Résonances des grottes de Barabar. Ou pas.
Article mis en ligne le 4 mars 2020

par Nali

Dans BAM (Les Bâtisseurs de l’Ancien Monde), Patrice Pouillard nous explique que les grottes de Barabar présentent des caractéristiques acoustiques hors du commun, avec notamment des pics de résonances particuliers, à des fréquences bien précises. Qu’en est il ?

L’acoustique est un domaine très complexe, que je n’ai pas la prétention de maîtriser à 100%, ici c’est donc de la vulgarisation. De plus, ça n’est pas toujours simple à comprendre au premier abord. Il me semble utile de comprendre des notions de base pour comprendre la présente critique, une bonne partie de cet article est donc assez théorique.

Le phénomène de résonance

Il faut commencer par comprendre ce qu’est une résonance en acoustique. Le son est une vibration de l’air, chacun doit savoir ça. Cette vibration ne se transmet pas instantanément, mais se déplace … à la vitesse du son, qui est d’environ 340 m/s.

Lorsqu’un son parvient à nos oreilles, il y a donc un décalage temporel avec le moment où il a été émis. Mais il est aussi capable de rebondir contre des parois dures, d’où le phénomène d’écho.

Dans la pratique, si on écoute un son dans une pièce fermée, on va entendre non seulement le son direct mais également, dans une certaine mesure, son écho contre les murs. C’est là que ça se complique, il est question de « phase ».

Voilà quelques images qui permettent de comprendre ce phénomène. Les illustrations portent sur des oscillations électriques, mais c’est exactement le même principe. Il est simplement plus facile de trouver des images concernant ce genre de signaux que les acoustiques. (source )

Supposons en rouge le signal reçu directement depuis un haut-parleur, et en bleu un de ses échos. Un seul écho ici, pour simplifier. Dans la pratique il y a l’écho de l’écho, puis l’écho de l’écho de l’écho, etc, le tout en s’atténuant.

1/ Le signal réfléchi ayant dû parcourir une distance plus grande que celui d’origine, de par la vitesse du son il arrive à notre oreille plus tard.

2/ Opposition de phase : la distance à parcourir pour l’écho n’était pas la même, le son arrive encore plus en retard. Ça pose un problème, les 2 ondes sont opposées et le niveau du signal global reçu par l’oreille est la différence entre les 2. Le son ressenti va donc être atténué.

3/ Signaux en phase : encore un peu plus de retard. Ici l’onde directe et l’onde réfléchie présentent leur amplitude maximale au même moment. Le son ressenti par l’oreille sera le résultat de la somme des 2, et donc paraîtra plus fort que le son réellement émis.

Ça paraît très théorique, mais c’est une réalité que chacun a pu constater facilement. Quand on écoute de la musique, le niveau de grave change totalement selon notre position d’écoute et l’emplacement des enceintes acoustiques.

Dans BAM, on voit Éric Gonthier se promener dans les grottes en tenant le microphone à la main, souvent proche des parois. Ça a pour conséquence que le phénomène de « résonance » n’est valable que à l’endroit où il se trouve par rapport au haut-parleur source du son. Ça dépend évidemment aussi de l’emplacement du haut-parleur, ainsi que de l’orientation du microphone. Celui utilisé est un sonomètre Solo 01dB SLM, je n’ai pas trouvé s’il est directif ou non.

Un protocole sérieux serait de mesurer en un point particulier des grottes, par exemple au centre, avec le haut-parleur source en un point lui aussi particulier. Pour faire un parallèle avec le théâtre grec d’Épidaure, reconnu pour son acoustique, celle-ci n’a de sens que si les acteurs sont sur la scène et les spectateurs dans les gradins. Toute autre disposition ne présente pas le moindre intérêt.

C’est d’ailleurs ce qui est mentionné en ce qui concerne la pièce ronde de la grotte de Sudama, qui est censée faire « vibrer des parties précises de l’organisme ». Qu’en est-il des autres ? Quand on voit des images comme celle-ci, en plein dans un coin, on peut s’interroger… Ont-ils compris comment on se sert de cet appareil ? Est-ce représentatif de l’ensemble des mesures prises ?

