Google Earth et la pseudo-histoire : l’outil absolu ?
Article mis en ligne le 9 juillet 2023

par Alexis Seydoux

Les pseudo-historiens et autres pseudo-archéologues (« PHA » dans la suite du texte), mettent en avant une « méthode » fondée sur la recherche de corrélations numérologiques entre des sites qu’ils jugent importants.

Pour eux, des sites situés sur la surface du globe sont reliés par des relations mathématiques utilisant des nombres particuliers [1]. Leurs « recherches » leur permettent également de montrer que ces structures ne sont pas implantées « au hasard », mais par rapport à la Terre ou selon des rapports définis. Toutes ces recherches sont formulées en mètre, un choix arbitraire que rien ne justifie [2].

L’idée qui émerge derrière ces calculs, c’est qu’il y a un grand dessein caché et que la position de ces structures a été « décidée » par une civilisation avancée, terrestre ou extra-terrestre.

Ils estiment que l’implantation de ces lieux est liée à des chiffres particuliers comme Pi, Phi ou racine de 2 ou 5, leur inverse, leur carré, leur somme, etc… D’autres estiment que ces structures sont placées par rapport à des données géographiques ; d’autres encore les positionnent par rapport aux planètes.

Pour effectuer ces recherches, ces derniers se servent essentiellement de Google Earth, un logiciel développé par Google permettant de montrer l’ensemble de la terre par des images satellites. Pour ces chercheurs, la précision de ce logiciel permet de « révéler » des liens entre des structures très éloignées, faisant apparaitre ces nombres étonnants et particuliers. Une telle hypothèse n’a rien de novateur. Dès 1864, Charles Piazzi-Smyth avait formulé l’hypothèse d’un lien mathématique entre la Grande Pyramide et la Terre [3]. Dans les années 1920, Alfred Watkins émet l’hypothèse d’un positionnement sur des « lignes de force » de certaines structures, reprenant en quelque sorte la géomancie chinoise [4]. De même, l’abbé Théophile Moreux publie en 1925 un ouvrage tentant de démontrer que la Pyramide de Chéops est située au « centre des terres émergées » [5].

Ce qui change ici, c’est l’usage du logiciel Google Earth. Ce dernier permet de multiplier avec facilité dessins, figures et calculs sur la surface du globe, et donc de multiplier les corrélations. Rappelons qu’une corrélation est un rapport entre deux événements ; pour que cette corrélation soit significative, il faut que le chercheur en démontre la relation, sinon, elle n’a aucune valeur herméneutique.

Les archéologues et historiens se sont intéressés au rapport entre l’espace et les sociétés humaines. La géographie, c’est-à-dire l’étude du rapport des sociétés humaines à l’espace, a très vite été reliée à l’histoire, offrant à ses débuts une vision très déterministe de ce rapport. Paul Vidal de la Blache offre ainsi dès la fin du XIXe siècle un tableau des sociétés humaines, dont l’évolution est pilotée par leur position géographique : les plus « favorisées » sont celles qui bénéficient de conditions variées et tempérées [6]. Si l’idée de déterminisme a été fort heureusement abandonnée, la relation entre sociétés anciennes et espace reste étudiée. Gérard Chouquer, dans les années 1990, a ainsi formalisé ce champ de recherche qu’il a nommé archéo-géographie [7]. En se servant d’outils appropriés, et en créant des bases de données, les archéologues peuvent ainsi étudier les corrélations entre les établissements humains et l’espace [8]. Ce n’est pas l’objectif des PHA, qui proposent des relations entre certaines structures et les civilisations anciennes, liées par les « mathématiques », et ce, grâce à l’emploi du logiciel Google Earth.

Nous nous demanderons si Google Earth offre une « précision suffisante » pour accorder une confiance aux résultats présentés par ces chercheurs, et si cette précision permet d’établir des corrélations entre ces sites.

Nous verrons d’abord le fonctionnement de Google Earth, puis si ce logiciel est suffisamment précis et enfin l’usage par les archéologues des données géographiques.

Les études sur Google Earth ont été nombreuses. Elles ont essentiellement consisté à comparer statistiquement les résultats donnés par le logiciel américain avec des données de localisations connues soit par triangulation, soit à l’aide d’outils déjà fiabilisés comme les GNSS (Global Navigation Satellite Systems).

