Réflexions sur « les fameux indices de fraude »
Article mis en ligne le 26 octobre 2017

par Généticien

L’ami généticien qui a bien voulu déjà faire profiter ce blog de son expertise (voir ici, ici et ) nous propose aujourd’hui une réflexion sur les indices de fraude : il s’agit de montrer que la science n’est pas plongée dans l’inconnu devant l’hypothèse de fraude, c’est une situation extrêmement banale qui appelle la mise en œuvre d’une vraie méthode. Une deuxième partie, à venir plus tard, devrait s’intéresser aux étapes à suivre dans la description d’une nouvelle espèce, une situation là aussi extrêmement banale. Dans les deux cas, il montre à quel point la « méthode » suivie par les promoteurs des « momies aliens » de Nazca est éloignée des pratiques scientifiques.

Première partie : Pratiquer le doute méthodique

Cette partie s’inspire presque entièrement du chapitre « L’affaire de l’homme de Piltdown revue et corrigée » du livre Le pouce du Panda, du merveilleux vulgarisateur Stephen Jay Gould.

1. Exemple historique : l’homme de Piltdown

L’affaire de l’ « homme de Piltdown » est sans doute l’exemple le plus connu de fraude en paléontologie, et a fait l’objet d’une très abondante littérature. En 1912, Dawson, archéologue amateur, rapporta à Arthur Smith Woodward, conservateur au British Museum, les restes fossiles d’un supposé hominidé. Ils prétendaient qu’ils avaient été découverts à partir de 1908 près du village de Piltdown en Angleterre. Le tandem Dawson-Woodward fut alors rejoint par le jeune prêtre Teilhard de Chardin, qui devint plus tard un brillant théoricien de l’évolution.

L’aspect général de la créature était de nature à frapper les imaginations de l’époque : son important volume crânien était similaire à celui d’un homme moderne, alors que sa mâchoire semblait typiquement simienne. Cela semblait être une incarnation de que l’on appelait alors souvent le « chaînon manquant » (expression remarquablement dénuée de sens, qu’on entend hélas encore aujourd’hui). L’annonce de la découverte en 1912 eut un fort retentissement.

Crâne de l’ « Homme de Piltdown ».

Le trio fit d’autres découvertes à proximité de ce site, en 1913 puis 1915, qui confortaient l’hypothèse d’une espèce distincte d’hominidé. Considérée comme nettement plus proche du singe que Neandertal, du fait de sa mâchoire archaïque, son existence remettait en cause une préhistoire européenne que l’on commençait à ébaucher. En effet, dans les scénarios incluant l’homme de Piltdown, un lignage direct semblait le lier à l’homme et au singe. Neandertal et son crâne de plus modeste volume en devenait par conséquent un insignifiant « rameau dégénéré » (selon les mots de Woodward).

La supercherie prit fin définitivement de nombreuses années après. En 1953, on put montrer que les restes se composaient d’une mâchoire d’orang-outan grossièrement modifiée et d’un crâne humain. On admet généralement que Dawson a joué le premier rôle dans la mystification, Gould accusant également Teilhard de Chardin.

2. Mettre la fraude en évidence

A posteriori, on s’aperçoit que le dénouement (long mais inéluctable) de la supercherie demandait de mettre en œuvre une approche méthodique. C’est encore Thierry Jamin qui l’expliquait le mieux sur le forum interne d’Alien Project : « Nous nous faisons toujours l’avocat du diable et nous recherchons toujours ces fameux indices de fraude. A force de les chercher, nous finirons peut-être par les trouver... ». En effet : il s’agit de tester réellement pour des hypothèses favorables à la fraude, c’est-à-dire de mettre en œuvre un protocole rigoureux pour les écarter ou les valider. Si, par économie d’hypothèse, la fraude est l’explication la plus vraisemblable, il faut s’en tenir là.

Quelle que soit la discipline scientifique, cette hypothèse doit toujours être envisagée tant les possibilités de frauder sont multiples. La paléontologie construit ses théories sur la description et la comparaison de restes fossiles rares, mis à jour au cours de fastidieuses campagnes sur le terrain. Elle est donc particulièrement vulnérable à la « découverte » de restes frauduleux, qui n’a elle pour seules contraintes que l’habileté et l’inspiration du fraudeur. Dans le cas de Piltdown, Gould reconnaît tout au plus au fraudeur le mérite d’avoir opportunément brisé les articulations de la mâchoire et le menton, deux éléments qui auraient rapidement révélé l’origine réelle de ces restes. Pour des raisons voisines, l’archéologie a aussi connu de nombreuses fraudes restées célèbres comme celle du faux gisement d’objets préhistoriques de Glozel. La littérature créationniste contemporaine abonde de tels trucages destinés à valider une chronologie plus conforme à la Bible (théorie « Young Earth »).

