le même calcul que « 30km/3h » mais uniquement aux unités donc « km/h ». Cela donne donc bien une vitesse de 10 km/h.
Cela peut sembler trivial, mais c’est une méthode indispensable pour savoir où l’on va lorsque l’on commence à faire des calculs de physique théorique qui impliquent pas mal d’unités, et que l’on doit trouver que le résultat s’exprime par exemple en N.m2.kg-2 (c’est l’unité de la constante gravitationnelle newtonienne).
Tout ce petit système est assez frontalement laissé de côté par LRDP qui compare volontiers un nombre en mètre (la différence entre deux cercles) et une valeur en centaine de milliers de kilomètres par seconde (la vitesse limite). C’est pour cela que vous lirez souvent que LRDP fait de la numérologie, cette façon d’ignorer les unités pour faire des rapprochements uniquement sur l’allure des nombres est caractéristique de la numérologie. Pour paraphraser LRDP, les chiffres ne mentent pas, sauf si on ignore l’unité dans laquelle ils s’expriment.
2 - Non-respect des puissances de 10 (de la virgule)
Là encore, LRDP semble n’avoir pas vraiment le souci du placement de la virgule, les auteurs multiplient et divisent les résultats des calculs par 10, 100 ou 10 000 selon le besoin. Il est vrai qu’avec notre système de numération en base dix très régulièrement décimalisé dans sa notation, les nombres gardent toujours la même allure si on les multiplie ou divise par des puissances de dix (c’est même tout le principe de la notation scientifique).
Ce principe serait comme trouver par hasard un Crop Circle extra-terrestre réalisé sur un champ à 314 mètres d’altitude (au hasard, disons à Sarraltroff), et dire qu’il est à 100 pi d’altitude *clin d’œil clin d’œil*, et le tour est joué, cela passe tout seul. LRDP use énormément de cette technique :
[1 : 08 : 40] « 314.16 mètres soit 100 fois pi »
[1 : 08 : 50] « 100 fois le nombre d’or au carré en mètres »
« 10 fois pi en mètres »
[1 : 09 : 13] « Cette dimension en mètres égale 10 fois pi en mètres, moins celle-ci égale 10 fois le nombre d’or au carré en mètres »
[1 : 14 : 35] « la distance entre l’Île de Pâques et Gizeh vaut 10 000 fois le nombre d’or »
Même sans avoir à faire ces multiplications – peu justifiées – il est également possible de déplacer la virgule simplement en modifiant l’unité de mesure. Si je veux diviser par dix une mesure en mètres, il me suffit de la convertir en décamètres, si je veux la diviser par 100, je parle en hectomètres, par 1000, en kilomètres. A l’inverse, si je veux la multiplier (déplacer la virgule vers la droite) je donnerai ma valeur en centimètre, millimètres etc.
Un exemple parlant de cette méthode est cette valeur de « 299,792458 » pour la vitesse de la lumière dans le vide donnée dans le film. Usuellement il y a plusieurs manières d’écrire cette vitesse, le plus souvent on la donne en kilomètres par seconde, soit 299 792,458, il est aussi possible de la donner en mètres par seconde, soit 299 792 458. Dans ces deux cas, il est également possible de la proposer en notation scientifique, soit 2,997 924 58 x 105 (en kilomètres par seconde ici). Sans aucune véritable raison le film décide d’exprimer cette valeur en millions de mètres par seconde. Cela n’a rien de faux, mais c’est plutôt inhabituel, et surtout cela permet de placer la virgule où on le désire simplement en sélectionnant l’unité qui nous sied.
Ici, ce choix permet de forcer artificiellement l’impression que les deux nombres ont quelque chose en commun. Car s’il était écrit en dessous « 299,79613 mètres » associé à la marge d’incertitude inhérente à toute mesure, et au-dessus « 299 792,458 km/s », toujours en surlignant en rouge que ces deux nombres n’ont en plus que 5 chiffres significatifs en commun, l’effet serait beaucoup moins réussi (et beaucoup plus honnête), cela va de soi :
3 - Précision minimale à deux décimales
Le film parle souvent d’égalité entre des valeurs, tout comme de « précision au dixième de millimètre » ou au « tiers de millimètre ». En réalité la méthode du film se satisfait d’une précision toute relative, je vais utiliser pour mon étude la précision minimale que s’autorise le film à [1 : 10 : 43] où la valeur de Pi est « 3.14 », donc 3 chiffres significatifs (deux décimales) :
De plus, on pourra remarquer que les nombreux calculs qui semblent tomber un peu plus juste, ont pour la plupart également une précision à seulement deux décimales, c’est ce que montre Dari qui a refait les calculs ici : https://youtu.be/NeaScsIFXg0?t=186.
Assez généralement, le film propose une mécompréhension de la précision des choses. Un bon exemple à [57:50] où la narratrice semble s’étonner du fait que la coudée soit donnée avec une précision au dixième de millimètre soit 0.5236 mètres… mais elle vient justement d’expliquer que cette valeur a été déduite des dimensions de la pyramide connues en nombre de coudées. Donc forcément, si l’on souhaite estimer une valeur en divisant une autre valeur beaucoup plus grande, il faut utiliser beaucoup de chiffres significatifs pour rester juste.
En l’occurrence, si on se limitait à une coudée au millimètre donc 0.523, on pourrait avoir une coudée à 0.5230 m, autant qu’à 0.5239 m. Et cette imprécision ferait varier la mesure de la base de la pyramide d’environ 40 centimètres (la longueur de 4 rouleaux de papier toilette) selon le calcul : 440 coudées multipliées par 0.0009 mètres est égal à environ 0.4 mètres. La base de la pyramide ayant été mesurée bien plus précisément qu’à 40 cm prés, on donne plutôt 0.5236 (ou 35, ou autre) et cela laisse une marge de moins de 5 cm pour les dimensions de l’édifice.
Ainsi, contrairement à ce qu’énonce la narratrice avec ironie à [58:05], on n’a pas « mesuré le contenu d’une piscine avec un verre doseur » mais on a fait exactement l’inverse : on a estimé la contenance d’un verre doseur en partant du volume connu d’une piscine…
C’est peut-être par cette confusion entre la valeur étalon purement hypothétique de la coudée estimée par des observateurs tardifs, et la précision mesurée réellement, que les auteurs croient que les pyramides et la chambre du roi sont précises « au dixième de millimètre ».
