Regard critique sur la « découverte » d’une formule par Oleg de Normandie
Article mis en ligne le 7 mars 2024

par Histoire de Pyramides

Résumé :
À la suite de l’article « Résolution de l’anomalie du mètre ? » publié sur Academia le 2 février 2024, son auteur, Monsieur « Oleg de Normandie », demande explicitement à être critiqué d’un point de vue scientifique… Il présente une formule prétendument naturelle censée résoudre ce qu’il appelle « l’anomalie du mètre » en établissant une relation entre le mètre, la circonférence de la Terre, le pied Anglais et la pyramide de Khéops. Il affirme que cette formule est plus précise et harmonieuse que la définition communément admise pour définir le mètre. Cependant, je me permets d’examiner cette analyse avec prudence.


Rentrons dans le vif du sujet :
Tout d’abord, son article critique la relation empirique existante entre le mètre et la circonférence terrestre ou plutôt son méridien. Il affirme que cette relation ne tient pas compte de la différence entre la circonférence équatoriale et la circonférence polaire de la Terre, et que les savants français de l’époque n’auraient pas pris en compte l’aplatissement de la terre aux pôles. Mais comme nous allons le voir ci-dessous, cela est totalement faux ! Du fait de sa forme, la circonférence de la Terre est de 40 075,017 km à l’équateur et de 40 007,863 km aux pôles.

Pour Oleg, le mètre serait une ancienne unité de mesure qui aurait été dissimulée, pourquoi et par qui on se le demande ? Ensuite, il nous explique que le mètre contient une erreur de 2mm qui serait volontaire. Il nous dit aussi que cette erreur provient de l’imprécision de mesure de la Terre due aux moyens techniques de l’époque, alors il faudrait savoir si cette erreur est volontaire ou non ? Et bien vérifions ensemble ses affirmations en faisant un bref mais nécessaire rappel historique.

Pour commencer, l’une des histoires les plus connues sur le calcul de la circonférence de la Terre est sans doute celle d’Ératosthène vers 200 av J.C. Mais depuis lors, la triangulation et la cartographie ont évolué. Il y a d’abord les études du Néerlandais Gemma Frisius en 1558. Ensuite, on trouve l’abbé Jean Picard [1] qui est chargé en 1668-69 par l’Académie Royale des Sciences de la mesure de l’arc du méridien entre Paris et Amiens. Ses mesures par triangulation le conduisent à un résultat de 57 060 toises pour 1 degré de latitude (≈ 111,1 km), soit une circonférence de la Terre de 40 035 km. On a aussi les cartes de Cassini en 1682, puis l’abbé de Lacaille [2] qui en juillet 1739, participe à la mesure du méridien dans les Pyrénées, à partir de Perpignan. Il mesure aussi durant l’été 1740 la distance entre Villejuif et Juvisy, avec des règles de fer longues de 15 pieds (4,87 m).

Le 26 mars 1791, sur proposition de l’Académie des Sciences, Delambre et Méchain [3], deux astronomes français, sont missionnés pour mesurer une partie du méridien de Paris. Pour ce faire, ils entreprennent entre 1792 et 1798 des séries de triangulations. Ils ont calculé la distance entre Dunkerque et Barcelone, en utilisant les règles de Bordas, le cercle répétiteur et des chaînes d’arpenteur, qui étaient fondées sur la Toise.

En 1793, la Convention institue un « mètre provisoire » fondé sur les meilleures mesures alors connues, en l’occurrence celles de l’abbé de Lacaille. Un mètre étalon « provisoire » en laiton, fabriqué par Étienne Lenoir, est remis au Comité. Le 22 août 1795, le Directoire confirme la définition du mètre comme étant la dix-millionième partie d’un quart du méridien.

Nos deux astronomes ont effectué des mesures précises avec la triangulation et ils ont trouvé un résultat de 551 584,72 toises (soit 1075,03861928 km) et 9°40’25,40’’.

De leurs calculs, ils obtiennent la longueur d’1/4 du méridien terrestre, correspondant à 5 130 740 toises, soit 9999,81226 km. Le mètre mesure donc 443 296 lignes de toise [4]. La longueur totale du quart de méridien terrestre en toises a été divisée en 10 millions de parties égales et les mesures en toises ont été converties en mètres, ce qui aboutit à l’établissement du mètre comme mesure ! Donc NON, Monsieur Oleg de Normandie, la définition du mètre n’est pas fondée sur la circonférence de la Terre mais sur 1/4 de méridien !

