Dossier n°1-3 : Anton Parks, le Messie et le latin
Article mis en ligne le 27 avril 2020

par Anpon Tarks

Lien vers l’article précédent : Dossier Anton Parks n°1-2 : De la codification du Bullshit


Nous allons ici nous pencher non plus sur les décryptages avec la langue imaginaire de M. Parks mais bien sur ses traductions depuis le sumérien et depuis l’égyptien (voir l’article suivant du dossier).
Mais avant cela nous allons faire une incartade du côté du latin afin de démontrer que les connaissances étymologiques d’Anton Parks font montre d’un certain amateurisme.

Anton Parks s’appuie à quelques reprises sur la langue latine afin d’étayer ses idées. Cette brève étude examine une des interprétations qu’il donne au mot « Messie ». Anton Parks prétend qu’il est dérivé du latin « Messias ». M. Parks présente celui-ci comme étant la traduction latine du mot grec « Christos » (χριστός). Il ajoute d’autres éléments afin d’appuyer ses dires. Son argument tient à l’existence de « deux termes latins extrêmement approchants », dit-il, qui sont « messio », la moisson et « messis », la récolte des fruits de la terre. L’objectif de M. Parks est de proposer une relation entre le Christ des chrétiens et des caractéristiques agraires qu’on trouverait chez le dieu égyptien Osiris. Anton Parks s’appuie alors sur l’auteur grec Plutarque qui présenterait le dieu égyptien Osiris comme ayant fait « connaître les fruits de la terre aux Égyptiens ».

Nous allons nous intéresser à l’origine véritable du mot « Messie » qui ne vient pas du latin comme le soutient Anton Parks, mais plutôt des langues sémitiques. Nous nous intéresserons aussi à cette dimension agraire en lien avec deux autres mots latins afin de voir si tout ça a un quelconque fondement et si la référence à Plutarque consiste en un argument qu’il faut prendre au sérieux ou s’il s’agit d’un simple cas de « word dropping [1] », une pratique courante dans l’ésotérisme populaire contemporain.

Nous n’aborderons ici qu’un aspect de la question linguistique. Les considérations politico-théologiques du messianisme pourront être traitées ailleurs.

Le sujet est si vaste que nous avons fait le choix dans cette étude de nous limiter à deux citations bien précises d’Anton Parks tirées des Chroniques du Girku, tome 2 :

« Nous trouvons ici plusieurs aspects extrêmement précis, qui sont en affinité évidente avec Osiris et Horus. Le terme grec "Christos" qui se dit "Messias" en latin, possède comme sens "oint, sacré par le seigneur". On dit d’une personne qu’elle a été ointe [du latin "unctum" ("onguent")] lorsqu’elle a été consacrée par une onction liturgique. C’était précisément ce en quoi consistait le rituel initiatique dans le cénotaphe d’Osiris à Abdju (Abydos) d’où découle le baptême chrétien. L’initié, mais aussi le futur roi, se présentait dans la piscine après un long parcours initiatique. Il montait les marches pour accéder à l’île primordiale où se trouvait la tête d’Osiris et renaissait tel un jeune soleil. Nous venons de relever que le terme "Messie" proviendrait du vocable latin "Messias", mais nous ne manquerons cependant pas de souligner que le terme égyptien "Mesi" se traduit par "naître" ou "enfanter" ! [2] »

et

« Chez les chrétiens, le Christ est celui dont on attend le salut, il est le Messias (l’Oint), le messie transformé en “sauveur”, en libérateur. Ces qualificatifs se rapprochent d’Horus en tant que justicier qui aura pour mission de venger son père, de libérer le peuple opprimé d’Osiris-Enki aux mains de Seth-Enlil et de laver le déshonneur de sa famille maternelle !

