De la Lune, de Kubrick et des miroirs
Article mis en ligne le 23 juin 2015

par Irna

On sait que Jacques Grimault, l’auteur du film La Révélation des Pyramides, répugne à attribuer aux Egyptiens la construction des pyramides, préférant parler de « Bâtisseurs », sans qu’on sache ce que recouvre cette expression. Il laisse de temps en temps échapper quelques informations sur ces Bâtisseurs, comme par exemple lors d’un échange de questions/réponses sur un chat :

Résumons : il y a beaucoup de « races de Bâtisseurs », ils ont effacé toute trace de leur passage [1] mais continuent d’influencer notre société... Jacques Grimault maintient volontairement le flou sur l’origine de ces Bâtisseurs, terrestre ou extraterrestre ; mais qu’il s’agisse d’aliens venus rendre visite à la Terre, ou d’une civilisation ancienne supérieure ayant quitté la Terre, il envisage clairement leur présence, aujourd’hui, dans le système solaire. C’est en tout cas ce qui ressort d’une conférence qu’il a donné à Rouen le 16 mai de cette année dans le cadre d’un « dîner OVNI », conférence intitulée « Les Ovni dans le Système solaire : observations et conclusions » et visible sur YouTube.

Disons-le tout de suite, cette conférence est loin d’être passionnante : décousue, avec un conférencier qui se contente les trois quarts du temps de lire ses diapos, en les entrecoupant de lourdes blagues sur les immigrés et les Africains... Deux thèses principales sont présentées, l’une qui affirme l’omniprésence des OVNI dans le système solaire (atmosphère terrestre, Lune, Mars, Jupiter etc.), l’autre qui conteste la réalité des expéditions lunaires en dénonçant les « trucages » de la NASA, sans que le lien entre ces deux thèses soit jamais explicité. Mais je ne regrette pas d’avoir jeté un coup d’oeil à cette vidéo, tant elle fourmille de « perles », un vrai bêtisier !

En ce qui concerne les « preuves » d’occupation du système solaire, elles consistent en une accumulation de témoignages indirects et surtout de vieilles photos, pour la plupart débunkées depuis longtemps. Un exemple : à 38’ 56" M. Grimault nous montre ceci :

Cette image a été présentée au public par Richard Hoagland [2], qui l’annonce sur son site enterprisemission.com comme un cliché pris par la sonde soviétique Zond 3 en 1965 :

On la retrouve sur de nombreux sites ufologiques, présentée comme la « Tour de Babel » de la face cachée de la Lune :

Problème : seule la reproduction du cliché par Hoagland, reprise d’un livre de 1987 (Solar system log de Andrew Wilson), recopiée ensuite par tous les autres sites, présente cette « anomalie » en forme de tour ; aucune des images originales de Zond 3, que l’on prenne les images traitées, ou les images brutes, ne montre de « tour de Babel », tour qu’on peut donc raisonnablement attribuer à un défaut de la reproduction... Cela signifie que M. Grimault n’a pas pris la peine d’essayer de retrouver les originaux, pas plus que les ufologues sur le site desquels il reprend ses images... C’est pourtant le même qui, au début du nouveau film de Patrice Pooyard Gizeh 2005, affirme : « Je n’avance rien que je n’aie vérifié moi-même » ! A moins que Jacques Grimault n’ait pu avoir accès à un cliché super secret soigneusement dissimulé à tous depuis 50 ans par les Soviétiques puis les Russes ?

M. Grimault s’extasie aussi beaucoup sur certaines « anomalies » présentes sur la Lune, qui n’auraient rien de naturel. Ainsi, vers 44’ 20", il nous offre des photos « d’impacts de projectiles issus d’armes géantes » (avec quand même un point d’interrogation...) :

« Ce sont des machines de tueurs professionnels » (44’ 50")... Ah oui ? Quelques secondes plus tard, il demande à propos de ces « traces de balles » : « Pourquoi ne sont-elles pas étudiées ? » en montrant au même moment ceci :

S’il avait pris la peine de se renseigner, il aurait pu voir que des chaînes de cratères comme celle-ci, Catena Davy, sont suffisamment courantes sur la Lune pour avoir reçu le nom de Catenae [3] ; et que loin de les ignorer, les scientifiques s’y intéressent de près, en particulier depuis 1994 et la chute de la comète Shoemaker-Levy 9 sur Jupiter : elles sont en effet le résultat de la collision avec une comète qui s’est fragmentée peu de temps avant le contact avec le sol lunaire, de la même façon que Shoemaker-Levy 9 s’est fragmentée avant de déclencher sur Jupiter le feu d’artifice que l’on sait.

Je passerai sur le reste des « preuves » apportées par Jacques Grimault, toutes sont à peu près de la même eau. On a ensuite droit à toutes les « vieilles lunes » du Moon Hoax : drapeau qui flotte, empreintes de pas « bizarres », poussière ou absence de poussière, allusions à Stanley Kubrick [4] (que M. Grimault appelle lourdement et systématiquement Stanley « Lubrique »...), ombres « anormales » qui prouvent « qu’il y a deux éclairages différents » (55’ 50") :

Quelqu’un pour expliquer à M. Grimault que deux éclairages différents donnent forcément des ombres doubles ?

