Deï Mian, l’Autre Terre des Zitis
Article mis en ligne le 4 janvier 2017

par Irna

Depuis la rupture rocambolesque entre Jacques Grimault et Patrice Pooyard, chacun des deux ex-compères poursuit son bonhomme de chemin. Jacques Grimault, semblable à lui-même, continue d’agonir d’injures ses adversaires et anciens partenaires, tout en multipliant conférences payantes et ventes de livrets sur tous les sujets, et en annonçant un LRDP2 à sa sauce. De son côté, Patrice Pooyard annonce également un film pour le printemps 2017, et dit vouloir s’entourer d’une équipe de « chercheurs » français et internationaux et faire appel à des scientifiques - et même « ouvrir la porte à ceux qui critiquent, contestent et offrent un contrepoint, à condition qu’il soit honnête », oubliant au passage que la plupart de ces critiques sont et restent censurés sur les pages Facebook qu’il gère...

Pour ce nouveau film, Patrice Pooyard s’est associé à un dénommé Adrien Moisson, producteur, publicitaire et « l’un des acteurs incontournables de l’événementiel et des nuits parisiennes ». Adrien Moisson est le producteur du futur film de Patrice Pooyard, et le propriétaire de la société Risky B, elle-même propriétaire du site web lesavoirdesanciens.com qui commercialise les livres et films de Patrice Pooyard ainsi que les produits dérivés comme le T-shirt « l’équateur penché ».

En plus du travail de Patrice Pooyard, le portail lesavoirdesanciens.com et la page Pyramides, Patrice Pooyard & Jayan Films sur Facebook promeuvent actuellement de façon insistante le livre et le film non encore sortis d’un certain Deï Mian, intitulés L’Autre Terre Des Dieux, ainsi que les conférences qui seront données par le même Deï Mian dans une vingtaine de villes en février et mars 2017.

Qui est Deï Mian ? Il se présente lui-même comme un graphiste et webdesigner parisien branché, brutalement rattrapé par le burn-out en 2011, et qui a depuis lors choisi de quitter la « matrice » et d’essayer de combler son « vide intérieur immense » en voyageant dans le monde. Ses premières vidéos sont de petites notes de voyage de quelques minutes, postées depuis l’Inde, la Thaïlande, la Corée, la Malaisie etc. Mais à partir de fin 2012 et surtout janvier 2013, lorsque son périple l’amène en Amérique latine (Mexique, Pérou, Île de Pâques...), il délaisse peu à peu les simples anecdotes de voyage pour se concentrer de plus en plus sur les « mystères » des sites traversés : pyramides du Mexique, moaïs de l’Île de Pâques, architecture inca... Parallèlement, ses vidéos gagnent un peu en longueur et en qualité, et son public s’étoffe : la vidéo qui a probablement marqué le « décollage » de sa chaîne avec plus de 500 000 vues s’intitule Effrayante Cité de Tiwanaku & Puma Punku.

Ce tournant vers l’archéologie « mystérieuse » mâtinée de mysticisme et de paranormal assure le succès grandissant de sa chaîne Youtube, et le rapproche de la nébuleuse pseudo-archéologique et paranormale française : il assiste à des rencontres organisées par le magazine Top Secret de Roch Saüquere en avril 2014, auxquelles participent également des gens comme Jacques Grimault, Bob Bellanca (Bob vous dit toute la vérité) et le gratin complotiste. Il repart ensuite pour un périple en Inde, où le ton est donné dès la bande-annonce Mystères de l’Inde : grosses pierres, constructions impossibles, musique épique et mouvements de caméra visant à créer le suspense.

Un grand modeste

Dans ses vidéos, Deï Mian ne prétend pas faire œuvre d’archéologue ou d’historien ; il le précise modestement dans toutes ses interviews, et l’affiche par exemple dans l’introduction de cette vidéo sur les grottes de Barabar (en) en Inde :

Je ne suis pas archéologue, ni mathématicien, ni historien et encore moins spécialisé dans la construction. Je suis un simple témoin et ma caméra m’accompagne pour capturer certains détails troublants que j’estime être en contradiction avec certaines « théories » que l’Histoire nous présente.

On notera que sa modestie ne l’empêche pas de s’estimer capable de juger qu’il y a « contradiction » avec la version des historiens. Mais le plus gros problème est qu’il n’a visiblement aucune idée ni de la méthode scientifique ni de la façon dont travaillent les historiens et archéologues, si l’on en juge par la suite de cette introduction :

Tant qu’une théorie sans véritable fondement, ou n’ayant pas été prouvée, ne vient pas en contredire une autre, alors rien n’est impossible et toutes sont recevables.

En plus de sa logique et de sa construction assez bancales, cette phrase inverse subtilement la charge de la preuve, en sous-entendant que n’importe quelle « théorie » est recevable tant qu’il n’a pas été prouvé qu’elle était fausse. Je renvoie le lecteur à l’analogie de la théière de Russell pour ce grand classique du raisonnement pseudoscientifique.

Culte de l’ignorance ?

