Tombes, mégalithes et symboles mystérieux
Article mis en ligne le 31 janvier 2007

par Irna

Après le brillant essai de M. Goran Cakic sur l’utilisation des "pyramides" comme "nouvelles arches", l’oeuvre suivante à faire son apparition dans ce que j’appellerais le "coin des délires" (bs) sur le site de la Fondation, provient cette fois de la plume même de M. Osmanagic, mais de M. Osmanagic père, Muris. Il s’agit d’un corpus de quatre textes, qui a eu l’honneur, à la différence des oeuvres de M. Cakic et quelques autres, d’une traduction en anglais. M. Muris Osmanagic, ingénieur des Mines et homme politique, s’improvise ici archéologue, épigraphiste, cartographe... et laisse visiblement libre cours à une imagination foisonnante.

Tumulus magnétique

La première partie s’intitule "Vratnica, siège et culte des anciens dirigeants de la Vallée des Pyramides" ("VRATNICE - Predvorje i kult mrtvih vladara Bosanske doline piramida" (bs) ou "VRATNICE - The Court and Cult of the Dead Rulers, Bosnian Valley of Pyramids" (en)) [1]. Après un début célébrant "la merveilleuse vision planétaire" de son fils Semir Osmanagic, Muris Osmanagic nous indique les raisons de l’intérêt de la Fondation pour le site de Vratnica, un village situé à quelques kilomètres de Visoko où des fouilles ont commencé (sans autorisation d’ailleurs au départ) au mois d’août 2006. A proximité de ce village se trouve la colline de Toprakalia, dont Muris Osmanagic souligne qu’elle a "un nom étrange, non-slave" - sans vouloir trop m’avancer, il me semble que ce nom, à consonance nettement turque, n’a rien de bien surprenant dans une région qui est restée sous domination ottomane pendant quatre siècles... Cette colline serait, pour M. Osmanagic père, un hypothétique "tumulus", à la fois tombeau d’un dirigeant préhistorique de la Vallée bosniaque des Pyramides, et "pôle magnétique puissant".

Sur quels indices M. Osmanagic appuie-t-il cette hypothèse ? Tout d’abord, sur la présence de larges dalles de pierre, dont il nous dit à la fois qu’elles sont constituées de "grès à grain fin, très dur", et qu’elles "ont l’apparence de béton coulé", ce qui est assez contradictoire. Ces dalles sont par ailleurs décorées "d’une mosaïque régulière de concavités". En fait, la colline de Vratnica est très probablement constituée des mêmes couches du Miocène moyen que celle de Pljesevica, couches de grès agrémentées de "ripple-marks" alternant avec des couches de marnes et argiles. L’autre indice, probant selon M. Osmanagic senior, est le fait que la boussole "ne réagit pas" au sommet de la colline, où une "puissante force magnétique l’empêche de fonctionner". Quel rapport entre ces deux éléments et le "siège d’anciens dirigeants", ou "le culte des dirigeants morts" ? On n’en saura pas plus, mais l’auteur promet, pour la fin de l’année 2006, "les preuves du réel potentiel archéologique" de Vratnica - preuves que l’on attend toujours à l’heure où j’écris, fin janvier 2007.

Des mégalithes dans un tunnel

Le deuxième texte, "Découverte du mégalithe T1" ("OTKRIĆE MEGALIT KAMENE PLOČE T-1" (bs) ou "DISCOVERY OF THE T-1 MEGALITH" (en)) [1] quitte Vratnica pour le tunnel dont l’entrée se situe à Ravne, à près de 3 kilomètres de Visocica. Le premier élément remarquable est l’insistance de l’auteur à qualifier la roche dans laquelle le tunnel est taillé de "brèche marine" ("marinska brecia", "marine breccia" en anglais). Parler de "brèche" est déjà assez discutable, les géologues préférant parler de "conglomérat" lorsque les fragments sont nettement arrondis, comme c’est clairement le cas ici ; mais le plus gênant est le terme "marine", appliqué à une roche dont l’auteur estime l’âge, comme on le verra, à une quinzaine de milliers d’années... Or, la région de Visoko n’a pas été recouverte par la mer depuis au moins 20 millions d’années, et les roches dont il est question ici ont été identifiées par les géologues comme faisant partie de la série de Lasva, des conglomérats déposés en eau douce dans un lac intérieur vers la fin du Miocène, il y a une dizaine de millions d’années (voir l’article complet sur la géologie de la région de Visoko).