Le principe des mesures.

Le but est de relever le niveau sonore en fonction de la fréquence. On envoie donc dans un haut-parleur un son dont la fréquence augmente progressivement, et de niveau constant. Générer ce type de signal est facile avec par exemple le logiciel libre Audacity. Il suffit de sélectionner « Générer → Gazouillis », choisir « sinusoïde » et remplir les champs au choix. Ici, j’ai choisi une fréquence de départ de 20 Hz, une de fin de 20.000 Hz (ce qui correspond théoriquement à ce que l’oreille humaine est capable d’entendre), et une durée de 10 secondes.

L’échelle dans le temps est également logarithmique, comme il est d’usage en audio. Ce point est extrêmement important. C’est une norme. Ça implique que chaque fois que la durée écoulée est doublée, la fréquence est elle aussi doublée. Concrètement, le temps écoulé pour passer de 1000 à 2000 Hz sera le même que celui pour passer de 2000 à 4000, ainsi que de 4000 à 8000 Hz, etc.

On peut déjà voir qu’il y a ici aussi un souci de protocole dans BAM. L’échelle n’est visiblement ni logarithmique, ni même linéaire. Le temps écoulé pour passer de 200 à 400 Hz n’est pas le même que celui pour passer de 400 à 800 Hz, pas plus que le même pour passer de 800 à 1000 Hz, le point à 1200 Hz est quant à lui perdu au fond du graphique, sans qu’on sache trop pourquoi. Tout ce qu’on a en abscisse est le temps écoulé, sans lien avec la fréquence de mesure à un quelconque moment (ce qui semble être une limitation du logiciel dBTrait).

L’explication que je trouve la plus vraisemblable est que le balayage en fréquence n’a pas été fait de manière automatisée depuis un logiciel, mais éventuellement de manière manuelle on ne sait trop comment. C’est pourtant pas compliqué, voir au dessus comment faire avec le simple Audacity. Ça ne me semble pas très sérieux.

Le haut-parleur

Afin d’être mesuré en amplitude, le signal sonore doit bien évidemment être envoyé dans une enceinte acoustique. Pour des mesures correctes, il convient bien d’utiliser une enceinte dont la courbe de réponse sera la plus linéaire possible. C’est-à-dire qui n’accentue pas les graves ni les aigus, tout comme on pourrait le faire avec un égaliseur ou un réglage grave/aigu.

Normalement, on utilise pas n’importe quoi, mais une enceinte dont on connaît les caractéristiques en terme de réponse en fréquence, et qui se doit d’être le plus neutre possible. On peut voir quelle enceinte est utilisée dans BAM dans une vidéo postée sur Youtube.

Il s’agit visiblement d’une JBL Charge. Le manuel utilisateur mentionne une bande passante de 150 à 20,000 Hz, mais sans fournir la réponse en fréquence, généralement tout sauf linéaire pour les produits de ce type.
Ça ressemble assez peu à une enceinte dite « de studio », dotée de qualités « audiophiles ». C’est une simple enceinte Bluetooth portable. Pour être simple, il n’existe pas la moindre garantie que cette enceinte n’amplifie pas elle-même le son selon les fréquences qu’on lui envoie, rendant totalement inutilisables les mesures qu’on en tire à des fins d’analyse.

C’est même assez peu probable. Au contraire ces petits systèmes sont incapables d’avoir un rendu correct des fréquences graves de par leur taille, et le son est modifié électroniquement pour avoir un simili rendu des graves aux alentours de 150 ou 200 Hz, bien loin des 50 Hz d’une enceinte de qualité moyenne.

L’interprétation des courbes.

Dans le documentaire, on a droit à des portions de la courbe de réponse, résultats du traitement avec le logiciel dBTrait. Elles sont composées de 2 parties. En abscisse, échelle horizontale, on a le temps écoulé lors de mesures. On peut bien évidemment prendre plusieurs séries de mesures, ce qui explique que ce temps ne démarre pas forcément à zéro. Ce minutage n’est donc pas corrélé directement avec une fréquence mesurée à cet instant précis.

