Une pyramide inconnue en Roumanie
Au cours des dernières années, et en dépit des protestations des défenseurs des connaissances géologiques et archéologiques plus orthodoxes, la renommée de Visocica, la « Pyramide du Soleil » bosniaque, et de l’entrepreneur Semir « Sam » Osmanagic, s’est propagée très largement, attirant particulièrement ceux qui préfèrent une vision plus imaginative de l’histoire. À titre d’illustration, considérons cet exemple de 2013 (ro) d’un enquêteur essayant de dater un site antique supposé, et persuadé que les techniques et les découvertes d’un chercheur sérieux comme Osmanagic lui seraient utiles.
Le site antique en question est Țurțudui, dans les montagnes de Buzau (en) en Roumanie, à environ 660 km de Visocica (ces montagnes de Buzau diront peut-être quelque chose aux lecteurs d’un article précédent d’Irna).
Après l’avoir visitée deux ans auparavant, en août 2011 [1], le chercheur Dan Popovici a décidé qu’elle ressemblait à l’une des pyramides de Visoko, et qu’elle semblait même avoir été construite de la même manière.
Popovici a donc conclu que :
Compte tenu de la similitude des techniques de construction et de la proximité relative entre Țurțudui et Vîsoko, je pense que ce n’est pas une erreur de supposer que les deux objets appartiennent à la même culture et au même horizon temporel. Ainsi l’égalité approximative des âges déterminée par C14 et par la radiesthésie n’apparaît plus comme une simple coïncidence. [2]
La date C14 que Popovici a en tête était bien sûr celle associée à la Pyramide de la Lune à Visoko, où :
Une feuille fossilisée a été découverte par un archéologue italien juste au-dessus d’une dalle de ciment dans une marche de la Pyramide de la Lune (nom moderne) à Visoko, recouverte par une couche de terre. Cette feuille (matière organique !), dont l’âge est évidemment inférieur à celui de la construction sur la surface extérieure de laquelle elle a été retrouvée, a été envoyée pour analyse au carbone radioactif C14 à un laboratoire de physique atomique à Kyiv - Ukraine. Le résultat est le suivant : l’âge de la feuille (implicitement l’âge minimum de la pyramide) est de (24800 +/- 200) ans, soit entre 24600 et 25000 ans. [3]
Outre la similitude de date, Popovici pense que la technique de construction de Țurțudui ressemble remarquablement à celle utilisée à Visoko :
… trois couches de blocs de pierre (possiblement en béton !) superposés, collés entre eux par des couches d’argile d’environ 30 cm, formant un sandwich extrêmement résistant. Utilisation ingénieuse de l’argile car elle assure l’imperméabilité à l’eau de pluie et l’élasticité en cas de mouvements sismiques, étant également une excellente « colle » pour les blocs de pierre.
Le plus intrigant, cependant, est l’épaisse couche brun rougeâtre d’env. un cm (un matériau dense et non poreux, probablement composé d’oxydes minéraux) qui recouvre la surface extérieure de la paroi de la pyramide comme du plâtre. C’est une couche extrêmement adhérente, très bien collée à la surface des blocs de pierre, recouvrant initialement les interstices entre les pierres. La tentative d’arracher un morceau d’un tel « plâtre » montre qu’il entraîne en se détachant une partie de la pierre du substrat, étant pratiquement fusionné avec lui.
On me voit... on me voit plus...
