Vous reprendrez bien un peu de cerises ?
Article mis en ligne le 8 décembre 2018

par Aurl

Puisque BAM, le nouveau film de Patrice Pouillard est sorti, il est enfin venu le temps de s’intéresser à… LRDP... l’ancien film… 6 ans après le reste du monde.

Dans un article précédent [1] nous évoquions de manière évasive un passage assez peu compréhensible de La Révélation des Pyramides. Le moment est venu d’oser s’y attaquer. Pour ceux qui ne se souviennent pas du film par cœur (… donc beaucoup de gens) voici ce qui était dit à partir de [1:27:40] :

« Ce triangle, aux proportions de la Grande Pyramide mais cinq fois plus grand qu’elle, relie son sommet à celui de la petite d’un côté, et de l’autre il passe par la tête du Sphinx. Si on dessine le carré de base de la Grande Pyramide et qu’on le fait glisser bord à bord contre elle, alors l’axe passant par le côté droit intercepte encore la tête du Sphinx… au même endroit. Si l’on trace un cercle dont le centre est le croisement entre cet axe et celui -là, passant par le sommet des deux pyramides, alors on intercepte encore la tête du Sphinx, au même endroit. »

Et l’on nous proposait ceci :

La démonstration nous apprend que le Sphinx et les Pyramides autour sont « liés » par la géométrie.
Je ne sais pas trop par où commencer car c’est quelque chose de très dense qu’il nous faut ici démêler.

I - Interrogeons le choix des figures

Pourquoi tracer ce triangle dont un des angles repose dans le néant et n’est même pas évoqué par le film ? Pourquoi ce cercle ? Pourquoi faire translater un carré vers la droite et prolonger un de ses côtés ? Pourquoi inclure dans ces manipulations les trois pyramides principales alors que le film aurait plutôt tendance à nier l’existence des pyramides autres que la plus grande, ou au moins nier leur intérêt ? Pourquoi « la tête du Sphinx » revêt-elle un sens particulier, cela n’aurait-il pas été tout aussi remarquable si le trait passait par « le centre du Sphinx » ou « la queue du Sphinx » ?

La réponse semble simplement être que le résultat en vaut la chandelle : puisque tout cela passe d’une manière ou d’une autre par « la tête du Sphinx » alors tout cela devient pertinent. On retrouve une logique très semblable à celle de la numérologie du film, on cherche par tous les moyens une corrélation numérique (ici géométrique) pour sous-entendre une causalité directe entre les deux mesures.

Même si ce ne sont pas des concepts que vous avez l’habitude de manipuler, essayez de transposer cette méthode argumentative dans un contexte plus concret. Ce serait comme une publication médicale vous expliquant que la consommation de bananes induit des cancers car il a été calculé avec une méthode rigoureuse qu’il y a sur la planète très exactement autant de gens ayant un cancer que de gens mangeant régulièrement des bananes, à l’individu exact ! Une telle égalité ne peut pas être le fruit (jeu de mot) du hasard.

Je suis certain que cela vous semble absurde, que vous voyez bien l’absence totale de causalité, et inférez naturellement qu’on peut compter les consommations alimentaires des gens sur terre pour trouver probablement la plupart des nombres. Vous venez de refaire intuitivement et naturellement la même démarche que nous faisions dans l’article précédent. Si cette corrélation banane/cancer ne vous convainc pas, la numérologie ou la géométrie de LRDP ne devrait pas vous convaincre non plus.

II - Dé-cherry-picking

Là encore, cet exercice de géométrie est un bel exemple de cherry-picking, on nous montre les quelques tracés non-justifiés qui servent le propos du film, en faisant l’impasse sur tout le reste des tracés possibles. Nous allons tenter de reproduire la même méthode que celle du film, mais sans faire l’impasse sur une partie des données. Nous utiliserons pour cela un logiciel à la pointe de la technologie moderne : Paint [2].