Muris Osmanagic raconte ensuite la découverte, pris dans cette "brèche marine", de deux "monolithes", appelés T1 et T2 : il s’agit de deux dalles de grès, longues de plus de deux mètres et de quelques dizaines de centimètres d’épaisseur. Le premier de ces mégalithes, T1, porte, nous dit-on, des groupes de "symboles mystérieux" immédiatement identifiés par l’auteur comme "faisant partie d’un ancien système d’écriture". Ces symboles seraient au nombre de plusieurs dizaines (une cinquantaine d’après le texte suivant, voir ci-dessous) ; or il est intéressant de noter que seul un dessin de l’auteur nous donne à voir l’ensemble du "mégalithe" et de tous les symboles dont il est "couvert" ; par contre, les seules photos fournies dans le texte (dont une est complètement floue) ne montrent que des détails et ne permettent d’identifier qu’au maximum 4 symboles différents. Aucune autre photo d’aucun autre symbole n’a été publiée sur le site de la Fondation, ni nulle part ailleurs sur le web. Je veux bien qu’il soit assez difficile de prendre de bonnes photos au fond d’un tunnel peu accessible, mais il est quand même étonnant que la revendication d’une découverte aussi extraordinaire (dans le texte suivant l’auteur n’hésite pas à considérer cette "écriture" comme plus ancienne que toutes les écritures précédemment connues) ne s’appuie pas sur des photos incontestables de ces cinquante symboles... Par ailleurs, Colette Dowell, qui a eu l’occasion, au cours de sa visite à Visoko en compagnie de Robert Schoch, de visiter ce tunnel de Ravne, semble considérer qu’entre ce qu’elle a vu et les photos publiées par la Fondation il y a quelques différences assez inexplicables... (voir le texte complet (en)).

Muris Osmanagic termine son texte par un essai de datation des mégalithes, et là ça devient assez comique. Suivons son raisonnement :
 le mégalithe est plus large que le tunnel, il n’a donc pas pu être apporté dans celui-ci, mais a été fait sur place ;
 le mégalithe se trouve sous une épaisse couche de "brèche marine", il est donc plus ancien qu’elle et a été fabriqué avant son dépôt ;
 le tunnel est creusé dans la "brèche marine", il a donc été construit postérieurement à son dépôt.

On a donc, dans l’ordre chronologique : 1) fabrication du monolithe ; 2) dépôt (par la mer) de "brèche" par dessus le monolithe ; 3) creusement du tunnel dans la "brèche" après le retrait de la mer.

La logique est imparable, reste à dater le dépôt de cette "brèche" : comme même M. Osmanagic doit avoir un peu de mal à imaginer une civilisation avancée datant de 20 millions, voire de 10 millions d’années, ce qui correspond à l’âge réel de la "brèche", il est obligé d’envisager une datation beaucoup plus récente de cette roche, compatible de préférence avec les "hypothèses" déjà avancées par son fils sur la "vallée des pyramides". La solution est toute trouvée : cette "inondation catastrophique" ("la plus grande catastrophe écologique de l’histoire de l’humanité", nous dit-il) ne peut correspondre qu’à la fin de la dernière ère glaciaire, "lorsqu’a fondu rapidement l’épaisse couche de glace (de 3 à 4 kilomètres d’épaisseur) qui couvrait le reste de l’Europe".

On retrouve donc ici - mais plus surprenante chez un ingénieur des Mines et ancien ministre des Mines et de l’Energie - la même ignorance abyssale que chez Goran Cakic de ce qu’est une transgression post-glaciaire et de la façon dont s’est déroulée la fin du dernier épisode glaciaire en Europe. Rappelons simplement que la transgression flandrienne (fr) est bien connue sur les côtes européennes, et qu’elle n’a pas dépassé une centaine de mètres, ce qui exclut tout dépôt de "brèche marine" à Ravne à plus de 400 mètres d’altitude... Une autre explication possible à la présence de ces mégalithes dans des tunnels trop petits pour qu’on ait pu les y transporter, et qui ne nécessite pas de torturer la géologie locale, serait de supposer que ces blocs de grès se sont naturellement trouvés inclus dans les conglomérats du Miocène parce qu’ils étaient tout simplement présents au fond du lac de Zenica-Sarajevo au moment du dépôt des conglomérats. S’il s’agit bien de grès datant du Miocène moyen, ils sont plus anciens que les conglomérats de plusieurs millions d’années, ce qui a laissé, à la faveur d’émersions partielles d’une partie du lac, le temps nécessaire au démantèlement et à l’usure d’une couche plus exposée que les autres. Quant aux "symboles", s’il ne fait aucun doute que c’est bien une main humaine qui les a tracés, absolument rien à l’heure actuelle ne permet d’affirmer que c’est à telle époque plutôt que telle autre.

Le plus ancien alphabet du monde ?