Au passage, cette mécompréhension est surprenante dans ce film qui met beaucoup d’emphase sur le mètre. Car c’est exactement de cette manière que le mètre a été défini, en divisant une très grande distance (le tour du globe) par 40 000 000, on obtient une valeur extrêmement précise, et qui pourra être retrouvée avec la même précision ultérieurement sans avoir besoin d’étalon.
C - Bilan LRDP :« l’infini des nombres »
À [56 : 19] LRDP défini le nombre d’or comme« un nombre unique dans l’infini des nombres », mais on constate que pour LRDP, ignorant les unités et déplaçant la virgule à l’envie, l’infini des nombres est en fait compris entre 1 et 10. Puisque par exemple 1 728 est équivalent à 1000 fois 1.728 qui est égal à 1000 fois 0.001728.
Et si l’on s’arrête à deux décimales, « l’infini des nombres » n’est plus infini du tout, il n’existe alors plus que les nombres allant de 1.00 à 9.99, soit 900 nombres différents :
Cela devient très facile de générer des coïncidences dans un si petit ensemble. Et c’est justement dans cet ensemble défini par LRDP que nous allons désormais exploiter les calculs du film.
III - Application
Nous venons de passer en revue tous les principes qui semblent recouvrir la partie la plus accessible (exotérique) de la « géométrie sacrée ». Ce que nous allons voir maintenant c’est ce que cela donne si je prends ces valeurs ou catégories de valeurs, et que je leur applique de manière massive les transformations autorisées par la géométrie sacrée du film.
A - Présentation du module
Le produit de ce travail est simplement un petit module sous Excel disponible ici :
– Version fichier Excel à télécharger : https://drive.google.com/file/d/11Zpb4s6Y01FeosurT9YuO2XxG-IdU8ha/view?usp=sharing
– Version Google Spreadsheet consultable et utilisable en ligne :
https://docs.google.com/spreadsheets/d/1_SYP_qf20C2wT1qC1y0u1RIn8IitvLLvhj0SxxTM58w/edit?usp=sharing
Je vais partir du principe que vous l’avez ouvert et donc vous en décrire le fonctionnement dans le détail pour vous permettre de bien comprendre la démarche.
Nous allons d’abord nous concentrer sur les colonnes de gauche (des couleurs allant du brun-orangé au rose). Le bloc en brun-orangé « CONSTANTES » tout en haut, ce sont les seules valeurs que je vais utiliser pour mes calculs, il y en a seulement 9, dont 5 explicitement utilisées dans LRDP (coudée et mètre, pi et phi, puis 5 constantes astrophysiques dont la vitesse limite : c). En dessous nous avons un bloc couleur saumon « MULTIPLICATION CTES » qui est nettement plus long, il s’agit simplement de la multiplication 2 à 2 des 9 valeurs du dessus. Encore en dessous, en rose pâle, il y a une brève sélection de soustractions entre ces valeurs, choisies sans trop de méthode (nous verrons dans la suite pourquoi il n’est pas spécialement pertinent d’avoir une méthodologie pour le choix de ces formules, tant que je me limite à des choses utilisées dans LRDP).
Ce bloc de trois couleurs (brun-orangé, saumon, rose pâle) se répète encore en dessous, et plusieurs fois. Le premier bloc que nous venons de détailler propose les valeurs brutes, et chaque répétition du bloc applique une transformation à ces valeurs. Dans l’ordre nous avons la mise au carré des valeurs, puis la mise au cube, puis la racine de ces nombres. Cette très grande colonne de gauche est donc une succession de modifications simples appliquées au même groupe de 9 valeurs de départ.
Maintenant si nous regardons à droite de cette colonne, nous voyons appliquée de manière encore plus simple une autre transformation à chaque valeur issue de chaque ligne de la colonne de gauche. Tout d’abord des divisions jusqu’à 7 en bleu, puis des multiplications jusqu’à 5 en vert. A droite de chaque colonne de résultat, il y a une colonne orange au texte grisé, c’est cette colonne qui contient la formule qui transforme chaque nombre de la colonne à sa gauche en un nombre comportant un seul chiffre avant la virgule. Ces valeurs en orange sont d’ailleurs toutes reportées en dessous du tableau dans une dernière action qui arrondit ces chiffres à la décimale voulue (au centième pour cette démo). C’est simplement pour faciliter la construction, vous pouvez ignorer ces parties orangées.
J’obtiens par ces moyens un total de 2244 nombres issus de 2244 calculs et ce uniquement à partir de nos 9 valeurs de départ, auxquelles je n’ai jamais appliqué plus de trois transformations successives. Par exemple, la constante de Hubble, multipliée par la coudée en mètres, le tout au carré, puis divisé par 5.
Vous m’excuserez d’avoir retenu la multiplication au cube, qui n’est pas utilisée directement dans LRDP, mais le film parle régulièrement de volume. De la même façon, j’ai ajouté quelques constantes qui ne sont pas dans le film, simplement parce que le film intègre la notion de « constante universelle » dans sa logique, et il ne justifie pas que la vitesse limite soit plus logique qu’autre chose. De plus le film utilise d’autres valeurs astronomiques moins universelles comme la dimension de la terre (par la connaissance du mètre) et la vitesse de rotation de la planète également. Je me suis fort respectueusement cantonné à de véritables constantes, pas à des mesures astronomiques qui sont des références par convention (ce qui serait également le cas par exemple de la distance terre-lune, du parsec, de la durée d’une année etc.).
Si vous continuez sur la droite il y a une colonne violette de 900 lignes, la partie gauche est une simple énumération de 1.00 à 9.99, et la partie droite est tout simplement un comptage du nombre de fois où l’on retrouve un de ces 900 nombres différents parmi les 2244 nombres obtenus dans le tableau de gauche.