Un moulage improbable visant à mettre en évidence la cohabitation de l’Homme et des dinosaures (Musée de la Création, Petersburg, E-U).

Nul besoin d’ailleurs d’en passer par la création d’objets frauduleux. Il est tout à fait possible de produire des résultats frauduleux basés sur des données falsifiées, des analyses et interprétations biaisées. Gould en donne de nombreux exemples dans son autre livre La mal-mesure de l’homme. Pour l’affaire de Piltdown, quatre arguments ont progressivement fini par convaincre de la fraude :

 La « providence » : Entre 1912 et 1915, la validité des restes de Piltdown était encore fortement controversée. Néanmoins, ses molaires présentaient une usure plate, un trait qu’on rencontre chez les humains et jamais chez les singes. Il s’agissait donc d’un argument de choix pour ses défenseurs. Mais, en l’absence d’autres restes, on pouvait encore soupçonner qu’il s’agissait de restes disparates rassemblés par hasard. Il fallut deux autres découvertes pour les dissiper. En 1913, on trouva à proximité de Piltdown une canine simienne à usure humaine ; les critiques commençaient à faiblir. Mais il manquait à cette deuxième découverte l’association avec un crâne humain. Ce fut chose faite, enfin, en 1915 lorsqu’on trouva un second ensemble incluant dents et fragments de crâne. A ce instant, il se trouva tout de même un paléontologue américain, Henry Fairfield Osborn, pour remarquer ironiquement que « les trois fragments du second homme de Piltdown […] sont très exactement ceux qu’on aurait choisis si l’on avait désiré confirmer la comparaison avec le type originel ». Le même prodige s’est produit pour Alien Project. Depuis les poupées grotesques présentées au départ de la campagne Ulule (ci-dessous), les squelettes ont progressivement gagné en crédibilité ce que les Ululeurs ont gagné en perspicacité. Jusqu’à en arriver à ce que la communauté des archéologues péruviens a décrit comme des restes humains précolombiens authentiques, modifiés et mutilés.

Les premières images fournies par Alien Project.

 Des restes récents : Une technique de datation, basée sur l’abondance du fluor, fut employée en 1949 sur les restes de Piltdown. Elle révélait qu’ils ne pouvaient avoir l’âge qu’on leur prêtait et que leur enfouissement datait de quelques décennies seulement. Ceci n’est pas sans évoquer les incohérences rencontrées par Alien Project dans les datations au carbone 14 et les tests ADN – même si des carences dans la manipulation elle-même peuvent aussi être invoquées ici.

 Des dents limées : Les dents de la mâchoire d’orang-outan avaient été modifiées pour simuler une usure humaine. Un examen attentif aurait révélé des traces de lime, mais, la plupart du temps, les observations n’étaient faites que sur des copies en plâtre de la mâchoire. Les traces de limes restèrent longtemps ignorées. De la même façon, en ce qui concerne la plupart des « momies » d’Alien Project, de nombreux scientifiques ont affirmé et montré de façon convaincante qu’il s’agissait d’une fraude avec modification de matériel biologique authentique (cf Momies de Nazca : le point de vue des paléontologues). Un examen direct, minutieux, permettrait sans aucun doute de le confirmer ; or l’équipe de Thierry Jamin n’a jamais fourni de rapports suffisamment clairs et détaillés qui permettent d’avancer sur ce point. On doit, au mieux, se contenter de l’avis péremptoire des scientifiques parfois douteux qui l’entourent.

Illustration de la chaîne Youtube ‘Stop, sciences’ illustrant la modification de crânes de chat réalisée pour composer les « momies » d’Alien Project.

 Une teinture au bichromate de potassium : Les restes de l’homme de Piltdown présentaient une couleur marron et un aspect remarquablement ancien, en accord avec l’aspect archaïque de sa mâchoire. Il s’agissait en réalité d’une coloration artificielle destinée à masquer les différences d’aspect originelles entre les ossements d’orang-outan et d’être humain utilisés. Là encore, un examen direct des restes aurait permis de détecter les traces d’une coloration, mais seules des copies en plâtre étaient mises à disposition. On ne peut s’empêcher de penser à la terre de diatomée des « momies » d’Alien Project. Alors qu’elles ont inspiré les théories les plus fumeuses il s’agit probablement d’un artifice pour masquer les modifications.

