Ignominies
Article mis en ligne le 12 août 2008

par Irna

Ignoble : il n’y a pas d’autre mot pour qualifier les évènements des derniers jours à Visoko. Comme on l’a vu ici, les fouilles de la forteresse médiévale de Visoki, au sommet de la colline de Visocica que M. Osmanagic s’obstine à proclamer "plus haute pyramide du monde", ont fait l’objet dans la nuit du 6 au 7 août d’actes graves de vandalisme. C’était la deuxième fois que la forteresse était ainsi attaquée, puisque les mêmes vandales, ou d’autres, avaient déjà détruit une partie des murs exhumés à l’automne 2007. Les destructions de la semaine dernière, beaucoup plus importantes que celles de 2007, ont suscité à Visoko et ailleurs une émotion légitime, et une condamnation presque unanime des autorités scientifiques et politiques du pays.

Font cependant exception les réactions particulièrement ignobles de quelques personnalités directement ou indirectement liées au projet pseudo-archéologique des "pyramides de Bosnie".

Commençons par le cas de M. Senad Hodovic. Le directeur du musée de Visoko, autrefois membre de l’équipe Osmanagic, s’il a bien condamné l’acte de vandalisme et réclamé des poursuites contre les auteurs, s’est surtout fortement offusqué devant la presse (bs) de ne pas avoir été informé directement par les archéologues responsables du site. Dès le 7 août, il se plaignait d’avoir appris "l’incident" de Visoki par les journalistes ; les jours suivants, il multipliait les attaques (bs) contre ses collègues du musée de Sarajevo, en particulier Mirsad Sijaric, les accusant de rétention d’information, et de manque de professionnalisme. Il va même, sans totalement remettre en cause la thèse d’un acte de vandalisme, jusqu’à laisser supposer que les principaux responsables des dégâts sont les archéologues, qui auraient mal fouillé et mal protégé les structures exhumées.

En fait, cet épisode n’est semble-t-il pour M. Hodovic qu’un épisode de la "guerre" qu’il mène depuis des années contre le musée de Sarajevo, dont il ne supporte visiblement pas que les équipes empiètent sur "son" territoire. On trouve des échos d’un épisode de ce conflit dans cet article en ligne du "Centre pour le journalisme d’investigation" (en) sur les "trésors négligés de l’archéologie de Bosnie-Herzégovine". On y apprend en effet que le musée de Visoko, en la personne de son directeur M. Hodovic, s’est offusqué de ne pas être associé aux fouilles du site néolithique d’Okoliste (de) près de Visoko. Ces fouilles ont commencé en 2002-2003 sous la responsabilité d’une équipe germano-bosnienne, dirigée par Johannes Müller de l’Université de Kiel et Zilka Kujundzic-Vejzagic du musée national de Sarajevo. Le fait que les archéologues allemands aient choisi un partenariat avec le musée de Sarajevo plutôt que celui de Visoko n’est pas étonnant, ce dernier, petit musée local, ne disposant pas d’archéologues (pour mémoire, M. Hodovic est lui-même un ancien professeur de marxisme, et n’est ni historien ni archéologue) ; mais cela n’a pas empêché M. Hodovic de réclamer des autorités du canton de Zenica-Doboj l’arrêt des fouilles, pourtant autorisées par le niveau fédéral. L’article du Centre pour le journalisme d’investigation ne dit pas comment s’est terminée l’histoire, mais la chronologie des fouilles d’Okoliste semble bien montrer qu’il n’y a plus eu de fouilles sur le terrain dans les années suivantes, uniquement des prospections géophysiques. Le travail sur le terrain n’a repris qu’en 2006, toujours sous la direction de M. Müller et de Mme Kujundzic-Vejzagic, mais avec le musée de Visoko comme partenaire officiel.

Cette histoire illustre assez bien les difficultés liées à une gestion très éclatée de l’archéologie du fait de la structure politique héritée des accords de Dayton (conflits entre les échelons cantonal et fédéral, voire national), déjà mentionnée à propos des autorisations des fouilles accordées à M. Osmanagic ; elle éclaire surtout la personnalité de M. Hodovic, qu’on pourrait caractériser par une volonté d’hégémonie sur tout ce qui ressort du domaine historique et culturel autour de Visoko, volonté visible également dans la façon dont M. Hodovic se précipitait pour être le premier à annoncer (bs) telle ou telle découverte faite à Visoki. Clairement, tous les moyens sont bons pour M. Hodovic, lorsqu’il s’agit d’essayer d’écarter ses "rivaux" de Sarajevo, y compris utiliser les dégradations commises sur la forteresse pour jeter le doute sur leurs compétences...

Cette supposée incompétence de l’équipe du musée de Sarajevo est également un leitmotiv ces derniers jours des divers interviews ou articles provenant des membres ou des amis de la Fondation de M. Osmanagic. Le premier à ouvrir le tir est M. Goran Cakic, qui, après avoir probablement tenté de se rapprocher de l’équipe d’archéologues professionnels en prétendant avoir fouillé le site de Visoki (bs) en 1976 avec Pavao Andelic, pose "innocemment" la question : "Les travaux sur la Vieille Ville de Visoki étaient-ils menés de façon professionnelle ?" (bs). Il laisse entendre dans son article que les archéologues de Sarajevo ont commis des erreurs et eux-mêmes déstabilisé les structures, et va plus loin que M. Hodovic en concluant qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours au vandalisme pour expliquer les destructions : les dégâts ne seraient que le résultat d’un aléa climatique sur des structures non consolidées et fouillées de façon non professionnelle.