Google Earth est un logiciel libre de droit produit par la société Google, dont le premier déploiement date de 2001 [9]. Il permet de fournir des vues de la totalité du globe. Le logiciel est une combinaison d’une image par satellite de la surface terrestre avec des données de SIG (Système d’Information Géographique) [10]. Ce système permet en plus de se servir du langage XML pour créer des mini-applications [11]. Google Earth est avant tout un outil appartenant à la sphère des réseaux sociaux, combinant d’autres applications comme le site de partage de photo Flickr [12]. C’est avant tout un logiciel d’image, pas de cartographie [13].

Beaucoup de PHA se servent de Google Earth pour démontrer qu’il existe des corrélations entre des structures installées sur Terre. La preuve de ces corrélations, c’est que certains sites particuliers et remarquables, comme les pyramides du plateau de Gizeh, le temple d’Angkor Wat ou encore l’île de Pâques, sont placés selon un schéma fondé sur des distances très particulières et très précises, répondant à une « géométrie sacrée ».

Visualisation de l’Équateur penché dans LRDP.

Ainsi, dans LRDP ou dans BAM, on affirme que des sites comme Nazca, Angkor Wat, Gizeh, ou l’île de Pâques sont situés à des distances reprenant le nombre d’or [14]. Tous fondent leurs calculs sur le logiciel Google Earth. Mais, pour que leurs corrélations soient exactes, il faut que les distances calculées par Google Earth le soient aussi, avec une très faible marge d’erreur.

Si Google Earth apporte de très nombreuses applications notamment sur le plan éducatif est-il utilisable en histoire et en archéologie, ou pour calculer avec précision des distances sur Terre ?

Des études ont été menées pour estimer la précision du logiciel américain. La manière dont on va déterminer la précision va consister à comparer les données de Google Earth par rapport à des données fournies par les systèmes GNSS. Les systèmes GNSS sont des systèmes permettant de donner en temps réel une position par triangulation à partir de satellites géostationnaires. Les systèmes actuellement en service sont le Global Positionning System américain (GPS), le Glonass russe, le Galiléo européen et le Beidou chinois [15]. L’ensemble est reporté à un système de coordonnées normalisées et employées par tous les systèmes de navigation, appelé World Geodesic System 84 (WGS-84) ; toutes les cartes s’y réfèrent [16]

Satellites du système Galiléo.

Le International GNSS Service (IGS) conserve 1054 points de référence, qui permettent de recaler les positions le cas échéant [17]. Ces points permettent notamment de suivre sur le long terme les satellites de navigation [18]. Dans une étude, les scientifiques ont comparé la position de 757 points de référence avec les données de Google Earth. Elle a montré que sur ces 757 points, l’intervalle entre la position exacte du point et la position donnée par Google Earth est en moyenne de 4,38 mètres. Google Earth se trompe donc, en moyenne, de 4,38 mètres dans la position de l’objet donné [19]. L’étude va plus loin, montrant que la différence entre la position réelle et celle donnée par Google Earth est variable, allant jusqu’à 57 mètres. L’étude a montré que pour 41,08 % des points, la différence entre Google Earth et les points de référence est comprise entre zéro et deux mètres, pour 18,76 % de deux à quatre mètres, pour 20,61 %, de quatre à six mètres, et pour 9,55 %, cette différence est de plus de six mètres [20]. Enfin, l’étude montre que cette variation est plus forte dans des secteurs mal triangulés, comme les déserts ou les pays moins développés. Par exemple, lorsque l’on compare la position du centre de la Pyramide de Khufu entre les données d’un GPS et celles de Google Earth, comme l’a fait Glenn Dash en février 2018, la différence est de l’ordre de 180 mètres [21]. Cette étude suffit à montrer que l’usage de Google Earth ne garantit absolument pas la précision nécessaire aux corrélations des PHA.

C’est également vrai pour les calculs de distance, comme l’indique la société Google [22]. Une étude pour comparer les distances données par le logiciel Google Earth et les distances réelles a été effectuée par une équipe canadienne dans le cadre d’un usage possible de ce logiciel dans des enquêtes d’accidentologie. Cette enquête prend en compte des distances inférieures à 750 mètres [23]. Sur 1305 mesures de terrain, le logiciel Google Earth surestime la distance 618 fois, sous-estime cette distance 678 fois ; seuls neuf résultats sont exacts, soit 0,68 % des cas [24]. Le taux d’erreur en distance est compris entre 1,45 % si on suit une route, 1,61 % en dehors d’une route et 1,73 % en cas de courbe [25]. Une autre étude, plus optimiste, montre une erreur moyenne dans un calcul de distance de 0,44 %. Ainsi, en prenant l’étude la plus optimiste, une distance de plus de 1.000 kilomètres présente une erreur de 4,4 kilomètres ; avec la moins optimiste, l’erreur est de 16,1 km [26]. Enfin, au-delà de 5.000 kilomètres, les données ne peuvent plus être considérées comme suffisamment précises [27].