Je poursuis la visite (nous arrivons au bout) tout en haut, et toujours un peu plus à droite, vous trouverez un tableau gris collé à la colonne violette. C’est un tableau bilan de la plupart des valeurs que l’on peut tirer de cet exercice. Il comptabilise le nombre total de résultats (les 2244 dont je vous parlais tantôt), les 900 nombres de la colonne violette, le total de nombres différents absents ou présents dans la colonne violette (un maximum de 900 présents donc dans le cas qui nous occupe), une traduction en pourcentage de ces valeurs d’absence et de présence, et enfin, une ligne qui donne une idée du pourcentage maximal de présents que l’on pourrait attendre par la simple limite du nombre de résultats obtenus en tout. Ici, avec 2244 résultats à répartir dans 900 catégories, j’ai donc 249% de complétude possible (donc 100%), mais si je n’avais utilisé que les trois premières valeurs de mes « constantes » je n’aurais obtenu que 484 résultats, soit un maximum de 54% de complétion théorique (si les 484 résultats étaient tous des nombres différents, ce qui est très improbable).
Les deux lignes de pourcentages de présents et d’absents permettent d’obtenir un graphique très simple et qui était finalement l’objectif ultime de tout cela :
Pour cet exemple, c’est un camembert représentant 75,33% de nombres présents pour 24.67% d’absents.
Le bloc violet est également utilisé pour tracer un histogramme très long et bleu que vous trouverez en dessous du camembert.
Cela vous permet de visualiser la répartition des résultats entre les 900 nombres.
Essayez de digérer un peu cette longue description, vous gagnez à bien comprendre la démarche sur cette première page « Module démo » car les autres pages du tableur sont très similaires mais simplement plus « massives » et moins lisibles. La seconde page « +16 valeurs » propose exactement la même chose, mais avec un ajout de 16 lignes vierges dans les « constantes » qui sont intégrées au tableau et aux calculs (ce qui en augmente considérablement la hauteur, passant à 2700 lignes). La dernière page, comme son nom l’indique, c’est la même chose que ce second tableau, avec les 16 valeurs vierges, mais où l’étude porte sur trois décimales (et donc sur 9000 nombres différents possibles, de 1.000 à 9.999), soit 10 fois plus précis qu’un grand nombre des calculs de LRDP.
Ces trois pages sont totalement dynamiques, les 9 cases des valeurs contrôlent tout. Vous pouvez donc vous amuser à l’envie à enlever des valeurs pour voir l’évolution, à modifier certaines constantes pour voir ce que cela donne, et bien entendu, à rajouter des valeurs dans les 16 lignes vierges prévues à cet effet. Veillez à ajouter des valeurs contenues entre 0.0007 et 16.4, sinon il gardera des valeurs finales qui ne rentreront pas dans la fourchette 1.000 à 9.999. Donc si vous voulez ajouter la longueur de la base d’une pyramide de 105 mètres (c’est la pyramide de Mykérinos… car d’après mes recherches, il existe d’autres pyramides en Égypte… je sais, c’est stupéfiant) il faudra indiquer 10.5 ou 1.05, cela reviendra au même puisque tous les résultats sont ramenés à des valeurs comprises entre 1.000 et 9.999.
B - Résultats
Nous observons donc que l’échantillon de calculs de type LRDP que j’ai utilisé donne 2244 résultats (dont 678 valeurs différentes), qui recouvrent 75% de « l’infini des nombres » selon LRDP si je me limite à 2 décimales. Cela implique que si j’effectue n’importe quel calcul aléatoirement, j’aurais 75% de chances, 3 chances sur 4, de pouvoir le mettre en relation avec une ou plusieurs des 9 constantes de départ. Avec trois décimales (troisième feuille du fichier Excel) j’ai une chance sur 6 (17% des nombres). Personnellement, en démarrant ce travail, je ne m’attendais pas à trouver une valeur aussi élevée, je tablais (au doigt mouillé) sur quelques dizaines de pourcent des nombres à deux décimales, par exemple 20%.
A deux décimales, le nombre 1.31 est celui qui revient le plus souvent, il apparaît jusqu’à 20 fois… Coïncidence ? Et précisément 20 fois en plus, pas 19 ni 21, avec la même précision qu’un équateur qui serait penché à 30 degrés exactement. Et 1.31 multiplié par deux cela donne 2.62, soit une bonne approximation du nombre d’or au carré. C’est facile en fait...
C - Quelques objections qui pourraient vous venir à l’esprit
Je n’ai en aucun cas effectué tous les calculs possibles avec les méthodes LRDP. Par exemple il n’apparaît nulle part les résultats pour la multiplication par 5 ou la division par 7 des valeurs brutes, que j’aurais seulement ensuite passée au carrée, ou au cube, ou soustrait à quelque chose. Il n’y a aucun nombre qui a été divisé par 2 à 7 puis ensuite multiplié par 2 à 5, il y a très peu de soustractions. Et ainsi de suite, on pourrait complexifier énormément ce tableau pour essayer de faire véritablement tous les calculs, en y adjoignant les calculs « géométriques » que le film réalise sans les formaliser, comme tracer des cercles aléatoires à partir de certaines dimensions, soustraire ces cercles etc.
En réalité, il n’y a pas d’exhaustivité possible dans ce travail, pour ce que je viens d’évoquer, les très nombreuses possibilités que je me vois mal explorer en intégralité (cela impliquerait de refaire encore d’autres tableaux de valeurs aussi gros que celui-là), mais également parce que je ne peux pas prédire que LRDP se serait abstenu d’utiliser d’autres modes de calcul s’ils permettent de trouver de sublimes « coïncidences ». Par exemple imaginons qu’en mettant Pi ou le nombre d’or à la puissance 5, je trouve des correspondances très exactes avec les dimensions de la grande pyramide, il me semble évident que LRDP aurait utilisé ce rapprochement s’il avait fait ce calcul et constaté les égalités (quand on voit que Jaques Grimault met en avant des valeurs des services obstétriques sur les dimensions approximatives des bébés à la naissance, chiffres qui n’existent nulle part, je pense que l’on peut affirmer qu’il fait feu de tout bois).
La raison pour laquelle cela n’est pas fait, c’est plus probablement parce que des rapprochements en puissance de 5 n’ont pas été tentés par les auteurs du film.