Popovici mentionne également d’autres événements que ceux qui ne sont pas dotés d’une imagination vive pourraient avoir du mal à croire :
- (En 1980) (ro) Malheureusement, le pic [Țurțudui] a été endommagé à la fois par le passage du temps et (peut-être surtout !) par le dynamitage auquel il a été soumis en 1980 par un détachement des services secrets suite à la disparition de deux agents à travers un portail dimensionnel (quelque chose comme Stargate…) ouvert par des procédés non conventionnels sur l’autel qui se trouvait encore au sommet de la pyramide à cette époque. [4]
Curieusement, le trope de la disparition inexpliquée de deux personnes, associée à des événements quasi surnaturels, d’une sorte ou d’une autre, sur ou dans la région de Țurțudui, à un moment ou à un autre au début des années 1980, apparaît sur plusieurs sites Web différents. :
- deux garçons y ont disparu dans les années 80 (ro). Deux frères. Ils ont tout simplement disparu et ne sont jamais réapparus ! [5]
– … une expérience de téléportation (ro) sur le pic Ţurţudui. Les deux jeunes soldats, âgés de moins de 35 ans, ont escaladé le pic Ţurţudui et ont accidentellement touché un rocher clair d’environ 3 m de haut, avec l’apparence d’une pyramide gélatineuse, à l’intérieur de laquelle se trouvait un objet. À ce moment-là, ils ont été entraînés à l’intérieur par une force puissante, comme un aspirateur, et ce rocher a rapidement repris la forme d’un rocher ordinaire. [6]
– (En 1981 (ro) Deux frères alpinistes s’entraînaient à gravir une haute falaise et relativement isolée de la chaîne de montagnes. Ses parois étaient très abruptes, formant même un chenal au sommet, ce qui était un véritable défi pour les deux grimpeurs. L’un des frères a grimpé jusqu’aux trois quarts environ de la hauteur de la falaise, où il a remarqué des signes bizarres gravés dans la pierre et presque complètement érodés par le passage du temps. Lorsqu’il atteignit le sommet, sur l’étroite plate-forme du rocher, il se pencha et ramassa un étrange objet jaune qui ressemblait à une chaîne, mais l’instant d’après il disparut soudainement sous le regard ahuri de son frère sur le sol au pied de la falaise. La milice locale a été alertée et les parents ont été prévenus à Brăila… [L]e père, un ancien grimpeur, a également escaladé le rocher, a ramassé l’objet et a disparu instantanément devant plus de dix témoins. [7]
Parfois, même une montagne entière disparaît : comme dans le cas du mont Gugu, à environ 300 km de Ţurţudui, et que l’on dit :
… l’un des plus étranges de Roumanie (en). C’est parce que les gens disent qu’à certains moments de la journée, le pic ne se voit plus. Ainsi, le pic Gugu est également connu comme la « montagne qui échappe à l’œil ».
Rencontre entre Extraterrestres et Illuminati
Mais les événements inhabituels dans cette partie du monde ne se sont pas limités à Ţurţudui et Gugu : ils se produisent également ailleurs dans les Carpates.
En 2003 (en), une vingtaine d’années après la supposée disparition de deux personnes (agents, soldats ou membres d’une famille) à Ţurţudui, d’autres événements étranges impliquant des extraterrestres, des sociétés secrètes (francs-maçons, Illuminati) et de mystérieux fonctionnaires, auraient eu lieu dans ce qui a été décrit comme « une zone inexplorée des montagnes Bucegi ».
L’auteur du site (en) termine par une mention probablement destinée à renforcer la véracité du récit précédent :
Résumé des événements du livre : « Viitor cu cap de mort » (ro), par « Radu Cinamar » — le pseudonyme d’un écrivain non divulgué, qui à mon avis n’est autre que l’ex-général Emil Strainu. Je base ma déclaration sur le style d’écriture extrêmement similaire et sur le fait que l’auteur avait un accès direct à cette base extraterrestre Top Secret - ce qui n’aurait pu se produire que si la personne était un initié.
Sous une forme ou une autre [8], le rapport a finalement trouvé son chemin vers la Fondation Osmanagic, qui, le 26 mars 2018, a publié un article faisant référence à une « Base Anunnaki découverte dans les montagnes Bucegi - Les extraterrestres géants qui ont créé l’humanité » (en).
À cette époque, cependant, de nombreux lecteurs moins imaginatifs auraient pu conclure que ces rapports d’événements en Roumanie, à Ţurţudui et dans d’autres montagnes de la région, n’étaient peut-être pas tout à fait factuels.
Mais en est-il vraiment ainsi ? Certains au moins, sinon tous, pourraient-ils être basés sur des événements réels ? Si c’était le cas, et si les montagnes roumaines avaient effectivement un lien avec Visoko, cela pourrait-il signifier que les « pyramides » bosniaques étaient finalement bien les artefacts mystérieux revendiqués depuis tant d’années par la Fondation Osmanagic ?