A - Analyse du trait

Le trait rouge utilisé dans le film est plutôt large, et n’est pas très net, ses bords sont diffus et se fondent progressivement avec l’image. Nous allons donc considérer que le « cœur » de ce trait a une largeur de 9 pixels, marqués par une graduation noire ci-dessous (les Pixels bleus sont des repères pour faciliter le comptage des pixels) :

Je fais donc grâce au film des 4 à 5 autres pixels de plus en plus diffus de chaque côté du trait.

Au passage, après quelques prises de repères sur Google Earth, ce trait est large d’environ 10 mètres au niveau du sol, une taille un peu problématique puisque la tête du Sphinx est deux fois plus petite. Si j’essaye de respecter l’échelle du Sphinx de Gizeh cela donne quelque chose comme ceci :

Regardez, le trait intercepte exactement la tête du sphinx : tout est lié !

Cette bande très large qui assure d’atteindre son objectif n’est pas sans rappeler l’équateur penché du film, qui « passe » par une multitude de sites, à la seule condition de ne pas être un trait, mais une bande de 300 kilomètres de large. Voire 600 kilomètres si l’on s’échine à intégrer les fameux « Dogons du Mali » à l’exercice.

Toujours est-il que pour reproduire ce trait équivalent de 9 pixels de large, il faut utiliser un tracé de 11 pixels de large sur Paint 3D. Cela donnera bien 9 pixels de même couleur au centre du trait, et un pixel diffus de chaque côté pour adoucir le trait (c’est comme cela que fonctionne le logiciel).

B - Tracé

Je vais donc prolonger la méthode de LRDP. Nous utiliserons une version légèrement recadrée de l’image en éliminant la ville de Gizeh à droite et une partie du rien à gauche, et tout sera tracé en une couleur bleue absente de l’image d’origine.

Il s’agira :
 de projeter les bases des trois pyramides vers leurs quatre côtés et non vers un seul
 de prolonger dans les deux directions les côtés de chacune de ces projections.
 Il faut également tracer le second cercle, miroir de celui utilisé par le film, et tracer également une paire de cercles équivalents pour chaque couple de pyramides.
 Il faut tracer le triangle miroir de celui déjà proposé, ainsi que les couples de triangles équivalents reliant les pyramides deux à deux.
 Enfin, puisque le seul véritable élément assez évident de « géométrie du site » est le fait que les pyramides de Képhren et de Khéops partagent une diagonale commune, on trace également les diagonales des pyramides.

Cela donne cet illisible capharnaüm :

Cas 1, comme dans la bible

Vous excuserez le manque de lisibilité de l’exercice, en réalité cette petite étude sera uniquement quantitative et non qualitative, il faut simplement « faire masse », la précision ou la lisibilité n’est pas très importante, elle aura une faible influence sur les résultats tant que je m’en tiens à des choses proposées par LRDP.

Pour offrir une deuxième version de la chose, je peux également tracer les diagonales et les apothèmes de chaque pyramide et de chacune de leurs projections, rien de beaucoup plus complexe que d’avoir – comme dans le film – prolongé un côté d’une projection de la base d’une pyramide. Cela me donne ceci :

Cas 2, comme dans les montagnes pakistanaises

Oui, cela commence à devenir chargé. Il vaut mieux s’arrêter là avant que cela ne ressemble encore plus à un barbouillage de ma petite nièce lorsqu’elle avait 3 ans. Mais nous pourrions encore poursuivre sans trahir le film, par exemple en traçant des triangles de tailles intermédiaires, puisque le film faisait sans le justifier un triangle ayant 5 fois la taille de la Grande Pyramide, l’on pourrait également continuer à décaler des projections des bases de chaque pyramide latéralement, 2, 3, 4, 5 projections, on pourrait aussi tracer des droites entres le Sphinx et les sommets des pyramides, entre le Sphinx et les angles des pyramides et ainsi de suite. Comme pour l’article précédent, il n’est pas réellement possible d’être exhaustif, car il n’est pas réellement possible de savoir ce que le film se serait permis ou interdit d’utiliser comme figure du moment que cela menait au résultat voulu.