J’écrivais plus haut qu’il n’était pas très important de viser cette complétude des calculs, et c’est parce qu’il n’y aurait pas de mystère sur l’effet obtenu. La tendance veut clairement que plus on ajoute de calculs, plus on augmente la variété des résultats et donc le pourcentage de nombres présents, et plus le résultat est alors accablant pour la pertinence ou la précision avancée par LRDP. Avec mon échantillon de calculs, j’ai obtenu 75% des nombres à deux décimales, et 17% des nombres à trois décimales, si je rajoutais massivement des calculs complémentaires, géométriques ou autres, j’augmenterais simplement ces pourcentages, et probablement sans jamais atteindre les 100% d’ailleurs, la démonstration serait encore plus flagrante, mais elle est déjà tout à fait satisfaisante en l’état.
IV - Commentaire
J’espère que l’absence totale de « troublante coïncidence » vous apparaît mieux désormais. La méthode de présentation des résultats de LRDP est ce que l’on nomme du Cherry-picking, la cueillette des cerises en français (c’est curieux, en traduisant en français on a l’impression que c’est du québécois… alors que pantoute).
A - Le Cherry Picking
C’est une mauvaise pratique qui consiste à sélectionner les résultats qui nous semblent pertinents sur une large plage de données ou de possibilités, pour ne retenir que ceux-là, donnant l’illusion qu’ils sont très significatifs.
Un exemple type serait de réaliser une expérience pour tester l’efficacité d’un médicament pour soigner les orgelets (oui parce qu’on n’est pas obligé de toujours prendre des maladies graves comme exemple). On va faire de nombreux tests et de nombreux réplicats (des reproductions de la même manip plusieurs fois de suite pour s’assurer qu’on a bien toujours un résultat semblable), et trouver que 95% des cas ne montrent absolument aucun effet de notre médicament, tandis que 5% des manips en revanche donnent un résultat légèrement positif, ou en tout cas proche d’un effet significatif. Si l’on décide de ne publier que sur ce petit pourcentage de résultats (qui sont assez clairement des faux positifs) on donnera l’illusion que notre médicament a un effet concret sur la maladie. C’est ça le cherry-picking, et si le médicament est retenu par les agences de santé, il sera prescrit, et les malades, au lieu d’être soignés efficacement, mourront par milliers du non-traitement de leur orgelet (ha mince, là le choix d’exemple ne marche plus).
B - Anti Cherry-Picking
Ce qui est observable sur le fichier tableur que je vous propose, on pourrait appeler ça de l’anti-cherry-picking ou du dé-cherry-picking, puisque j’ai re-généré la plage de données à partir des méthodes de calculs utilisées sans justifications. C’est cette plage de données (ou une plage de données semblable) qui a servi au Cherry-picking utilisé par le film, pour trouver de subtiles correspondances qui n’existent que parce qu’il est possible de faire un grand nombre de calcul. Car à partir du moment où l’on trouve 75% des nombres, il y a de grandes chances de pouvoir trouver, notamment, les nombres qui nous intéressent pour notre démonstration. Il n’y a alors plus de coïncidence, mais seulement une sélection habile. Même le « hasard » invoqué dans le film pour ridiculiser l’opinion des scientifiques académiques en les présentant comme dédaigneux, c’est un masquage de la méthode proposée. En réalité les scientifiques ne disent pas que cette série de calculs surprenants qui tombent à peu près juste c’est le hasard, ils remarquent en revanche bien que ces calculs n’étant pas justifiés, ils appartiennent à un très grand nombre de calculs possibles (numérologiques) dont il serait plus que stupéfiant qu’aucun ne tombe juste et ne puisse être mis en relation avec Pi, le nombre d’or ou ce que vous voulez. Par l’adage selon lequel personne ne saurait se tromper tout le temps, ou pour le dire autrement, parce que même une horloge arrêtée donne l’heure juste deux fois par jour.
Donc, si le calcul tombe juste, c’est bien du hasard, ce qui ne l’est pas, c’est la sélection dont les calculs font l’objet pour vous donner l’illusion qu’ils ne sont pas le fruit du hasard. C’est par politesse que les scientifiques concernés disent que c’est du hasard, car ils savent bien que c’est de la manipulation en vérité.
C - Autres exemples de cherry-picking
Le cherry-picking est le mode d’argumentation principal de LRDP. Prenons un exemple tout bête, lorsque le film divise la hauteur totale de la pyramide (une valeur bien commode car elle ne peut être qu’imaginaire, puisque le sommet est manquant, et que le parement l’est également) il nous propose ceci :
Le film ne nous dit pas vraiment ce qu’il faut en penser, ce que cela nous apporte comme information, et ne mettra jamais en relation ces calculs avec le reste de son propos. D’une certaine manière, il faut que nous nous fassions notre propre avis sur la pertinence de ces calculs.
Mais quelle pertinence y a-t-il à reporter ainsi des valeurs approximatives ? Quel sens cela peut-il bien avoir ? Il y a un total de 7 altitudes utilisées à l’image (les traits rouges en pointillés), le nombre total N de distances entre n traits est donné par le rapport N = 1 + 2 + 3 + … + (n-1). Ici pour 7 traits cela donne 1+2+3+4+5+6 = 21, donc 21 distances différentes (en vert sur l’image ci-dessous), parmi lesquelles le film pioche les 7 distances qui conviennent à ses calculs (les pastilles bleues au sommet des lignes vertes), comme ceci :
D’ailleurs, quelle pertinence accorder à ces 7 hauteurs ? Pourquoi le plafond de la chambre hypogée n’est pas pris en compte alors que le plafond de la chambre du roi l’est ? Et inversement, pourquoi le sol de la chambre de la reine est utilisé mais pas celui de la chambre du roi ? Pourquoi la pointe des chevrons revêtirait un quelconque sens et pas leur base ?
Si l’on procède avec méthode et pas au petit bonheur la chance comme le film, on définit à l’avance les paliers que l’on trouve caractéristiques et on prend en compte l’intégralité des éléments. Si j’inclue tous les plafonds et sols, les hauts et bas de chevrons, la base et le sommet, ainsi que l’altitude de l’entrée de la pyramide (je m’arrête là mais on pourrait augmenter encore le nombre de paliers), j’obtiens 12 hauteurs « importantes » :
Cela correspond à 66 distances différentes possibles (toujours en vert sur l’image ci-dessus). Et le mieux, c’est qu’elles seront toutes assez approximatives, aucune ne sera connue au centimètre près, tout simplement parce que la base de la pyramide n’est pas régulière au centimètre près par exemple, et cela vaut pour de nombreuses autres mesures. Nous avons donc 7 correspondances approximatives de distances reportées sur un schéma mais sans calculs, parmi 66 possibilités… c’est donc tout à fait normal.