Les autorités ont-elles essayé de dissimuler leur véritable nature à la connaissance du public toutes ces années… ? [9]
Abattage d’arbres, datation de feuilles
De retour à Ţurţudui, Dan Popovici condamne les tentatives apparentes des autorités de dissimuler la pyramide à la vue du public, déplorant que :
… dans certaines des photos que j’ai postées sur Panoramio [10]... vous pouvez voir les arbres abattus en 1980 par les autorités et intentionnellement laissés sur le chemin du sommet de Crucea Spătarului à Țurțudui afin d’empêcher l’accès. Il s’ensuit que les autorités communistes n’ignoraient pas l’existence de la pyramide, mais ont même tenté de la cacher.
Mais est-ce vraiment ce que les autorités essayaient de faire ?
Ce document (ro) fournit une explication un peu plus terre-à-terre des arbres abattus. Il commence par se référer au :
… mythe de restreindre l’accès en coupant des arbres et en bloquant une route de versant allant à Ţurţudui (marque forestière III 202) depuis Crucea Spătarului (marque forestière III 122) …
Et ajoute :
On connaît la raison de cette déforestation utilitaire réalisée par l’OS (Forest District) Pârscov. Un ouvrier forestier… nous a expliqué les mécanismes biologiques de contamination des arbres semenciers de cette parcelle par les ipidés [des coléoptères xylophages] et le but des coupes ponctuelles pour stopper la propagation de ces ravageurs. Les arbres n’ont pas été sortis du terrain parce qu’il n’y avait aucune possibilité physique ou besoin évident. Mais quelque chose d’autre était plus important dans son récit : jusqu’en 1990, il y avait une forêt vierge avec des arbres conservés pour la semence ; les premières coupes remontent à près d’une décennie après la Révolution. Pas avant… Mme Moise Daniela, la responsable du district forestier de Pârscov, nous a donné des indications similaires, nous montrant les registres d’époque des documents officiels. [11]
Passons des arbres aux feuilles : nous avons déjà évoqué la description par Dan Popovici de la datation de la Pyramide de la Lune au moyen d’une « feuille fossilisée » (qui a eu lieu en 2012). Mais certains lecteurs se souviendront peut-être aussi d’un épisode antérieur de « datation de feuille » dans cet article daté du 11 juin 2011, qui apporte un éclairage intéressant sur la méthodologie employée par la Fondation Osmanagic.
Il s’avère que la photographie de 2011 qui semblait révéler une « feuille » était très probablement :
[12]
… un morceau de bois fossile à l’intérieur d’une couche des ... grès de Pljesevica [qui], alternant avec des couches de marne, de mudstone et de siltite, se sont déposés au Miocène moyen (base de la série Lasva) … au fond d’un bassin lacustre.
L’article expliquait comment cela était présenté sur le site Web de la Fondation Osmanagic comme une « preuve » de ce que :
… la Pyramide de la Lune aurait été construite il y a plus de 10 000 ans.
Bois des murs
Trois ans plus tôt, en 2008, la Fondation avait mis au jour une autre pièce de matière organique, comme l’explique cet article sur le site d’Irna (21 et 22 septembre 2008).
Le fragment en question était :
… [un] morceau de bois ... encastré dans les conglomérats qui forment les parois du tunnel [de Ravne] [à environ 3 km de Visocica]
Il a été testé par :
… deux laboratoires, l’un en Pologne et l’autre en Allemagne, [qui] ont donné des âges à peu près concordants pour le bois : 34 000 BP pour le premier, et 30 600 BP pour le second. [13]
Les divers problèmes, techniques et autres, liés à une telle conclusion, et les raisons pour lesquelles on ne peut accepter cette date comme étant valablement liée à un artefact fabriqué par l’homme à Visoko, sont traités en détail dans le reste de l’article.
