Lettre de Bosnie : à la recherche des pyramides
Article mis en ligne le 13 septembre 2014

par Paul Gee

Août 2014
par Paul Gee

Les immeubles étaient criblés d’impacts de balles et des cratères, grossièrement réparés, des tirs de mortiers, témoins de la guerre sauvage qui faisait rage ici il y a moins de deux décennies. Oui, il y avait eu des réparations, et de nouveaux bâtiments, tout de verre et miroirs, construits, mais Sarajevo était encore convalescente des blessures de son passé récent, et les souvenirs de la guerre étaient abondants.

Alors que mon taxi me conduisait vers les faubourgs de la ville, je ne pus manquer de voir un énorme cimetière, semblant couvrir la moitié de la colline. Les pierres tombales blanches et brillantes, toutes identiques, se dressaient en rangs réguliers, symboles étrangement aseptisés d’un passé chaotique.

Que faisais-je en Bosnie ? Pas vraiment la destination touristique classique ! Pas de vols Ryan Air au rabais ici - en fait, pas de vols directs du tout, il m’avait fallu deux changements pour arriver jusqu’ici. La dernière étape du voyage depuis Zagreb s’était déroulée dans un avion équipé d’un moteur à pistons des années 60, je prenais pour la première fois un avion à hélices : c’était presque pittoresque.

L’aéroport de Sarajevo est petit ; l’atterrissage de notre avion semblait presque un évènement. Il n’y avait que deux carrousels à bagages : le deuxième ne semblait pas avoir été utilisé depuis longtemps. Ma valise avait été perdue en route. Une fonctionnaire blasée de l’aéroport, derrière sa vitre, me tendit un formulaire à remplir. Elle ne donnait pas l’impression d’aimer son travail.

Tandis que le car se traînait vers ma destination, la ville de Visoko à 30 km au nord de la capitale, je regardais défiler les collines et les maisons. Elles semblaient ternes, comme peintes par un artiste n’ayant sur sa palette que du gris et du brun. Le ciel couvert était en accord avec le paysage.

Mais malgré tout cela j’avais en moi un sentiment d’anticipation excitée. J’étais venu en Bosnie comme volontaire, pour ce qui me semblait un projet fascinant : participer à des fouilles, aux fouilles d’une pyramide.

Des pyramides en Bosnie ? Cela peut paraître peu plausible, mais les photos et les clips youtube que j’avais vus sur internet m’avaient semblé convaincants : ils montraient une énorme structure pyramidale, apparemment sans défaut, et parfaitement alignée sur les points cardinaux. D’accord, elle était recouverte de sol, mais il en était de même pour les pyramides mayas avant leur excavation.

L’homme à l’origine du projet était un émigré bosnien, Semir Osmanagic. Il y avait quelque chose d’irrésistible dans son enthousiasme contagieux. Pouvait-il avoir existé des constructeurs de pyramides en Europe, 10 000 ans ou plus avant que les Égyptiens ne construisent les leurs ? C’était la théorie d’Osmanagic, et elle me semblait plausible.

Et Semir Osmanagic avait des preuves.

Bien sûr je ne l’avais vu que dans des vidéos. Avec son chapeau d’aventurier à larges bords et sa voix chantante, Semir y parle de découvertes d’énormes blocs sur le site. Il nous dit que les analyses de laboratoire ont montré que ces blocs sont constitués d’un ancien béton artificiel ; il parle d’un réseau de tunnels sous la pyramide, abritant d’étranges mégalithes de céramique couverts de marques ressemblant à des runes. Il montre des images de dallages formés de pierre exquisément jointoyées. Et le plus remarquable : un rayonnement électromagnétique, concentré et régulier, émis depuis le sommet de la pyramide, à exactement 28 kHz.

Alors que le car approchait Visoko, j’eus mon premier aperçu de la colline pyramidale appelée « Pyramide du Soleil ». Je reconnus sa géométrie précisément triangulaire d’après les photographies que j’avais vues, mais je n’avais pas vraiment pris la mesure de sa taille. Elle dominait la ville, gigantesque, écrasant de sa hauteur le patchwork aléatoire de toits et de bâtiments. S’il s’agissait réellement d’une pyramide, le mot était trompeur : on était plus proche d’une montagne.

