Oleg et Angkor
Article mis en ligne le 18 janvier 2022

par Alexis Seydoux

Un petit billet, avant une série d’articles...

Dans ses vidéos, le youtubeur « Oleg de Normandie » prétend réinformer son public sur la « véritable histoire », celle qui aurait été occultée par les inquisiteurs monothéistes. Nous travaillons les assertions d’Oleg de Normandie, mais nous voulons réagir à sa dernière vidéo sur Angkor par un court billet [1].

Dans cette vidéo, publiée sur son site le 7 janvier 2022, l’auteur évoque le site d’Angkor Wat, puis le lien entre Marie et la déesse Diane et enfin un certain nombre d’autres choses sur lesquelles nous reviendrons. Nous nous concentrons ici sur Angkor Wat.

Angkor Wat, façade est - Photo AS

Dans ce billet vidéo, les onze premières minutes sont consacrées au temple khmer. On pourrait en rire tellement les informations que prétend apporter Oleg de Normandie sont fantaisistes : Oleg de Normandie montre à la fois sa méconnaissance du sujet et son incompétence.

Dans son introduction, l’auteur explique que, comme en Europe, les tenants des religions monothéistes auraient supprimé les anciennes religions primordiales venues d’Hyperborée. C’est la pensée centrale d’Oleg de Normandie : il existe une « ancienne culture primordiale » qu’il appelle Hyperboréenne, et qui est dotée de toutes les qualités, notamment la tolérance et la liberté. Celle-ci aurait été petit à petit réduite par les monothéismes, notamment le catholicisme romain soutenu par les jésuites et l’inquisition au XVIIe siècle [2]. Cette « inquisition » et les jésuites sont, selon Oleg les fondateurs et les tenants du Nouvel ordre mondial [3].

Dans la partie sur Angkor, Oleg de Normandie met en avant son idée de religion primordiale en Asie. Cette idée de religion primordiale, Oleg la puise dans les fondements de la pseudo-science, notamment chez Helena Blavatsky [4] et René Guénon [5]. Mais l’auteur normand y ajoute l’Hyperborée, sorte de continent mythique, siège des civilisations hyperboréennes. Cette notion est considérée comme une certitude par notre auteur, alors qu’aucune source archéologique ne permet de confirmer l’existence d’une ancienne civilisation avancée dans des régions du nord. D’ailleurs, Oleg de Normandie nous parle d’Hyperborée, mais sans jamais rien montrer de concret. Ce terme d’Hyperborée, Oleg de Normandie l’emprunte au monde Grec et notamment à Hérodote [6]. Les géographes grecs utilisent ce terme pour désigner les territoires les plus au nord, à la limite de l’oikoumène [7]. Pour les géographes grecs, Hyperborée est un territoire fabuleux, au même titre que le Jardin des Hespérides à l’ouest, l’Érythrée au sud, ou le royaume des Amazones au nord-est [8]. Ainsi, le terme d’Hyperborée ou de civilisation hyperboréenne est une construction grecque, reprise à la Renaissance et au XIXe siècle ; il ne recouvre aucune réalité physique – il n’y a pas de continent Hyperborée - ni culturelle. C’est donc une vue de l’esprit.

Donc, selon Oleg de Normandie, cette vue de l’esprit aurait été le centre des civilisations primordiales. On reconnaît là une reprise de thèmes racialistes d’une civilisation mère supérieure, qui aurait été l’origine de toutes les civilisations, mais que les religions monothéistes auraient voulu faire taire.

Cette civilisation hyperboréenne aurait donc aussi instillé ses savoirs et sa religion en Asie. Cette idée d’une relation entre Hyperborée et l’Asie a déjà été développée par Oleg de Normandie dans ses vidéos [9]. Il s’appuie sur un interlocuteur d’origine Hmong qui estime que sa culture est issue d’Hyperborée. Cette affirmation n’est fondée sur aucune source. Elle sert néanmoins de socle à Oleg de Normandie pour expliquer que le site d’Angkor Wat, un temple hindouiste, a été confisqué par les Bouddhistes. Pour notre auteur, le bouddhisme serait une sorte de religion monothéiste qui aurait supplanté la religion originale d’Angkor Wat, l’hindouisme, puis qui l’aurait occultée [10]. Ces affirmations, données sans aucune preuve, sont pour l’auteur à l’image d’une sorte de volonté mondiale des inquisiteurs de réduire toutes les religions premières.

On est ici étonné du manque absolu de connaissances d’Oleg de Normandie, de ses biais et de ses amalgames. Nous avions déjà perçu dans d’autres vidéos YouTube de ce même auteur les mêmes manques et les mêmes erreurs. Ainsi, pour Oleg de Normandie, les inquisiteurs auraient supplanté la religion des Hmong présente à Angkor Wat, l’hindouisme. D’abord, les Hmong n’ont jamais été les constructeurs d’Angkor Wat ; c’est en effet un temple Khmer. Les Hmong ou Miao Yao sont un peuple qui est installé au sud de la Chine, et que les empires chinois et vietnamiens ont isolé [11]. Leur langue a longtemps été rattachée au groupe sino-tibétain, comme le chinois, mais certaines recherches en font une langue indépendante [12]. Leur aire de développement est le nord du Vietnam actuel et le sud de la Chine, bien loin du Cambodge et des sites angkoriens. Comme la plupart des peuples montagnards – une appellation donnée par les Français lors de la colonisation de l’Indochine, ils ne se sont pas installés dans les plaines et n’ont pas laissé de grandes structures. Ils ne sont pas les constructeurs du temple d’Angkor Wat.