Par ailleurs, et contrairement à ce que pense notre ami chercheur, l’aplatissement de la Terre aux pôles était parfaitement connu par les savants français de cette époque, notamment grâce aux travaux de Charles-Marie de La Condamine et de Pierre-Louis Moreau de Maupertuis. La Condamine participe entre 1735 et 1743 à une expédition géodésique française menée en Équateur, dans le but de trancher enfin sur la question de la figure de la Terre, tandis que son confrère se rend en Laponie [5].

Pour la petite histoire, quand Méchain était bloqué à Barcelone à cause de la guerre, il décide de recalculer la latitude de la ville. Il trouve alors un écart de 3 secondes d’arc par rapport aux mesures effectuées depuis le fort de Montjuic, mais les résultats avaient déjà été envoyés à Paris. Méchain pensait alors que son erreur serait préjudiciable, mais la commission, en refaisant les calculs, valide finalement les mesures. Le 10 décembre 1799, un mètre étalon en platine est réalisé afin de fixer physiquement et définitivement cette unité de mesure.

Les mesures de l’arc du méridien calculées par Delambre et Méchain conduisent à fixer pour le mètre définitif une longueur inférieure à celle du mètre étalon provisoire en laiton, ce qui nous donne 0,998 mètre, mais cela n’invalide en rien le système métrique car, entre parenthèses, une telle mesure est une convention.

Il convient de noter que la définition précise du mètre a évolué tout au long de son histoire, mais le travail de Delambre et Méchain a été fondamental pour établir une référence initiale beaucoup plus précise pour le mètre en se fondant sur les mesures du méridien en toises.

Quoi qu’il en soit, en 1960, la définition du mètre a été révisée une fois de plus lors de la Conférence générale des poids et mesures. Elle était alors fondée sur la longueur d’onde d’une radiation particulière, la radiation orange de l’isotope du krypton-86. Cette définition a été utilisée jusqu’en 1983, lorsque la 17e Conférence générale des poids et mesures a adopté la définition actuelle du mètre.

L’expérience qui a été réalisée en 1983, consiste à calculer la distance parcourue par la lumière dans le vide pendant une durée de 1/299 792 458e de seconde [6]. Elle est finalement acceptée dans la plupart des pays du monde dès 1986. Pour ce faire, plusieurs équipes de scientifiques à travers le monde ont utilisé différentes méthodes. L’une des plus couramment utilisées est celle de la mesure du temps de vol. Elle consiste à mesurer le temps mis par la lumière pour parcourir une distance connue. Ces mesures étaient effectuées dans des environnements contrôlés, comme des laboratoires, où des faisceaux laser sont utilisés pour mesurer le temps de propagation de la lumière. L’équation générale est la suivante :

Distance = Vitesse x Temps
Dans cette équation, la distance est exprimée en mètres (m), la vitesse en mètres par seconde (m/s) et le temps en secondes (s).

La méthode de l’interférométrie était aussi utilisée, elle consiste à mesurer les variations de phase des ondes lumineuses en les faisant interférer. En utilisant des interféromètres précis, les chercheurs peuvent mesurer les différences de chemin optique parcouru par la lumière avec une grande précision, ce qui leur permet de déterminer correctement la vitesse de la lumière.

Ces expériences étaient souvent menées en utilisant des horloges atomiques extrêmement précises. Les horloges atomiques sont des dispositifs qui mesurent le temps en utilisant les vibrations d’atomes extrêmement stables. C’est essentiel pour déterminer la vitesse de la lumière. Les résultats de ces différentes mesures ont été combinés et analysés par les experts de la Conférence générale des poids et mesures (CGPM), qui ont décidé de redéfinir le mètre en fonction de la vitesse de la lumière. Il est important de noter que les méthodes et techniques utilisées ont pu évoluer depuis lors. Les mesures de la vitesse de la lumière continuent d’être affinées et améliorées grâce aux progrès technologiques et scientifiques. En définitive, la longueur du mètre est restée la même, seule sa définition a changé. Conclusion, la définition actuelle du mètre est fondée sur la vitesse de la lumière dans le vide, et non sur des mesures géodésiques de la Terre.

Dans ce même article, Oleg oublie totalement de nous dire comment on arrive au mile, pied, etc... Il affirme que la « véritable formule » du mètre comprend à la fois la circonférence terrestre et le pied anglais ? Il prétend que le pied anglais, dans sa valeur ancienne de 30,48192 centimètres, établit une relation précise entre le mètre et la circonférence terrestre. La relation empirique mentionnée dans l’article de notre ami chercheur est une approximation grossière utilisée pour des références pratiques et sa formule ne remplacera jamais la base fondamentale de la définition du mètre, comme nous avons pu le voir juste avant !