La langue latine nous apporte quelques éléments de compréhension concernant le terme “Messias” (“oint, sacré par le seigneur”). Nous avons deux termes latins extrêmement approchants qui sont “Messio”, “la moisson”, et “Messis”, “récolte de produits de la terre”. Voici qui est des plus frappant, car Enki-Éa était le responsable des prêtresses Santana et Sandan qui récoltaient les produits agraires pour l’ensemble des Gina’abul-Anunna en Edin, lieu transformé en Paradis par l’idéologie judéo-chrétienne. Plutarque exprime la même idée au sujet d’Osiris dans son “Isis et Osiris” lorsqu’il dit que le “dieu” fit connaître les fruits de la terre aux Égyptiens [3] »

Notons la confiance avec laquelle Anton Parks s’exprime. Il parle de « plusieurs aspects extrêmement précis qui sont en affinité évidentes avec Osiris et Horus ». Notre analyse montrera qu’il s’agit en fait d’une construction plutôt très hypothétique et vague, voire imaginaire, édifiée sur quelques approximations et amalgames qui, à l’examen, se révèlent sans fondement.

Il souligne ensuite qu’il existe un terme égyptien « Mesi » qui se traduirait par « naître » ou « enfanter » [4]. Peut-être a-t-il raison au sujet du sens de ce mot, mais quel rapport cela aurait-il avec un mot latin dont il vient de nous dire quelques lignes plus haut que sa signification serait « oint sacré par le seigneur » ? La naissance, l’enfantement et l’onction ne sont-elles pas des actions et concepts qui sont fort différents ?

On se questionne aussi sur l’entrée en scène d’une dimension agraire qui dévoilerait une analogie qualifiée de frappante, nous dit-il, entre les mots « messias », « messio » et « messis » qui seraient, selon son expression, « extrêmement approchants ». Pourtant, un simple coup d’œil dans les dictionnaires de la langue latine montre qu’il n’y a aucun rapport étymologique entre ces mots qui, de plus, ne sont même pas de la même famille linguistique, nous le verrons. Un latiniste reste pantois devant de telles affirmations de la part d’un auteur qui, selon ses lecteurs et ses disciples, est un expert en langues anciennes qui passe des heures à se documenter.

On le voit donc dès le premier coup d’œil, sans même que ne soit nécessaire une analyse lexicologique : Une partie importante de cette démonstration relève de l’amalgame, de la fiction et de l’imagination, et les conclusions que l’auteur en tire sèment le doute !

Disons-le en entrée de jeu, le mot « messie » ne vient pas du latin « messias ». Il s’agit plutôt d’un mot hébreu :


משח
meshiḥa

Le sens du mot est « oint », le mot est utilisé dans la Bible pour les rois d’Israël, pour le grand prêtre et même pour un empereur perse, Cyrus [5] !
Commençons par établir le sens du mot hébreu meshiḥa et voir s’il y a un rapport quelconque avec des dimensions agraires ou avec une notion de naissance et d’enfantement.

Meshiḥa vient la racine verbale hébraïque משח (mshḥ) qui signifie tout simplement « enduire ». On peut alors consulter à ce sujet le dictionnaire hébreu-anglais de Brown-Driver-Briggs [6] ou encore n’importe quel autre dictionnaire scientifique de l’hébreu qui serait plus récent. Puisque nous nous efforçons à procurer aux lecteurs des outils de qualité qui sont accessibles gratuitement sur Internet, voici une capture d’écran partielle d’un autre dictionnaire hébreu-français, celui de Sander et Trenel. [7]

Le champ sémantique de cette racine se déploie donc avec des sens comme « enduire », « peindre », « arroser », « graisser », « huiler », d’où les dérivés du sens à caractère politique et religieux comme « oindre » et « sacrer (un roi / un prêtre) ». Quel rapport avec le vocabulaire agraire latin, ou celui de la naissance en égyptien, et quel est le rapport avec le dieu égyptien Osiris, comme le suggère Anton Parks ?
La réponse est simple : Aucun !

Mais continuons...

La racine משח (mshḥ) est attestée dans de nombreux mots d’autres langues sémitiques, ça va de soi, et on s’étonne qu’Anton Parks, spécialiste des langues proto-sémitique et sumérienne, ne le signale pas, lui qui préfère se référer au latin et à l’égyptien pour expliquer le sens d’un mot sémitique. On pense notamment au mot araméen משחא (mishrha’) qui signifie « huile » et « graisse », et son équivalent en syriaque ܡܫܚܐ (mashrho’). Mais le détail le plus intéressant dans notre contexte, puisque M. Parks est, dit-on, connaisseur du sumérien et de l’akkadien, c’est que dans cette dernière langue, qui est elle aussi de la famille des langues sémitiques comme l’hébreu et l’araméen, nous avons le verbe :

mashā’u = étendre/verser de l’huile sur (quelque chose ou quelqu’un).

