« La Révélation des Pyramides » : les références de Jacques Grimault - I
Première partie
Article mis en ligne le 2 juin 2013

par Irna

Jacques Grimault, l’auteur à l’origine du film La Révélation des Pyramides, est souvent présenté comme un érudit, ayant passé 40 ans de sa vie à étudier les pyramides et l’Egypte ancienne. Dans le film lui-même, tout est fait pour renforcer cette impression : l’auteur, sous son appellation « d’informateur » anonyme, est présenté dans le cadre d’une riche bibliothèque (vers 1h 00mn 10s), manipulant à plusieurs reprises des livres anciens.

Par ailleurs, l’auteur est très critique vis-à-vis des égyptologues, dont il récuse facilement les conclusions. Ainsi, à 1h 00mn 10s, par la voix de la narratrice :

Tout d’abord revenons un peu en arrière, quand mon informateur me conseilla de me renseigner sur ce qui avait été dit sur la Grande Pyramide dans le passé. L’égyptologie reprochait souvent aux chercheurs indépendants de ne pas être assez rigoureux. Je découvris cependant qu’elle oubliait de nous préciser certaines choses concernant ses sources.

Il m’a donc paru intéressant d’essayer d’en savoir un peu plus sur les sources de Jacques Grimault lui-même, dont il donne rarement le nom. Quels égyptologues a-t-il lus ? Sur quoi s’appuie-t-il pour laisser entendre que l’égyptologie manquerait de rigueur, oublierait de « préciser certaines choses » ? Le film, bien évidemment, ne donne pas de bibliographie ; mais on y voit régulièrement apparaître des pages de livres, aux moments cruciaux du discours de l’auteur, livres dont on peut supposer qu’ils font partie des références de Jacques Grimault.

Les « thèses de l’égyptologie »

Commençons par le début du film : à 2mn 28s du début de la vidéo, la narratrice nous annonce qu’elle va « sérieusement mettre à mal l’histoire de l’Egypte ancienne telle qu’on nous la raconte habituellement ». Puis, après avoir passé en revue les « huit principales prouesses accomplies par les bâtisseurs pour la construction de la Grande Pyramide », elle affirme, à 8mn 42s :

Je vais repartir du début, quand je croyais encore que les thèses de l’égyptologie reposaient sur des faits concrets, et surtout prouvés. J’étais loin du compte.

Ce discours est accompagné d’une succession de vues montrant des pages de livres, parmi lesquels on peut en reconnaître quelques uns :

Cette gravure, intitulée « Pyramides de Memphis. Vue générale des Pyramides et du Sphinx, prise au soleil couchant », a été exécutée par le graveur Louis-Pierre Baltard, d’après un dessin aquarellé de Charles-Louis Balzac probablement réalisé en décembre 1799 :

Balzac ; Les pyramides de Memphis, le Sphinx, au soleil couchant.

Cette gravure fait partie du volume V des planches consacrées à l’Antiquité de l’oeuvre monumentale Description de l’Égypte, ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l’expédition de l’Armée française réalisée suite à l’expédition d’Egypte de 1798, et publiée à partir de 1809. Le texte complet des 9 volumes de texte et 11 volumes de planches a été numérisé par la Bibliotheca Alexandrina ; une partie des planches est également disponible sur le site http://description-egypte.org/, et le lecteur pourra y retrouver la planche 8 qui figure dans le film :

Description Volume V Planche 8

Le deuxième ouvrage reconnaissable est celui-ci :

Intitulé Recherches critiques, historiques et géographiques sur les fragments d’Héron d’Alexandrie, il s’agit d’un ouvrage de Jean-Antoine Letronne, épigraphiste et philologue français de la première moitié du XIXème siècle, successeur de Champollion à la chaire d’archéologie du Collège de France. Ce livre, publié en 1851, est en fait une édition posthume d’un mémoire de jeunesse de Letronne, écrit en 1816 et couronné la même année par l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Largement revu par son éditeur A.J.H. Vincent, l’ouvrage discute les relations entre mesures grecques, romaines et égyptiennes, à partir des fragments connus à l’époque [1] de l’oeuvre du mathématicien grec du 1er siècle Héron d’Alexandrie.

Le film présente ensuite une planche extraite d’un troisième ouvrage :

Il s’agit cette fois de la planche XIV, intitulée « Early Egyptian Stone Cutting - Specimens of Sawing, Drilling and Turning ; From Gizeh, etc. », de l’ouvrage The pyramids and temples of Gizeh, par W.M. Flinders Petrie, publié en 1883 :

Flinders Petrie Planche XIV

Les « thèses de l’égyptologie » évoquées par ce passage du film semblent donc assimilées, pour Jacques Grimault, aux thèses du XIXème siècle. Certes les ouvrages évoqués, en particulier la Description de l’Egypte et le travail de Flinders Petrie, sont des monuments de l’égyptologie, mais de l’égyptologie balbutiante  ! Imaginerait-on quelqu’un critiquer la physique moderne en dénonçant les insuffisances d’Ampère ou Gay-Lussac, ou rejeter la chirurgie du XXIème sur la base du taux de mortalité chirurgicale au XIXème siècle ?