La position ainsi affichée par Deï Mian est d’autant plus intenable qu’il ne fait à aucun moment l’effort de se renseigner, et de vérifier ce que disent réellement archéologues et historiens de ce qui lui apparaît comme « mystérieux » ou « contradictoire », faisant ainsi preuve, comme le disait un archéologue de ma connaissance, de « l’art de mettre en scène sa propre inculture ». On en prendra deux exemples dans la vidéo déjà mentionnée sur les grottes de Barabar :

 Pour se confirmer dans sa conviction que le poli extraordinaire des parois de granite ne peut pas être le résultat du travail des artisans de l’époque du règne d’Ashoka sous l’Empire Maurya, Deï Mian consulte un tailleur de pierre qui va, bien sûr, aller dans son sens en affirmant qu’il s’agit d’un travail « impossible » pour les hommes de cette époque avec les outils dont ils disposaient. Ce tailleur de pierre est très certainement un excellent artisan, mais a-t-il pour autant la moindre idée des techniques utilisées par ses confrères d’il y a 2000 ans, techniques que les archéologues reconstituent péniblement, grâce aux traces archéologiques et à l’archéologie expérimentale ? A-t-il expérimenté les techniques permettant par exemple d’obtenir les magnifiques haches des Alpes au poli incomparable sur des pierres d’une extrême dureté du Néolithique ? ou étudié les techniques encore utilisées aujourd’hui pour fabriquer les haches d’échange en Nouvelle-Guinée ? Certes on ne sait pas encore exactement comment les artisans de l’Empire Maurya obtenaient leur fameux poli, mais on sait d’une part que ce polissage se retrouve sur des dizaines de sculptures de la même époque un peu partout en Inde, et d’autre part que de nombreuses civilisations ont développé des techniques de polissage comparables, polissage à la cendre, à la prêle, au cuir etc. Tant qu’à aller se renseigner chez un « spécialiste », Deï Mian aurait pu essayer de poser ses questions à des archéologues... ou même à un archéologue tailleur de pierre !

 Toujours dans la même vidéo, le vidéaste visite rapidement la grotte de Lomas Rishi (en), et s’étonne de voir qu’elle n’a jamais été terminée ; il en déduit que « le roi Ashoka n’ayant pas possédé la science des bâtisseurs qui l’auraient précédé, il n’aurait pour ainsi dire pas pu en reproduire l’œuvre ni terminer la construction de cette cave », puis enchaîne sur les machines sophistiquées indispensables selon lui pour reproduire « un tel niveau de précision ». S’il avait pris la peine de se renseigner un minimum, il aurait pu par exemple trouver cet article (en) de John C. Huttington, le grand spécialiste de l’art bouddhique. Il y aurait appris pourquoi la grotte n’a jamais été terminée, et surtout en quoi elle permet de comprendre, justement parce qu’elle n’est pas terminée, les procédés utilisés par les artisans de l’époque, puisqu’on retrouve dans cette grotte à peu près toutes les étapes du travail, depuis l’épannelage et le dégrossissage jusqu’à la finition par polissage.

Quoi qu’il en soit, en dépit - ou peut-être à cause - de ce mystère artificiel qu’il ajoute aux sites qu’il filme, Deï Mian est devenu ces derniers mois une véritable référence pour les aficionados de « l’archéologie interdite », ce qui lui a semble-t-il ouvert l’appétit :
 multiplication des interviews et interventions sur les web TV « alternatives » : MetaTV en octobre 2015, Fréquence Evasion le 15 novembre 2016, NuréaTV le 28 novembre, live chez BTLV le 29 novembre puis à nouveau le 16 décembre, UFO Conscience le 22 décembre...
 sortie en janvier 2017 de son film L’Autre Terre Des Dieux
 sortie concomitante du livre du même nom
 tournée de conférences organisée par Adrien Moisson
 voyages organisés en 2017 : au Pérou (3320 € sans les vols !), en Roumanie (1820 €) et en Inde
 publication d’une trilogie de science-fiction, dont l’adaptation en bande dessinée est déjà prévue.

Bref, une affaire qui est en train de se transformer en une véritable petite entreprise - pourvu que Deï Mian n’aille pas se retrouver à nouveau en situation de burn-out !

Bric-à-brac

Revenons sur son travail consacré à la Roumanie « mystérieuse » qui doit sortir en janvier 2017, L’Autre Terre Des Dieux ; je n’ai évidemment pas pu voir le film ni lire le livre, il n’est donc pas question ici d’en faire une critique approfondie. Cependant, un certain nombre d’éléments permettent de se faire une petite idée préalable de ce que sera le contenu de ces deux œuvres : en plus des interviews mentionnées plus haut qui évoquent plus ou moins le futur film, on peut citer une autre interview sur Hym Media consacrée aux livres d’un écrivain roumain nommé Radu Cinamar qui a inspiré au moins une partie du film ; ainsi que diverses vidéos et bandes annonces proposées par Deï Mian sur sa chaîne :
 annonce en juin 2015 du film, et appel à financement, avec une première bande annonce qu’on retrouve également ici ;
 bande annonce officielle de mars 2016
 deuxième bande annonce officielle de novembre 2016 accompagnant l’ouverture des pré-commandes du DVD.

Dans la vidéo de juin 2015 le programme de Deï Mian est annoncé :

J’aimerais vous emmener dans un voyage initiatique et énigmatique en Roumanie. Pourquoi la Roumanie me demanderez-vous ? Tout simplement parce que, au-delà d’être une terre où sont nées les légendes des vampires, la Roumanie est un pays qui regorge d’histoires, de mythes et d’autres légendes qui tournent autour de trésors fabuleux, trésors enterrés, de découvertes de squelettes de géants, d’ovnis, de triangle des Bermudes, de pierres vivantes, et j’en passe. Alors mystères ? folklore ? mythes ? réalités ? Personne ne sait ! Pour ça j’ai décidé de mener ma petite investigation et de réaliser un film documentaire qui s’intitulera L’Autre Terre Des Dieux. J’aurai la chance et l’opportunité de vous emmener avec moi au plus près de tous ces mystères afin de recueillir le témoignage de locaux, de chercheurs, d’experts, de spécialistes, qui pourront apporter leur version sur tous ces sujets et peut-être qui pourront nous éclairer sur les mystères qui traînent autour de ce pays.