La capture d’écran suivante, tirée du volume A comprehensive Etymological Dictionary of the Hebrew Language, note cette forme akkadienne [8] (soulignée en jaune), avec en prime la même racine verbale telle qu’elle se déploie dans d’autres langues sémitiques comme l’ougaritique, quelques dialectes araméens, le syriaque, l’éthiopien et l’arabe :

Ainsi, tout cela est extrêmement facile à établir et c’est si simple qu’il n’est même pas nécessaire de connaître les langues sémitiques afin de le constater. On voit donc très bien que la racine sémitique mshḥ exprime des mots en rapport avec l’huile et son usage. Rien à voir ainsi avec quoi que ce soit d’agraire comme les fruits de la terre, ou encore avec la notion de faire naître ou de naître.

Venons-en à Jésus le « Christos ».

Dans le Nouveau Testament [9], nous rencontrons le mot grec « Christos » (χριστός). Ce mot vient du verbe chriô (χρίω) qui signifie « oindre avec de l’huile ou des onguents ». Ce verbe possède deux sens secondaires, le premier concerne l’art d’ajouter des couleurs à une surface et l’autre couvre le champ sémantique d’ « enrouler » ou de « perforer ». Ce verbe est attesté chez Homère, chez Hérodote, chez Euripide et chez bien d’autres auteurs du corpus de la littérature grecque ancienne. Les dictionnaires grecs abondent dans les bibliothèques et sur Internet, vous pouvez aussi consulter gratuitement le dictionnaire grec-anglais de Liddell and Scott sur le site web du TLG. [10]

On se questionne ainsi de plus en plus à savoir pourquoi M. Parks ne parle pas de ce sens premier du mot, lui qui, en apparence, accorde pourtant une très grande importance à la linguistique et à l’étymologie ?

Ainsi, le mot grec ancien « christos » est un adjectif bien connu de la langue grecque classique, il est utilisé par des auteurs anciens bien avant qu’il ne devienne, au premier siècle de notre ère, un titre attaché à Jésus (nous y reviendrons un peu plus loin). L’adjectif « christos » en grec désigne : « ce qui, ou celui qui est enrobé », ou « astiqué » ou « frotté » avec de l’huile ou des onguents. Le sens d’« onction royale » est inconnu de la langue grecque classique et n’apparaît qu’au moment où la Bible hébraïque (l’Ancien Testament des chrétiens) a été traduit en grec ! Les traducteurs ont alors choisi ce mot pour traduire le mot hébreu meshiḥa qui signifiait, dans son sens profane, la même chose que « christos ». Ainsi, c’est seulement à ce moment-là que le mot pris une connotation religieuse qu’il n’avait jamais eu avant ! Ce point est important à noter.

Dans le Nouveau Testament, « christos » sert ainsi à désigner Jésus « le Christ », donc littéralement Jésus « l’Oint », ou Jésus « le Messie » au sens religieux du terme, un sens, on le sait maintenant, qui est une innovation extrêmement récente dans une perspective historique... Le qualificatif christ (avec une lettre minuscule) fut en un premier temps considéré comme étant un titre : Jésus étant celui qui a reçu l’onction de la part de Dieu (selon la première génération de chrétiens), et fut ensuite considéré comme un nom propre : le Christ (avec une lettre majuscule), afin de nommer Jésus.

La question est à savoir pourquoi Anton Parks n’explique-t-il pas ça, lui qui, raconte-t-on, connait les langues anciennes et serait un chercheur minutieux et soucieux de livrer des information justes et précises à ses lecteurs ? L’impression que laisse M. Parks aux yeux d’un spécialiste se révèle plutôt être celui d’un habile improvisateur.

Et le latin dans tout ça ?

Un simple coup d’œil dans le Nouveau Testament en grec et la Vulgate latine (une traduction latine de la Bible) montre que le mot grec « christos » fut latinisé en « christus ». Une évidence très claire, il va sans dire ! Inutile de donner des exemples tellement le nom est omniprésent dans la traduction latine de la Bible. Mais sortons-en tout de même un puisqu’il ne concerne pas Jésus, mais Jean le Baptiste ! Dans l’Évangile de Luc, chapitre 3, verset 15, nous lisons, selon nos traductions françaises modernes (nous citons la traduction TOB accessible gratuitement sur internet [11]) et nous ajoutons les caractères gras :

Le peuple était dans l’attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean : ne serait-il pas le Messie ?

