Equateur penché ?
Article mis en ligne le 19 août 2013

par Irna

Comme le lecteur, s’il a vu le film La Révélation des Pyramides, ne l’ignore pas, une des idées maîtresses exposées par les auteurs, Jacques Grimault et Patrice Pooyard, est celle de l’existence d’un "équateur penché", incliné de 30° par rapport à l’équateur terrestre, qui relierait entre eux quelques uns des principaux "sites sacrés" de la planète.

On ne rentrera pas ici dans le détail de tous les problèmes que pose cette idée : lien entre des sites d’âge complètement différent, flou des critères de définition des sites à retenir, sites importants ignorés, pôle de cet "équateur penché" assimilé par Jacques Grimault au pôle géomagnétique, alors que le pôle géomagnétique réel en est à plusieurs milliers de kilomètres [1]... Ce qui m’intéresse ici est plutôt la réaction de certains "fans" du film, qui ont cru trouver dans deux sculptures, l’une située au musée océanographique de Monaco et l’autre dans le jardin des Grands Explorateurs avenue de l’Observatoire à Paris, confirmation de l’existence de cet "équateur penché", et indice peut-être d’un complot ou d’une transmission secrète de connaissances occultes.

La discussion en question a lieu sur le forum consacré au film, ou un intervenant reproduit des photos postées sur un autre forum. Immédiatement la bande inclinée qui traverse le globe sur la photo est assimilée à "l’équateur penché", et l’on soupçonne, tout en précisant qu’on ne souhaite pas "crier au complot", une explication occulte, tellement "ça semble incroyable" ; de même, sur le fil de discussion originel, il n’y a "pas de doute possible" sur l’identité de cette bande inclinée avec l’équateur penché du film.

La bande inclinée en question, qui donne des "frissons" à un commentateur sur la page Facebook des auteurs, se trouve sur un globe terrestre sculpté [2] sur le toit du musée océanographique à Monaco :

Comme on peut le voir, "l’équateur penché" figuré sur ce globe est en réalité le zodiaque, c’est-à-dire les 12 (selon les astrologues) ou 13 (selon les astronomes) constellations que le soleil semble parcourir au cours d’une année. La disposition "penchée" du zodiaque n’est pas le résultat d’un hasard - et encore moins l’effet d’un complot ou de la transmission occulte de connaissances antédiluviennes : elle est tout simplement le résultat de la géométrie du système Terre/Soleil.

La Terre est animée d’un mouvement de rotation : c’est ce mouvement, responsable de l’alternance jour/nuit, qui permet de définir deux pôles (les deux extrémités de l’axe de rotation) et un équateur (le grand cercle qui est à égale distance des deux pôles). Le deuxième mouvement de la Terre est le mouvement de révolution annuelle autour du soleil ; ce mouvement, comme pour presque toutes les autres planètes du système solaire, se fait sur un plan, appelé le plan écliptique ou plan de l’écliptique :

L’axe de rotation (axe des pôles) de la Terre n’est pas vertical par rapport à ce plan écliptique, mais légèrement incliné, c’est-à-dire que le plan de l’équateur et le plan écliptique ne sont pas confondus : l’angle entre ces deux plans est de 23° 27’.

Si maintenant on se place du point de vue géocentrique, et qu’on imagine le ciel comme une sphère céleste au centre de laquelle se trouve la Terre (position géocentrique bien utile pour représenter les astres tels qu’on les voit de la Terre), on peut définir :
 des pôles célestes dans le prolongement des pôles géographiques terrestres ;
 un équateur céleste correspondant au cercle où le plan de l’équateur terrestre intersecte la sphère céleste ;
 et un écliptique correspondant au cercle où le plan écliptique intersecte la sphère céleste :

Bien évidemment, l’équateur céleste et l’écliptique ont entre eux le même angle de 23° 27’.