Venant d’un ancien ingénieur de l’industrie textile, et un des principaux acteurs des "fouilles" de M. Osmanagic, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles n’ont jamais été menées de manière très professionnelle, voilà qui ne manque pas de culot... Mais peu importe, l’idée est reprise par des journalistes proches de la Fondation, qui tirent à boulets rouges sur l’archéologue M. Sijaric (bs) et reprennent la thèse de destructions "naturelles" que M. Sijaric tenterait de déguiser en vandalisme (bs) pour cacher sa propre incompétence.

On trouvera un exemple très détaillé de cette tentative d’expliquer les destructions subies par la forteresse par les intempéries sur cette page réalisée par Nenad Djurdjevic (en), alias Hyperborean, "modérateur" du forum pro-pyramides en anglais bosnian-pyramid.com. L’auteur y explique, à grand renfort de photos du site, que les dégâts observés sont le résultat de la négligence. S’il est vrai qu’il ne peut être complètement exclus que l’effondrement de la paroi d’argile de la citerne soit le résultat des intempéries :

(seule une enquête sur place sera à même de déterminer s’il y a des traces d’outils, les photos ne montrent pas grand chose), pour le reste, la thèse de M. Djurdjevic serait plus convaincante s’il n’avait pas volontairement ignoré un certain nombre d’éléments et de photos. Par exemple, voici une photo d’une des ouvertures dégagées par les fouilles prise le 6 août à 19 heures :

La même ouverture le lendemain matin :

Comme il est difficile d’expliquer la différence par les seules intempéries, M. Djurdjevic suppose que les poutres "auraient pu tomber accidentellement" ou même "être enlevées par la suite", ce qui bien sûr permet de laisser planer le doute sur l’intégrité de l’équipe de Sarajevo...

En ce qui concerne le puits, partiellement comblé par de grosses pierres, l’auteur suppose que ces dernières sont tombées du bord du puits, ce qui serait compatible avec sa thèse de l’effondrement accidentel. Or on apprend par M. Hodovic lui-même (bs) qu’il s’agit de pierres "jetées dans le puits", qu’elles se trouvaient à côté du puits et ne faisaient pas partie de la paroi du puits. Et effectivement les photos du puits avant et après, dans l’article de M. Djurdjevic, montrent bien que seule une toute petite partie de la paroi s’est effondrée, sans doute lorsque les vandales se sont approchés ou appuyés dessus pour jeter les grosses pierres. Et il faudrait aussi que les tenants de la "négligence" ou des "intempéries" montrent comment l’une ou les autres pourraient expliquer quelques autres phénomènes :
 la destruction, attestée par plusieurs témoins, de toutes les protections mises en place par l’équipe autour des structures fouillées ;
 la destruction d’un portail, mentionnée par Mme Lidija Fekeza (bs), quelques jours auparavant, et à nouveau des piliers de ce même portail durant la nuit du 6 au 7 août ;
 les dégâts subis par un des véhicules (bs) de l’équipe...

Pour parachever ce florilège écoeurant, je propose au lecteur de conclure avec un texte, publié celui-là sur le site de la Fondation (bs). L’auteur, un certain Josko D. de Split, y laisse entendre que les vandales sont en fait... payés par les opposants à M. Osmanagic. Il n’est pas embarrassé pour expliquer pourquoi des gens qui, depuis trois ans, se battent pour protéger la forteresse et la vieille ville de Visoki des entreprises de M. Osmanagic, se mettraient à vouloir détruire cette même forteresse : il s’agit tout simplement d’un "coup" pour pouvoir ensuite accuser M. Osmanagic et ses amis de vandalisme... Toutes proportions gardées, c’est à peu près comme si on affirmait que les habitants de Srebrenica se sont massacrés eux-mêmes pour pouvoir ensuite accuser les Serbes de génocide...


Mise à jour du 15 août

Le charmant "Hyperborean", alias Nenad Djurdjevic, modérateur du forum bosnian-pyramid.com et auteur du blog bpblognews, tous deux en anglais, vient de mettre en ligne une deuxième page, visant à nouveau à discréditer l’équipe des archéologues de Sarajevo et à défendre l’idée de dégâts provoqués par la négligence et maquillés pour faire croire à du vandalisme. Pour renforcer sa thèse, M. Djurdjevic se livre à quelques manipulations intéressantes. Deux exemples :

 Dans une interview donnée à un magazine en ligne (bs), l’archéologue Lidija Fekeza déclare : "Na Starom gradu je uništeno sve ono što je moglo služiti prilikom istraživanja", ce que M. Djurdjevic traduit par "All proofs usefull for the investigation have been destroyed", "toutes les preuves utilisables pour l’enquête ont été détruites", alors que la traduction correcte serait plutôt : "tout ce qui était utilisable pour les fouilles a été détruit". Je laisse le lecteur apprécier la différence...

 Dans une interview donnée cette fois à Nezavisne Novine (bs), l’autre archéologue de l’équipe, Mirsad Sijaric, fait une boutade sur la faible réactivité de la police dans l’enquête sur le vandalisme de Visoki : "Sijaric je stavove iz policije prokomentarisao rijecima da policija ocigledno zeli da im strucnjaci imenom i prezimenom ukazu na pocinioca", c’est-à-dire : "Sijaric a commenté l’attitude de la police en disant qu’elle attend visiblement que les scientifiques leur désignent les coupables". Ce que M. Djurdjevic traduit par "archaeologist Sirajic [sic] accuses the police of hiding the name of vandals", "l’archéologue Sijaric accuse la police de dissimuler les noms des vandales"...

A se demander si le bosnien est réellement la langue natale de M. Djurdjevic, car je n’ose croire qu’il puisse s’agir de manipulations volontaires... à moins que M. Djurdjevic ne s’entraîne pour devenir ce que la Fondation de M. Osmanagic appelle "un journaliste objectif et impartial" !