Frère Soleil, Soeur Lune
M. Popovici, bien sûr, était tombé sur une date beaucoup plus tardive de « 24 800 » ans, qui apparaît sur de nombreux sites Web et blogs, y compris celui-ci (en) (daté du 8 septembre 2012) - bien que, malheureusement, ces articles et d’autres ne parviennent pas à clarifier que la date s’applique à la Pyramide de la Lune, et non à la Pyramide du Soleil (Visocica) (en) …
Ces sources en ligne font référence à une datation qui, comme mentionné ci-dessus, avait eu lieu environ trois mois auparavant, en juin 2012, lorsque deux jeunes volontaires italiens (Brett et Bisconti) ont effectué une autre tentative de prise d’échantillon (en) [14] sur la Pyramide de la Lune, sur ce qui a également été décrit par la Fondation comme une feuille fossilisée (en). C’est ce matériau qu’un laboratoire de Kiev a ensuite daté de 24 800 ans (+/- 200 ans) BP.
Cette date était bien sûr plus impressionnante que la date des « 10 000 ans » de 2011. En 2013, cependant, les résultats se sont rapprochés de la date initialement proposée en 2008 de 30 600 ans. Dans cet article (en), par exemple, discutant d’un échantillon prélevé (en) sur la Pyramide du Soleil à partir « d’une feuille ... trouvée entre la couche inférieure d’argile et immédiatement sous l’enveloppe extérieure en béton », la date résultante est donnée à 29 000 avant JC. [15]
L’article du Waking Times ci-dessus mentionné poursuit en déclarant effrontément :
Les preuves montrent clairement que les pyramides ont été construites comme d’anciennes machines énergétiques alignées sur le réseau énergétique terrestre, fournissant de l’énergie pour la guérison ainsi que de l’énergie.
En effet, un article encore plus audacieux de l’année précédente (en) indique également que les chercheurs avaient trouvé :
… un faisceau d’énergie de 13 pieds de rayon qui transmet un signal électromagnétique inexplicable mesurant 28 kilohertz provenant du centre de la Pyramide du Soleil.
Le genre de phénomènes, en d’autres termes, que certains ont associé à diverses montagnes distantes de 1000 kilomètres dans la région de Buzau, en particulier Ţurţudui : parfois lié à une forme de portail trans-dimensionnel ressemblant à Stargate …
La réponse est dans le sol
Sur une note moins trans-cosmique, le géologue Paul Heinrich [16], après un examen minutieux de la première image « pyramidale » de Ţurţudui [17], commente comme suit :
Dans la figure ci-dessus, « couches inclinées », la couche de roche sédimentaire résistante peut être vue plongeant vers la gauche entre ce qui est apparemment des strates plus tendres. L’érosion différentielle de ces strates a formé un relief en forme de chevron avec la surface supérieure de la couche résistante inclinée vers la gauche.
Portant son attention sur l’image intitulée « couches diaclasées », Heinrich ajoute :
[18]
Cette image ... montre que la couche résistante est constituée de lits alternés de roche résistante, qui résistent donc à l’érosion et forment des rebords proéminents, et de lits de schiste plus tendre qui sont plus friables et, par conséquent, s’érodent pour former des évidements / encoches linéaires. Les lits de roche résistante sont fragmentés en blocs par des diaclases orthogonales, créées par la flexion des couches résistantes lors de leur inclinaison.
Enfin, Heinrich examine ce que – comme mentionné ci-dessus – Popovici trouve « le plus intrigant » :
… l’épaisse couche brun rougeâtre d’env. un cm (un matériau dense et non poreux, probablement composé d’oxydes minéraux) qui recouvre la surface extérieure de la paroi de la pyramide comme du plâtre.
Heinrich a étiqueté cette image « croûte d’altération météorique », et commente comme suit :
… « Croûte d’altération météorique » montre ce qui semble être des couches de grès avec une croûte d’altération (en) s’écaillant d’un bloc formé par des diaclases. La fracturation du grès par les diaclases permet aux eaux pluviales et/ou souterraines de circuler autour du bloc et de réagir chimiquement avec la roche formant le bloc. La roche s’altère progressivement avec le temps à partir de la surface vers l’intérieur par un processus appelé « altération sphéroïdale ». Cela forme une croûte d’altération due à la décomposition des minéraux de la roche et à l’accumulation d’oxydes de fer rougeâtres en surface. Les croûtes d’altération météoriques se détachent souvent du bloc de roche au fur et à mesure qu’elles se forment, car l’altération de la roche augmente son volume à mesure que les minéraux se décomposent et que l’argile et les oxydes de fer s’accumulent.