Ajoutons à cela que l’imprécision de Google Earth est augmentée dans les terrains montagneux [28]. Google Earth s’appuie sur le Digital Elevation Model (DEM) qui a été mis en place par la NASA [29]. Ces études concluent que les données en élévation sont imprécises, jusqu’à 8,78 mètres [30].

Les PHA se servent souvent de mesures d’angle entre deux points ; c’est notamment le cas d’Howard Crowhurst ou de Quentin Leplat. Or, ces mesures d’angle sont également fausses, car le logiciel Google Earth ne calcule pas les angles par rapport au globe terrestre, mais vérifie uniquement que le cosinus du cap vrai multiplié par le cosinus de la latitude est une constante [31]. Aussi, toutes les mesures d’angle données comme des corrélations volontaires, sont fondées sur des données fausses et ne sont que des caps.

Ainsi, comme l’expliquent ces études, si Google Earth est un outil intéressant pour effectuer des recherches préliminaires, c’est un outil insuffisant pour des travaux de précisions, les points n’étant pas bien positionnés. Donc, l’ensemble des calculs des PHA sont faux.

Cette imprécision est connue des archéologues. Si ces derniers se servent de Google Earth comme moyen d’étude préliminaire, ils savent que cet outil est insuffisant pour le travail scientifique.
Le travail des archéologues met en avant l’exploitation de l’espace par les sociétés humaines et l’évolution des relations des hommes et de l’espace dans le temps ; ils ont aussi besoin de données suffisamment fiables et solides sur les sites qu’ils étudient. Pour se repérer dans l’espace avec précision, les archéologues s’appuient, lorsqu’elles sont disponibles, sur des cartes à grande échelle [32].

Si ces outils ne sont pas disponibles, ils vont se repérer à l’aide de données issues des GNSS. De plus, les archéologues vont ensuite construire leurs propres plans du site, à très grandes échelles, souvent 1/10e ou 1/5e [33]. Dans tous ces cas, les archéologues ne se servent pas de Google Earth, dont la précision est tout à fait insuffisante.

Les archéologues travaillent aussi sur le rapport entre les sociétés humaines et l’espace dans le temps. C’est en partie ce que font les PHA, qui estiment que certaines structures sont liées dans l’espace. Mais les études archéologiques partent des données de terrain, et pas de calculs effectués sur Google Earth. Et pour cela, les archéologues se servent notamment des résultats des fouilles, des cartes anciennes et des cartes actuelles [34]. Ces rapports montrent qu’effectivement, il y a un rapport entre les sociétés humaines anciennes et l’espace. Mais, ces rapports sont liés à des cadres chronoculturels bien définis, comme le montre l’exemple de la Roche aux Fées [35]. Cette étude montre que les mégalithes de la Roche-aux-Fées ont bien été construits dans un lieu choisi par la culture qui l’a établi, mais que ce choix n’est pas fondé sur une géométrie fondée sur des nombres particuliers, mais pour une occupation spécifique de l’espace.

En revanche, les PHA se servent de Google Earth pour établir des relations fondées une géométrie sacrée illusoire. Ces relations sont fondées sur une autre illusion, celle que le logiciel Google Earth garantit des résultats exacts et fiables, notamment pour mesurer des distances. Nous avons vu qu’il n’en est rien.

En conclusion, nous avions déjà montré que la notion de géométrie sacrée ne reposait sur aucune donnée concrète, mais uniquement sur des corrélations illusoires ou hasardeuses.
Ici, nous montrons que l’usage de Google Earth n’est pas d’une précision suffisante pour que les corrélations montrées par les pseudo-chercheurs soient valides. Ces relations étant fausses du fait même de l’outil qu’ils emploient, qui se révèle imprécis. Donc, toutes les hypothèses des PHA sont hasardeuses, illusoires, fausses et même trompeuses.
Donc, l’usage de Google Earth pour avaliser une hypothèse déjà fausse confine largement au charlatanisme. Les soi-disant révélations de LRDP, de BAM ou de PHA comme Howard Crowhurst, Quentin Leplat, Mathieu Laveau ou Éric Lesaint ne sont en fait que de vastes fumisteries reposant sur une fausse théorie, une méthode erronée et un outil insuffisamment précis pour leurs hypothèses.


Pour compléter, voir cette vidéo de la chaîne Histoire de Pyramides : https://www.youtube.com/watch?v=mlLYsiKUioc sur la question de la précision de Google Earth appliquée au cas de la Grande Pyramide.