Vous pouvez comparer cette surcharge avec la version cherry-picking du film ici :

Cas 0, qui présentait Le Vrai Journal sur Canal +

Vous noterez par ailleurs qu’on voit nettement un halo rouge autour des traits bleus, montrant que j’ai bien tracé des traits plus fins que le film, l’estimation sera donc une estimation basse respectueuse de la méthode du film, et non une exagération.

C - Mesures

1 - Mesure Générale

Je cherche à comparer de manière chiffrée les différentes images. Puisque j’ai utilisé pour les figures une couleur qui n’existait pas sur l’image, je vais simplement compter, avec le logiciel gratuit – bien connu des enseignants et des chercheurs fauchés – Mesurim, le pourcentage de pixels de l’image ayant cette couleur (surligné en jaune fluo par le logiciel, pour que l’on reste dans le bon goût des dessinateurs de moins de 5 ans).

Commençons avec le tracé proposé par le film :

Nous lisons donc (souligné en rouge) que ce tracé cherry-pické couvre 3.56% de l’image.

En générant le Cas 1, soit de nombreux tracés permis par la méthode du film :

Nous passons à une couverture de 28.2% du plateau de Gizeh, soit environ 8 fois plus.
Et enfin avec le Cas 2 qui pousse un peu plus loin :

On frôle les 40% de couverture du site. Plus de 11 fois ce que nous montre le film.

Autrement dit, dans le cas 1, même avec un Sphinx qui mesurerait un seul pixel, il y aurait plus d’une chance sur quatre qu’il se retrouve sur un de ces tracés de la géométrie sacrée si on le plaçait totalement aléatoirement sur le site. Dans le cas 2, cela monte à 4 chances sur 10 que mon pixel se retrouve sur une de ces lignes.

2 - Mesure à l’échelle du Sphinx

Le Sphinx ne fait pas 1 pixel sur l’image, il avoisinerait plutôt les 90 par 18 pixels selon ce repère :

Malheureusement, je ne peux pas établir la proba de poser aléatoirement ce bloc sur le maillage du Cas 1 par exemple, en tout cas pas sans simulation ou bricolage compliqué. Cette donnée n’est pas accessible en manipulant la probabilité de poser un pixel aléatoirement, car la forme exacte du maillage devient indispensable à prendre en compte pour établir la probabilité d’y poser un bloc.

Pour expliquer le problème simplement, on peut prendre comme exemple le Cas 2 qui est un maillage très dense. Il y a 40% de pixels bleus à l’image. Si ces pixels étaient tous collés en un grand cadre bleu dans un coin de l’image, alors j’aurai 60% de chances de pouvoir poser mon Sphinx, sur les 60% restant de l’image, restés totalement libres. Mais si ces 40% de pixels bleus étaient très régulièrement répartis sur la surface de l’image, un point bleu tous les 2 ou 3 pixels, alors il serait totalement impossible de poser mon bloc de 90 par 18, et la probabilité de placer le Sphinx tomberait directement à 0. Je ne peux donc pas travailler uniquement avec des nombres sans tenir compte de la forme exacte du maillage.

C’est dommage oui…

Oui, oui, oui…

Pourquoi vous me regardez comme ça ?

Hoo… naaaan… j’ai pas envie….

Bon… c’est bien parce que c’est vous, j’le fais une seule fois parce que c’est pénible.

Nous allons découper sur le Cas 1, un « petit » Sphinx de seulement 79 x 17 pixels, soit un bloc de 1343 pixels (afin de toujours avoir les valeurs basses, qui ne vont pas spécialement dans mon sens). Nous effectuons le suivi d’un pixel précis de ce Sphinx. Il s’agira du pixel tout en bas à droite du « bloc Sphinx », un point particulier que les égyptologues académiques nomment « le petit orteil à la papatte droite ». Fort logiquement, chaque position possible pour cet orteil correspond à une position différente possible pour le Sphinx.Je vais colorier chacune de ces positions en vert.

