Ce que les institutions scientifiques de Bosnie pensent du projet de M. Osmanagic
Article mis en ligne le 16 mai 2007

par Irna

Le lecteur se rappelle peut-être (voir cet article) que la Fondation de M. Osmanagic semble avoir cette année, à la différence de l’année 2006, un peu de mal à obtenir les autorisations de fouilles nécessaires à la poursuite de son projet. En tout cas, il semble que les autorités fédérales responsables, en l’occurence le Ministère de la Culture et celui de l’Aménagement du Territoire, aient pris la peine cette année de solliciter l’opinion de diverses autorités scientifiques sur les différents projets de M. Osmanagic. J’ai déjà mentionné la position très négative de la Commission pour la Protection des Monuments Nationaux qui, dans son courrier (bs) adressé au Ministre de l’Aménagement du Territoire, considère que délivrer une autorisation de fouilles sur Visocica à la Fondation reviendrait à enfreindre la loi.

Ces jours-ci, sur le site de "geolog-mrak" (bs) [1], sont publiés les scans de deux autres courriers, tous deux adressés au Ministre de la Culture, M. Gavrilo Grahovac.

géologues de l’Université de Tuzla
geologists from Tuzla University

Le premier (bs) émane de l’équipe des géologues de l’Université de Tuzla dirigée par le Professeur Sejfudin Vrabac, se contente de rappeler que ladite équipe a conclu en 2006 à l’origine naturelle de la colline de Visocica, et recommande, étant donné que "les faits géologiques ne sont pas pris en compte" dans le projet, de refuser tout soutien à celui-ci.

Zemaljski Muzej page 1
Zemaljski Muzej page 2
Zemaljski Muzej page 3
Zemaljski Muzej page 4
Zemaljski Muzej page 5

Le deuxième courrier (bs), plus long, est signé de cinq archéologues (parmi lesquels Mme Zilka Kujundzic-Vejzagic), un minéralogiste, un paléontologue et un pétrographe, tous membres de l’équipe du Musée National de Bosnie-Herzégovine (Zemaljski Muzej (en)) à Sarajevo. Ces scientifiques ne sont pas tendres avec l’équipe de M. Osmanagic : ils évoquent "l’arrogance" et la "malveillance" des personnes responsables, leur ignorance totale des protocoles scientifiques en vigueur pour les fouilles archéologiques et les conséquences destructrices de leurs pratiques, et considèrent que "le rapport [2] disponible suffirait à lui seul, dans tout Etat civilisé, à provoquer l’arrêt immédiat des activités de la Fondation, aussi bien sur les sites portés sur la liste des Monuments nationaux protégés que sur tous les sites archéologiques potentiels".

On apprend également dans ce courrier qu’un groupe d’archéologues du Musée s’est rendu sur place le 16 avril 2007, et qu’ils se sont vu refuser par Mario Gerusi (beau-frère de M. Osmanagic et directeur exécutif de la Fondation) l’accès aux zones en cours de fouille de la localité de Vratnica ; il ne leur a pas non plus été permis d’étudier les "artefacts" trouvés par l’équipe ("vache", "dragon", "proto-alphabet"...).

Par ailleurs, les scientifiques du Musée National relèvent un certain nombre de sujets d’inquiétude :
 la prétention de la Fondation à s’intéresser à l’archéologie et à la "protection" du patrimoine sur l’ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine ;
 son pseudo-intérêt pour la "restauration" de la Vieille Ville de Visoki, qu’ils identifient comme un "pseudo-projet" et auxquel ils refusent de participer (voir ici l’analyse que je fais de ce nouveau "projet" de la Fondation) ;
 les ingérences néfastes des autorités cantonales (du canton de Zenica-Doboj, qui ont toujours soutenu fortement M. Osmanagic), voire municipales, qui se sont permis de délivrer des autorisations de fouilles non fondées scientifiquement en outrepassant leurs compétences ;
 l’absence totale de scientifiques compétents en matière d’archéologie dans l’équipe de M. Osmanagic ;
 l’utilisation par la Fondation de noms de scientifiques qui ne font pas ou plus partie du projet, comme les archéologues Sead Pilav et Silvana Cobanov ;
 l’extension sans contrôle des activités de la Fondation à de nouveaux sites, comme Vratnica (où l’on sait qu’existe une nécropole du quatrième siècle) ou Krstac (le "temple de la Terre" de la Fondation, ou le "père de tous les amphithéâtres" de M. Osmanagic Senior, où se trouverait un village/oppidum antérieur à la colonisation romaine) ;
 l’utilisation par M. Osmanagic, en l’absence de preuves archéologiques, de toutes sortes d’analyses inutiles qui ne sont que de la "poudre aux yeux" pour impressionner les profanes ;
 le danger que font courir à la réputation de la science bosnienne dans le monde les pseudo-découvertes comme celle du "proto-alphabet de Visoko" ;
 enfin les auteurs du courrier estiment qu’il y a un certain nombre d’irrégularités dans les comptes présentés par la Fondation, qui mériteraient une vérification plus poussée.

Bref, comme le disent ces scientifiques, "que cette farce soit liée à une volonté de promotion personnelle, à la recherche de ressources financières, ou à quoi que ce soit d’autre, les institutions officielles de Bosnie, à tous les niveaux du pouvoir, ne devraient en aucune manière apporter leur soutien à un tel projet"...


Mise à jour du 18 mai 2007 :

"Geolog-mrak" a maintenant publié deux nouveaux courriers, l’un émanant du Conseil Fédéral pour la Géologie (bs)

Conseil fédéral pour la géologie page 1
Federal Institute for Geology
Conseil fédéral pour la géologie page 2
Federal Institute for Geology
Conseil fédéral pour la géologie page 3
Federal Institute for Geology

et signé Hazim Hrvatovic, géologue et auteur de nombreux travaux sur les Dinarides et les bassins intracontinentaux du Tertiaire, l’autre envoyé par l’Académie des Sciences de Bosnie-Herzégovine (bs), signé Blagoje Govedarica, archéologue et préhistorien, professeur à l’Université d’Heidelberg en Allemagne et conseiller scientifique auprès du Centre des Etudes Balkaniques de l’Académie des Sciences.

Académie des sciences page 1
Academy of Science and Arts
Académie des sciences page 2
Academy of Science and Arts

Sans surprise, les conclusions de ces deux courriers sont les mêmes que pour les deux précédents. Le courrier du Conseil Fédéral pour la Géologie fait une description relativement détaillée de l’histoire géologique de la région de Visoko (une description extrêmement proche de celle que j’avais faite dès 2006), et conclut que "Visocica et Pljesevica sont le résultat de processus géologiques naturels" ; l’Académie des Sciences s’inquiète elle du peu de méthodologie scientifique dans les fouilles et de l’absence totale de documentation scientifique (journaux, inventaires du matériel, rapports scientifiques, documentation iconographique complète), et, sans même se prononcer sur l’intérêt archéologique du projet de M. Osmanagic, se contente de rappeler qu’il n’est pas acceptable, selon les critères européens et internationaux, de délivrer des autorisations et de financer des fouilles dont l’évaluation scientifique est impossible à faire du fait de cette absence. Et de conclure que le budget fédéral serait bien mieux employé, plutôt qu’à soutenir une fondation privée qui ne respecte aucune des règles de base du travail scientifique, à financer la création d’études d’archéologie à l’Université de Sarajevo...