Nous voilà donc prévenus : le film mélangera légendes, archéologie (ou pseudo-archéologie), paranormal, ovnis, et phénomènes naturels à l’image du « Sphinx » de Bucegi qui orne l’affiche du film :

A ce propos, est-ce que cette affiche, avec un rayon lumineux qui s’élance vers le ciel depuis le « Sphinx », ne vous rappelle pas quelque chose ?

Squelettes, ovnis et pierres vivantes

Commençons par analyser quelques uns des éléments présentés dans ces bandes annonces ; c’est assez mal parti, puisque dès la première annonce du film en juin 2015, au moment où l’auteur évoque la découverte de squelettes de géants en Roumanie (1:26), il nous propose cette image :

qui n’est qu’un des multiples exemples de fakes sur le sujet qui traînent sur internet. Ce fake-là, d’ailleurs, on en connaît l’auteur qui a diffusé une vidéo montrant comment il l’a réalisé :

J’invite le lecteur à aller voir quelques autres de ses créations de squelettes de géants, par exemple ici, ou .

Juste après le faux squelette de géant, on a droit à un bel ovni vert :

Le seul problème est que celui-ci ne vient pas de Roumanie : il a été photographié en mai 2015 (nl) à Groningen aux Pays-Bas, et est un parfait exemple de « lens flare », comme par exemple celui-ci, ce qui est évident quand on observe la photo non recadrée :

Source. Voir les explications de Gilles Fernandez dans le fil de discussion.

On a ensuite une image de ce qui reviendra dans toutes les bandes annonces du film, les soi-disant « pierres vivantes » :

Ces trovanti (ro), comme les appellent les scientifiques roumains, ou babele (« vieilles femmes »), n’ont rien de paranormal ni de miraculeux : ce sont de belles concrétions naturelles issues de couches sédimentaires détritiques (grès et conglomérats) du Miocène supérieur dans certaines régions (Olténie), du Crétacé et du Jurassique dans d’autres (Monts Bucegi) ; concrétions comme on en trouve dans beaucoup d’autres régions du monde, y compris en France. Il existe un excellent article en français sur ces « pierres vivantes » sur le site de la Société Géologique de France. Le « Sphinx » de Bucegi est d’ailleurs issu des mêmes terrains, et l’on voit que les couches qui le constituent contiennent elles-mêmes des concrétions :

Ce « Sphinx », qui ne ressemble à un sphinx que sous un angle bien précis, est lui-même le résultat de processus naturels d’érosion (en) de ces conglomérats : érosion éolienne et érosion périglaciaire (cryonivation ou nivation), et il n’a reçu ce nom de « sphinx » que pour attirer les touristes (voir ici (en) page 250).

Le "Sphinx" sous un autre angle. Source
Carte postale du début du XXème siècle montrant le "Sphinx", qui ne porte à l’époque que le nom de "babele". Source

Aluminium extraterrestre

Passons à la première bande annonce « officielle », qui commence avec un « Brôôôm » à la Inception du plus bel effet. Cette bande annonce est centrée sur la découverte d’un « mystérieux artefact » près de la ville d’Aiud en Roumanie, dont l’existence « pourrait remettre en question l’histoire de notre civilisation » :

Quel est cet « artefact de l’impossible » ? C’est un classique parmi les OoPArts (Out of Place artifacts) depuis des années : l’objet est censé avoir été trouvé en 1974 (ou 1973) sous 10 mètres de sable au bord de la rivière Mures, accompagné de deux os fossiles de mastodontes (ou de rhinocéros laineux selon certains sites) qui auraient permis de le dater à 10 000 ans, ou 100 000 ans, ou 250 000 ans, ou plus encore selon l’enthousiasme des rédacteurs des sites qui en parlent. Mais le plus extraordinaire est que plusieurs analyses concordantes indiqueraient que l’objet contient, parmi d’autres métaux, une forte proportion d’aluminium... qui ne fut produit par l’homme pour la première fois qu’en 1825 ! Voilà bien évidemment un argument de poids en faveur d’une visite de la Terre par des extraterrestres dans le passé... argument auquel Deï Mian doit être d’autant plus sensible qu’il semble lui-même persuadé avoir vécu plusieurs « rencontres rapprochées » avec des ET !

Malheureusement, si on creuse un peu le cas de cet artefact d’Aiud, les choses ne sont pas si claires... Le premier problème, et non des moindres, est l’absence totale de documentation sur la trouvaille : l’objet lui-même est conservé semble-t-il au Musée d’Histoire de la Transylvanie à Cluj-Napoca, mais il n’y a aucune trace des os fossiles trouvés avec lui, aucune documentation sur les circonstances précises de la découverte, les noms des découvreurs etc. Il est possible que la première mention de l’objet ait été faite par un certain Boczor Iosif, souvent mentionné dans les articles qui parlent de l’artefact d’Aiud et généralement présenté comme « chercheur » (mais « instituteur à la retraite » selon cette page) ; il existe bien un Boczor Iosif, ufologue, qui dans les années 70 collaborait à des magazines ufologiques hongrois et signalait des cas d’observations d’ovnis (en). Mais il se révèle impossible de mettre la main sur l’article qu’il aurait écrit sur l’artefact d’Aiud, et même de confirmer que cet article existe.

