Ancient Apocalypse : Netflix soutient la pseudo-archéologie de Hancock
Article mis en ligne le 1er décembre 2022

par Alexis Seydoux

Depuis quelques jours, la plateforme américaine Netflix diffuse une série documentaire en huit épisodes appelée À l’aube de notre Histoire dans sa version française et Ancient Apocalypse dans sa version anglo-saxonne, titre qui correspond mieux au propos de l’auteur [1].

Cette série est placée haut dans les classements de Netflix. Elle est en revanche très largement critiquée par les scientifiques, archéologues et historiens qui sont nombreux à avoir publié des articles très critiques [2]. À juste titre, tellement l’auteur prend de libertés avec les connaissances acquises et les méthodes de la recherche ; à juste titre également, tellement l’auteur se place au-dessus des chercheurs, archéologues, historiens, géologues, pour servir un récit imaginaire fondé sur ses « propres recherches » ; à juste titre encore, tellement, encore, l’auteur construit un récit complotiste et raciste, déniant aux civilisations anciennes leurs cultures et leurs civilisations et donnant à croire que « l’establishment académique » cherche à cacher « la vérité ».

Il nous faudra revenir en détail sur les huit épisodes de cette série afin de démonter chacun des arguments qui ont été développés. Ici, nous voulons juste mettre en avant les biais généraux de cette série.

Graham Hancock est né en 1950 à Édimbourg. Journaliste de formation, il a commencé à écrire des ouvrages concernant les « mystères du monde », mais rapidement qualifiés de pseudo-scientifiques. Le premier, The Sign of the Seal, est paru en 1992. À partir de 1995, avec son ouvrage The Fingerprints of Gods, The Evidence of Earth Lost Civilisation, il pose son hypothèse : le monde a connu une civilisation sage et avancée, qui a disparu dans un cataclysme [3]. Les autres essais, écrits seul ou en collaboration, ne font que reprendre cette hypothèse [4]. Il participe également à des émissions de télévision, notamment sur la chaine Gaïa. La série Ancient Apocalypse est la formalisation de ses hypothèses.

Nous verrons d’abord qu’il ne s’agit nullement de nouvelles hypothèses, mais au contraire d’idées très anciennes, qui s’appuient sur une rhétorique de rupture, et qui formulent un message d’antiscience.

Ancienne théorie

Pour l’auteur, il reste des traces et des messages de cette ancienne civilisation, qu’il faut savoir décrypter. Pour le montrer, il se rend sur quelques sites, comme Gunung Padang en Indonésie (épisode 1), ou la formation rocheuse de Bimini, près de l’archipel des Bahamas (épisode 4), ou les sites maltais (épisode 3), sans oublier le site turc de Göbekli Tepe (épisode 5). Notons que sur les huit épisodes, la moitié sont choisis sur le continent américain, sans doute plus familier du public de Netflix.

L’idée d’une civilisation mère des autres est en fait très ancienne. Elle existe depuis les débuts de la pseudo-archéologie. Elle répond à la double volonté d’apporter une explication globale à la naissance de la civilisation, et d’en donner une origine unique. Dès 1882, Ignatius Donnelly publie un ouvrage, Atlantis, The Antediluvian World, qui met en avant cette hypothèse [5]. Elle est reprise par Helena Blavatsky, notamment dans The Secret Doctrine [6], ou par James Churchward [7], ou en France par Robert Charroux [8]. Graham Hancock n’invente rien, il reprend des hypothèses qu’il cite d’ailleurs dans ses ouvrages [9]. Et comme eux, ce choix d’une civilisation mère, Atlantis, Mu ou Hyperborée, distille un discours raciste, niant aux Indonésiens, aux Amérindiens ou encore aux Maltais leur propre culture au profit d’une culture avancée unique.

Rhétorique

Les documentaires reposent sur deux arguments : la recherche de sites négligés par les archéologues, et l’utilisation de nouvelles techniques d’investigation. Graham Hancock indique dès le départ qu’il va lui sur les sites que les archéologues délaissent (épisode 1). Ainsi, les sites de Gunung Padang en Indonésie et de Bimini au large des Bahamas, ou encore au Serpent Mound aux États-Unis : chaque fois, Graham Hancock répète que les archéologues devraient prendre en compte ses analyses, même si ces dernières ne s’appuient sur aucune source. Cette approche est déjà employée par d’autres pseudo-archéologues, à commencer par Robert Charroux ou Erich van Däniken qui exploitent ainsi les pierres d’Ica ou le Chandelier de Paracas [10]. Graham Hancock ne fait que répéter les méthodes de ses prédécesseurs : inventer des mystères et des théories qui ne s’appuient sur rien, sauf les affirmations de leur auteur. Cette rhétorique est fallacieuse : elle ne repose pas sur une analyse des sources, mais sur la répétition d’arguments vides – un mille-feuille argumentatif – et sur le choix de quelques sites spécifiques – un cherry-picking.