Il ne vous aura d’ailleurs pas échappé que dans la moitié basse de la pyramide, il y a en réalité des choses à toutes les altitudes. Vous pouvez faire le même exercice à la maison : Je vous invite à vous rendre dans la pièce la plus meublée chez vous (avec étagères, commode, bureau etc.) de vous en faire (mentalement ou réellement) un plan vu de profil (comme les plans de la pyramide) et de compter sur ce plan chaque « niveau » horizontal que vous pouvez identifier. De haut en bas cela pourrait être le plan le plus bas atteint par le plafonnier, le niveau du dessus des chambranles de porte, du dessous des chambranles de porte, le niveau de la clenche, le niveau de chaque étage ou tiroir des plus gros meubles, et ainsi de suite. Divisez maintenant la hauteur totale de la pièce de 1 à 10, cela m’étonnerait fort que vous ne trouviez pas des rapports qui correspondent bien, d’ailleurs si vous n’en trouvez pas, c’est là que cela devient exceptionnel et remarquable. Vous comprendrez peut-être alors mieux la supercherie.
D - Aveu de Cherry-Picking
Le cherry picking n’est pas uniquement une affaire de nombres et de calculs, il peut prendre des formes très variées et par exemple s’associer au biais du survivant. Ainsi à [33 : 15] on sous-entend l’improbabilité du voyage des Polynésiens pour trouver l’île de Pâques comme s’il n’y avait eu qu’un seul voyage achevé par un curieux hasard à cet endroit, et pas un balisage très large de tout l’océan par ces peuples de voyageurs pendant des siècles. Le propos est assez absurde d’ailleurs, la narratrice met du pathos en parlant d’hommes qui ont abandonné femmes et enfants pour partir en exploration à des milliers de kilomètres, et sous-entendre par là la faible probabilité de l’évènement. Mais puisque ces peuples ont émigré, et de toute évidence engendré des civilisations pérennes durant plusieurs siècles, je serais étonné de voir comment ils se sont débrouillés pour faire ça sans emmener les femmes avec eux (pour les enfants je ne promets rien).
Le cherry-picking du film est presque officialisé par cette phrase à [1 : 09 : 25] :
« Il n’existe au monde qu’une seule pyramide possible présentant tout ce que vous avez vu, et c’est précisément celle qui a été réalisée, la grande pyramide de Gizeh »
Il existe environ 120 pyramides en Égypte, dont une trentaine de grande taille. Celle de Khéops est la plus grosse (qui nous soit restée ) mais sa taille n’est pas vraiment exceptionnelle. La pyramide de Khéphren n’est finalement que 15% moins volumineuse et 2% moins haute, autrement dit, une structure aux mêmes ordres de grandeur et qui déchaîne pourtant moins les passions.
Si on décortique la phrase cela veut dire « il n’existe qu’une seule géométrie pyramidale présentant toutes ces propriétés mathématiques et c’est justement cette forme-là qui a été construite »… mais que deviennent les plus de cent autres pyramides dans ce cas ? On essaye là de vous faire croire qu’aucune autre pyramide égyptienne n’existe. Si l’on dé-cherry-pickise (oui je construis des néologismes immondes, je sais) cette phrase, cela devient « il existe 120 pyramides en Égypte, elles présentent de nombreux profils différents, la pyramide de Khéops est la plus grande de peu, et présente certaines caractéristiques qu’on ne retrouve pas dans les autres, de même que chaque pyramide présente des caractéristiques qu’on ne retrouve pas dans les autres » et on pourrait ajouter « Le fait que certains de ces rapports évoqués dans le film ne soient justement présents que dans la grande pyramide démontre qu’ils n’ont aucune pertinence, puisque s’ils découlaient de principes de construction ou de numérologie secrète des anciens, on pourrait justement les retrouver dans des pyramides plus anciennes ou moins anciennes ».
Il y a vraiment un désir de faire passer pour exceptionnelles et « uniques » des choses qui ne le sont absolument pas, simplement en l’affirmant. Par exemple à [1 : 01 : 30] la pyramide devient « un modèle mathématique unique, le seul à réunir pi et le nombre d’or » …. Il existe des centaines de formes qui pourraient réunir Pi et nombre d’or de manière bien plus élégante, évidente et significative que cette pyramide. Au hasard un rectangle de pi longueur et phi largeur, un cercle de rayon phi, et ainsi de suite, vous pouvez en imaginer un grand nombre sans forcer.
Cette mystification sur le caractère unique de ce bâtiment se retrouve également dans :
[1 : 09 : 05] « Si la grande pyramide avait été construite plus petite ou plus grande de seulement 50 centimètres, tout ceci aurait été impossible »
[1 : 09 : 13] « Si la chambre haute avait été plus grande ou plus petite de seulement 5 centimètres, tout ceci aurait été impossible »
C’est probablement vrai. En revanche, si, au lieu de mesurer quelques centimètres de plus ou de moins, ces objets avaient été… 2 fois plus grands ou 2 fois plus petits, les proportions auraient été les mêmes, et s’ils avaient été au hasard 3.14 fois plus petits ou plus grand… ou 1.62 fois plus petits ou plus grands, et des dizaines d’autres possibilités numérologiques, alors il y aurait eu encore les mêmes rapports, et des tas d’autres rapports possibles également.
La possibilité de fabriquer des « coïncidences » et de l’« unique » est d’autant plus élevée s’il y a une part de vérité. Par exemple, si nous supposons comme c’est envisagé que le nombre d’or soit réellement inscrit dans la pyramide pour des raisons semi-volontaires – soit parce que les Égyptiens avaient une connaissance au moins empirique du nombre d’or, soit parce qu’il est assez courant de retomber sur le nombre d’or lorsque l’on cherche à établir des proportions harmonieuses dans des formes simples – alors il suffit de trouver des relations nombreuses entre le nombre d’or et une autre valeur symbolique, par exemple Pi. Et l’on aura l’illusion d’une présence récurrente de Pi simplement parce qu’on le retrouve par des calculs utilisant également Phi, qui est lui réellement là. Mais on ne fera alors que révéler des relations numérologiques entre Phi et Pi, indépendamment de l’architecture.