Comme expliqué, Popovici pense que la couche brun rougeâtre de Ţurţudui ressemble à la couverture pyramidale (soi-disant artificielle) de Visoko. Mais, dit Heinrich, il pourrait bien s’agir d’une croûte d’altération formée par une altération sphéroïdale associée à des diaclases dans la couche de grès.
Donc, pas trop de ressemblance avec un portail de type Stargate : bien que, curieusement, l’idée d’un tel portail ait également été évoquée (en) en relation avec Rtanj, une montagne en Serbie - à 400 km. de Ţurţudui et 300 km. de Visocica - qui est également présentée par certains comme possédant une forme pyramidale (en) et donc des propriétés pyramidales…
Mais pourquoi tant de montagnes dans cette partie du monde seraient-elles dotées de propriétés aussi mystérieuses, propriétés qui frôlent parfois le paranormal ou le surnaturel ? Qu’y a-t-il de si exceptionnel dans les Balkans ?
Autres terres, autres dieux
En janvier 2017, un autre article est publié par Irna au sujet de Deï Mian, organisateur de conférences et de voyages touristiques avec une chaîne YouTube spécialisée dans « l’archéologie interdite ». En juin 2015, il annonce un prochaine voyage en Roumanie, « pays des mystères et des énigmes »… [19]
Fait intéressant, parmi les documents de Deï Mian se trouvait une image de la « Carte du continent hyperboréen » de Mercator de 1595. Dans un article récent, nous avons vu comment la légende d’Hyperborée [20] - une région mystique parfois associée à des terres mythiques dans l’extrême nord de la Russie - aurait pu être l’inspiration originale derrière les découvertes récentes de pyramides qui sont interprétées comme des preuves laissées par les anciens Hyperboréens eux-mêmes : emblèmes ou symboles susceptibles d’alimenter certains agendas nationalistes actuels.
L’article d’Irna décrit également la promotion par Deï Mian :
… d’une forme assez aiguë de nationalisme, qui veut faire des Roumains les descendants directs du peuple des Daces ou Gètes, et qui attribue à ces mêmes Daces une antériorité sur les autres peuples et civilisations dans quasiment tous les domaines.
Les frontières de l’ancien royaume de Dacie - qui existait entre 168 avant JC et 106 après JC - comprenaient la majeure partie de la Roumanie et de la Moldavie actuelles, ainsi que de plus petites parties de la Bulgarie, de la Serbie, de la Hongrie, de la Pologne, de la Slovaquie et de l’Ukraine. Mais les auteurs anciens avaient tendance à être légèrement confus quant à l’emplacement de l’Hyperborée. Le blogueur Jason Colavito commente (en) qu’il :
… différait énormément selon l’auteur, de la côte de la mer Noire (Hécatée de Milet) à la vallée du Danube (Pindare) en passant par la Scythie (Aristote), ou même plus loin. Les opinions les plus connues la plaçaient aux extrémités de la terre, comme la Grande-Bretagne (Hécatée d’Abdère) ou l’Arctique (Pomponius Mela).
Irna ajoute une note [21] expliquant le lien ancien entre la Roumanie et l’Hyperborée, et comment l’auteur roumain Vasile Lovinescu (sous le pseudonyme Geticus) avait écrit un ouvrage intitulé La Dacie Hyperboréenne qui traite de la géographie sacrée des Hyperboréens. Entre autres, « Geticus » déclare que :
Or tous les anciens sont unanimes à affirmer que les Gètes étaient un peuple hyperboréen.
et :
… la Dacie a été pendant quelques millénaires le « centre suprême » de l’Hyperborée ...
Dacie et Hyperborée
Ce site (en) contient plus de détails sur le « centre » d’Hyperborée :
Le 45e parallèle joue en général le rôle d’un parallèle extrêmement important sur lequel se trouvait le centre du culte apollinien de la « Dace hyperboréenne », ce qui est également extrêmement important pour la recherche, et la longitude de cet endroit était de 30 degrés à l’est.
Les lignes à 45 et 30 degrés se croisent en un point particulier de la mer Noire, non loin de la côte roumaine.
Non loin de cette intersection se trouve l’île des Serpents, qui fait maintenant partie de l’Ukraine, mais qui était dans l’Antiquité le site d’un important culte d’Achille. [22] (Le 24 février 2022, l’île a été envahie par des navires de guerre russes.)