Le tout est mis en image : les épisodes sont présentés comme si on suivait directement le chercheur qui se met en scène, ajoutant ici et là des phrases d’ordre métaphysique comme « dans ce site, je me rends compte de ma petitesse. Je suis comme un nain dans l’ouvrage de géants » (épisode 3, 00 :03 :40). On est ici dans le chercheur providentiel qui, seul, révèle les mystères du monde, et loin de ce qu’est la recherche qui se penche sur l’analyse des sources.

C’est cette posture de chercheur solitaire qui découvre les mystères du monde qui est dangereuse, car il s’enfonce dans la pseudo-science et la critique du monde de la recherche.

Graham Hancock ne veut pas être considéré comme un archéologue, mais comme un journaliste et comme un enquêteur. Dans le premier épisode, il lance une tirade contre les archéologues et les scientifiques engoncés dans leurs certitudes, enfermés dans leur conformisme et leur incapacité à s’ouvrir à de nouvelles hypothèses. Car il ne doute jamais : sa méthode est la seule bonne, et si elle n’est pas admise, c’est à cause de la fermeture des archéologues. Ce discours est toujours le même et Graham Hancock aurait pu recopier plusieurs passages des ouvrages de Robert Charroux. Cette attaque contre les archéologues et les sachants permet à Graham Hancock de se placer comme un génie innovateur, qui sait découvrir en dépit de la fermeture des chercheurs : c’est le syndrome de Galilée.

Et ce qui lui donne raison, c’est le dépassement des techniques ou des disciplines. Dès le premier épisode en Indonésie, Hancock vient avec une équipe de géologues qui se servent d’un radar de surface, car il s’affranchit des conventions et sait utiliser les techniques les plus avancées pour découvrir la « Vérité ». C’est ici une sorte d’argument de nouveauté qui est mis en avant, oubliant de dire que ces techniques sont déjà employées en archéologie et que leurs résultats dépendent de multiples facteurs. De même, il s’appuie sur des « experts » en dehors des cercles classiques, même si leurs compétences sont plus que discutables. Pour explorer les formations géologiques de Bimini, Graham Hancock plonge avec un biologiste marin (épisode 4).

L’auteur construit tout un récit dans lequel, épisode après épisode, il tente de nous montrer la logique de son hypothèse : l’existence d’une civilisation ancienne détruite par une catastrophe, mais ignorée des archéologues et des autorités et que lui seul sait révéler. En réalité, le discours est trompeur : il part de ses conclusions qu’il tente de confirmer en instillant le doute et en égrenant un mille-feuille d’arguments choisis avec soin. Ce discours le place volontairement en opposition à la science, pour se parer d’une aura de découvreur miraculeux. Comme nous l’avons vu ici, cette posture est mensongère, car d’une part, il ne fait que reprendre des hypothèses très anciennes, d’autre part son raisonnement est biaisé.

Un tel discours est très dangereux. Il met en doute le processus collectif de la recherche scientifique, au profit d’un découvreur qui s’affranchit des méthodes de la science : lui-même. Il remet en cause le consensus scientifique, sans apporter de preuves, mais en dénonçant un véritable complot des archéologues et des historiens contre la « Vérité ». Enfin, il met en avant l’idée d’une civilisation unique et mondiale, discours raciste s’il en est, car il dénie aux populations locales leur histoire et leur culture.

Si ce discours était celui d’un homme sans audience, il n’y aurait même pas à répondre. Mais, le fait d’une part, qu’une plateforme comme Netflix le diffuse mondialement comme un documentaire scientifique, et d’autre part que de nombreux pseudo-chercheurs comme Patrice Pouillard, Bleuette Diot ou encore Anton Parks diffusent un tel discours complotiste, antiscientifique et raciste, oblige les chercheurs à y répondre.