Un nombre réellement présent pour des raisons historiques tout à fait envisageables devient alors un tremplin pour mystifier le public en faisant passer d’autres nombres pour des vérités inscrites dans la pyramide. En réalité on aura simplement trouvé un nombre en plus, c’est-à-dire rajouté une ligne aux constantes du tableur, et donc augmenté grandement le nombre de coïncidences magiques exploitables.
V - Coïncidences et corrélations
A - Générateur automatique de Coïncidences
Le module présenté ici (ou d’autres modules construits sur le même principe) peut constituer un véritable générateur de correspondances numérologiques magiques. Vous pouvez ajouter des constantes assez nombreuses pour complexifier la variété des résultats, mais avec la fonction recherche du tableur (Ctrl+F) vous pouvez aussi directement remonter aux résultats que vous cherchez pour établir vous mêmes vos mystiques égalités qui invitent à « revoir le sens du mot hasard » ([1 : 20 : 40]). Vous pouvez même – lorsque des correspondances vont bien – vérifier jusqu’où se poursuit l’égalité. Car si pour cette démonstration nous nous arrêtons à 3 décimales, rien n’empêche que par hasard (et oui toujours lui) certaines de vos correspondances se révèlent beaucoup plus fructueuses, poursuivant loin derrière la virgule une égalité avec la valeur de votre choix.
Vous pouvez également – tel un apprenti Jean-Pierre Adam – mettre les dimensions de votre tabouret de cuisine ou de votre brosse à dents et voir ce que cela donne.
B - Générateur manuel de Corrélations
Mais alors, qu’en-est-il de tous ces sites archéologiques ou historiques reliés entre eux, avec autant de correspondances ? Tout cela ne peut être le simple fruit du hasard ! Il n’y aurait aucun point commun entre tous ces sites ? Alors que tant de chercheurs indépendants ont évoqué tant de liens, dessinant progressivement des soubassements aux conséquences gigantesques et pan-historiques ?
Figurez-vous qu’il y a effectivement un lien entre ces sites, un vrai lien, et qu’effectivement, les chercheurs indépendants auxquels vous pensez ont mis le doigts dessus depuis plusieurs décennies et même siècles. On pourrait même dire que c’est plus ou moins lié à un complot mais c’est tout de même exagéré de présenter les choses ainsi. Et non, je ne plaisante pas dans ce paragraphe, je n’ironise pas non plus, je suis tout à fait sérieux.
1 - Le lien
Le lien entre ces sites est assez simple : ce sont des sites sur lesquels nous ne disposons pas de toutes les informations, et parfois d’informations pas totalement sûres. Et surtout, nous disposions d’encore moins d’informations fiables il y a quelques décennies ou siècles, voire d’absolument aucune donnée, en ces époques qui ont vu naître l’archéologie romantique.
Prenons deux cas types : les Pyramides d’Égypte et l’île de Pâques.
Il y a deux siècles et moins, le Sphinx de Gizeh était encore ensablé et l’origine concrète de toutes ces structures étaient très peu connue, et sans la moindre fiabilité par ailleurs (imaginez la place laissée au mystère lorsque vous vous promenez au milieu des dunes, entouré d’architectures mégalithiques encore enfouies sous le sable, dont vous ne connaissez ni la date, ni jusqu’où ils s’enfoncent, ni rien). L’Île de Pâques de l’époque rencontrait une situation semblable, elle avait subi plusieurs cycles de dépeuplement, laissant très peu de ses habitants d’origine, l’importante érosion du sol avait recouvert partiellement les statues, et l’île apportait énormément de questions sans réponses. C’est à ces époques que l’on a vu foisonner l’archéologie que l’on décrit aujourd’hui comme romantique. Une archéologie qui pouvait réunir dans une même dynamique des chercheurs rigoureux et méthodiques, ainsi que des rêveurs fascinés et souhaitant voir dans ces sujets d’étude un tas de causes symboliques ou mystiques, des traces d’évènements bibliques, de la numérologie et de nombreuses autres idées dont l’inventivité était à la hauteur de la majesté des vestiges.
Mais la situation pour ces deux sites n’a pas évolué à l’identique. Il y a un peu plus d’un siècle et demi, l’archéologie scientifique commençait à naître, repartant de zéro pour questionner avec méthode ces vestiges, et avancer vers une connaissance progressive mais solide de leurs origines. Les informations autour de Gizeh étaient innombrables en y regardant bien, et l’archéologie s’est grandement professionnalisée avec l’étude des vestiges égyptiens, car ils sont très anciens ainsi que très nombreux, permettant autant de recoupements, pour asseoir une connaissance bien affirmée. L’état des connaissances en égyptologie et même sur l’ancien empire est désormais très vaste, très robuste, plus que correctement étayé, et tout se tient. Sur l’île de Pâques en revanche, si les connaissances ont avancé, le doute reste omniprésent. Par sur les grandes lignes, mais les dates précises, les conditions précises, tout cela reste partagé entre différentes hypothèses plus ou moins robustes. Les hiéroglyphes égyptiens ont commencé à être correctement traduits il y a presque 200 ans, permettant de déchiffrer de grandes quantités d’inscriptions, s’ajoutant à la restauration de fresques très explicites montrant les conditions de réalisation des édifices et la vie des gens de l’époque. L’écriture de l’île de Pâques en revanche, nous ne la lisons toujours pas, et nous ne disposons pas d’une si grande quantité de textes par ailleurs. C’est ainsi que l’île de Pâques conserve toujours une porte entrouverte vers le mystère et les fantasmes les plus originaux pour ceux qui le souhaitent vraiment. Et c’est également pour ces raisons que lorsque des idées d’archéologie romantique sont médiatisées, vous voyez de nombreux spécialistes de l’égyptologie s’exprimer catégoriquement sur l’inanité des idées concernant les pyramides, mais beaucoup moins montant au créneau pour lutter contre les fantasmes concernant l’île de Pâques.