Si je considère le Cas 1, voici en vert toutes les positions possibles sur l’image sans tenir compte du maillage :

Vous pouvez voir dans le coin en haut à gauche le « bloc Sphinx », puisque nous suivons le pixel le plus en bas à droite du bloc, il y a une bande tout à gauche et une bande tout en haut de l’image où il n’est pas possible de poser ce pixel (pas sans faire sortir partiellement le Sphinx de l’image). Il faudra donc recadrer chaque image en fin d’exercice pour éliminer ces deux bandes où le Sphinx ne peut pas être posé.

Ce grand cadre vert ne tenait aucun compte du maillage géométrique produit par la méthode LRDP dans le Cas 1. Nous allons reporter manuellement ce même Sphinx partout où il est possible de le placer sur l’image, en gardant sa taille et sans changer son orientation, mais en s’astreignant cette fois à ne le poser que là où il n’interceptera pas le maillage bleu :

C’est immonde n’est-ce pas ? Merci, merci, moi aussi j’aime beaucoup. Ces Sphinx ne sont pas collés aléatoirement, ils sont placés de manière à pouvoir facilement effectuer le suivi de l’orteil précédemment mentionné. Ils sont positionnés plutôt en haut et à gauche des espaces disponibles. Puisque le Sphinx est découpé directement sur le Cas 1 afin d’être certain d’être à l’échelle, il emporte avec lui une petite portion des lignes bleus qui le recouvraient, ce qui explique cet élégant effet « bug dans la matrice », mais comme il n’y aura pas à recompter les pixels bleus dans la suite de l’exercice, c’est sans importance. Cette image permet de tracer en vert à la main tous les espaces où l’orteil peut être posé sans que le Sphinx ne coupe le maillage bleu, cela donne ceci :

Notez que l’image est légèrement recadrée comme expliqué plus haut, et il n’y a ensuite plus qu’à compter (à nouveau) les pixels, verts cette fois :

Il y a donc seulement 12.7% de positions possibles pour le « petit » Sphinx sur le plateau de Gizeh qui ne sont pas reliables géométriquement aux pyramides (qui ne recoupent aucun trait bleu). Cela revient donc à 100 - 12.7 = 87.3% de positions qui correspondent à la « géométrie sacrée ». Et ces valeurs correspondent – c’était l’objectif – exactement à la probabilité que le Sphinx coupe ou non les maillages si on le pose aléatoirement sur l’image. Pour le dire autrement, le grand cadre tout vert de la première image, c’était l’intégralité des positions possibles du Sphinx, les 100%, et sur l’image juste au dessus, vous avez la portion de ces 100% qui n’est pas liée à la géométrie de LRDP, et c’est seulement 12.7%.

Si nous suivons l’évolution, nous avions 28.2% de chances qu’un Sphinx de 1 pixel bâti aléatoirement sur le plateau de Gizeh soit lié à la géométrie sacrée, et avec un Sphinx plus réaliste de 1343 pixels, nous passons à 87.3%.

De plus, j’attire votre attention sur les blocs de positions possibles du Sphinx en haut à droite de l’image, cela doit bien représenter un quart ou un tiers de la totalité de la surface disponible. Si vous revenez à l’image d’origine du Cas 1, vous constaterez que cette zone n’est pas sur le plateau de Gizeh mais en contrebas dans la ville.

Sur le Cas 1 on passe de 28.2% à 87.3%. Vous pouvez imaginer qu’avec le Cas 2, en partant de 40% avec un Sphinx d’un seul pixel, on doit sans difficulté frôler les 100% avec un Sphinx de taille réaliste. Même si je n’ai pas de moyen de connaître mathématiquement la valeur pour le Cas 2, il faut noter que le Cas 2 n’est qu’un prolongement du Cas 1 sur lequel le maillage a été encore resserré, la valeur sera donc obligatoirement supérieure à 87.3% (et de beaucoup à vue de pif).