De même, impossible de trouver en ligne un livre intitulé Enigme in Galaxie (ro) [1] d’un certain Florin Gheorghita, écrivain et ufologue, qui aurait évoqué l’objet en 1983. La première mention certaine de l’artefact date de 1995 et de la publication d’un article dans le magazine RUFOR (ro) (Romanian UFO Researchers). On peut trouver sur le blog d’Hil Blairious, qui a mené l’étude la plus approfondie de cet OoPArt, des scans de l’article de RUFOR (en) et une traduction en anglais (en). Malheureusement cet article ne nous apprend rien de plus sur la trouvaille elle-même ; et tout ce qu’on trouve sur le web sur l’objet ne fait que reprendre ad nauseam les mêmes éléments non confirmés.

L’article de RUFOR donne cependant quelques indications supplémentaires :
 il mentionne plusieurs analyses réalisées sur des échantillons de l’objet, à Magurele en Roumanie et Lausanne en Suisse (laboratoire non précisé)
 il mentionne également un degré élevé de corrosion (inhabituel pour de l’aluminium), qui indiquerait d’après un spécialiste un âge minimum de 300 ans
 il fait état d’une possible ressemblance avec une pièce de train d’atterrissage de véhicule spatial, sans préciser quelle pièce ni quel véhicule.

Tout ça est bien vague, mais on peut quand même établir quelques faits. Sur les analyses, que le blogger Hil Blairious a rassemblées ici (en) (à partir du chapitre que l’ufologue et spécialiste des anciens Aliens Lars Fischinger a consacré à l’objet d’Aiud dans son livre Histoire interdite (de)), on peut noter un point intéressant : à l’exception de l’une d’elles, qui ne montre que de l’aluminium quasiment pur (analyse n°4 de 2007 dans le tableau), toutes ces analyses montrent une composition relativement proche : 80 à 90 % d’aluminium, 4 à 6 % de cuivre, 3 à 4 % de silicium... Or, contrairement à ce qu’affirment certains (« cet alliage particulier n’est pas un standard actuel ni du passé, ni utilisé » selon Yves Herbo), cet alliage n’a rien d’exotique puisque c’est la composition d’un des alliages d’aluminium les plus utilisés, celui de la série 2000 (Al-Cu-Si). Dans ces alliages, le cuivre et le silicium sont ajoutés pour augmenter la résistance de l’aluminium, les autres éléments en plus faible quantité (bismuth, plomb, cadmium) pour améliorer l’usinabilité. Le seul élément surprenant par rapport aux alliages modernes est l’absence de magnésium dans l’objet d’Aiud ; cela pourrait s’expliquer si l’objet est suffisamment ancien (années 30 ou 40 du XXème siècle) ; Hil Blairious explique (en) en effet que dans les années 30 le magnésium était souvent omis dans les alliages Al-Cu-Si du fait de la difficulté à maîtriser cette production.

Cette composition de l’artefact d’Aiud explique du coup la présence d’une couche de corrosion importante : en effet, les alliages d’aluminium de la série 2000 sont ceux qui ont les meilleures caractéristiques mécaniques, mais la moins bonne tenue à la corrosion ; du coup, se baser sur l’épaisseur de cette couche de corrosion pour dater l’objet à plus de 300 ans paraît bien aventureux, d’autant qu’en l’absence de renseignements précis sur les conditions de la trouvaille on ne sait rien des caractéristiques du milieu dans lequel il est censé avoir séjourné.

Reste la question de savoir ce que fait un objet en aluminium, même s’il n’est âgé que de quelques dizaines d’années, dans une couche de sable près de la rivière, et de ce qu’est cet objet. Une première hypothèse qu’on ne peut pas exclure est bien sûr celle d’un fake, hypothèse impossible à valider ou invalider étant donné le peu d’information qu’on a sur les conditions de la découverte. Une deuxième hypothèse a été avancée par un historien roumain, Mihai Wittenberger (ro), qui pense avoir identifié dans l’objet un élément du train d’atterrissage d’un avion allemand abattu au-dessus d’Aiud pendant la deuxième guerre mondiale, plus précisément d’une plaque de traction de la roue avant d’un Messerschmitt Me 262, et affirme avoir reçu confirmation du fabricant. L’hypothèse serait compatible avec la composition de l’artefact, l’alliage de la série 2000 étant plus particulièrement utilisé dans l’aéronautique du fait de ses propriétés ; le fait que la pièce se soit retrouvée à 10 mètres sous le sable pourrait s’expliquer de plusieurs façons, mais là encore, l’absence de précision sur l’endroit exact et les conditions de la découverte rendent difficile toute vérification. Je n’ai pas réussi à trouver de schéma détaillé des pièces du Me 262, mais c’est une recherche que toute personne souhaitant étudier sérieusement cet artefact devrait faire.

Une troisième hypothèse assez sérieuse est celle avancée par le blogueur Hil Blairious déjà cité, qui s’appuie sur la ressemblance entre l’artefact et une dent d’excavatrice, ou plus précisément une dent de benne preneuse (en) (clamshell bucket) :

Méthode de fixation de la dent sur la benne proposée par Hil Blairious. Source

L’hypothèse aurait l’avantage d’expliquer la « découverte » de cette dent dans le sable : elle aurait tout simplement été perdue lors de travaux dans ce lieu, puis « retrouvée » par une autre équipe quelques jours ou semaines plus tard. Il est plus difficile d’expliquer l’utilisation d’aluminium pour ce type d’équipement généralement en acier, mais ce n’est cependant pas impossible ; il est par exemple possible d’avoir du matériel en alliage d’aluminium résistant pour des travaux d’excavation dans un environnement où le risque d’explosion est élevé, et où il faut donc limiter la production d’étincelles, par exemple des mines de charbon, des marais, des décharges... A priori une couche de sable de rivière n’est pas un milieu à risque, mais rien n’empêche la réutilisation pour excaver cette couche de sable de matériel conçu pour un autre environnement.