Ce dernier est bien connu, à la fois par les fouilles et les inscriptions. C’est un temple construit dans la première moitié du XIIe siècle par le roi khmer Suryavarman II [13]. Contrairement à la plupart des temples khmer de cette période, Angkor Wat est dédié à Vishnu, tandis que les autres sont dédiés essentiellement à Shiva. Ce sont deux dieux hindouistes, adoptés très tôt par le pouvoir et la population Khmer. Cette religion apparaît vers le tournant du premier millénaire avant notre ère en Inde [14]. Elle supplante petit à petit le védisme, qui est la première religion bien connue en Inde [15]. L’hindouisme est la principale religion indienne à partir du VIIIe siècle avant notre ère, mais il existe d’autres courants, tels que le jaïnisme, ou les Ajivikas, puis le bouddhisme qui apparaît comme une réforme de l’hindouisme vers le Ve siècle avant notre ère [16]. À partir du IIIe siècle avant notre ère, sous l’ère Maurya, le bouddhisme devient plus influent dans l’aire indienne, avant que les souverains de l’ère Gupta ne remettent l’hindouisme comme religion des souverains [17]. C’est à cette époque que les souverains Khmer, en contact avec l’Inde, adoptent l’hindouisme et que le sanskrit devient une des langues employées au Cambodge. Donc, contrairement à ce qu’affirme Oleg de Normandie, l’hindouisme n’est ni la seule ni la première religion en Asie du Sud ou en Asie du Sud-Est.

L’hindouisme devient la religion principale du monde Khmer. C’est essentiellement le shivaïsme, c’est-à-dire le culte de Shiva, un des trois dieux du trimurti (Brhama, Vihsnu et Shiva). Même si l’hindouisme est la principale religion au Cambodge, le bouddhisme est également présent, comme l’atteste la découverte de statues de Bouddha dans l’Empire Khmer [18]. Donc, dans le monde khmer, le bouddhisme et l’hindouisme sont présents en même temps, et notamment au moment de la construction du temple d’Angkor Wat. En revanche, on sait que dans les années 1180, le roi Jayavarman VII a décidé de soutenir le bouddhisme, mais sans remettre en cause l’hindouisme. Après son règne, les souverains vont revenir à l’hindouisme, détruisant en partie les symboles bouddhistes présents dans le pays [19].

Bouddha martelé au temple du Ta-Prohm - Photo AS

Après l’abandon d’Angkor, au XVe siècle, le bouddhisme vient s’imposer au Cambodge. Selon Oleg de Normandie, une fois le bouddhisme majoritaire, les tenants auraient cherché à effacer tous les symboles hindouistes. S’il est vrai que les temples hindouistes ont été remployés en temples bouddhistes, les inscriptions et les bas-reliefs hindouistes n’ont jamais été détruits. Ainsi, dans le temple d’Angkor Wat, tous les bas-reliefs hindouistes de la deuxième enceinte ont été conservés. Ils évoquent notamment des passages entiers des principaux textes hindouistes, le Mahabharata et le Ramayana [20].

Donc, de nouveau, Oleg de Normandie se trompe totalement en faisant croire que le bouddhisme, une fois qu’il s’est tardivement imposé au Cambodge, a éliminé les traces de l’ancienne religion.

Linteau représentant Indra, dieu hindouiste, au Banteay Srei - Photo AS

Ainsi, toutes les affirmations d’Oleg de Normandie sont fausses. Il n’y a pas de religion primordiale venant d’Hyperborée, une région fictive ; l’hindouisme n’est pas la religion primordiale de l’Asie du Sud ; le bouddhisme n’a pas cherché à effacer les traces de l’hindouisme, par ailleurs encore présentes de nos jours. À ces erreurs plus que manifestes, il faut ajouter la confusion presque risible entre Hmongs et Khmers, faisant croire que les premiers sont le peuple premier de la région.

Scène du Mahabharatta dans l’enceinte d’Angkor Wat - Photo AS

Si Oleg de Normandie ne se prenait pas autant au sérieux et si ses hypothèses n’étaient pas aussi dangereuses, le passage sur Angkor serait à ranger dans les canulars alternatifs. Mais Oleg de Normandie professe des positions à la fois racialistes et complotistes : il pense qu’il existe un grand complot des religions monothéistes contre le culte « druido-odinique » et que ce complot est le socle du Nouvel ordre mondial. Nous reviendrons dans une série d’articles sur ces positions, mais l’extrait ici débunké montre le charlatanisme et le manque de sérieux d’un auteur qui croit réinventer l’Histoire. Oleg de Normandie se dit historien ; il n’est en réalité qu’un bonimenteur qui pense réécrire l’histoire à partir de ses délires.