Si l’archéologie alternative s’est intéressée prioritairement à ces sujets inexpliqués à l’époque, c’est parce qu’il est très complexe d’écrire une « Histoire secrète » crédible pour une époque bien documentée. Cela vaut même si beaucoup de détails restent inconnus des historiens, car tellement de faits sont connus qu’il faut la jouer habilement pour ne pas créer d’incohérences flagrantes lorsque l’on remplit les blancs (et tout particulièrement si on les remplit avec des choses majeures, magiques, des évènements historiques de prime importance etc.). De plus, faire cela correctement demande de se documenter considérablement pour s’assurer que notre récit ne jure pas avec les faits établis, et qu’aucun historien poussiéreux ne pourra objecter, pas trop facilement en tous cas. C’est un exercice qui devient en revanche d’une grande facilité lorsque l’on s’attaque à des civilisations dont nous n’avons pas de traces écrites, des écrits non-déchiffrés, peu de vestiges, des peuples isolés ayant établi assez peu de contact avec les autres civilisations de l’époque, des peuples de marins dont on ne peut pas retrouver de traces des voyages car l’océan bouge, et ainsi de suite. L’Histoire de ces peuples est quasiment vierge et on peut laisser courir son imagination sans trouver de contradicteurs.
Par corollaire à chaque fois qu’une civilisation nous est bien connue, est bien documentée, archéologiquement et historiquement, les traces éventuelles des Atlantes/des Aliens/des anciens astronautes/des Géants/ou autre hypothèse de votre cœur, disparaissent totalement… alors qu’elles devraient drastiquement augmenter, puisque nous sommes face à une civilisation connaissant l’écriture, archivant des tas de choses, pratiquant même l’Histoire. C’est comme si la condition sine qua non pour qu’une civilisation puisse être reliée à ces hypothèses d’archéologie alternative soit… que nous n’ayons aucune information fiable sur ladite civilisation.
C’est pour ces raisons que LRDP répète beaucoup « on ne peut pas dater la pierre », cette phrase est l’assurance-vie du film, son alibi. Des méthodes de datations variées, il y en a de nombreuses pour estimer au moins le millénaire qui a vu la fabrication des murs et des structures. Mais le film est obligé de balayer cette datation pour pouvoir affirmer que : plus c’est ancien, plus c’est massif. Mais si on ne peut pas dater la pierre, qu’est-ce qui leur permet d’affirmer que ces structures massives sont les plus anciennes ? Vous remarquez qu’il s’agit d’un argument circulaire : On remarque des structures massives, on décide que certaines sont très anciennes pour soutenir une thèse ésotérique, et puisqu’on ne peut pas dater la pierre, alors on affirme que tout ce qui est massif est très ancien. Plus brièvement, on utilise l’argument de l’impossibilité de dater les pierres pour… dater les pierres. En réalité on peut dater scientifiquement la plupart de ces structures, chacune par des méthodes différentes généralement, et le plus souvent en couplant plusieurs méthodes pour s’assurer de résultats comparables (et donc fiables en première approche).
Le film a l’obligation de nier la totalité des datations, quelle que soit la méthode, sinon il se retrouve à devoir expliquer des choses compliquées. Expliquer pourquoi des choses aussi majeures que des contacts avec des extra-terrestres ou des Atlantes ont été monnaie courante (mais on n’en a pas la preuve malheureusement) entre - 12 000 et - 2500, se produisant sur toute la surface du globe. Puis ont existé uniquement en Amérique du Sud et sur quelques îles ou lieux – isolés et désormais totalement désertés – avant le premier millénaire de notre ère jusqu’aux environs du 16ème siècle. Et expliquer pourquoi ces visiteurs ou ces puissances secrètes ne se sont jamais manifestées auprès des civilisations dont nous avons le plus de traces, les Romains, les Grecs, les empires européens. D’ailleurs la plus grosse pierre jamais déplacée par l’homme sans machine rentre – malheureusement pour le romantisme – dans cette catégorie des cas trop documentés pour être attribués à des puissances supérieures. Il s’agit de la pierre tonnerre, le socle de la statue du cavalier de bronze, une pierre de 1500 tonnes selon les estimations prudentes, déplacée au 18ème siècle. C’est assez gênant que ce soit la plus grosse d’ailleurs, car l’argument d’ignorance récurrent du « certes vous arrivez à déplacer [tel poids] dans des reconstitutions, mais qu’en-est-il des plus lourdes pierres déplacées ? Avec celles-là, cela ne fonctionne pas ! » est invalidé.
2 - Le complot
Je parlais un peu plus haut de « complot » international au sujet des liens entre tous les sites utilisés par LRDP. C’était de la provocation je l’avoue, on a l’impression d’un complot car toutes ces personnes ont la même démarche, mais c’est probablement sans réelle concertation, seulement un habile mimétisme, une compréhension des mêmes enjeux, une utilisation des mêmes ressources. Des personnes qui sont confrontées aux mêmes problèmes et trouvent des solutions semblables. De quoi est-il question ici ? Des contacts entre bâtisseurs antiques ? Non, je parle du « complot » des promoteurs d’archéologie romantique qui ont tous au moins intuitivement compris ce qui est écrit plus haut : un site archéologique inexpliqué est une ressource mobilisable pour asseoir à peu près n’importe quel discours : un discours sectaire, un discours mystique, un discours new-age, un discours complotiste, un discours qui fait vendre des livres, des films, des produits de médecine alternative ou des objets, bref un discours en lien avec la marotte de chacun des intervenants qui auront compris la combine. Ceux qui sont obsédés par Shamballah feront le lien avec Shamballah, ceux qui sont obsédés par le déluge biblique feront le lien avec le déluge biblique, ceux qui sont obsédés par les aliens etc. A chaque fois, la cible, c’est nous (et vous donc) et le marteau utilisé pour faire rentrer ces clous dans notre cerveau, c’est de nous faire croire que tout le monde nous ment, sauf eux. Effectivement, il y a fort à parier que des gens vous mentent parfois, mais les promoteurs (pour ne pas dire prometteurs) de l’archéologie fantastique, eux, c’est absolument certain qu’ils vous mentent.