Une fois les mystérieux symboles découverts et "datés", restait à les analyser : c’est ce que prétend faire le troisième opus de Muris Osmanagic, "Comparaison de signes et symboles" ("POREDJENJE SIMBOLA I ZNAKOVA" (bs) ou "COMPARISON OF SYMBOLS AND SIGNS" (en)) [1], sous-titré "Ecriture préhistorique ’proto-bosnienne’, runes d’Europe occidentale et ancien alphabet phénicien". Comme son titre l’indique, il s’agit dans ce texte de comparer "l’alphabet" de 50 signes (pour la majeure partie desquels, je le rappelle, aucune photo n’a été publiée) reconstitué par l’auteur avec des alphabets d’époques diverses, ici l’alphabet phénicien (fr), l’alphabet grec (fr), et les runes germaniques (ou futhark (fr)) et anglo-saxonnes. N’étant pas moi-même épigraphiste, je n’ai pas d’opinion sur la validité scientique de l’analyse de M. Osmanagic, je me contenterai de quelques remarques, de bon sens, de profane.

Passons sur l’introduction qui revient sur le grand âge des symboles (supérieur à 10 000 ans d’après l’auteur) et l’épisode d’inondation cataclysmique de la fin de l’ère glaciaire ; le premier argument de l’auteur pour expliquer qu’il s’agit bien d’un "alphabet" est le fait que "les 10 premiers nombres phéniciens peuvent être dérivés des symboles proto-bosniens". Or ces "10 premiers nombres phéniciens" sont en fait de simples traits verticaux ; à ce compte, n’importe quel graffiti sur pierre pourrait aussi bien être qualifié d’alphabet ! Muris Osmanagic poursuit sa démonstration en identifiant deux lettres semblables dans l’alphabet phénicien et "l’alphabet proto-bosnien", le "X" et le "Y". Son implication évidente est que le "proto-bosnien" doit être considéré comme l’ancêtre du phénicien.

M. Osmanagic s’étonne ensuite de l’absence, dans les alphabets grec et phénicien, du symbole en forme de flèche trouvé dans des "zones spéciales" du mégalithe T1 (pourquoi cette absence-là est-elle surprenante, et pas celle des nombreux autres symboles qui ne sont pas non plus présents dans les alphabets grec et phénicien ? et en quoi certaines zones du mégalithe sont-elles "spéciales" ? mystère !). Mais, miracle, on retrouve bien par contre une flèche dans l’alphabet runique - ainsi que, tenez-vous bien, sur toutes les cartes géographiques où ce symbole indique le nord !!! Par contre, l’alphabet runique ne dispose pas du "Y", qui lui existe dans les alphabets grec et phénicien : pour Muris Osmanagic, "ceci ne tient pas du hasard historique" [2].

La conclusion de M. Osmanagic, basée donc sur la présence ou l’absence de ces deux symboles (flèche et "Y"), est que le monolithe de Ravne est la pièce manquante qui va permettre de résoudre le "puzzle" de l’origine des alphabets : puisque le "proto-bosnien" est le seul à disposer à la fois du "Y" et de la flèche, c’est donc bien qu’il est l’ancêtre à la fois des runes et de l’alphabet phénicien, donc de tous les alphabets européens "de la mer du Nord à la Méditerranée". Et il constitue donc la preuve d’un "puissant empire maritime planétaire centré sur la Vallée des Pyramides de Bosnie"... Personnellement, je trouve qu’il est bien dommage que M. Osmanagic Senior n’ait pas étendu son "analyse" à quelques alphabets non européens, il aurait sûrement pu trouver quelques autres coïncidences "ne tenant pas du hasard historique" ; il est en effet impensable que les traces d’une telle "puissance planétaire" ne se retrouvent pas aussi bien dans l’alphabet batak d’Indonésie que dans le gojuon japonais ou la devanagari indienne...

L’ancêtre de tous les amphithéâtres

Le dernier texte de Muris Osmanagic est, à mon goût, le plus extraordinaire de la série. Intitulé "Les secrets d’un relief préhistorique" ("TAJNE PRAHISTORIJSKOG RELJEFA" (bs)
ou "SECRETS OF THE PRE-HISTORIC RELIEF" (en)) [1], il nous permet de découvrir les extraordinaires secrets du "mégalithe T2", découvert à quelques dizaines de mètres du T1. A la différence du premier, ce mégalithe n’offre pas une surface lisse et plate, mais ressemble, nous dit l’auteur, à un modèle réduit de terrain, "avec ses collines, ses vallées, ses montagnes et ses rivières" :

La question fondamentale, d’après l’auteur, est de savoir si l’on a bien affaire à une carte en relief, et de quel territoire. Comme M. Osmanagic est un adepte de la méthode scientifique, il commence par éliminer la possibilité que ce relief puisse avoir une origine naturelle, en écartant un pseudo-argument : il est impossible, nous dit-il, que ce relief puisse avoir été "imprimé dans le grès tendre par le poids des couches sus-jacentes". Franchement, je ne crois pas qu’aucun géologue digne de ce nom aurait jamais émis une hypothèse aussi ridicule [3]. Donc, puisque l’hypothèse "naturelle" est ainsi écartée, ce relief ne peut être que le résultat d’une intervention humaine volontaire.

