Deuxième réponse, après celle de Gollum Illuminati, au texte de Patrice Pouillard intitulé « Un totalitarisme archéologique ? », par Alexis Seydoux
Être accusé de racisme, c’est en effet une accusation lourde. Répondre en accusant ses détracteurs d’user d’un totalitarisme archéologique, c’est aussi brutal.
Nous avons ici un paradoxe remarquable.
D’une part un auteur, Patrice Pouillard, qui appelle à être reconnu pour ses propositions et qui indique ne pas vouloir se lancer dans des attaques personnelles, tout en accusant les autres de le faire. Et de l’autre, un communicant – le même auteur de BAM - qui s’en prend directement à l’archéologie dans son ensemble, et personnellement à deux intervenants. Le tout, sur fond de démagogie, indiquant ici et là qu’il souhaite débattre, et refusant de l’autre les perches tendues pour une telle discussion.
Qu’est-ce qui est reproché à M. Pouillard ? Plusieurs choses : d’abord de construire une théorie néo-évhémériste de la création de la civilisation, en s’appuyant sur une argumentation hyper-techniciste, sans tenir compte des travaux de recherche effectués par d’autres. Accusation que je porte moi-même. On semble loin du racisme.
Pourtant, cette accusation de racisme semble fondée. Le racisme c’est prêter à un groupe d’individu appartenant à une culture (on n’utilise plus tellement le terme de race) des qualités ou des défauts intrinsèques. Ainsi, dire des Français qu’ils sont râleurs relève en partie du racisme, car on prête une qualité générale aux Français, sans qu’elle soit fondée ; le fait d’être français n’implique pas d’être nécessairement râleur. Et en soit, M. Pouillard ne traite pas les Indiens de râleurs ou de paresseux, ni les Pascuans d’idiots.
En revanche, Patrice Pouillard estime, sans tenir compte des études sur la question, que les grottes de Barabar ne sont pas construites par la civilisation Maurya, ou que les Rapa Nui ne sont pas les initiateurs des Ahu de l’île de Pâques. Ce serait implicitement « trop compliqué » pour eux. Cet argument renvoie l’image d’une civilisation Maurya mineure et de Pascuans primitifs. C’est cette vision que Faustine Boulay a mise en avant dans son intervention ; c’est une vision que je partage. C’est, en effet, nier que les Maurya aient été au niveau technique de leurs voisins perses et hellènes. C’est donc considérer, comme le faisaient les archéologues et les historiens du XIXe siècle, l’existence d’un darwinisme social ; c’est penser qu’il existe une hiérarchie des « civilisations » ; c’est mettre en avant l’idée de culture supérieure destinée à dominer les autres, idée qui a servi de soutien direct ou indirect à la colonisation. C’est là que M. Pouillard développe une thèse qui confine au racisme.
Depuis les années 1970, cette vision de culture dominante et de culture dominée, dans le contexte de la décolonisation et du développement des non-alignés, a eu un écho particulier en histoire. Elle a été développée notamment par Edward Saïd, dans son ouvrage sur l’Orientalisme, et reprise dans le champ des Subaltern studies. Il semble donc bien que l’hypothèse mise en avant par BAM de considérer qu’une civilisation avancée a construit certaines structures, comme les grottes de Barabar, la pyramide de Chéops ou l’ahu de Vinapu, et que les civilisations venues par la suite ne sont que de pâles imitateurs, met en avant une vision raciste, servant encore à justifier des dominations. Par ailleurs, le fait de ne pas connaître ce terme de Subaltern studies semble montrer que M. Pouillard n’a pas pris la dimension des transformations des sciences historiques et archéologiques, et utilise des concepts qui datent encore de l’Histoire méthodique, celle des débuts des sciences historiques de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe siècle, celle encore qui a été démodée dès le début des années 1920 par l’École des Annales.
À ce premier élément, BAM renvoie une autojustification de son travail. BAM estime révéler un passé caché, échappant aux autres chercheurs. Pour M. Pouillard, pour comprendre ce passé cryptique, il faut étudier les lieux. Et pour les étudier, il faut s’y rendre, sinon, on ne peut les comprendre. Et de véhiculer l’image d’archéologues poussiéreux qui ne sortent jamais de leurs bibliothèques, et qui ne vont pas sur le terrain. Je crois qu’ici, M. Pouillard renvoie une image convenue de ce qu’il croit être un académisme de salon. Mais, c’est n’avoir aucune idée du travail de recherche.
