Dans une intervention sur Nuréa TV, le 27 mai 2021, Quentin Leplat a fait la promotion de son ouvrage sur la coudée de Licht [1].
Nous avons adressé une réponse à Nuréa TV sous cette vidéo, car, il nous semble que les propos de M. Leplat, appuyés par ceux du présentateur, Guillaume, sont d’une part erronés, et d’autre part discréditent les travaux des archéologues et des historiens, sans apporter de preuves. Mais, cette réponse n’a jamais été publiée, montrant ainsi le manque de dialogue des tenants de certaines positions envers les réponses construites des scientifiques. Nous estimons que ce manque de dialogue est lié aux croyances de Monsieur Leplat, diffusées ici par Nuréa TV.
Nous ne nous proposons pas ici de reprendre le livre de M. Leplat et le raisonnement afférent, car nous pensons y revenir dans une étude plus tard. Nous nous proposons juste de reprendre les termes de la réponse adressée à Nuréa TV, et que les animateurs de cette chaîne ont décidé de ne pas publier.
D’abord, la coudée de Licht est très bien documentée... Elle est notamment étudiée par les spécialistes du système oncial (puisque la coudée de Licht fait partie du système oncial, servant notamment aux dessins et aux sculptures). Ainsi, c’est le cas des travaux d’Iversen, publiés en 1973 [2]. Cette coudée appartient à un des deux systèmes de mesure en place en Égypte. Vous en avez une très bonne étude chez Aude Gros de Beller [3]. De plus, le fait qu’elle ne fasse que 70 cm montre que les Égyptiens se servent d’un étalon de 70 cm... pas de 100 cm. Donc, cela ne valide pas du tout l’idée de l’usage du mètre par les Égyptiens.
De plus, partir de mesures de bâtiments ou de parties de bâtiment pour établir la métrologie égyptienne n’a aucun sens, car sur un site ancien, on peut trouver toutes les unités possibles. C’est pour cela que l’on part, en histoire et en archéologie, des étalons physiques découverts en fouille ainsi que des textes. Par exemple, sur un site romain, si on trouve une pierre d’un mètre ou une avenue d’une verste, cela ne veut pas dire que les Romains employaient le mètre ou la verste. D’autant que... l’on connaît les mesures des Romains à travers leurs étalons. Par ailleurs, les Romains ne se servent pas de la coudée, mais du pied, qui est leur mesure commune pour les bâtiments. Donc, la coudée n’a rien d’une mesure universelle.
Estimer que les Égyptiens connaissaient la taille de la Terre ne repose sur rien... il n’en est jamais fait mention dans les sources égyptiennes, d’autant que les Égyptiens ne pensent pas que la terre est ronde [4]. Par ailleurs, M. Leplat dit lui-même qu’il n’a pas trouvé d’instruments permettant aux Égyptiens de mesurer la taille de la Terre. C’est donc un raisonnement à vide qu’il fait. En science, le principe est que si on ne trouve pas ce type d’information, le plus probable, c’est qu’elle n’existe pas. Quant à son raisonnement indiquant que l’on n’a pas besoin de plans de la pyramide de Kheops pour dire que c’est une pyramide, c’est une lapalissade… car en effet, on a visuellement cette structure, elle est de forme pyramidale : on peut donc la désigner comme une pyramide. On est ici dans un raisonnement très spécieux.
M. Leplat s’appuie sur l’article de Charles Funck-Hellet pour le lien entre le mètre et la « coudée royale » ; mais l’article de Charles Funck-Hellet n’est fondé sur rien, puisque ce dernier indique lui-même choisir arbitrairement la taille d’une coudée de 52,36 cm [5]. Par ailleurs, les Égyptiens ne se servent pas de nombres à virgule flottante, donc ils ne se servent pas de nombres irrationnels, ce qui invalide de nouveau l’hypothèse de Charles Funck-Hellet.
En effet, le raisonnement de M. Leplat est essentiellement numérologique. Ainsi, partir du sens des nombres, c’est de la numérologie, pas de la recherche en métrologie. Car numérologie et métrologie ne sont pas la même chose. La première fait partie des recherches sur les pratiques rituelles/magiques, la seconde de l’usage des mesures dans la société.
Toute l’idée ensuite que les Égyptiens sont capables de projeter les proportions de sept sur de larges distances ne repose non plus sur rien. M. Leplat reprend ici sa « méthode des carrés », qui n’est qu’une projection de dessin sur une carte sans signification.
Dire que les historiens ou les archéologues sont politisés et donc s’opposent aux idées « nouvelles » professées par Quentin Leplat n’a aucun sens... Cela ne veut pas dire que les historiens ne sont pas pour certains engagés politiquement, mais il n’y a pas d’un côté des historiens ayant une idéologie, un agenda précis, et de l’autre des chercheurs de vérité qui seraient au-dessus de cela. M. Leplat estime de plus que les historiens seraient en quelque sorte trop choqués de « découvrir » la vérité et qu’il faudrait du temps pour admettre l’évidence. C’est une sorte d’appel à l’émotion. Il nous semble qu’il s’agit là d’un déni de sa part, car les historiens ne vont pas accepter des hypothèses qui ne se fondent pas sur des sources. Sources que M. Leplat ne fournit jamais, puisque il n’est pas capable de les apporter : pas d’instrument permettant de mesurer la taille de la Terre chez les Égyptiens (alors que l’on a des représentations de l’univers chez les Égyptiens), pas d’instrument égyptien mesurant un mètre, pas de hiéroglyphe désignant une mesure d’un mètre... Quant à la distance entre la Terre et les planètes, comment les Égyptiens seraient-ils capables de la mesurer, alors que les mouvements de ces planètes ne sont pas totalement circulaires ? Là encore, aucune explication de la part de Monsieur Leplat, mais juste une idée en l’air.
Ainsi, les hypothèses de M. Leplat posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. C’est pour cela que ses hypothèses me semblent erronées, car une hypothèse qui pose plus de problèmes qu’elle n’offre de solutions est moins acceptable que l’inverse.