3. Anticiper le piège

Davantage que les fraudeurs, les acteurs les plus intéressants de l’affaire sont en réalité les nombreux scientifiques compétents qui ont été dupés, de bonne foi, dans l’affaire de Piltdown. Leur attitude interpelle sur la confiance qu’on peut accorder à l’autorité académique. Gould y voit le signe d’une irréductible subjectivité du chercheur (un « voile » translucide mais indestructible, qui nous masque l’univers). Dans le cas de Piltdown, il aurait fallu selon lui se garder de quatre pièges :

 « Une forte espérance l’emporte sur des preuves douteuses » : Le contexte de la « découverte » à Piltdown était empreint d’une forte frustration des scientifiques anglais confronté, à cette époque, à une relative pauvreté en restes paléontologiques dans les îles Britanniques. Un état d’esprit qu’on retrouve actuellement chez les passionnés d’ufologie : « Avant Piltdown, la paléoanthropologie anglaise s’enfonçait dans le même bourbier que connaissent à présent ceux qui étudient la vie extraterrestre : un immense champ de spéculations sans limites et aucune preuve directe ».

 « Les anomalies sont acceptées lorsqu’elles s’accordent avec les préjugés culturels » : L’homme de Piltdown venait à point nommé pour conforter un présupposé courant de cette époque. Malgré son âge, son crâne volumineux, déjà si « humain », prouvait l’antériorité de l’émergence du cerveau par rapport à d’autres traits caractéristiques. Or, beaucoup présumaient que le siège de l’esprit, étant symboliquement ce qui nous sépare du monde animal, devait avoir une sorte de préséance biologique et évolutive. On retrouve sans doute ce genre de biais anthropocentrique – et d’absence d’imagination – chez les ufologues actuels, qui ne peuvent concevoir une espèce extraterrestre que sous la forme d’un vertébré tétrapode bipède, parfois mâtiné de quelques fantaisies reptiliennes. C’est surestimer de beaucoup la très humble place de tels vertébrés dans notre monde vivant, en termes de diversité ou de biomasse, et méconnaître l’incroyable profusion de formes que peut engendrer le processus évolutif (voir la faune de Burgess).

Reconstitution d’une espèce du genre Hallucigenia sp. dont a retrouvé les restes dans le gisement de Burgess.

 « Les anomalies sont acceptées quand elles permettent d’accorder les faits avec les attentes » : Tous les contemporains de l’affaire de Piltdown n’avaient pas succombé aux préjugés nationalistes ou métaphysiques. Beaucoup ont réellement entrepris un examen consciencieux de ces restes de Piltdown. Néanmoins, pour ceux qui avaient la conviction intime de leur validité, il s’agissait davantage de donner de la cohérence à un ensemble mal assorti. Gould rapporte ainsi que souvent, seules les observations atténuant l’aspect exagérément simien de la mâchoire, et humain du crâne, étaient mises en avant. On tentait donc moins d’accorder la théorie (de l’évolution de la lignée humaine) aux faits, que de choisir des faits cohérents avec une autre théorie incluant l’homme de Piltdown. Ce travers se retrouve chez les partenaires d’Alien Project ; les résultats désastreux de l’analyse d’ADN ont été rapidement ignorés au profit d’autres résultats, a priori davantage en accord avec la piste extraterrestre (e.g. la morphologie des « mains tridactyles »). Or, seule une théorie rassemblant avec honnêteté tous ces résultats, même les moins « satisfaisants », serait recevable.

 « Les pratiques font obstacle aux découvertes » : A l’époque de l’affaire de Piltdown, les restes paléontologiques étaient conservés au British Museum comme « les bijoux de la couronne ». Le curieux n’avait droit qu’à un examen rapide et une comparaison avec une copie, qu’on lui laissait étudier plus longuement. Or cette copie ne reproduisait pas les signes les plus évidents de fraude comme la coloration. Dans ces conditions, beaucoup de contemporains n’ont tout simplement pas pu faire les observations de bon sens qui s’imposaient. De la même façon, tout en ménageant l’illusion d’une communication dynamique et moderne (vidéos, photos, désignation de porte-parole comme l’« ambassadeur » Deï Mian), Alien Project laisse en réalité filtrer très peu d’informations sur le matériel à sa disposition. Les images sont imprécises et rares, aucun rapport détaillé et fiable ne vient y remédier. Il est difficile de ne pas y voir une façon de différer indéfiniment la certitude de la fraude.

A suivre...