3 - Mesure des intersections

Il est vrai que cette approche globale pourrait ne pas convaincre car le Sphinx tel que proposé dans le film n’intercepte pas moins de 3 lignes. Alors afin de pousser légèrement plus loin. Voici un comptage des intersections d’au moins deux lignes dans le cas 1 (le cas 2 étant assez illisible je n’ai pas essayé) :

Il y a donc 463 intersections d’au moins deux lignes (les intersections à la surface des pyramides n’ont pas été prises en compte).

Si l’on considère que la taille minimale d’une intersection entre deux traits de 9 pixels de large est de 9x9 = 81 pixels (lorsque les deux traits sont parfaitement perpendiculaires), cela représente une surface de 473 x 81=38 313 pixels d’intersection. Et cela représente 1.91% de cette image de 1505 X 1303 pixels.

Je rappelle que de nombreuses imprécisions se sont accumulées au fil de ces manips, imprécision des tracés, des positionnements du Sphinx, et enfin du coloriage en vert, le tout fait à la main en pleurant beaucoup parce que c’est chiant. Mais toutes ces imprécisions ont toujours été effectuées à l’avantage de LRDP, j’ai sous-estimé volontairement la largeur de mon trait, découpé un petit Sphinx, tartiné en vert en débordant de chaque côté du cadre d’un ou deux pixels très souvent. Bref, ces valeurs sont toujours des valeurs basses, sous-estimées à la faveur de ce qu’avance le film.

D - Incomplétude de la démarche

Cet exercice pourrait être poussé encore plus loin (moyennant quelques heures de bricolage méticuleux supplémentaires) et vous pouvez le faire si vous le souhaitez. Par exemple continuer jusqu’à placer un « bloc Sphinx » de taille réaliste sur le Cas 2 en s’interdisant de le superposer uniquement sur les intersections du maillage bleu, que l’on aurait préalablement comptées puis matérialisées par une couleur particulière.

Mais l’objectif ici n’était que de vous fournir (et de découvrir moi-même) les ordres de grandeur en jeu dans cette affaire.

E - Bilan

J’espère que ce but est atteint, que toutes ces petites manipulations parfois laborieuses vous auront permis d’envisager certains ordres de grandeurs et certaines probabilités. Il s’agissait simplement de montrer de manière générale que la probabilité de recoupement entre des tracés non-justifiés n’était pas du tout un fait exceptionnel ni même rare, mais au contraire, un événement hautement probable, et encore plus si on le cherche à tout prix. Car rappelez-vous que l’essentiel des valeurs données ici vous informent des possibilités en positionnant le Sphinx aléatoirement. Ce n’est pas du tout l’approche du film bien entendu, qui a fait des constructions géométriques avec l’objectif unique de recouper un Sphinx déjà présent à Gizeh, ce qui bien entendu ne s’exprime plus en probabilité, mais en niveau de manipulation du spectateur.

III - Le sphinx et les pyramides sont liés… et alors ?

Il claque ce titre non ? Je devrais m’arrêter là, lâcher le micro et partir sur un regard méprisant et dominateur.... et oui, j’ai un micro pour écrire.

Tout ce qui a été décortiqué ici c’est un moment extrêmement court du film, moins de 30 secondes. Ce passage est introduit par une phrase que j’aimerais comprendre avec vous :

[1:27:36] « Selon la théorie dominante – pourtant contestée par de nombreux géologues – le Sphinx aurait été construit après la grande pyramide et il n’y aurait donc pas de relation entre ces deux monuments, théorie à nouveau malmenée, par la géométrie du site cette fois »

A - Théorie dominante ?