Enfin, il faut mentionner une autre possibilité : la ville d’Aiud a en effet longtemps été le siège d’un des plus gros complexes métallurgiques de Roumanie, Metalurgica Aiud (ro), qui fabriquait des machines-outils, des pièces d’armement et d’aéronautique etc. L’usine se situait à l’est de la ville, à quelques centaines de mètres des berges de la rivière Mures. Or l’artefact est présenté comme ayant été trouvé à environ 2 km à l’est d’Aiud, au bord de la rivière ; les emplacements possibles sont assez limités, et celui qui conviendrait probablement le mieux est celui-ci, à environ 2 km à l’ENE du centre de la ville :

En remontant sur Google Earth dans le passé jusqu’en 2003, on constate que ce même emplacement en bord de rivière, aujourd’hui en friche, était à l’époque relié à l’usine Metalurgica Aiud par une voie ferrée, et comportait des constructions et ce qui ressemble quelque peu à des zones de stockage :

L’aluminium étant un métal parfaitement recyclable - et beaucoup moins coûteux à recycler qu’à produire à partir de la bauxite - il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’une usine comme celle-ci ait disposé d’un stock de pièces détachées à recycler (y compris même pourquoi pas des morceaux d’avions allemands !), et qu’une de ces pièces ait été oubliée sur place, enterrée par des travaux ultérieurs, enfouie lors de l’éboulement d’une paroi sableuse ou tout autre scénario !

Bref, on se retrouve avec un certain nombre d’hypothèses, entre lesquelles il sera peut-être impossible de jamais trancher, concernant l’artefact d’Aiud :
 un fake
 une pièce tombée d’un avion
 une dent tombée d’une benne lors des travaux
 une pièce à recycler oubliée sur le terrain de l’usine
 une pièce d’un engin extraterrestre venu heurter un mastodonte ou un rhinocéros laineux il y a 100 000 ans ou plus.
Petit jeu : parmi ces hypothèses, devinez laquelle est la plus improbable ? (N’hésitez pas à utiliser votre « curseur de vraisemblance » pour trouver la réponse !)

Des Zitis au Néolithique

Revenons à la bande annonce de Deï Mian : l’artefact d’Aiud est suivi d’une succession d’images montrant cette fois de vrais artefacts archéologiques du Néolithique, provenant en majorité de la culture dite de Cucuteni-Trypillia. On notera que l’auteur prend soin de leur donner un petit côté mystérieux, voire extraterrestre ; par exemple cette statuette anthropomorphe :

est présentée dans la bande annonce ainsi :

et une autre, probablement de ce type-là :

apparaît ainsi :

Sont également présentées les fameuses tablettes de Tartaria (en) qui sont parmi les artefacts les plus débattus du Néolithique européen. Elles ont été trouvées en 1961 dans un site daté de la culture de Vinca et portent des symboles que certains interprètent comme une écriture, qui serait donc beaucoup plus ancienne que les premières écritures de Mésopotamie. Cette thèse est cependant loin d’être acceptée par la majorité des archéologues, du fait d’un certain nombre d’obscurités (en) entourant la découverte des tablettes (voir à partir de la page 115, « The Tartaria tablets as problematic archaeological artifacts »), et du fait qu’elles ne peuvent être datées suite à un malencontreux traitement à l’acide et par cuisson immédiatement après leur découverte. La thèse d’une écriture ou pré-écriture « roumaine » ou « européenne » est par contre soutenue avec enthousiasme par les nationalistes roumains, et ce n’est pas un hasard si ces tablettes se retrouvent dans le film de Deï Mian, comme on le verra bientôt.

La bande annonce revient ensuite sur le thème des géants déjà évoqué dans la présentation du film, thème illustré par une photographie de squelette qui, sans échelle, est beaucoup plus probablement un squelette humain normal que le squelette d’un géant de « 4 ou 5 mètres de haut » annoncé - à noter que toutes les photos de prétendus squelettes de géants trouvés en Roumanie comme ailleurs qui circulent sur internet sont soit des photos hors contexte, soit des fakes purs et simples (en).