Je réfléchissais sur le pourquoi du peu d’intérêt du monde scientifique pour le projet, qu’ils avaient tout simplement ignoré. L’explication d’Osmanagic était que les archéologues traditionnels sont des gens bornés, ne supportant pas l’idée de voir leur point de vue classique sur l’histoire ancienne remis en question. La présence des pyramides de Bosnie révolutionnait l’interprétation conventionnelle de la préhistoire, ce que le monde académique ne pouvait envisager.

J’aimais bien l’idée romantique d’un Semir Osmanagic, outsider solitaire repoussant les frontières de la science en dépit de la résistance de l’establishment. Après tout, Einstein n’était-il pas un simple employé de l’Office des Brevets lorsqu’il découvrit la théorie de la relativité ? J’avalai l’histoire d’Osmanagic, parce que j’avais envie d’y croire.

À Visoko je me présentai à la réception du Motel Piramida Sunca. La trentaine de volontaires, motivés, enthousiastes, venaient du monde entier - Allemagne, Slovénie, Etats-Unis, France. J’étais arrivé.

Au dîner je me trouvai assis en face du professeur Konstantin Meyl. J’avais entendu parler de lui, il était bien connu pour ses recherches dans la lignée de celles de Tesla. Il me dit qu’il voulait essayer de capter le rayon électromagnétique du sommet de la pyramide pour allumer des LED en utilisant les « bobines de Tesla » qu’il avait mises au point. C’était passionnant, j’avais l’impression d’être à la pointe de la science.

Mon premier jour fut passé dans les tunnels, à aider à évacuer à la brouette un conglomérat sableux comblant le labyrinthe. La théorie de Semir Osmanagic était que les tunnels avaient été construits par les anciens bâtisseurs des pyramides, il y a peut-être 25 000 ans, et qu’une civilisation postérieure avait systématiquement bouché les tunnels pour cacher un secret. Les nombreuses galeries secondaires avaient été remplies, et scellées de murs de pierre sèche. A l’intérieur des tunnels il y avait quelques énormes blocs - des mégalithes - dont Osmanagic affirmait qu’ils étaient en céramique et possédaient des propriétés particulières.

Tout cela me paraissait bizarre. Mais c’était amusant de travailler sous terre. J’appréciais la camaraderie, travailler sur un projet avec un groupe de gens aussi intéressants - de tous âges et toutes formations. Alors je mis mes questions de côté pour le moment.

Ce soir-là un autre volontaire, Ahmed de Turquie, m’emmena voir la Pyramide du Soleil. J’avais raté le grand tour avec Semir Osmanagic, étant arrivé deux jours en retard.

Le premier site de fouilles offrait un ensemble de gigantesques blocs d’un matériau conglomératique - que Semir présentait comme du béton manufacturé. Ahmed m’expliqua qu’on lui avait dit que chaque bloc avait dû être chauffé à plus de 500 degrés au cours du processus de fabrication.

Je regardai les blocs ; il n’y en avait que quelques uns. Ce qui me parut curieux était le fait qu’ils soient disposés en longueur, dans le sens de la pente de la colline. C’est ce qu’on s’attendrait à voir s’ils faisaient partie d’une formation géologique naturelle - une couche érodée et fissurée de conglomérat rocheux. Mais ce n’est pas ainsi qu’on s’attendrait à voir disposés des blocs de construction.

La fouille suivante ne montrait pas de blocs, mais une couche continue de « béton », fissurée par endroits, là aussi disposée dans le sens de la pente. Je ne suis pas un spécialiste, mais cela ressemblait à un phénomène géologique classique - une roche appelée poudingue - où les couches géologiques suivent le profil de la colline. Mais d’après Osmanagic il s’agissait à nouveau de béton.

Bon, je voulais garder l’esprit ouvert. Le site suivant montrait, non pas du « béton », mais un énorme affleurement irrégulier de grès qui semblait formé de couches stratifiées. Rien de clairement artificiel ici, à part le fait que la roche semblait avoir été à un moment exploitée en carrière.