« Geticus » explique que la ligne à 30 degrés, ou « vertex » :
… ce Polus geticus, cette « représentation » du Pôle, existe en Roumanie dans les Carpathes (Monts Riphées), sur le Mont « Om », et qu’il est encore appelé par le peuple l’ « Essieu du Monde », le « Nombril de la Terre » …
Le mont « Om », alias « La Om », est la plus haute crête (en) de la chaîne Piatra Craiului (en) et se situe entre les montagnes de Ţurţudui et Gugu. Dans certaines vues, il ressemble même vaguement à une forme pyramidale …
Ainsi, ces montagnes, dont certaines associées à des événements mystérieux - Piatra Craiului, Ţurţudui et Gugu - sont toutes situées non loin de la très importante ligne de longitude de 30 degrés Est, le « sommet » qui marquait le pôle mystique de l’ancienne Dacie.
Et la Dacie – autrefois composée d’une large bande des Balkans – était elle-même censée être une ramification de l’Hyperborée polaire, un lieu mythique qui, comme nous l’avons vu, occupe néanmoins encore une place prépondérante dans certains cercles ésotériques et philosophiques actuels : surtout en Russie. Cela a été décrit comme un intérêt pour :
… une ancienne tradition de sagesse indigène d’un proto-continent nordique perdu et d’un « âge d’or » [23]
Terres perdues de Dacie
L’un des philosophes politiques russes les plus connus de notre époque est, bien sûr, Alexandre Douguine (discuté dans un article précédent), dont les théories, selon certains, auraient pu avoir une certaine influence sur l’invasion de l’Ukraine par le président Vladimir Poutine en février 2022. L’idée militaire derrière cette entreprise - comme dans le cas de la Crimée en 2014 - était que la Russie revendiquait en fait des terres qui avaient autrefois fait partie de la Russie elle-même : et, d’un point de vue idéologique, récupérait une partie du « proto-continent nordique perdu » de l’âge d’or hyperboréen. [24]
Et le reste des terres associées à ce « proto-continent nordique perdu » : à savoir, la Dacie ? Les Balkans d’aujourd’hui ? Sont-ils également « récupérables » ?
Dans un livre publié il y a environ vingt-cinq ans, The Foundations of Geopolitics : The Geopolitical Future of Russia (Fondamentaux de géopolitique : l’avenir géopolitique de la Russie->https://fr.wikipedia.org/wiki/Fondamentaux_de_géopolitique), Douguine écrit, entre autres, que l’Ukraine devrait être annexée, la Biélorussie et la Moldavie devraient faire partie de la Russie, et d’autres pays - dont la Roumanie et la « Bosnie serbe » (partie de la Bosnie-Herzégovine) - devraient se joindre à Moscou.
Au moment d’écrire ces lignes (mai 2022), non seulement l’Ukraine est fortement attaquée, mais des inquiétudes sont également exprimées quant à savoir si la Moldavie pourrait également être menacée (en). Et, si la Moldavie, d’autres pays aussi… ?
La majeure partie de cette région était, dans une plus ou moins grande mesure, autrefois liée à, ou une partie de, la Dacie …
Mais la brutalité impitoyable des agendas géopolitiques modernes peut-elle vraiment être alimentée par un mythe ancien : un mythe incorporant une aspiration à un âge d’or qui a disparu il y a des éternités, mais pas avant qu’il ait engendré une race fière et ancienne dont les habitants de la Russie seraient les descendants ? Descendants qui vivent dans un monde qui a dégénéré de ces jours lointains et qui a popularisé des valeurs dégénérées - le libéralisme, la démocratie et la tolérance de la race et de la religion - qui sont un anathème pour ceux qui veulent recréer le paradis arctique perdu où une ancienne race blanche aryenne aurait autrefois régné en maître ?