Je m’arrête brièvement sur la formule « théorie dominante/contestée par de nombreux géologues » qui peut sembler un chouia contradictoire. En effet quand il y a une théorie qu’on se permet de qualifier de dominante, elle n’est, par définition, plus contestée par de nombreux chercheurs sérieux, sinon elle serait plutôt qualifiée de « discutée », « controversée » ou au pire « la mieux admise ». Cette formulation traduit simplement la dichotomie du film – et de l’archéologie alternative bien souvent – qui est de se décrire comme victime d’un système intellectuel sclérosé et tout puissant, de se victimiser pour gagner facilement une partie du public par une forme de sympathie très compréhensible pour les petits contre les géants. Mais il s’agit de faire cela tout en essayant de fournir des garanties pour asseoir sa crédibilité autant que possible. Cette phrase est le produit de ce tiraillement, les auteurs du film sont donc bien écrasés dans leur humilité et leur manque de reconnaissance par une théorie dominante, hégémonique, et pourtant clairement fausse, ce qui est la preuve que le système est pourri. Et ils ont également avec eux une partie notable de la recherche académique, ce qui est bien la preuve qu’ils ont raison.

Pour le formuler autrement, les archéologues romantiques rejettent en bloc tous les travaux de recherche du domaine et dénigrent les chercheurs en les qualifiant de menteurs ou de gardiens du temple. Mais si un jour un véritable chercheur va dans leur sens, alors ils sautent sur l’occasion de le glorifier, il devient un chercheur honnête respectable, qui dit le vrai, seul contre toute sa profession (toujours David contre Goliath). Il ne vous aura pas échappé qu’avec ce mécanisme, il est systématiquement impossible de modifier ses connaissances lorsque l’on se trompe. La qualité d’une recherche ou d’un chercheur n’est plus indexée sur la rigueur de son protocole, de ses déductions, la reproductibilité de son travail, mais uniquement sur le résultat qu’il obtient et auquel on souhaitait préalablement arriver. C’est le contraire de la démarche scientifique.

B - Construction ?

Fermons cette parenthèse, continuons notre phrase : « le Sphinx aurait été construit après la grande pyramide » suivi de « et il n’y aurait donc pas de relation entre ces deux monuments » … quelle étrange idée. Pourquoi un bâtiment construit après un autre justifierait une absence de relation entre les deux ? Dans ma rue, toutes les maisons n’ont pas été construites en même temps, loin de là, et pourtant elles sont toutes alignées face à la route. Elles sont toutes positionnées de manière cohérente, les unes par rapport aux autres, même si certaines sont vieilles de plusieurs siècles et d’autres de quelques décennies.

Notez que le premier tronçon de phrase utilise le verbe « construire », c’est assez impropre. Si je cherche des définitions, le verbe construire semble toujours lié à l’idée de faire quelque chose à partir de rien, ou à partir de plans, d’assembler des choses préexistantes en un lieu pour faire émerger une structure du néant. Il me semble que tout le monde s’accorde sur le fait que le Sphinx n’a jamais été amené là. Quand je constate les discussions enflammées qui peuvent naître à propos de l’acheminement des pierres du trilithon du temple rénové de Baalbek, qui font moins de 1000 tonnes, ou des colosses de Memnon qui font moins de 2000 tonnes, je déduis que si personne ne s’étonne de l’existence d’une sculpture de plus de 20 ou 10 fois la masse de ces objets, c’est qu’il est admis que le Sphinx n’a jamais été déplacé.

S’il n’a jamais été déplacé, il a été sculpté là sur une roche existante. Et si vous observez le Sphinx, vous remarquerez qu’il dépasse très nettement du sol, de plusieurs mètres, bien qu’il soit posé dans une cuvette. Autrement dit, le Sphinx a été fait sur un affleurement rocheux naturel, non seulement il n’a jamais été déplacé, mais il n’a à vrai dire jamais été placé. Il a été positionné selon les contraintes naturelles du site, en l’occurrence, la nécessité de sculpter à partir d’un promontoire rocheux qui dépasse nettement du sol. Cela permet peut être également de comprendre pourquoi le Sphinx n’est absolument pas orienté selon les points cardinaux, comme le sont la totalité des structures rectangulaires bâties sur le plateau de Gizeh : les sculpteurs ont dû composer avec la taille et la forme de la roche d’origine.

C - Antériorité assurée !