J’avais du mal à être convaincu.

Les quelques jours suivants furent consacrés au nettoyage des tunnels. Puis nous eûmes un jour de congé pour explorer le « parc archéologique ». Semir avait identifié au moins trois pyramides dans la vallée. Nous fûmes quelques uns à décider de visiter la Pyramide de la Lune. Sa forme pyramidale était moins évidente, mais j’avais vu des vidéos de curieuses terrasses, formées de pavés parfaitement imbriqués, qui m’intéressaient beaucoup.

Le van nous déposa au pied herbeux de la colline boisée. Ça et là des constructions de type chalet évoquaient les Alpes. Avec l’éclat du soleil et le parfum des fleurs sauvages, on se serait cru dans un paysage de carte postale. Sauf que les façades des constructions étaient marquées d’impacts de mitrailleuse. Des soldats et des civils avaient été tués dans cette vallée - peut-être des familles entières.

Je me souvins que le massacre de groupes ethniques était un des caractères les plus cruels et brutaux de la dernière guerre.

Nous avancions en file indienne sur le sentier raide et boueux. Il y avait des fouilles sur le chemin ; un des dallages, à mes yeux inexpérimentés, donnait réellement l’impression d’avoir été fait intentionnellement. Il paraissait impressionnant avec ses dalles épaisses apparemment alignées.

Un autre dallage formait un puzzle de quadrilatères tous différents, parfaitement imbriqués. Chaque pièce faisait environ deux centimètres d’épaisseur, le tout reposant sur un lit d’argile tendre. C’était censé être un pavage artificiel.

J’avais déjà construit des terrasses. Cela n’a pas de sens de faire un dallage en utilisant de fines dalles disposées sur une fondation d’argile tendre. Cependant la géologie offre couramment des exemples d’une fine couche de roche prise entre deux couches d’argile alluviale. Et un motif complexe de fissures, donnant l’impression d’un dallage, est commun lorsqu’il y a des mouvements tectoniques. A nouveau, cela ressemblait fort à une formation géologique.

Nous prîmes notre pique-nique dans les hautes herbes et les fleurs au sommet de la Pyramide de la Lune, cherchant un peu d’ombre. Il avait beaucoup plu les jours précédents, mais ce jour-là il faisait beau et chaud. Des liens s’étaient formés au sein du groupe des volontaires, suscitant rires et partage.

Il aurait été intéressant de pouvoir explorer un peu plus loin, mais nous avions été avertis de ne pas nous aventurer de l’autre côté de la colline, où subsistaient des zones minées. C’est assez commun en Bosnie : il y a encore beaucoup de régions où des explosifs restent enterrés, et après de fortes pluies et inondations il y a toujours le risque que des mines soient entraînées ailleurs. Un Bosnien m’avait dit : il faut être prudent, même dans les zones « sûres ».

Qu’est-ce qui avait pu provoquer un conflit si terrible en Bosnie et dans les Balkans ?

Je repensai à la façon dont les mouvements tectoniques créent des tensions. C’était comme si la région des Balkans était une zone de collision de plaques tectoniques culturelles : la ligne de faille où l’est rencontre l’ouest. Les caractéristiques des religions orthodoxe orientale et catholique romaine sont très différentes ; ajoutez à cela les 40 % de population musulmane, et la présence significative de Roms, et vous avez le potentiel pour des tensions culturelles.

Là où des plaques tectoniques se rencontrent, des volcans entrent parfois en éruption.

J’étais curieux de savoir si des géologues avaient visité le site des pyramides. Ce soir-là je vérifiai sur internet, et vit qu’une série de géologues avaient effectivement visité le projet depuis le début des fouilles en 2005. Le Dr Robert Schoch n’était qu’un des nombreux géologues ayant conclu que les dallages visibles étaient des structures géologiques, et que les couches fissurées de soi-disant « béton » que j’avais vues sur la Pyramide du Soleil étaient conformes à la géologie de la région.

J’étais surpris qu’Osmanagic semble rejeter ces positions de façon si désinvolte. Après tout Osmanagic n’avait pas de formation de géologue, ni d’ailleurs d’archéologue, étant plutôt un homme d’affaires avec un doctorat en anthropologie. Des doutes plus sérieux commençaient à m’envahir l’esprit.