Avant la Seconde Guerre mondiale, le groupe de réflexion nazi connu sous le nom d’Ahnenerbe (« Héritage ancestral ») a promu des concepts tels que la suprématie raciale allemande (expliquée par leur descendance des anciens Aryens). Cette pensée a été utilisée non seulement pour justifier les politiques nazies en général, mais aussi l’invasion particulière des pays à l’est (« les anciens Aryens vivaient ici, alors nous ne faisons que récupérer ce qui nous revient de droit ! ») [25]
Malheureusement, la crédibilité de l’Ahnenerbe a subi un revers lorsqu’il a été découvert qu’ils avaient fabriqué des preuves pour étayer leurs affirmations...
Néanmoins, bien qu’une grande partie de leurs recherches ait été erronée (et même Hitler, malgré son obsession pour le Saint Graal, n’a pas tout à fait suivi leurs idées sur l’Atlantide), l’idéologie promue par l’Ahnenerbe a joué un rôle important en encourageant le développement de politiques et initiatives militaires qui ont entraîné la misère, les destructions et pertes humaines inquantifiables de la Seconde Guerre mondiale.
Cela, cependant, n’a pas empêché Alexandre Douguine d’être très impressionné par l’Ahnenerbe (en), dont des parties importantes de la philosophie sous-tendent son livre de 1993 sur l’Hyperborée. [26]
Vérité russe spéciale
Après avoir passé de nombreuses années à étudier la pensée de l’Ahnenerbe et d’autres écoles similaires, M. Douguine a conclu que les Russes ont développé une :
… vérité russe spéciale (en) ... [27]
Apparemment, cette « vérité spéciale russe » pourrait être une vérité relative, et pas nécessairement une vérité absolue : et, de toute façon, la vérité absolue pourrait ne pas nécessairement exister…
Quel effet aurait une telle réflexion si elle était appliquée dans un contexte historique ?
Vérité géologique
Dans cet essai, nous avons examiné des montagnes de Roumanie - l’ancienne Dacie - également présentées comme des « pyramides », au moins en partie à cause d’une supposée ressemblance avec les « pyramides » de Bosnie. Nous avons découvert cependant que, comme dans les exemples en Ukraine, il y a une forte probabilité que la forme pyramidale d’au moins une de ces montagnes – Turtudui – soit le résultat de processus géologiques.
Cela rejoint ce que nous avons trouvé lorsque nous avons précédemment examiné les « pyramides » censées se trouver sur le sol russe. Nous avons alors découvert que ces « pyramides » étaient parfois des éléments naturels du paysage qui n’étaient pas situés aux endroits où ils étaient censés se trouver ; ou n’existaient pas du tout ; ou se sont avérés – encore une fois – être des artefacts géologiques et non humains.
Et, revenant sur nos pas, nous nous sommes souvenus de la base douteuse des dates anciennes prétendument générées par l’activité humaine sur les « pyramides » de Bosnie : rien d’étonnant à cela, étant donné qu’un géologue italien - indifférent aux faisceaux d’énergie mystérieuse et aux portails vers des endroits au-delà des étoiles - a décrit la « Pyramide du Soleil » comme suit :
… le résultat de la sédimentation clastique-terrigène continentale du Miocène en ce qui concerne les matériaux constitutifs et leur stratification ; la forme de la colline, l’inclinaison des couches et leur localisation, ainsi que la fissuration qui donne aux différentes couches une forme de pseudo-dallage, sont dues au modelé géomorphologique post-miocène, ainsi qu’aux phénomènes tectoniques locaux et globaux. [28]
Néanmoins, les anciennes divinités russes, clairement un panthéon à l’esprit fort et tenace, n’ont pas laissé une petite « sédimentation clastique-terrigène du Miocène continental » et des « phénomènes tectoniques locaux et mondiaux » les empêcher de choisir ces « pyramides » comme lieu de résidence… [29]
Bien que l’on puisse se demander s’il s’agissait vraiment de dieux russes. Pourraient-ils, par exemple, avoir été des dieux hyperboréens ou daces ? Et, si tel est le cas, le gouvernement de M. Poutine pourrait-il considérer ce facteur comme une justification supplémentaire d’une éventuelle annexion future d’un pays dans lequel se trouvent des « pyramides » habitées par des divinités - russes, hyperboréennes, daces... ?