Ceci étant acquis, ne reste plus qu’à identifier le territoire ainsi représenté ; là, pas besoin de démonstration laborieuse : il suffit à l’auteur de mettre en regard la photo du mégalithe et une image de Google Earth, accompagnées de quelques dessins griffonnés, pour conclure que cette "carte préhistorique" représente la "Vallée des Pyramides" :

1. Bosna river
2. Fojnica river
3. Prehistoric way
4. Pyramid of the Sun
5. Amphitheater

Comme l’auteur le reconnaît lui-même, "on dirait presque de la science-fiction"... En effet, considérer de très vagues similitudes entre quelques détails d’une pierre et une image Google Earth comme une base suffisante pour construire, comme le fait ensuite Muris Osmanagic, toute une théorie sur une extraordinaire civilisation me paraît plus relever de la - mauvaise - science-fiction que de la démarche scientifique.

Sur ces bases bien fragiles, M. Osmanagic échafaude donc quelques hypothèses sur la technologie de cette civilisation, technologie qui lui permet de "couler" une carte en trois dimensions de son territoire sous forme d’un bloc de grès - hypothèse d’après lui confirmée par le fameux rapport fantôme de l’Institut de Génie Civil de Tuzla (voir en particulier ici le paragraphe sur l’interprétation fantaisiste, basée sur ce rapport inexistant, que fait Semir Osmanagic des conglomérats de Visocica). Hypothèses également sur le rôle de la "vallée des Pyramides" : pour M. Osmanagic père, cette vallée "n’était pas une cité ordinaire avec quelques pyramides", mais plutôt la "véritable métropole du premier empire pan-européen, de l’Irlande à l’Egypte, plus étendu que ne le serait des milliers d’années plus tard l’Empire romain"...

Que contenait cette "métropole", en dehors des "pyramides" ? L’auteur identifie une structure linéaire, visible aussi bien sur l’image Google que sur la "carte en relief" ; or, la structure linéaire sur l’image satellite actuelle étant une route, il en déduit forcément que cette route existait déjà durant la préhistoire, preuve supplémentaire, s’il en était besoin, de l’importance de la "métropole", située au coeur d’un "réseau routier contruit aux temps préhistoriques".

L’autre "structure" intéressante identifiée par l’auteur tant sur l’image Google que sur le bloc de grès est cette forme concave :

que l’auteur fait correspondre avec la colline marquée d’une flèche rouge sur cette photographie aérienne :

Selon lui, cette colline, dont la forme "ne peut en aucun cas être celle d’une colline naturelle", est un gigantesque "amphithéâtre", le "père de tous les amphithéâtres" comme Visocica serait "la mère de toutes les pyramides", amphithéâtre qui aurait aussi servi par la même occasion de carrière fournissant en matériaux de construction l’ensemble de la "vallée des Pyramides" [4]. Il est toutefois évident que M. Osmanagic Senior n’a jamais observé attentivement le dessin des rives le long d’une rivière qui dessine des méandres (fr) dans une région de collines, il aurait peut-être remarqué que la rive concave d’un méandre peut facilement présenter une forme semblable à celle de son "amphithéâtre" ; ici par exemple le méandre de la Queuille en Auvergne :

La forme caractéristique de Krstac résulte très probablement d’un ancien méandre de la Fojnicka :

Mais selon l’auteur, la preuve ultime est encore à venir ; il nous annonce en effet "qu’il existe un quatrième indice, et celui-ci est d’ordre mythologique, de ce que la carte en relief du mégalithe T2 représente un territoire qui était sous la protection d’une divinité surnaturelle venue d’un autre monde"... Ce quatrième indice était annoncé, en septembre 2006, pour un article à venir prochainement, et je dois avouer que je me désespère de n’avoir pas vu venir depuis lors ce cinquième texte qui ne peut que parachever l’oeuvre de Muris Osmanagic.


VRATNICE - Predvorje i kult mrtvih vladara Bosanske doline piramida
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OTKRIĆE MEGALIT KAMENE PLOČE T-1
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DISCOVERY OF THE T-1 MEGALITH
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POREDJENJE SIMBOLA I ZNAKOVA
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COMPARISON OF SYMBOLS AND SIGNS
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TAJNE PRAHISTORIJSKOG RELJEFA
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SECRETS OF THE PRE-HISTORIC RELIEF
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