Commençons par le terrain. Oui, c’est bien sûr mieux d’être allé sur un lieu pour le comprendre. Mais, c’est largement insuffisant, et ce n’est même pas indispensable. On peut aller sur un site, et ne pas le saisir, ne pas le comprendre. Sur le terrain, on peut se tromper de bonne foi, on peut être trahi par son approche, son regard. Et c’est pour cela que pour appréhender un site, il faut l’étudier et lire les travaux des autres. Par exemple, un site comme l’île de Pâques peut être trompeur, surtout si on prend les Ahu tels qu’ils sont aujourd’hui, alors que ces derniers ont été largement reconstruits, parfois de manière très intensive. Sans lecture des travaux, pas de compréhension. Je passe ici, car c’est un autre sujet, sur l’importance d’approcher les méthodes et de s’appuyer sur l’historiographie, ou encore la contextualisation, éléments que BAM semble ignorer.
Par ailleurs, l’argument premier de la nécessité d’aller sur les sites pour les comprendre perd tout son sens car M. Pouillard ne l’applique pas à lui-même. Ainsi, il n’est pas allé sur tous les sites évoqués dans son film, et pourtant, il les inclut dans sa notion d’équateur penché. Ainsi, Mohenjo Daro ou Persépolis ne semblent pas avoir été visités par l’auteur. Donc, Patrice Pouillard n’hésite pas à affirmer qu’il est indispensable d’aller sur les sites, tout en mettant en avant des sites sur lesquels il n’a jamais mis les pieds. Paradoxe donc. Car, ce qui semble essentiel pour M. Pouillard, c’est l’image, le spectaculaire, là ou un archéologue préfère l’étude posée.
Terminons sur les attaques directes, ad personam ou ad hominem dont M. Pouillard se vante de ne pas user. Quoi dire de ce qu’il y a dans ce texte ? des attaques directes, sur le mode mépris ou du passif-agressif. Ainsi, il feint d’ignorer le métier de Faustine Boulay, alors que cette dernière se présente dans le Live, et comme si c’était mineur. Il accuse celui qu’il surnomme son « détracteur historique », sans le nommer, de bidonner son CV (tout en mettant en avant celui d’Aberkane, dont les trois doctorats semblent douteux). Ces deux actions sont des attaques ad personam, cherchant à disqualifier ses interlocuteurs. Le plus grave, c’est qu’elles ne se fondent sur rien. En effet, où est-il indiqué que le « détracteur historique » se présente comme « conseiller en géopolitique » ? nulle part, si ce n’est dans l’imagination de M. Pouillard qui use de ce stratagème pour instiller une attaque personnelle de faux CV et le discréditer.
De même, M. Pouillard accuse ses détracteurs de s’en prendre directement à lui, faute de pouvoir argumenter avec lui. C’est encore une fois faux. Faustine et moi-même lui avons proposé de dialoguer. Soit il a décliné :
soit il n’a pas daigné répondre :
Ainsi, M. Pouillard essaie de se défendre du racisme dont il est accusé, me semble-t-il à juste titre, en évoquant un « totalitarisme archéologique ». Le mot semble mal choisi. Il est probable que M. Pouillard ne voit pas la portée du terme totalitarisme, et pense plutôt à une censure. Peu importe. Les travaux de M. Pouillard, dans la manière dont ils sont effectués, renvoient à un fondement raciste, en mettant en avant une culture techniquement supérieure. De même M. Pouillard confond présence et étude, estimant que la présence seule sur un site suffit à le comprendre et, à contrario, que le fait de ne pas y être allé empêche de le comprendre. Et cela sans étude. Enfin, M. Pouillard ne fait pas ce qu’il dit : il use bien de l’attaque personnelle. Je pourrais ajouter, qu’il use aussi de la censure.
Ainsi, M. Pouillard prend les oripeaux du coq outré d’une attaque qui lui semble injustifiée, car renvoyant à une faute lourde, celle de racisme. Il se défend alors dans sa basse-cour, mais refuse un vrai débat ou une vraie confrontation d’idées.