Vérité mythologique et archéologique
Dans cet article récent, nous avons découvert que le philosophe Valeriy Demin, partisan de l’idée que l’Hyperborée était une ancienne patrie de l’extrême nord, s’est rendu dans des endroits reculés de la région de Mourmansk à la recherche de pyramides ou de constructions en forme de pyramide, ce qui a inspiré à d’autres des efforts similaires dans des endroits comme la Crimée et l’Ukraine. Il croyait que :
... l’âge d’or ... s’est en fait déroulé dans l’Arctique. Un grand cataclysme… poussa les survivants hyperboréens à s’installer ailleurs…
Et il a en outre été suggéré que Demin pensait que :
Les caractéristiques communes de nombreux peuples, religions et cultures séparés par une distance significative - par exemple les pyramides en Égypte, en Mésoamérique et peut-être en Bosnie - sont des reliques d’Hyperborée. [30]
Malheureusement, comme l’observe Jason Colavito (en) :
… il est impossible de conclure que l’Hyperborée existait au sens littéral, bien que des éléments des histoires suggèrent qu’elles incluent des connaissances transmises sur l’Arctique, peut-être de Scandinavie ou de Sibérie, y compris le fait qu’il y a des périodes où le soleil ne se lève ni se couche. [31]
Qu’ont réellement découvert les archéologues dans des lieux supposément liés à l’Hyperborée et à la Dacie ? En Roumanie, des restes humains âgés de 37 000 à 42 000 ans ont été retrouvés dans la grotte de Peștera cu Oase. [32] Et, en Bosnie, à Gigića pećina, près de Bosansko Grahovo, à environ 160 kilomètres de Visoko, des preuves d’une activité humaine au Paléolithique moyen (vers 300 000-50 000 BP), peut-être à l’Aurignacien (43 000 à 26 000 BP) ou au Paléolithique supérieur tardif/Épigravettien (21 000-10 000 BP) ont été trouvées [33]. Enfin, dans la région même de l’Arctique, on a vu précédemment que :
... la péninsule de Kola est habitée depuis l’Antiquité. Il existe des preuves de peuplement dans le nord de la péninsule (péninsule de Rybachy) au cours du 7e au 5e millénaire avant notre ère, et d’un peuplement ultérieur par des peuples du sud (Carélie).
Pas de manchots dans l’Arctique
Chaque été, des troupes de volontaires (en) se dirigent toujours vers les Balkans, résolus à passer quelques semaines dans les « pyramides » bosniaques (en), convaincus qu’ils contribueront à révéler une ancienne civilisation perdue que l’orthodoxie à l’esprit fermé refuse obstinément de reconnaître. Mais à supposer que ces idéalistes – dont beaucoup de jeunes étudiants – se rendent compte que leurs efforts servent à fabriquer un décor qui pourrait à un moment donné être exploité par le régime d’une puissance voisine ? Une puissance dont l’agenda consiste à trouver une justification - aussi mal fondée et illusoire soit-elle - pour envahir et occuper un territoire prétendument habité par des ancêtres mythiques des légendaires Hyperborée et Dacie, entraînant des ravages et des pertes humaines indicibles ?
Ces volontaires iraient-ils encore à Visocica ? [34]
Le point de vue de M. Douguine [35], influencé par des penseurs tels que Julius Evola, René Guénon et Herman Wirth, semble être que le processus historique est celui d’un déclin en spirale à partir d’un âge d’or polaire : d’où la justification de la formation d’un nouvel empire eurasien, présidé par une Russie renaissante, ses citoyens descendants d’Aryens arctiques.
Comparez ce point de vue avec le développement de la science dans son ensemble et, disons, de la science géologique en particulier. Comme d’autres sciences, la géologie est un domaine de connaissance qui, à la manière darwinienne, a évolué au fil du temps : évolué, et non décliné ; évolué au stade où il peut pointer vers une collection de blocs de pierre et les identifier avec clairvoyance comme des lits alternés de roche plus ou moins résistante, ou (dans le cas de Visocica) comme un modelé géomorphologique post-miocène.
Ces caractéristiques paysagères saisissantes sont donc le résultat de processus géologiques, plutôt que l’œuvre d’une mystérieuse civilisation perdue.
Malgré ce qui a parfois été affirmé, botanistes et biologistes savent qu’il n’y a pas de manchots dans l’Arctique... [36]
Et il n’y a pas non plus de pyramides dans les Balkans.