Dans le texte grec, nous lisons :

Προσδοκῶντος δὲ τοῦ λαοῦ καὶ διαλογιζομένων πάντων ἐν ταῖς καρδίαις αὐτῶν περὶ τοῦ Ἰωάννου, μήποτε αὐτὸς εἴη ὁ Χριστός

Et en latin

Existimante autem populo et cogitantibus omnibus in cordibus suis de Iohanne, ne forte ipse esset Christus

La question est donc la suivante : D’où vient alors le mot latin « messias », puisqu’Anton Parks est d’avis qu’il s’agit de la traduction latine du mot « christos » ? On voit bien que ce n’est pas le cas du tout, mais d’où ce mot vient-il ?

Commençons par dire qu’il est utilisé à deux reprises dans l’Évangile de Jean. Ceci étant dit, autant la version grecque que la traduction latine de cet évangile prend soin d’expliquer le sens du mot, précisant que ça signifie « Christ ». Les lecteurs grecs comprennent alors le sens du mot (nous l’avons expliqué plus haut). Ça signifie : oint avec de l’huile. Mais en latin, les lecteurs ne comprennent pas le mot « messias » et la seule explication qu’ils reçoivent est que ce mot signifie « Christus », ce qui tend à montrer qu’au cinquième siècle, lorsque fut produite la traduction latine « Vulgate » des évangiles, le nom « Christus », étranger à la langue latine des romains, était devenu d’usage courant chez les chrétiens latins, ne nécessitant aucune explication, alors que le sens de « messias » devait être expliqué. Voici ces deux sections de l’Évangile de Jean qui contiennent à la fois « messias » et « christos » (nous ajoutons les caractères gras).

Jean 1, 41

« Nous avons trouvé le Messie ! » – ce qui signifie le Christ.

Εὑρήκαμεν τὸν Μεσσίαν ὅ ἐστιν μεθερμηνευόμενον Χριστός

Invenimus Messiam quod est interpretatum Christus

Jean 4, 25

Je sais qu’un Messie doit venir – celui qu’on appelle Christ. Lorsqu’il viendra, il nous annoncera toutes choses.

Οἶδα ὅτι Μεσσίας ἔρχεται, ὁ λεγόμενος Χριστός

Scio quia Messias venit qui dicitur Christus. Cum ergo venerit ille nobis adnuntiabit omnia

Conclusion, « Messias » n’est pas du tout un mot latin qui traduirait le grec « Christos ». Il s’agit plutôt d’un simple hébraïsme, un mot tellement incompris à la fois des locuteurs anciens de langue grecque que de ceux de la langue latine qu’il devait être suivi d’une explication afin d’être compris.

Posons-nous alors la question à savoir si la certitude d’Anton Parks, qui se prétend linguiste, qui dérive le sens de « messie » en le rapprochant du vocabulaire latin agraire fait sens ? La réponse est que ça ne fait tellement aucun sens, que même des gens dont la langue maternelle était le latin n’auraient pas compris ce rapprochement. Ce qu’Anton Parks fait s’appelle un anachronisme... Ou de la fiction ! Faites votre choix !

Détails, diront certains, l’essentiel de l’œuvre de M. Parks n’est pas là. Certes, mais il ne faudrait pas qu’un trop grand nombre de détails du genre ne s’accumulent...

Notre avis est le suivant : Anton Parks a probablement lu ce mot dans un dictionnaire latin généraliste à l’usage des traducteurs, comme le Gaffiot, par exemple. [12] Mais ça ne fait pas de ce mot un mot latin pour autant ! Lorsque nous voulons savoir si un mot est d’origine latine, il faut laisser de côté les dictionnaires pratiques à l’usage des traducteurs et se tourner vers un dictionnaire plus technique comme le Dictionnaire étymologique de la langue latine de Ernout et Meillet. [13] En ouvrant ses pages, on découvre alors que le mot “messias” ne s’y trouve pas, et pour cause ! Les explications données plus haut dans cet article nous ont fait comprendre qu’il s’agit d’un mot hébreu latinisé ! Pour donner un exemple à partir de la langue française, on perdrait notre temps à chercher dans l’histoire et la linguistique de la langue française le mot « stop », même s’il est listé dans le Petit Larousse...