Durant la journée je travaillais toujours dans les tunnels. Il y avait quelque chose de plaisant à être sous terre, comme dans une matrice. Semir Osmanagic parlait beaucoup de la résonance de Schumann, à 7,83 Hz, enregistrée dans les tunnels. Il s’agit de la résonance naturelle de la Terre, et certains estiment que c’est une fréquence guérisseuse. Les tunnels enregistraient également des valeurs élevées sur quelque chose appelé échelle de Bovis, censées être très efficaces sur les systèmes biologiques humains. Mais quelque chose n’allait pas dans l’explication des tunnels par Osmanagic.

Il m’apparut que la disposition des passages était exactement ce qu’on attendrait dans le cas de travaux miniers. Une rapide recherche sur internet ce soir-là me montra que non seulement la région était riche en minerais, mais aussi que de l’or et d’autres métaux sont souvent présents au sein du genre de conglomérat friable dans lequel les tunnels ont été creusés. De plus, le système des nombreuses galeries secondaires, remplies au fur et à mesure que de nouvelles galeries sont ouvertes, était tout à fait conforme aux anciennes méthodes minières. Même l’utilisation de murets de pierre sèche pour sceller ces galeries secondaires abandonnées était une pratique commune.

En ce qui concerne les « mégalithes de céramique », ce qui m’intriguait était que certains de ces blocs - censés être artificiels - n’étaient qu’à moitié révélés par les galeries, le reste de ces pierres de « céramique » étant toujours enfoui sous le conglomérat plus ou moins résistant qui n’avait jamais été perturbé depuis son dépôt au cours d’une ère géologique antérieure. Cela signifiait que ces mégalithes de « céramique » avaient été faits par une culture plus ancienne que ce conglomérat.

Cela commençait à me paraître tiré par les cheveux.

Je réfléchis à ce qui m’avait d’abord attiré vers le projet. Il existe des clips vidéo de Semir Osmanagic, debout devant les collines pyramidales, annonçant sur un ton d’autorité « Je suis certain à 100 % que ce sont des pyramides ». Quand j’ai vu ces clips la première fois, j’ai pris ces assertions comme des figures de style, comme un excès pardonnable d’enthousiasme juvénile. Je me demandai maintenant si Semir n’était pas plutôt enfermé dans un système de croyance dogmatique, plus proche de la conviction religieuse que de l’enquête scientifique.

En regardant à nouveau ces clips vidéo, je voyais Semir affirmant témérairement « L’échec n’est pas envisageable », et cela me troublait. Le Dr Osmanagic semblait tout simplement rejeter toute opinion experte n’allant pas dans le sens de son paradigme pré-établi, et présenter au contraire comme fait incontestable tout élément de preuve semblant conforter son point de vue.

J’étais également troublé par l’apparent manque d’expertise de l’équipe du projet. La responsable des volontaires, une adorable jeune femme récemment diplômée en anthropologie sociale, n’avait pas d’expertise archéologique. Elle était supervisée, non par un archéologue, mais par un autre anthropologue. Aucun des deux, à ma connaissance, n’avait étudié l’archéologie comme discipline principale.

Je n’étais pas la seule personne à mettre en doute le sérieux des fouilles. Je dirais que la moitié des volontaires restait fidèle à l’idée que ces collines étaient des pyramides, et acceptait quasiment sans questions l’interprétation d’Osmanagic. Un quart d’entre eux était plus agnostique, mais restait attaché à la thèse centrale des pyramides. Le dernier quart, moi inclus, avait de sérieux doutes sur la qualité des preuves.

Semir Osmanagic était-il juste un bon vendeur ? La Fondation des Pyramides de Bosnie avait créé, sous l’égide de Semir, un énorme « parc archéologique » avec de nombreux sites à visiter. Une visite guidée des tunnels coûte jusqu’à 18 euros par personne. Les touristes venaient en masse. Il y avait des souvenirs, des brochures, des visites guidées de tous les sites - le tout payant. La fondation avait besoin de ce revenu, et le revenu dépendait du succès de l’idée des pyramides. C’était comme si le projet était devenu un mastodonte emballé.

