Cadavres de monstres et incroyables momies extraterrestres : comment les reconnaître ? I
Article mis en ligne le 27 janvier 2019

par Maxence Ducros

Je reproduis ici, avec l’accord de leur auteur, une série d’articles publiés par Maxence Ducros sur la page Clever Science sur Facebook. Maxence Ducros est un spécialiste en paléontologie des vertébrés, qui consacre actuellement son temps à un projet de vulgarisation scientifique visant à transmettre des outils critiques et à encourager la curiosité pour les sciences.

Partie 1 : Généralités sur la méthode à adopter

Vous êtes amateur de mystère ? Vous avez très envie d’être témoin de découvertes extraordinaires ? Vous êtes convaincu que nous ne sommes pas seuls dans l’univers ?

Si oui, nous avons des points communs… mais vous êtes-vous déjà demandé comment aborder l’annonce de la découverte d’un corps d’extraterrestre ? A quoi on reconnaîtrait sa condition d’alien ? Comment vous feriez la différence entre le corps en putréfaction d’un animal bien connu et celui d’un Chupacabra ? Des sceptiques ou des tenants de l’explication extraordinaire, en qui auriez-vous confiance ? Faire confiance en ceux qui semblent savoir de quoi ils parlent, c’est bien, mais les croyez-vous parce qu’ils disent vrai, ou parce qu’ils prétendent ce que vous rêvez d’entendre ou voulez nier ?

Dans cette série d’articles, je vais vous donner les trucs à savoir et les techniques à appliquer en cas de doute sur la nature ou l’origine d’un corps étrange. Avec ces astuces, vous ne vous contenterez pas de croire ce qu’on vous dit : vous apprendrez à savoir si ce qu’on vous montre est vraiment extraordinaire ou si on se moque de vous.

L’article qui suit présente des généralités sur l’attitude critique à adopter face à des thématiques sortant de l’ordinaire.

La méthode rationnelle

Pour savoir à quoi on a affaire, il convient d’avoir une approche sceptique. C’est la base pour ne pas se faire manipuler. Mais attention, il est question de scepticisme scientifique. Etre sceptique, ce n’est pas tout nier en bloc.

La méthode scientifique consiste à faire des observations, les expliquer par des hypothèses et tester les hypothèses pour éliminer celles qui échouent à expliquer les observations.

Attention : toutes les hypothèses ne se valent pas. On préfère généralement les hypothèses les plus parcimonieuses, c’est à dire, celles qui nécessitent le moins de conditions à remplir pour être vraies et donc qui sont les plus probables. Ce sont celles qu’on va tester en priorité
Si une hypothèse résiste à la mise à l’épreuve, elle est validée par l’expérience.

Une hypothèse validée par l’expérience est considérée comme vraie jusqu’à preuve du contraire et acquiert le statut de théorie (attention de ne pas confondre hypothèse et théorie).

Il y a deux choses à retenir de cette définition : la réfutabilité des hypothèses et le principe de parcimonie.

Pour être testée scientifiquement, et donc de manière rationnelle, une hypothèse doit être réfutable, c’est à dire que si elle est fausse, on doit pouvoir le prouver.

Et c’est là que la notion de scepticisme intervient : pour tester scientifiquement une hypothèse, on ne doit pas chercher à prouver qu’elle est vraie mais à prouver qu’elle est fausse. En effet, on ne veut pas défendre l’hypothèse, mais connaître la vérité et donc voir si l’hypothèse est solide.

1 - Réfutabilité et appel à l’ignorance

Lorsque se pose la question de la réfutabilité d’une hypothèse, il est primordial d’avoir conscience de la notion de “charge de la preuve”.

La charge de la preuve correspond à l’obligation de celui qui fait l’affirmation de la prouver.
Dans le cas où celui qui affirme demande à ce qu’autrui prouve qu’il a tort, on a affaire à un renversement de la charge de la preuve, ce qui est un argument fallacieux : vous ne pouvez pas prouver que j’ai tort, donc j’ai raison ; vous ne pouvez pas prouver que la licorne rose invisible n’existe pas, donc elle existe…

Souvent, le renversement de la charge de la preuve est lié à un autre biais d’argumentation : l’appel à l’ignorance.

Exemple  : Je pense que le mégalodon vit encore dans les abysses car on ne connaît que peu le fond des océans.

Dans cet exemple, il est supposé que le mégalodon n’a pas disparu… mais sur la base de lacunes et non de preuve. Du coup, sur la base de lacunes plutôt que de preuve, on peut très bien remplacer “mégalodon” par tout et n’importe quoi (animal marin fossile quelconque, Kraken, Atlantide, Bob l’éponge…), il devient alors facile de comprendre pourquoi cet argument n’est pas recevable : un doute n’est pas une preuve.

2 - Parcimonie et force des preuves

Le poids des preuves doit être proportionné à l’étrangeté des faits

Pierre-Simon de Laplace

Extraordinary claims require extraordinary evidence

(Les affirmations extraordinaires demandent des preuves extraordinaires)
Carl Sagan

What can be asserted without evidence can also be dismissed without evidence

(Ce qui est avancé sans preuve peut être rejeté sans preuve)
Christopher Hitchens

Ce qu’il faut comprendre de ces phrases :

 plus une affirmation sort de l’ordinaire, plus il est légitime et nécessaire d’exiger des preuves, et plus il est important que ces dernières soient solides

 pas de preuve = pas de raison de croire

Les questions à se poser :

 Si c’est vrai, est-ce incroyable ?

 Quel niveau de doute vous semble acceptable pour envisager l’incroyable ?

 Quelle place est laissée au doute par les preuves qu’on vous présente ?

 Une hypothèse alternative plus parcimonieuse est-elle envisageable ?

Mise en pratique :

Affirmation 1 : J’ai un chat.

 probabilité : élevée, il n’y a rien d’exceptionnel à avoir un chat

 niveau de doute acceptable / niveau de preuve exigé : il est raisonnable de le croire sur parole, un niveau de preuve très faible est suffisant

 place laissée au doute : la preuve acceptée est très faible (anecdote personnelle), mais l’affirmation a une exigence de preuve très faible, un niveau de doute élevé est donc acceptable

 alternative : la personne n’a pas de chat, mais prétend en avoir un : bien que ça reste probable, les mythomanes sont moins fréquents que les propriétaires de chats

Affirmation 2 : J’ai un chat qui parle.

 probabilité : c’est du jamais vu, c’est extraordinaire, c’est donc hautement improbable

 niveau de doute acceptable : il n’est pas raisonnable de croire la personne sur parole, le seuil de doute acceptable doit être extrêmement faible et donc le niveau de preuve extrêmement fort (ex : constater soi-même que le chat sait parler)

 place laissée au doute : si les preuves ne suffisent pas à prouver formellement que le chat est capable de parler, l’hypothèse rationnelle reste à privilégier

 alternatives : la personne n’a pas de chat qui parle, mais prétend en avoir un : ici, l’alternative est bien plus probable que ce que prétend la personne

Une fois bien intégrées les notions de doute, preuve, réfutabilité et parcimonie, on peut entrer dans le vif du sujet : l’analyse éclairée des monstres, bêtes cryptiques et autres extraterrestres. Comme il y a beaucoup de choses à dire et à voir là-dessus, le sujet sera traité en une série d’articles.

Lien vers la deuxième partie