Messias, Osiris et les fruits de la terre...

Qu’en est-il alors des analogies que propose Parks entre « messias » et les deux mots latins « messis » et « messio », ces deux derniers qui sont en rapport avec un vocabulaire agraire ? Il faut le dire et l’affirmer avec vigueur et force : AUCUNE ! En effet, comme nous le mentionnons dans le paragraphe précédent, un simple coup d’œil dans le dictionnaire de Ernout et Meillet vient anéantir les certitudes d’Anton Parks ! Et il y a plus encore à découvrir : les deux mots agraires que sont « messis » et « messio » sont formés à partir de la racine primitive *me/ot- qui a donné le verbe « meto », dont la forme à l’infinitif est « metere » et c’est au parfait, « messui » et au participe, « messum » que le son « s » apparaît (nous simplifions l’explication à l’extrême), grâce à un phénomène d’assimilation qui est courant en latin lorsque se forment les temps et modes verbaux du parfait et du participe (dont nous vous épargnons les détails ici, mais que nous pouvons vous expliquer sur demande à l’aide d’un tableau). Ainsi, les formes substantives se sont formées, comme cela est courant en latin, à partir du verbe au participe, mais pour les rapprochements étymologiques, il faut s’en tenir à la forme verbale primitive. Voici les captures d’écran tirées de ce dictionnaire. Le lecteur est invité à le consulter directement.

Ouvrons une parenthèse. N’est-t-il pas courant, dans la langue parlée, que les sons en « t » s’assimilent à des sons en « s » ? Des exemples :

Natation, que la langue parlée prononcera ainsi : *natassion
Une nation, que la langue parlée prononcera : *une nassion

Aurait-on idée de comparer ces mots avec de véritables mots en « s », disons « Sion », ou de faire une analogie simplement à partir du son, comme « scions », par exemple ? Pourrait-on conclure en faisant usage des même procédés qu’Anton Parks que *natassion comporte le préfixe *nat qui rappelle le mot naître et qu’à la naissance la mère porte son bébé dans ses bras, ainsi la *natassion exprime l’action de couper l’eau avec ses bras ?

Ce serait un brin loufoque et ce serait faire preuve d’amateurisme... Ou bien faire œuvre de fiction [14] ! Selon vous ?

La conclusion qui se dégage de cette partie est que le rapport entre « messie », mot d’origine sémitique qui vient d’une racine verbale mshḥ, avec un champ sémantique en rapport avec l’action de répandre de l’huile, n’a aucun rapport avec le verbe latin « meto » qui couvre un champ sémantique en rapport avec une activité agraire.

Et Plutarque dans tout ça ?

On l’aura compris, Plutarque n’est en rien utile à ce propos. On s’étonne même de voir son nom associé à une explication sur le sens du mot « messie ».

Anton Parks introduit Plutarque dans sa discussion de cette manière : « Plutarque exprime la même idée au sujet d’Osiris dans son “Isis et Osiris” lorsqu’il dit que le “dieu” fit connaître les fruits de la terre aux Égyptiens. ». Je vous propose deux traductions différentes de l’extrait de Plutarque que vous n’aurez aucune difficulté à retracer sur Internet [15]
N.B. Idéalement, on consultera l’édition bilingue grec-français publiée aux éditions Les Belles Lettres, Collection des Universités de France

[13] Dès qu’Osiris fut monté sur le trône, il retira les Égyptiens de la vie sauvage et misérable qu’ils avaient menée jusqu’alors ; il leur enseigna l’agriculture, leur donna des lois et leur apprit à honorer les dieux. Ensuite, parcourant la terre, il adoucit les mœurs des hommes, eut rarement besoin de la force des armes, et les attira presque tous par la persuasion, par les charmes de la parole et de la musique ; aussi les Grecs ont-ils cru qu’il était le même que Bacchus. (Traduction de Dominique Ricard) [13] En montant sur le trône Osiris fit renoncer aussitôt les Égyptiens à leur existence de privations et de bêtes sauvages. Il leur montra comment on se procure les fruits ; il leur donna des lois, et leur apprit à honorer des dieux. Plus tard il parcourut l’univers entier, y portant les bienfaits de la civilisation. Il n’eut que très rarement besoin de recourir aux armes : ce fut par la persuasion, le plus souvent, et par la raison, en y joignant l’attrait des chants et de toute sorte d’harmonie, qu’il attirait les hommes. C’est pour cela que les Grecs croient qu’il est le même que Bacchus. (Traduction de Victor Bétolaud)