On enchaîne ensuite sur une légende vaguement prométhéenne, mentionnant une divinité appelée « Luana » censée être venue du ciel pour apporter la civilisation. Ce qui est assez curieux c’est qu’on trouve très peu de mentions de ce/cette Luana sur internet ; il y a bien un très court article (en) sur le wikipedia en anglais, article sans sources écrit par un utilisateur peu actif qui se présente (en) lui-même comme un nationaliste roumain, et jamais complété depuis sa création en 2006, mais rien par contre sur le wikipedia roumain (ro). Toutes les pages web qui mentionnent ce nom en lien avec la mythologie ne font que reprendre l’articulet de wikipedia, ou bien n’ont aucun rapport avec une quelconque légende (« Luana » est un prénom, dérivé de « Elena », assez fréquent en Roumanie). Aucune mention d’un ou une Luana dans les ouvrages sérieux sur les mythologies roumaines. Les seules sources au final pour cette supposée légende locale sont une série de pages web roumaines comme celle-ci (ro) (un guide des hôtels et pensions de Roumanie), toutes consacrées aux « mystères » de la région des Monts Buzau (qui figurera très probablement en bonne place dans le film de Deï Mian), et qui toutes se résument à des affirmations reprises d’un tout petit nombre de personnages : un certain Vasile Rudan (ro), auteur spécialisé dans le paranormal et ufologue ; un couple de pseudo-historiens du village de Colti, Dimitru et Veronica Nica (ro), et une guide touristique locale, Diana Gavrila (ro), qui organise des visites touristiques (ro) dans cette même région. D’après cet article (ro), la « légende de Luana » serait apparue dans une interview donnée par Vasile Rudan à la revue Flacara en février 1980, et l’auteur suppose même qu’elle pourrait avoir été inspirée par le personnage civilisateur de « Loana » joué par Raquel Welch dans le film Un million d’années avant JC ! Plutôt qu’à une vraie légende locale, on a donc plutôt affaire à une pseudo-légende bricolée par un ufologue et quelques amateurs de mystère, et utilisée pour attirer les touristes en mal de mysticisme dans cette région, que certains ont même surnommée « le pays de Luana » (« Tara Luanei »). La « légende » a même été récupérée (en) (voir page 13 du pdf) par certains milieux plus ou moins nationalistes comme exemple de « mythe national » à promouvoir pour défendre l’identité nationale...

Des tunnels

On va retrouver à peu près tous ces éléments (géants, artefact mystérieux, antériorité de l’écriture en Roumanie, pierres « vivantes », visiteurs de l’espace...) dans la deuxième bande annonce officielle de Deï Mian ; on va également retrouver dans cette deuxième bande annonce un thème qui était déjà évoqué dans la première (voir les multiples images de souterrains) et dans la présentation du film (voir la scène où le réalisateur interroge des passagers de sa voiture sur une grotte « qui mènerait au centre de la Terre » ou l’intro du film évoquant la nécessité de chercher « sous nos pieds » la réponse à la question « sommes-nous seuls dans l’univers ? ») : le thème des souterrains roumains renfermant des secrets soigneusement protégés par la police secrète (« Tous disent que les services secrets sont venus avec des voitures et qu’ils ont tout chargé »). La Roumanie ne manque pas de grottes naturelles et de cavités artificielles, particulièrement d’anciennes mines : les Carpathes, en particulier la région des Monts Apuseni, sont exploitées depuis longtemps entre autres pour leurs gisements d’or, et on y trouve par exemple l’extraordinaire ancienne mine romaine de Rosia Montana (Alburnus Maior) étudiée en profondeur par Béatrice Cauuet et le laboratoire TRACES de l’Université de Toulouse ; et une bonne partie des tunnels montrés dans les bandes annonces sont très probablement d’anciennes mines antiques ou médiévales. Mais comme on l’a déjà constaté, ce n’est pas vraiment l’archéologie réelle qui intéresse Deï Mian !

Rosia Montana. Source

Ces histoires de souterrains mystérieux en Roumanie, associés ou non avec des géants, des extraterrestres, et les services secrets de divers pays, abondent sur la Toile. Pour l’essentiel on peut faire remonter une bonne partie de ces histoires à un certain Radu Cinamar, pseudonyme d’un auteur roumain qui publie entre 2004 et 2009 une série de quatre livres (en) de fiction centrés sur un réseau de tunnels qui existeraient sous le « Sphinx » de Bucegi déjà évoqué ; dans la traduction anglaise : Transylvanian Sunrise, Transylvanian Moonrise, Mystery of Egypt : The First Tunnel, et The Secret Parchment [2]. Il s’agit d’un thriller scientifico-politico-fantastique, où apparaissent un « enfant spécial » doté de dons paranormaux, les services secrets roumains et américains, les francs-maçons et les Illuminatis, une base souterraine extraterrestre, un agent secret chinois, des alchimistes, des tunnels reliant la Roumanie à l’Egypte, au Tibet et au centre de la Terre (creuse, bien sûr !)... Bien évidemment, la fiction est présentée comme une « histoire vraie », et s’appuie sur quelques éléments réels, comme par exemple le rapprochement militaire entre la Roumanie et les Etats-Unis en 2002-2003 ; mais il ne fait aucun doute dans l’esprit d’un lecteur normalement constitué qu’il s’agit bien d’une fiction, qui n’est pas plus à prendre au pied de la lettre qu’un roman de Michael Crichton ou Robert Ludlum. Le héros des livres est nommé Cezar Brad, et l’auteur nous affirme que sous ce pseudo se cache un personnage réel qu’il a rencontré - procédé classique s’il en est. L’auteur lui-même, qui se cache derrière le pseudonyme de Radu Cinamar, se présente comme un membre des services secrets roumains, et les spéculations (ro) vont bon train en Roumanie sur son identité réelle : le nom le plus souvent avancé est celui de Pavel Corut (en), ancien officier de la Securitate et écrivain prolifique, dont la tonalité nationaliste (en), complotiste et à la limite du fantastique et du paranormal de beaucoup de romans répond tout à fait à celle des ouvrages de « Radu Cinamar » ; mais d’autres noms de nationalistes roumains ont été avancés, dont celui de Daniel Roxin qu’on reverra plus bas.

Les ouvrages de Radu Cinamar ont été publiés en anglais par l’éditeur Sky Books (en), appartenant à un certain Peter Moon [3], ancien scientologue (en), et spécialisé dans les ouvrages consacrés au Projet Montauk (en) et à diverses conspirations liées à la thématique du voyage dans le temps. La quasi-totalité de ces ouvrages sont signés ou co-signés par Peter Moon lui-même (par exemple celui-ci (en)), qui apparaît également comme co-auteur de la version anglaise des ouvrages de Radu Cinamar, qu’il relie plus ou moins adroitement à son obsession pour les voyages dans le temps. Pour en savoir plus sur le personnage de Peter Moon et le hoax du Projet Montauk, je suggère la lecture de cette série d’articles (en) : 1, 2, 3 et 4.