Mais en dépit de tous mes doutes, je n’étais pas encore prêt à abandonner l’idée des pyramides.

Qu’en était-il de la forme parfaite de la « Pyramide du Soleil » ? Semir avait sûrement raison là-dessus, comment cela aurait-il pu se produire naturellement ? Même si la théorie des « blocs de béton » était douteuse, n’était-il pas possible qu’une culture ancienne ait d’une certaine façon « sculpté » la colline ? L’avaient-ils en quelque sorte sculptée en une pyramide parfaite ?

Je voulais voir une carte topographique de la colline - une carte montrant les courbes de niveau. Ce que je m’attendais à voir était une vue en plan d’une pyramide : quatre « parts de tarte » triangulaires et égales, à angle droit, séparées par des « bords » clairement définis.

Je trouvai une carte sur internet. Elle ne montrait pas une pyramide parfaite. Elle ne montrait pas de pyramide du tout.

Effectivement, la face nord avait des arêtes clairement définies, mais l’angle qu’elles formaient était d’environ 60 degrés vu du dessus. Cela ne convenait pas pour une pyramide, où l’angle devrait être de 90 degrés. Les arêtes de la face est faisaient elles un angle d’environ 120 degrés.

Qu’en était-il des autres faces ?

Eh bien, il n’y avait pas d’autres faces. Selon la carte, les côtés sud et ouest de la « pyramide » n’avaient pas de faces clairement définies, juste les ensellements, creux et pentes normaux d’une colline. On pourrait sans doute imaginer que les faces sont là, ou avancer qu’elles ont été érodées. Mais le fait est que la colline n’avait que deux côtés triangulaires, et ces deux côtés étaient absolument dissimilaires.

L’idée que la colline était une pyramide parfaite se révélait être une illusion d’optique. La colline apparaissait comme une pyramide si vous la regardiez selon le bon angle. L’esprit est très doué pour voir ce qu’il veut voir, et créer les autres faces par l’imagination.

Je dois admettre avoir ressenti de la tristesse en voyant s’effilocher ma dernière preuve, illusoire comme les précédentes. Quelque chose en moi avait voulu croire en l’existence de la pyramide. Je voulais croire qu’en ces temps de crise écologique et de confusion, il était possible de retrouver des indices de la sagesse de nos ancêtres.

Mais le seul élément suggérant l’artificialité de ces collines venait d’une série de rapports de laboratoire, que je n’avais pas pu consulter, censés montrer que le conglomérat était artificiel, qu’il s’agissait d’un genre de « béton » que même nos méthodes modernes ne pouvaient reproduire.

Cela me semblait très anormal : comment un laboratoire pouvait-il affirmer avec certitude qu’un matériau, si dur que les techniques de fabrication modernes ne peuvent l’égaler, était sans doute aucun artificiel ? Les rapports n’étant pas publiés il est impossible de vérifier cette affirmation.

Toute l’affaire n’était-elle qu’un hoax, comme le suggéraient certains opposants ?

Je ne crois pas que le Dr Osmanagic soit un mystificateur. Je pense qu’il est attaché, jusqu’à l’obsession, à l’idée que les collines sont des pyramides.

Je soupçonne que les racines de cette obsession sont très profondes, peut-être jusqu’au niveau de l’inconscient. La géométrie de la pyramide contient en elle ce que Jung appelait « le symbole de quaternité », division d’un espace en quatre parts égales. Ce symbole apparaît dans les religions et mythologies du monde entier, la croix celtique en étant un exemple.

Selon Jung, ce symbole contient l’énergie archétypale de l’intégration et de l’unité. Il apparaît également spontanément dans les rêves lorsque la psyché d’un individu ou d’une culture est à la recherche de l’unité.

Osmanagic cherchait-il inconsciemment un symbole d’intégration et de guérison pour le peuple bosnien, un renouveau libéré des divisions sectaires ? Je soupçonne que les Bosniens sont, quelque part, encore profondément traumatisés par leur passé récent. Une pyramide de 30 000 ans offre la possibilité symbolique de l’unité, et de la fierté du passé. Assurément Osmanagic est en quelque sorte une célébrité en Bosnie.