Ile de Pâques

Un peu plus loin dans le film, à 34mn 28s, nous sommes maintenant sur l’île de Pâques, et la narratrice nous annonce :

Pour résumer l’histoire officielle, les Pascuans sont les descendants d’un groupe de Polynésiens, qui, au terme d’un voyage de 4000 km en pirogue, se sont établis sur l’île qu’ils ont baptisée du nom de Rapa Nui, « le nombril du monde ». Ici aussi nous sommes face à des suppositions [...].

A nouveau, pour résumer cette théorie de « l’histoire officielle », on nous montre quelques pages d’un livre dont le titre n’est pas donné :

Ces pages proviennent d’un livre intitulé L’Ile de Pâques et ses mystères : La première étude réunissant tous les documents connus sur cette île mystérieuse, écrit par Stéphen-Charles Chauvet, dit Dr Stéphen-Chauvet. Cet ouvrage, publié en 1935, n’est à ma connaissance pas disponible au format numérique sur internet. Par contre une excellente traduction anglaise a été mise en ligne, comprenant également toutes les planches de l’original. Les deux planches montrées dans le film sont les planches 10 et 11 :

Stéphen-Chauvet Planche 10
Stéphen-Chauvet Planche 11

Le même ouvrage de Stéphen-Chauvet est à nouveau utilisé un peu plus loin dans le film : à 37mn 20s, l’illustration montrant des symboles rongo-rongo est la planche 55 du livre :

Stéphen-Chauvet Planche 55

Il faut noter que le Dr Stéphen-Chauvet, source de « l’histoire officielle » de l’île de Pâques selon Jacques Grimault, n’était ni historien, ni archéologue, ni anthropologue ; c’était un collectionneur passionné de ce qu’on appellerait aujourd’hui les « arts premiers » et qu’on appelait au début du XXème les arts « primitifs » ou « indigènes », mais qui n’a jamais mis les pieds dans l’île de Pâques. Son ouvrage est une compilation de récits des premiers visiteurs de l’île, qui vaut surtout par le nombre et la qualité des illustrations qu’il a réunies, à une époque où il y avait encore peu de publications disponibles sur l’île. L’ouvrage, entaché de nombreuses erreurs et de spéculations infondées de l’auteur (voir la préface de Shawn McLaughlin à la traduction anglaise), peut difficilement être considéré comme une référence scientifique sur l’île de Pâques. Par ailleurs Stéphen-Chauvet, élève de Charles Richet, s’est intéressé comme ce dernier au paranormal ; il a ainsi publié dans le Bulletin de l’Institut Métapsychique International fondé par Richet un article intitulé « Les possibilités mystérieuses de l’homme » portant sur ses expériences avec un « clairvoyant ». En ce qui concerne l’île de Pâques, il fait siennes les idées, aujourd’hui discréditées, de Guillaume de Hevesy sur les similitudes entre les symboles rongo-rongo et ceux de la vallée de l’Indus, et il en tire des conclusions aventureuses sur les migrations des Pascuans depuis l’Asie de l’ouest. On peut également noter qu’il cite, dans sa bibliographie, un ouvrage de Mme Blavatsky, la fondatrice de la théosophie à l’origine du mythe moderne de l’Atlantide et de la Lémurie. Par ailleurs, le fait que Jacques Grimault considère Stéphen-Chauvet comme une référence n’est peut-être pas vraiment surprenant : ce dernier a en effet publié (voir la bibliographie de son ouvrage) un article intitulé « Les origines mystérieuses des habitants de l’Ile de Pâques » dans le numéro 45 de la revue Atlantis en 1933 ; dans ce même numéro consacré à la « Lémurie », Paul Le Cour, fondateur de la revue et de l’association Atlantis dont Jacques Grimault fut plusieurs années le président, publiait également un article sur « Les tablettes hiéroglyphiques de l’Ile de Pâques » :

Quoi qu’il en soit, même à l’époque de Stéphen-Chauvet on disposait déjà de travaux un peu plus sérieux sur l’île de Pâques, par exemple les publications de Henri Lavachery suite à l’expédition Métraux-Lavachery de 1934-35. Le lecteur désireux de se faire une idée des connaissances actuelles sur l’île et son archéologie pourra se référer entre autres à la bibliographie en annexe de la traduction anglaise de Stéphen-Chauvet.

Andes

On passera très vite sur l’épisode andin, qui montre très brièvement (42mn 35s) une page d’un livre qui semble être Cusco Forever de Mallku Aribalo :

Le seul problème ici est que l’auteur, Mallku Aribalo, présenté dans le film comme « écrivain, chercheur et historien » ou « chercheur andin », n’a rien d’un scientifique : il se présente comme « shaman » inca, auteur de plusieurs livres initiatiques, et guide spécialisé dans le tourisme New Age à Cuzco et Macchu Pichu ; il tient également à Cuzco un restaurant « shamanico-végétarien » où le touriste peut aller digérer son quinoa tout en participant à une cérémonie shamanique.

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