C’est vraiment mince comme argument, qui n’a comme seul but que d’appuyer un rapprochement (dont nous savons désormais qu’il est fictif) avec les mots « messias » et « messio ». Anton Parks l’ajoute à son édifice argumentatif dont les fondations, nous venons de le voir, craquent de tous côtés. On aura très bien compris que la seule fonction de ce renvoi à Plutarque est de forger un lien artificiel et imaginaire en cherchant à assimiler la figure d’Osiris avec celle de Jésus alors qu’il n’y a aucun lien possible, ni entre Osiris et Jésus, ni entre Horus et Jésus, du moins pas selon Plutarque ! Dans la doctrine chrétienne, Jésus ne se caractérise pas à partir de motifs agraires. Mais dans une œuvre de fiction, tout est permis !

Pourtant, Plutarque a vécu entre 46 et 125 de notre ère, donc il est tout à fait contemporain de la naissance du mouvement autour de Jésus, ce qui deviendra le christianisme. Il compose un traité entièrement consacré au cycle d’Isis et d’Osiris. Pourquoi alors Plutarque ne mentionne-t-il aucun des prétendus points de rencontre entre l’histoire de Jésus, celle d’Osiris et Horus ? Son traité sur Isis et Osiris aurait dû être le lieu où exprimer et souligner de tels rapports. Or, chez Plutarque, rien de tel n’est signalé. J’invite ainsi avec insistance les lecteurs de cet article à lire l’œuvre de Plutarque. Des liens vers deux traductions disponibles en ligne sont donnés dans la bibliographie (voir note n°15). Scrutez-le à la loupe, notamment son traité sur Isis et Osiris et discernez par vous-mêmes afin de voir si vraiment la vie de Jésus telle qu’on la lit dans les évangiles (autant les canoniques que les apocryphes) est une composée d’allusions au cycle d’Osiris et d’Horus.

Notons rapidement en terminant cette section que le même extrait de Plutarque est cité dans un autre livre d’Anton Parks, son essai intitulé Le Testament de la vierge. En effet, M. Parks y fait un rapprochement avec l’extrait en question et l’histoire du patriarche Joseph, un des fils de Jacob dont l’histoire est narrée dans le livre de la Genèse. [16] Ainsi, le patriarche Joseph serait lui aussi un avatar d’Osiris ! Ça se passe de commentaires...

Remarques finales

On l’aura compris, le mot « messie » n’est pas d’origine latine. S’il est vrai que dans l’évangile de Jean il traduit en quelques rares occasions le grec « christos », il faut savoir que le christianisme latin a préféré décalquer le mot grec et l’utiliser ainsi en formant le mot « christus » (un néologisme en latin). Le champ sémantique du mot grec « christos » est celui de l’huile : répandre, étendre de l’huile, ajouter de la couleur, utiliser de l’huile dans son bain, d’où le sens dérivé de faire une onction d’huile. C’est en contexte juif d’abord, puis chrétien que le mot prendra un sens politique et religieux. Il s’agit d’une innovation récente à la sémantique de la langue grecque qui a servi à traduire le mot hébreu meshiḥa.

Le rapport entre la forme latinisée « messias » et l’activité agraire est purement imaginaire et inventé de toute pièce dans le but d’ajouter à la trame narrative de l’œuvre de Parks. Il n’a aucun fondement linguistique. D’un point de vue historique, religieux, mythologique, la proposition d’Anton Parks est absolument inutile et doit donc être rejetée. Ça ne relève ni de l’interprétation, ni de l’opinion, ni d’une quelconque révélation et c’est un jugement définitif sans possibilité qu’on en appelle à quoi que ce soit.


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