En ordonnée, échelle verticale, on a le niveau sonore, qui est un niveau relatif. Ce qui convient parfaitement, puisque ici le volume sonore lui-même n’est pas important. Seules les différences de niveau comptent.

Cette pression acoustique peut parfois être mesurée en décibel, grâce à un sonomètre comme celui utilisé dans BAM, mais selon là encore un protocole clairement défini. Par exemple, on mesure le « rendement » d’une enceinte acoustique, c’est à dire quel niveau de « bruit » elle peut produire, en lui injectant une puissance de 1 Watt, et en mesurant à une distance de 1 mètre. Même chose pour la mesure du bruit des pots d’échappement, où le sonomètre doit être orienté vers l’orifice de l’échappement et à 50 cm de cet orifice.

La partie haute en jaune est un « instantané » sur la courbe globale, qui se focalise uniquement sur une fréquence particulière. Cette partie jaune est donc simplement un « zoom » sur un point précis, rien de plus. Voir à ce sujet le mode d’emploi du logiciel.

C’est en partie basse qu’on trouve la courbe de mesure complète, qui représente donc le niveau sonore relevé entre la fréquence la plus basse et celle la plus haute émises par le haut-parleur.

Les mesures selon BAM

Voyons par exemple cette image, censée montrer un pic à 800 Hz dans la grotte de Gopika.

En partie haute, on voit en effet un pic significatif. Si on le replace dans son contexte, courbe du bas, on voit bien qu’il n’est qu’un point de détail.

En fait, le logiciel effectue un filtrage centré autour de la fréquence de 800 Hz, et n’affiche que cette partie. Il est donc tout à fait normal que celle ci soit mise en avant plan, puisque la mesure de ce qui est autour n’est pas prise en compte !

C’est un filtrage par 1/3 d’octave, comme on peut le lire ici :

Les parties haute et basse ne s’affichent pas alignées verticalement dans le logiciel, c’est sa conception qui veut ça. Je n’ai pas d’explication plus rationnelle.

Je me suis amusé à coller ensemble toutes les courbes montrées, afin d’avoir une vision globale.

Je laisse à chacun le soin de juger si les points retenus dans BAM, que j’ai notés, sont particulièrement significatifs et méritent autant d’attention. On appréciera particulièrement le cas de celle de Vadathika, pour laquelle il faut être particulièrement inventif pour y trouver une quelconque cohérence. Certains pics flagrants de la courbe de réponse sont totalement ignorés, alors que d’autres parties sont mises en valeur, bien que d’amplitude quelconque.

Il est donc clair que les courbes sont interprétées par l’équipe de BAM en fonction de la conclusion à laquelle ils prétendent arriver, non pas en analysant les données de manière neutre.

On a donc un ensemble de mesures effectuées sans rigueur, par des gens qui visiblement ne savent pas se servir du matériel qu’ils utilisent, et sans protocole clairement défini. Au cas où un tel protocole existerait, il y a un énorme décalage entre ce qui est dit en commentaire et ce qui est observable sur les courbes, on voit bien que les points retenus pour valider l’hypothèse de départ ne sont choisis que parmi ceux qui la confirment, en laissant de coté les autres, quitte à en choisir certains qui sont plus que discutables.

Dans un article, Patrice Pouillard tente de justifier les imprécisions de mesure en affirmant « avec le logiciel DBTrait : le pas de 24,5 Hz n’est pas assez précis ». C’est fort possible. Mais cette incertitude de mesure ne serait significative que lors de la mesure des basses fréquences. Pas à 400, 800, 1000 ou bien 1200 Hz. Et certainement pas au point de modifier totalement l’allure générale des courbes.

On a donc à mes yeux des données interprétées de façon largement fantaisiste, qui ne peuvent trouver de crédit qu’aux yeux de ceux qui n’ont pas les compétences pour déchiffrer ce genre de courbes.

Merci à Rationnel Itude pour ses remarques constructives.


En complément, cette vidéo de Rationel Itude sur les phénomènes d’écho et de réverbération à Barabar :