Mais s’il n’a pas été placé là, c’est bien la preuve que ce sont les autres monuments qui sont placés par rapport à lui, il est donc obligatoirement antérieur, CQFD, rebelotte et dix de der, Uno, Bonjour madame, perché, chat, soleil, sirop, pas l’droit d’retoucher son père et cochon qui s’en dédit !!

Raisonnement intéressant. Mais est-ce que LRDP nous montre vraiment que les pyramides sont placées par rapport au Sphinx ? Non, au contraire, il semble très clair que LRDP utilise de la géométrie pour nous montrer que le Sphinx est placé par rapport aux pyramides, et en aucun cas l’inverse. Le film place des repères à partir des bases et sommets des trois pyramides, et arrive laborieusement à recouper le Sphinx par ce moyen.

Pour que ce soit plus clair, essayons vraiment de construire ces figures mais dans le bon ordre logique :

 Comment placer la base de la grande pyramide à partir du Sphinx ? Il faut tracer un trait parfaitement orienté nord-sud, vers le nord. A une distance… aléatoire, du Sphinx, on colle à l’ouest du trait un grand carré de dimension… indéfinie, puis on le reporte une fois vers l’ouest, et cela nous donne l’emplacement le plus évident pour la grande Pyramide.

 En utilisant le cercle pour placer les sommets des deux plus grandes pyramides, ce n’est pas beaucoup mieux : on trace un cercle de rayon… indéterminé, qui passe par la tête du Sphinx en un point… quelconque, sans aucune orientation particulière selon les points cardinaux. Puis, dans ce cercle, on construis deux axes perpendiculaires qui eux sont alignés sur les points cardinaux, et nous permettent de trouver les sommets de mes deux pyramides par lesquels le cercle passera également.

 Et enfin, avec le triangle, c’est encore pire. On trace un segment d’un angle quelconque par rapport aux points cardinaux, d’une longueur totalement non-explicable, et qui passe par la tête du Sphinx, en un endroit totalement quelconque du segment. Puis on reporte ce segment afin d’obtenir un triangle isocèle dont deux angles seront les sommets de deux pyramides, et le troisième… du rien. S’il fallait un seul instant imaginer que le Sphinx a servi géométriquement à placer d’autres objets sur le plateau de Gizeh en utilisant un triangle, n’est-ce pas prodigieusement absurde d’imaginer que ledit Sphinx ne soit pas du tout sur un des angles dudit triangle ?

Le film ne s’y est pas trompé en nous proposant de placer le Sphinx à partir des pyramides, le contraire aurait été absurde et encore moins solide. Mais alors si la géométrie du site proposée directement dans le film aurait justement tendance à montrer une postériorité du Sphinx, cela voudrait dire que le Sphinx a été placé par rapport aux pyramides… mais nous venons de voir plus haut que le Sphinx n’avait pas été « placé » avec précision. Comment déterminer une antériorité avec ça ?

Il va falloir vous résoudre à accepter que tous ces bâtiments sont (de manière générale) placés un peu aléatoirement, en s’accommodant de la topographie du site, et que des tracés géométriques aléatoires n’ont jamais servi à établir l’antériorité d’une construction par rapport à une autre. Il faudra comprendre également que les correspondances géométriques que l’on observe dans le film ne sont pas des surprenantes coïncidences fortuites qui doivent donc avoir un sens caché, mais bien des coïncidences forcées, cherchées par tous les moyens afin de vous vendre des fadaises, et c’était bien là l’objectif de nos barbouillages bleus, et jaunes, et rouges (et paraboliques et vice et versa) que de déconstruire ces fadaises. Si cela vous semblait convaincant, vous aviez à la fois raison et tort, car oui ces bâtiments ne sont pas placés au hasard, mais pour autant personne n’a vraiment choisi de les positionner où ils sont. Car c’est la topographie qui a décidé pour les bâtisseurs, avec le besoin d’un gros rocher affleurant pour faire un Sphinx, et le besoin de collines rocheuses de bonne taille pour poser les deux grandes pyramides.