La dynamique historique du rapport entre archéologie romantique et archéologie scientifique s’apparente finalement à la friction que l’on a pu observer entre les institutions religieuses et l’émancipation des sciences au fil du temps. La majeure partie des prétentions des Églises à décréter le vrai sur de nombreux sujets du monde matériel a été progressivement contredite et privatisée par les sciences au fil de l’évolution du sécularisme en occident. C’est la même rivalité entre l’archéologie scientifique qui a progressivement grignoté les affirmations péremptoires des archéologues romantiques pour les remplacer par des argumentations étayées, menant le plus souvent à des conclusions différentes voire inverses, et à une destruction progressive de la magie. Dans un monde où l’on ne sait rien, il est effectivement possible de dire tout et son contraire sans subir la contradiction. Et l’évolution vers une amélioration du savoir peut alors être perçue comme une perte de liberté. Mais maintenant que l’on sait, est-ce souhaitable d’ignorer les faits pour le plaisir libérateur de dire tout et son contraire ?
Les amateurs ou promoteurs d’archéologie romantique, qui construisent un récit mythique entourant les pyramides d’Égypte qui va à l’encontre des faits établis, sont simplement les héritiers d’une tradition. Lorsque cette tradition est née, rien ne s’y opposait formellement, mais malheureusement pour eux la connaissance objective a grandement avancé depuis cette époque. Les archéomanes sont une sorte d’arrière-garde du camp de ceux qui voulaient rêver sur les civilisations anciennes, perpétuant des fantasmes vieux de plusieurs siècles, qui ne dérangeaient pas à l’époque, mais dont on sait qu’ils sont faux désormais. Ils luttent à leur façon, parfois malhonnêtement, mais parfois ingénument et sincèrement à n’en pas douter, contre la démagification du monde qu’ils observent. C’est un réflexe de défense très compréhensible de la part de personnes aimant la magie, ayant la foi pour moteur, et accordant de la valeur à leurs rêves. Vouloir rêver c’est louable et compréhensible, mais le faire contre les faits les plus élémentaires, en niant sans argument une bonne part des travaux sur le sujet, en faisant du prosélytisme alter-scientifique, en se faisant passer pour de la science afin de mieux tromper, cela s’apparente plutôt à de la malhonnêteté qu’à de la candeur. C’est pour cela que LRDP tente de faire remonter les sources de l’égyptologie scientifique à Hérodote, un auteur très ancien, facilement disqualifiable, et par ailleurs historien. Car l’égyptologie est en réalité une science moderne, principalement archéologique et non pas historique pour ce qui concerne l’ancien empire, ce sont en fait les sources et les références de LRDP qui commencent à dater (voir « La Révélation des Pyramides » : les références de Jacques Grimault - I).
Vous pourriez vous dire intuitivement (c’est l’objectif du film) : « C’est vraiment dommage que ces peuples ne nous aient pas laissé des traces plus claires du passage des êtres supérieurs ! Si seulement des informations plus explicites nous étaient parvenues, cela claquerait le beignet des sceptiques qui se moquent de nous ! » mais vous raisonnez alors à l’envers. La condition pour pouvoir « attester » de ces contacts c’est justement des civilisations méconnues, des constructions aux origines mystérieuses. Comme expliqué, le vrai lien entre ces sites, ce n’est pas un contact extra-terrestre, le vrai lien c’est le manque d’informations fiables disponibles, qui permet facilement à qui le souhaite de vous vendre rétrospectivement une hypothèse extra-terrestre (ou autre). Car il n’existe en réalité que deux cas de figure :
– Soit nous avons très peu d’informations sur les sites, et des personnes tordent alors le sens de ce qui est disponible pour affirmer catégoriquement ou sous-entendre habilement des choses très improbables (ufologiques, mystiques ou autres)
– Soit nous disposons de nombreuses informations sur les sites, et ces choses improbables n’ont alors plus aucune prise sur les faits.
Les sites pour lesquels nous avions peu d’informations (Gizeh) mais que nous connaissons très bien désormais ont simplement vu reculer progressivement l’hypothèse romantique. Ce n’est pas « un malheureux hasard » que nous n’ayons pas d’information sur ces sites, c’est ici le bon moment pour voir la corrélation qui implique une causalité ! C’est parce que nous avons peu d’information que ces sites vous ont été présentés avec une lecture romantique, c’est leur point commun, et l’unique raison pour laquelle ils sont tous reliés dans une grande théorie romantique.
Ce mécanisme peut s’observer à d’autres sujets. Par exemple : « c’est vraiment dommage que les vraies images d’OVNI soient généralement floues, lointaines, d’une origine inconnue ». Là encore, ces caractéristiques sont les conditions pour qu’une image d’OVNI puisse être considérée comme « recevable » par les Ufologues tenants de l’hypothèse extra-terrestre. Il y a une corrélation de 100% entre ces caractéristiques et la crédibilité d’une image d’OVNI, car si plus d’informations étaient fournies dans ou avec l’image, cette dernière rentrerait dans le deuxième cas de figure « débunkée ». Car dans ce cas également, il n’existe pour le moment que deux cas de figures, d’une part des images peu convaincantes mais pas non plus élucidées parce qu’on ne voit rien, et d’autre part, des images débunkées.
La démarche scientifique est parfois ingrate, elle limite rapidement les rêves justement. Dans le cas de l’étude des époques passées, c’est encore plus frustrant car on a la certitude que l’on n’aura jamais toutes les réponses que l’on souhaiterait, certaines choses sont détruites et ne réapparaîtront jamais, certaines conjectures resteront des conjectures pour l’éternité de la connaissance humaine. Et c’est justement là qu’il faut être résolu et ferme, c’est frustrant mais « nous ne le savons pas » doit rester une réponse valide en science, sans que quiconque éprouve le besoin impérieux de bricoler une réponse pour maquiller le problème. Je citerai pour conclure le linguiste Pierre Guiraud qui parlait de l’étude de l’étymologie des expressions populaires en des termes qui s’appliquent par analogie à toutes les sciences du passé : « Une locution est un puzzle dont nous ne possédons qu’une pièce sur dix et en essayant de le reconstruire on doit se garder de forcer les morceaux dans une échancrure destinée à rester vide » [1].