Les sondages géologiques
Article mis en ligne le 11 juillet 2006

par Irna

En août 2005, M. Osmanagic fait pratiquer (sur ses propres deniers apparemment) une série de forages et sondages sur la colline de Visocica dans le but de confirmer son "hypothèse" de la pyramide du Soleil. Les résultats de ces sondages sont présentés dans trois documents différents, et avec quelques nuances : tout d’abord dans le rapport d’Octobre-Novembre 2005 de la géologue Nadija Nukic, embauchée par M. Osmanagic ; les résultats de Mme Nukic sont ensuite repris dans le livre de M. Osmanagic "La pyramide du Soleil de Bosnie" publié en décembre 2005 ; et enfin ces résultats sont partiellement repris et critiqués par les géologues de l’Université de Tuzla qui ont, à l’invitation de la Fondation, rendu en avril 2006 un rapport sur la géologie de Visoko.

Les sondages

Commençons par le rapport de Mme Nukic ; celui-ci est disponible en bosniaque (bs) [1]. Une version en anglais (en) [1] peut également être téléchargée sur le même site. Mais il semble en fait qu’il existe deux rapports : celui qui est sur le site de la Fondation ne concerne que les 3 sondages (de 2 mètres de large sur 5 à 9 mètres de long) pratiqués, mais il en existe un autre, daté de septembre 2005, non disponible sur le site, concernant cette fois les résultats des forages (6 forages de 40 mètres de profondeur), que les géologues de Tuzla ont eu entre les mains.

Dans le rapport d’Octobre sur les sondages, Mme Nukic commence par présenter la géologie de la région : les principaux types de roches sont des conglomérats soit de type brèche (fr) sédimentaire (à fragments plutôt anguleux), soit de type poudingue (fr) (à fragments plutôt arrondis) ; ainsi que des grès (fr) (formant des blocs, nous dit l’auteur, souvent utilisés comme matériau de construction dans la région), le tout datant du Néogène, c’est-à-dire de la fin de l’ère Tertiaire (Miocène). Dès la fin de cette première page du rapport, très générale, on trouve une première "conclusion" bien peu scientifique :

Given that the shape of Visočica is a symmetrical geometric form, whose four sides are identical (except the front side where there is an entrance plateau), it can be concluded that nature itself could not form such a regular form as all these materials are sedimentary rocks made of fine grains flown in by water and deposited.

(Etant donné que Visocica a une forme géométrique symétrique, dont les 4 faces sont identiques (sauf la face avant où est la plate-forme d’accès), on peut conclure que la nature seule ne pourrait pas créer une forme aussi régulière car tous ces matériaux sont des roches sédimentaires faites de grains fins transportés par l’eau puis déposés.)

Sûr, la nature ne peut pas créer de formes géométriques symétriques...
Indeed, nature cannot create geometrical and symmetrical shapes... - Source
...surtout dans des roches sédimentaires !
... especially in sedimentary rocks ! - Source

Il me semble que c’est un bien curieux rapport scientifique que celui qui conclut avant toute recherche [2]...

Ensuite Mme Nukic expose sa problématique de recherche ; là aussi, il me semble qu’une étape est souvent oubliée dans la démarche. Par exemple, une des questions que se pose Mme Nukic est de savoir si les plaques de grès "manufacturées" du "plateau d’entrée" ont été disposées en marches d’escalier ou en suivant la pente. N’aurait-il pas fallu commencer par vérifier si ces plaques de grès sont effectivement travaillées par l’homme, et si leur disposition peut être naturelle ? On retrouve ce problème à plusieurs reprises dans le rapport de Mme Nukic : régulièrement, celle-ci pose en postulat l’existence de la pyramide, et s’interroge sur les modalités de sa construction plutôt que sur son existence elle-même.

La suite du rapport décrit les différents sondages et leurs résultats : le premier sondage est malheureux, puisqu’il se révèle très vite qu’il a lieu dans une zone qui avait été creusée pendant la guerre ; il permet quand même de trouver, un peu plus haut sur la pente, des blocs de brèches disposés "comme des briques dans un mur", c’est-à-dire que chaque bloc est légèrement en retrait de celui de dessous. Le deuxième sondage devait vérifier si les dalles de grès étaient polies manuellement ; malheureusement, les travaux ont été suspendus - sans qu’on puisse savoir pourquoi - avant qu’une réponse ait pu être donnée. On apprend cependant qu’une dalle de grès ornée de cercles concentriques a été trouvée à 70 cm de profondeur. En l’absence de photo (le rapport n’est illustré que d’un vague dessin), difficile de savoir de savoir de quoi il s’agit. Est-ce le même type de pierre "ornée" que celle déjà trouvée par M. Osmanagic lorsqu’il est venu sur Visocica en avril ?

Pierre "décorée" découverte par M. Osmanagic en avril 2005
A "decorated" stone discovered by M. Osmanagic in April 2005 - Source

Ou bien ce genre-là ?

Qu’est-ce que c’est ?
What is it ? - Source

Curieusement, sur cette page (en), censée être un extrait du rapport de Mme Nukic fourni par M. Osmanagic, la photo illustrant ces "motifs circulaires" est la même que celle figurant dans l’ouvrage (bs) de M. Osmanagic, et qu’il dit avoir prise sur Visocica lors de sa première visite en avril 2005, et non lors d’un quelconque sondage géologique...