Mais peut-être suis-je trop idéaliste.

En parlant avec des gens ordinaires en Bosnie, ils m’ont semblé assez pragmatiques à propos de la colline/pyramide. Elle attire les touristes, et les touristes apportent de l’argent. A la question de savoir s’ils croyaient que la colline était une pyramide, ils haussaient les épaules. Si elle créait des emplois, c’était bon.

La Bosnie était économiquement ruinée après la guerre, et ne s’est pas vraiment rétablie. Pour le moment, les différentes factions culturelles semblaient coexister, dans une ambiance d’acceptation mutuelle. S’il y a une fracture culturelle quelque part, elle est peut-être actuellement plutôt entre les générations qu’entre les identités culturelles.

Beaucoup de femmes de plus de 50 ans, par exemple, portent toujours les foulards traditionnels multicolores ; leurs robes sont amples, leur visage ridé, marqué par les soucis. On voit les hommes plus âgés, dans leurs vêtements amples, assis en groupes à fumer et boire du raki.

Les jeunes, au contraire, sont très attirés par la mode. Les jeunes femmes de moins de 25 ans portent des T-shirts révélateurs et des pantalons incroyablement moulants dans lesquels on n’imagine pas pouvoir se glisser. Les garçons portent des vêtements ornés de phrases et symboles issus de la culture consumériste d’Europe occidentale.

Ces jeunes gens n’ont connu ni la tyrannie de Tito, ni les horreurs de la guerre civile. Leur monde est très différent de celui de leurs parents.

Comme les derniers jours de mon séjour approchaient, je me posai la question : le « projet des pyramides de Bosnie » n’est-il qu’une perte de temps ?

Le professeur Meyr, « l’homme de Tesla » avec qui j’avais discuté le premier jour, n’avait pas réussi à capter l’énergie du rayon électromagnétique supposé émerger de la pyramide. Un autre chercheur n’avait pu, lui, reproduire exactement les résultats des précédentes études des impulsions électromagnétiques. Mais les deux prévoyaient de revenir poursuivre leurs recherches.

Tout comme Alexandre Fleming avait découvert la pénicilline en étudiant des moisissures, il est possible qu’Osmanagic, ou d’autres chercheurs en visite sur le site, découvrent quelque chose présentant un intérêt scientifique sans être forcément lié à des pyramides.

Il est par exemple possible que certaines combinaisons de caractères géologiques produisent réellement une recrudescence d’électromagnétisme. Il est possible également qu’il soit bon pour la santé de passer du temps sous terre, dans un environnement de conglomérat riche en quartz ; en tout cas cela m’a paru bon.

Mais en ce qui concerne « l’archéologie », je ne peux que dire que je n’ai pas confiance dans le sérieux des méthodes d’Osmanagic. Il pourrait, bien sûr, tomber sur des preuves de l’existence de bâtisseurs de pyramides. Je suis cependant plutôt inquiet des risques de destruction de restes archéologiques d’autres époques au cours du processus.

Au plan personnel, je reviens de Bosnie avec de riches souvenirs ; j’ai trouvé de bons amis parmi les autres bénévoles. L’hospitalité des gens ordinaires de Bosnie était touchante. Dans 20 ans, les blessures de la guerre seront peut-être guéries, en tout cas je l’espère.

Durant mon voyage de retour vers Sarajevo, je ne pus éviter de remarquer l’abondance de collines de forme vaguement pyramidale dans la région. Je pensai que la beauté de nos paysages repose sur la géologie sous-jacente, qu’elle est née de surrections, de contraintes, de glaciers et d’inondations. Le changement se produit ; structures rocheuses, civilisations, cultures : toutes naissent, puis disparaissent.

Et quelque chose survit, toujours, au changement.

Et pour une raison quelconque les mots de William Blake me vinrent à l’esprit :

Voir le monde en un grain de sable,
Un ciel en une fleur des champs,
Retenir l’infini dans la paume des mains
Et l’éternité dans une heure. [1]