Comme la Terre tourne autour du Soleil sur le plan écliptique, le trajet du Soleil vu de la Terre au cours d’une année nous apparaît donc comme suivant l’écliptique, et les constellations zodiacales, qu’on les prenne au sens de l’astrologue ou au sens de l’astronome, sont donc celles qui se situent à cheval sur l’écliptique :

Sur les représentations usuelles de la Terre ou de l’ensemble Terre/soleil, le plan écliptique est habituellement confondu avec l’horizontale, et du coup l’axe des pôles est incliné ; mais parfois, comme c’est le cas sur la représentation ci-dessus, l’axe des pôles est placé verticalement. Dans ce cas, l’écliptique forme un cercle incliné à 23° 27’, et le zodiaque forme une bande avec la même inclinaison, qui n’a donc rien à voir avec un quelconque "équateur penché" à 30°.

Aucun mystère donc avec le globe de Monaco et sa représentation zodiacale ; la seule chose un peu inhabituelle ici, c’est d’avoir représenté l’écliptique et le zodiaque directement sur la planète. Inhabituel, mais pas unique, si j’en juge par exemple par ce globe scolaire fabriqué en 1964 où un cercle bleu correspondant au plan écliptique est tracé directement sur le globe, avec un angle de 23° 27’ par rapport à l’équateur :

ou ces globes anglais du XVIIIème siècle du Royal Museum de Greenwich :

La deuxième sculpture qui "donne des frissons" provient de la Fontaine Carpeaux, dite "Fontaine des Quatre Parties du Monde", installée en 1874 avenue de l’Observatoire à Paris :

L’explication de cette sculpture est exactement la même : un zodiaque incliné de 23° 27’ par rapport à l’horizontale parce que le sculpteur a choisi de représenter l’axe des pôles à la verticale. La seule différence est que cette fois le zodiaque n’est pas représenté sur le globe, mais à l’extérieur, c’est-à-dire sur la sphère céleste :

Cette sculpture est en fait la représentation schématique d’une sphère armillaire - un des symboles de l’astronomie, tout à fait adapté pour l’avenue de l’Observatoire ! [3]

Une sphère armillaire, même dans sa version la plus simple, est composée :
 d’un cercle horizontal fixe et d’un demi-cercle vertical orientable, permettant de calculer les coordonnées horizontales d’un astre (ou coordonnées locales, puisqu’elles sont liées à l’horizon local de l’observateur) ;
 un ensemble central mobile comprenant la Terre et divers cercles métalliques permettant d’utiliser deux systèmes de coordonnées pour les astres : coordonnées équatoriales, où les références sont les pôles et l’équateur célestes ; et coordonnées écliptiques, utilisant le plan écliptique comme référence.

Toute sphère armillaire va donc comporter l’axe des pôles, des méridiens célestes et l’équateur célestes, ainsi que l’écliptique, soit sous forme d’un simple cercle, soit sous forme de la bande zodiacale :

Bien évidemment, comme la partie centrale est mobile (pour régler la sphère en fonction du lieu où on se trouve), l’axe des pôles peut prendre toutes les positions ; il suffit de le régler à la verticale (comme si on était au pôle), et on se retrouve avec un "équateur penché" - pardon, un écliptique incliné de 23° 27’ :

Cette représentation d’une sphère armillaire à l’écliptique incliné n’est pas inusuelle ; elle est même particulièrement fréquente au Portugal, où elle figure sur les armoiries du pays (ainsi d’ailleurs que sur l’ancien drapeau brésilien), par référence aux grands navigateurs du XVème siècle :

et où elle est utilisée comme élément de décoration dans de très nombreux monuments :

Monastère de Batalha, Estramadure
Monastery of Batalha, Estremadura - Source
Praça do municipio à Lisbonne
Praça do municipio in Lisbon - Source
Cloître du couvent Notre-Dame de la Conception à Beja (Alentejo)
Cloister of the Convent of Our Lady of the Conception in Beja (Alentejo) - Source
Tour de Belem à Lisbonne
Belem Tower in Lisbon - Source

et même... portée en pendentif :

Ou bien faut-il supposer que le Portugal (qui n’est pourtant pas sur "l’équateur penché" !) est l’héritier occulte de la civilisation des "Bâtisseurs" chers à M. Grimault ? Celui-ci en tout cas, depuis le mois de mai où ces fameuses photos ont été publiées sur le forum LRDP, ne s’est pas donné la peine d’intervenir sur le sujet et de corriger la confusion faite par ses admirateurs...