Le plus étonnant dans cette histoire, c’est de voir à quel point un mauvais thriller a pu être pris au sérieux par un nombre incroyable de gens et de sites web [4], prêts à prendre pour parole d’Evangile une histoire sans queue ni tête racontée par un anonyme, appuyée sur les dires d’un autre anonyme, et prêts à relayer ces « infos » sur les tunnels de Bucegi qui ne reposent sur aucune preuve tangible - ce qui, dans une parfaite logique conspirationniste, est la preuve même de la véracité de l’histoire : si on ne trouve aucune preuve de l’existence de ces tunnels reliant la Roumanie à l’Egypte et au Tibet, c’est que toutes les preuves ont été effacées par une organisation surpuissante - mais qui n’a pas réussi à empêcher la publication d’un malheureux bouquin...

Mais il y a plus fort encore : il est fort possible que Deï Mian, dans son film, évoque une autre histoire qui court sur internet. La deuxième bande annonce montre en effet, juste après avoir fait allusion à un « monde souterrain », la fameuse carte du « continent hyperboréen » dessinée par Gérard Mercator en 1595 :

Or le lien entre la Roumanie, ses tunnels et ses géants, et l’Hyperborée, ne provient pas du livre de Radu Cinamar, mais plutôt d’un texte qui circule sur internet [5], dont on peut trouver ici un exemple (en) dans une mauvaise traduction du roumain, ou ici un autre exemple (en) un peu mieux rédigé. Accompagné - à nouveau - d’une mauvaise photo trafiquée de squelette de géant, ce texte nous sert une histoire rocambolesque de galerie de mine à Rosia Montana contenant le squelette d’un géant de 10 mètres, de trésor fabuleux, d’intervention de l’armée et des services secrets de Moscou, de disparitions mystérieuses, d’inscriptions daces et de lien avec les Hyperboréens. Le même texte a beaucoup circulé (ro) en Roumanie en particulier en 2013, au moment où le projet de reprise de la mine de Rosia Montana par une compagnie canadienne a suscité une énorme mobilisation de la société civile ; on le retrouve même dans une pétition (ro) signée par plus de 1200 personnes demandant des comptes au gouvernement sur le mystère de cette galerie de mine « hyperboréenne ». Or ce texte est un canular (ro) d’un blogueur et sceptique (ro) roumain, Dan Ioanitescu, publié le 5 septembre 2012 pour se moquer des fans (ro) des « mystères de la Roumanie » et en particulier de Radu Cinamar, et qui a malheureusement échappé à son créateur, repris dès le lendemain (ro) par des dizaines de blogs et sites de news.

Experts et spécialistes

Il semble donc que Deï Mian, pour faire son film sur les mystères de la Roumanie, ait beaucoup puisé son inspiration dans la galaxie des sites ufologiques et pseudo-archéologiques. Reste qu’il annonçait, dans sa présentation du film, vouloir faire appel à des « chercheurs, experts et spécialistes » pour apporter un éclairage sur ces mystères. Sans préjuger des « experts » qui figureront dans le film, on peut déjà constater l’apparition de quelques uns d’entre eux, non nommés mais faciles à reconnaître, dans les bandes annonces.

« L’expert » français s’appelle Michel Deseille ; il est présenté comme écrivain, conférencier, historien, parfois astrologue, plus prosaïquement professeur d’histoire à la retraite qui n’a à son compte aucun article scientifique, aucun ouvrage d’historien, juste un livre sur l’apocalypse édité à compte d’auteur. Par contre il offre des dizaines d’heures de « conférences » (ici ou ) où il bavarde dans son salon, dans un discours approximatif, bourré d’imprécisions et d’inexactitudes, sur des sujets aussi variés que Rennes-le-Château, les Annunakis, l’histoire secrète des Etats-Unis, de l’Allemagne ou de la Russie, les francs-maçons, les Celtes, les Basques, les Cathares, l’Islam, la « géométrie sacrée », la magie noire, l’alchimie, et j’en passe - le tout bien sûr sans aucune source, une suite d’affirmations hasardeuses assenées comme des vérités, et assaisonnées d’ésotérisme chrétien et de complotisme. Bref, sûrement pas un historien - d’ailleurs, un signe qui ne trompe pas pour reconnaître un pseudo-historien ou pseudo-archéologue est l’utilisation par ce personnage, dans la première bande annonce, de l’expression « civilisations antédiluviennes » qu’aucun archéologue digne de ce nom ne prononcerait !

Le deuxième « expert », qui raconte la pseudo-légende de Luana, est une Roumaine nommée Andreea Ionescu (ro) qui s’est associée avec Deï Mian avec qui elle co-organise des « retraites méditatives » ou « séjours de reconnexion » en Amazonie (voir ici un documentaire réalisé par Deï Mian sur ces « retraites » à l’ayahuasca (en)). Sa carrière s’est essentiellement déroulée dans le marketing, mais elle tient aussi une rubrique (ro) combinant astrologie et développement personnel dans un magazine féminin ; elle est également « thérapeute holistique » et organise pour 450 € des « sessions de renaissance personnelle (en) ». Du coup, on se demande bien quelle expertise elle peut apporter au film...