Je rappelle que le système métrique part du méridien en radians et le système anglais part du mile qui décompose cette même circonférence en degrés. De plus, Oleg ne nous offre aucune justification ni preuve solide de cette affirmation, c’est totalement arbitraire. Les unités de mesure telles que le « pied anglais » sont historiquement fondées sur des conventions locales et varient dans le temps et dans différentes régions du monde. Utiliser une ancienne valeur spécifique du « pied anglais » sans une justification claire et solide soulève des doutes quant à la validité de la formule.

Sans rentrer dans les détails de la méthode, son calcul semble complètement abracadabrant ! Exemple : 1 mile divisé par 11 + 1 pied - 1 cm = la hauteur de la grande pyramide ?!

Eurêka ! Oui, mais avec une coudée d’une valeur de « 0,5236 », valeur purement spéculative, tout simplement pour que cela arrange les calculs.

Concernant le nombre « 11 », que notre ami utilise dans sa formule, il proviendrait des pentes de la grande pyramide (seqed 14/11) mais il semble plutôt le sortir de son chapeau avec sans doute la technique du doigt mouillé, technique reconnue scientifiquement bien entendu…

Ensuite, il mentionne et nous affirme aussi que la hauteur de la Grande Pyramide (dans sa formule), démontre que le mètre et le pied anglais ont été inventés à l’époque de la construction de ladite pyramide ? Quelle est sa source ? Sans doute encore le doigt mouillé ! Je vous rappelle qu’il n’y a pas de consensus parmi les experts en égyptologie et en histoire de l’architecture sur les mesures et la signification exacte des dimensions de la grande pyramide de Gizeh [7]. Effectuer des liens entre la construction de la pyramide et des unités de mesure modernes sans preuves solides et sans références académiques crédibles est hautement spéculatif. En métrologie historique on ne prend pas les mesures d’un bâtiment pour établir un étalon et dans l’antiquité, le rapport de mesure semble être basé sur les parties du corps humain (« système anthropométrique »). Par ailleurs, notre ami chercheur n’apporte aucune source égyptienne pour appuyer ses affirmations sur la connaissance de la circonférence terrestre par les anciens Égyptiens bâtisseurs de pyramides.

Même après le correctif publié par Oleg de Normandie le 18 février, le rapport entre les mesures anglaises et la taille de la pyramide parait peu probant.

Enfin, l’article se termine par une critique générale de la science et des croyances dogmatiques. Bien qu’il soit légitime de questionner les dogmes scientifiques et de promouvoir une pensée critique, il est important de le faire de manière rigoureuse et fondée sur des preuves vérifiables. Les affirmations présentées dans cet article manquent d’une base solide et ne fournissent pas suffisamment de preuves pour étayer les conclusions avancées. Monsieur Oleg de Normandie a trouvé une soi-disant « formule » qui fonctionne en effet sur le papier, mais c’est « mathématique » et ce n’est pas parce qu’un calcul théorique est formulé de façon « mathématique » qu’il devient un fait historique dans la réalité.


Conclusion :
L’article pseudo-scientifique de Monsieur Oleg de Normandie nous présente donc une formule prétendument naturelle qui affirme résoudre « l’anomalie » du mètre en établissant une relation entre le mètre, le pied anglais, la circonférence terrestre et la hauteur de la Grande Pyramide. Mais malheureusement, les arguments et preuves présentés sont insuffisants pour étayer de telles affirmations. Une analyse critique rigoureuse nécessiterait d’avancer des preuves solides, des références académiques et d’utiliser une approche scientifique rigoureuse, ce qui fait grandement défaut dans cet article. Pour finir, permettez-moi de conclure qu’après confrontation de formules si diverses sans lien apparent entre elles, et donc en l’absence d’un paramètre qui expliquerait tout, notre ami chercheur de vérité n’a malheureusement rien résolu, cela ressemble plutôt à du cherry picking. Mais rassurez-vous, sa formule ne va rien révolutionner du tout, et surtout pas l’histoire de l’humanité, car il vaut mieux aborder les choses avec un esprit ouvert (critique), au lieu de chercher des réponses qui soutiennent des conclusions préconçues (croyance).


Article d’Oleg de Normandie : https://www.academia.edu/114392357/RESOLUTION_DE_LANOMALIE_DU_METRE_DECOUVERTE_DUNE_FORMULE_QUI_RELIE_LE_METRE_LA_CIRCONFERENCE_TERRESTRE_LE_PIED_ET_LA_PYRAMIDE_DE_KHEOPS

Vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=YphFK5Vzn_Y


Chaîne de l’auteur, Histoire de Pyramides : https://www.youtube.com/channel/UC_U805etsNaj77SzYCMBpXA