Et que la taille d’une ombre ne dépend pas seulement de la hauteur de la source lumineuse, mais aussi du relief et de la pente sur laquelle cette ombre s’étend ?

Un peu plus loin, à 51’ 33", il nous présente une série de photos qui seraient la preuve d’un trucage, la NASA ayant incrusté sur fond noir des photos prises en réalité sur la Terre, ce qui expliquerait pourquoi on ne voit pas d’étoiles sur les photos « qui nous sont présentées comme des photos lunaires » :

Ce que M. Grimault ne dit pas, c’est que si les photos d’entraînement sur la Terre sont réelles :

les photos sur fond noir dont il nous dit qu’elles sont « présentées comme des photos lunaires » viennent de ce site :

Comme on le voit, même si l’auteur du site artivision est lui aussi un tenant du canular lunaire, il ne prétend pas que ces photos sont réelles et annonce ouvertement avoir lui-même procédé à l’incrustation sur fond noir.

On le voit, les « preuves » avancées par M. Grimault laissent beaucoup à désirer ; c’est à se demander si on a affaire à un grand naïf, ou bien s’il use et abuse d’un public crédule et conquis d’avance. On va encore plus loin dans le ridicule aux alentours de 48’ 40", lorsque le conférencier annonce qu’il existe trois films qui prouveraient le hoax lunaire, dont l’un « où on voit le pseudo-Armstrong qui descend du truc et il se prend une barre d’éclairage sur la figure ». Ce film existe réellement, on peut le voir sur YouTube, où les autorités américaines n’ont visiblement réussi à le faire supprimer :

L’adresse incrustée dans le film renvoie à un site qui n’existe plus, www.moontruth.com. Heureusement, l’archive du web a conservé la trace de ce site ; sur la page d’index on a une série de questions/réponses :

à lire très attentivement : pas une seule réponse n’est un mensonge, mais aucune ne veut dire ce que le visiteur naïf croit qu’elle veut dire... Si on suit le lien en bas de page click here to discover that the above is all bullshit, on arrive sur la page full story :

où l’on apprend qu’il s’agit en fait d’une vidéo virale, conçue et réalisée par l’agence de publicité The Viral Factory... Les liens en bas de page permettent d’avoir toutes les explications sur qui, comment, pourquoi... [5]

Bref, on ne peut pas dire que M. Grimault soit bien difficile sur la qualité de ses arguments pour défendre la thèse du canular lunaire... Une dernière « perle » révèle, elle, un manque de compréhension pour le moins abyssal de ce qu’est un miroir. Il s’agit de la célèbre photo de Buzz Aldrin prise par Armstrong ; Armstrong était équipé d’un appareil photo fixé sur son scaphandre, et on voit son reflet dans la visière du casque d’Aldrin :

A 46’ 30", M. Grimault présente un gros plan sur ce casque, et pose la question « Combien étaient-ils sur la Lune » :

pour y répondre aussitôt :

Je cite : « Alors vous avez 1° le personnage photographié ; 2° le photographe dont on voit l’ombre au milieu ; et c’est quoi le type, là ? Parce qu’ils n’ont jamais été plus de deux sur la Lune, hein ! »...

Vous avez bien lu : M. Grimault prend l’ombre d’Aldrin, le photographié, pour celle d’Armstrong, le photographe ! D’où l’on peut déduire qu’il n’a pas compris grand chose à ce qu’est un miroir... Voici donc pour lui un petit cours de rattrapage :

Bon, l’erreur est humaine, on peut ne pas en vouloir à M. Grimault de confondre miroir et fenêtre ! Mais là où l’affaire devient vraiment très drôle, c’est lorsque son orgueil, commensurable à la pyramide de Khéops, l’empêche de reconnaître cette erreur ; celle-ci lui a en effet été signalée très vite, y compris par des « fans », par exemple dans le forum dédié au film. Par rapport aux autres erreurs, approximations, voire mensonges délibérés, dont j’ai donné quelques exemples plus haut, cette erreur-là est presque attendrissante (j’ai testé sur un enfant de six ans, il voit lui aussi 3 personnages sur la photo...) et on la lui aurait volontiers pardonnée. Mais la réponse, transmise par un de ses sous-fifres sur la page Facebook de l’auteur (ici et ), est bien du pur Grimault :

réponse circonstanciée que voici :

Et c’est cet homme, incapable de voir ce qui saute aux yeux de tous, et surtout incapable de reconnaître une erreur et de répondre sans éructer et insulter, qui prétend nous « révéler » « le Bon, le Vrai, le Juste et le Beau » ?


Mise à jour du 24 juin

Dans une discussion sur Facebook, un des fans de Jacques Grimault s’offusque de la reconstitution ci-dessus utilisant une cuiller et une flèche de scotch noir plutôt qu’une ombre réelle, comme si cela pouvait changer quelque chose :

Qu’à cela ne tienne, des participants à la discussion lui ont aussitôt offert d’autres reconstitutions, sans pour autant convaincre le disciple de Maitre Grimault :

Offert par Marc Peltzer
Offert par Christophe Eulbrother

A voir aussi le document créé par Paul Cultrera, webmaster du site De la Terre à la Lune consacré au programme Apollo : http://www.noelshack.com/2015-26-1435146592-explication-bis.png