Le troisième « expert » est un certain Iuri Floroiu (ro) ; il a été rédacteur en chef (ro) d’un magazine intitulé Lumea Misterelor (ro) (Mystères du Monde), consacré, non pas à l’histoire ou à l’archéologie roumaines, mais aux ovnis et aux phénomènes paranormaux. Il est actuellement vice-président d’une association nommée Asociația Rădăcinile Neamului Românesc (ro) (Racines de la Nation Roumaine), qui combine nationalisme (ro), folklore (ro), et complotisme (ro). Iuri Floroiu participe d’ailleurs régulièrement à des émissions complotistes sur la télévision poubelle 6TV (ro) en Roumanie : bases souterraines extraterrestres (ro), complot du CERN pour détraquer le climat (ro), projet Montauk (ro) etc. Dans la première bande annonce officielle, ce personnage nous parle de géants de 4 ou 5 mètres de haut, et dans la deuxième il avance que les concrétions appelées babele seraient des formes de vie conçues par des extraterrestres...

Le dernier « expert », Daniel Roxin (ro), gravite dans les mêmes milieux nationalistes que le précédent (ils organisent d’ailleurs ensemble des conférences (ro) sur le thème de « l’origine du peuple roumain »). Daniel Roxin est un activiste assez prolifique de ce qu’on appelle en Roumanie le « protochronisme », ou parfois également « dacomanie », voire « dacopathie » (voir le blog (ro) de l’auteur Dan Alexe). Il s’agit d’une forme assez aiguë de nationalisme, qui veut faire des Roumains les descendants directs du peuple des Daces ou Gètes, et qui attribue à ces mêmes Daces une antériorité sur les autres peuples et civilisations dans quasiment tous les domaines. Ainsi par exemple les protochronistes affirment que, contrairement à la « version officielle », la langue roumaine ne descendrait pas du latin, mais directement de la langue des Daces, et que c’est au contraire le latin qui descendrait du roumain ! D’autres vont encore plus loin, en faisant d’un pseudo « alphabet dace » l’ancêtre de l’étrusque et du latin, en affirmant que les Daces ont conquis Rome et non l’inverse etc. Les plus allumés (en) font de la civilisation Dace l’ancêtre de toute civilisation, et dénoncent un complot (généralement occidental) pour effacer toute trace de cette « première civilisation ». Le protochronisme est très présent depuis le XIXème siècle en Roumanie, où il a eu ses heures de gloire : tout d’abord dans les années 30, où on le retrouve chez les idéologues de la Garde de Fer, le mouvement légionnaire fasciste et identitaire roumain ; il est ensuite remis au goût du jour par le dictateur Ceaucescu pendant la période du « national-communisme », et devient même idéologie officielle vers la fin des années 70 (voir page 248 et suivantes). Mais la chute du régime Ceaucescu en 1989 ne marque pas la fin du protochronisme, au contraire, puisqu’il est aujourd’hui très présent dans les médias populaires et au sein des partis nationalistes roumains, malgré l’absence de validité scientifique de ses hypothèses. Le protochronisme est en effet une pseudo-histoire (et une pseudo-linguistique, et une pseudo-archéologie (en)...), et la motivation des adhérents à ces hypothèses est plutôt idéologique [6] : nationalisme, identitarisme...

Daniel Roxin, qui n’a rien d’un scientifique, met ses multiples talents au service d’un protochronisme mâtiné de New Age : il a réalisé de très nombreuses vidéos (ro) sur « l’histoire cachée » des Daces et de la Roumanie [7], publie sur son blog personnel (ro), ainsi que sur son site « d’information alternative (ro) », dirige l’Association des Géto-Daces (ro) et son site web (ro) ; il dirige également une maison d’édition (ro) liée à la même association, ainsi qu’une boutique (ro) d’objets « patriotiques ». Il a probablement beaucoup influencé les choix de Deï Mian pour son film, puisqu’on retrouve, parmi ses articles ou ses vidéos, à peu près tous les éléments évoqués dans les bandes annonces ou les interviews de ce dernier : le « Sphinx (ro) », les « légendes » des Monts Buzau racontées par Diana Gavrila (ro) la promotrice de « Luana », l’origine de l’écriture (ro) en Roumanie et les tablettes de Tartaria (ro), le « calendrier mystique (ro) » de Sarmizegetusa etc... La seule chose qui semble propre à Deï Mian et ne pas vraiment venir de Daniel Roxin est le côté extraterrestre !

Que dire en conclusion ? L’impression que me laissent les bandes annonces, sans avoir vu le film, est celle d’un jeune homme obsédé par les mystères et les ovnis, naïf et passablement inculte en matière d’histoire et d’archéologie, qui s’est trouvé embringué dans un réseau (tous ces « experts » roumains se connaissent entre eux) pour lequel la pseudoscience cache un agenda politique, et qui risque de se retrouver sans le vouloir à véhiculer les éléments d’une idéologie qui n’est peut-être pas la sienne. Par ailleurs le film s’annonce comme un véritable bric-à-brac fictionnel : il n’y aurait rien à redire là-dessus si l’auteur annonçait clairement la couleur, et ne se présentait pas comme un « chercheur de vérité »... Et pour finir, le fait qu’Adrien Moisson finance le film de Deï Mian, et que Patrice Pooyard, par le biais de sa page Pyramides, Patrice Pooyard & Jayan Films, en assure la promotion massive, prévoyant même de « continuer l’enquête » en Roumanie, augure assez mal de leur propre « recherche de vérité » - pour laquelle ils se targuent de ne présenter que des faits indiscutables qu’ils vérifieront rigoureusement - non ?