Le troisième sondage était censé permettre de définir la méthode de construction du "plateau d’entrée" ; là encore, après avoir constaté que les dalles de grès sont toutes inclinées d’environ 25°, Mme Nukic ne se pose pas la question évidente (cela correspond-il à un pendage naturel des couches dans ce secteur ?), mais préfère se demander s’il est possible d’expliquer cette inclinaison par un éventuel "glissement de terrain"... Cependant, on apprend que ce troisième sondage a été l’occasion d’une découverte qui aurait pu être essentielle : celle de deux squelettes humains, incomplets, disposés entre des dalles de grès. Pour un archéologue, la découverte d’une inhumation est toujours extrêmement importante : elle peut permettre une datation absolue, et l’étude très précise des modalités de l’inhumation permet d’apprendre beaucoup sur la culture étudiée. Tout ce qu’on apprendra sur ces deux squelettes dans le rapport de Mme Nukic, c’est qu’ils ont été photographiés par un archéologue (qui ? aucun nom n’est cité ; et où sont ces photos ? la Fondation n’est pas avare de photos sur son site, mais je n’ai pas réussi à trouver ces photos des squelettes [3]...), et qu’ils ont été "envoyés à l’analyse pour déterminer leur âge". Depuis août 2005, plus aucune nouvelle : où sont ces squelettes ? les analyses ont-elles été faites ? par qui ? avec quel résultat ? Que doit-on supposer sur cette absence d’informations ? que les squelettes ont été perdus ? ou bien que les résultats ne "collaient" pas avec la version officielle d’une pyramide vieille de 12 000 ans ? Le plus curieux est que tantôt M. Osmanagic annonce (en) pour l’automne 2006 des datations de matériel organique, tantôt il confie (en) à une journaliste de The Independent (le 28 avril 2006) qu’"aucun reste organique, ni os, ni bois, ni charbon" n’a encore été retrouvé sur le site... Ce type d’incohérence nuit fortement au sérieux de la Fondation, et explique peut-être pourquoi certains craignent fortement la destruction de matériel archéologique au cours de ces fouilles.

Mme Nukic conclut son rapport par cette phrase : "It is obvious at a first glance that these sandstone plates were manually processed, ie taken out of blocks and cut to fit the required dimensions." (Il est évident au premier coup d’oeil que ces dalles de grès ont été travaillées à la main, c’est-à-dire prises dans des blocs et coupées aux dimensions requises). J’aimerais bien avoir de "l’évidence" de ce travail des dalles d’autres preuves que cette phrase...

Les forages

Comme dit plus haut, je n’ai pas trouvé sur le site de la Fondation l’autre rapport de Mme Nukic, celui de septembre 2005 sur le résultat des 6 forages effectués en août sur les faces ouest, nord et est de Visocica. Ces résultats sont cependant évoqués dans l’ouvrage de M. Osmanagic (bs). Celui-ci décrit tout d’abord abondamment le processus même du forage, avec plus de 20 photographies de la foreuse et des "carottes" qui n’apportent strictement rien du point de vue de l’argumentation scientifique. Viennent ensuite les commentaires sur les carottes elles-mêmes, et M. Osmanagic relève plus d’une dizaine d’"anomalies" dont voici un ou deux exemples :

Forage B1, 1 à 5 mètres
Drilling hole B1, 1 to 5 meters - Source

Ici, M. Osmanagic relève une première anomalie à la profondeur de 3,70 m : "l’argile surmonte la marne, ce qui est quasiment impossible géologiquement du fait de la trop courte période - cela ne peut se produire en moins de 20 000 ans".

Forage B1, 6 à 8 mètres
Drilling hole B1, 6 to 8 meters - Source

Deuxième anomalie, "très importante", à 7,80 m : "Il y a un mélange de marne, de sable et de traces noires (matériel organique). La marne étant imperméable, le sable ne peut se trouver là naturellement !" Et M. Osmanagic d’envisager un aménagement artificiel, par exemple un système de canalisation et de filtration de l’eau...

Les géologues de l’Université de Tuzla

La visite, sur le site de Visocica, d’une équipe de géologues de l’Université de Tuzla, avait été annoncée haut et fort fin mars 2006 sur le site de la Fondation (voir par exemple ce communiqué de presse du 21 mars (bs), ou celui-ci du 29 mars (bs)), et claironnée par la presse locale :

Oslobodjenje, 31 mars 2006

Ensuite, plus rien : le résultat de cette visite n’est mentionné nulle part sur le site de la Fondation, ni la conférence de presse (en) tenue le 8 mai à Tuzla par ces géologues. Le rapport de ces géologues, ainsi ignoré par la Fondation qui l’avait pourtant commandé, a pu être récupéré par "Stultitia" (bs), un des blogueurs de l’"AntiPyramid Web-Ring" (bs) en Bosnie. Vous pouvez le récupérer sur son nouveau site (bs) (lien "Izvjestaj Rudarsko-geolosko-gradevinskog fakulteta u Tuzli"), ou le télécharger ci-dessous (texte en bosniaque) [4].

Rapport des géologues de l’Université de Tuzla
Report by the geologists of Tuzla University - Source

Que dit ce rapport ? Les sept géologues de l’Université ont eu en main le rapport complet de Mme Nukic, portant à la fois sur les forages et sur les sondages. Après avoir résumé ce rapport en soulignant discrètement quelques unes de ses insuffisances, ils l’ont comparé à ce qu’en dit M. Osmanagic (voir ci-dessus). Ce qui est extrêmement intéressant, c’est que M. Osmanagic semble avoir, pour les besoins de son ouvrage, inventé ou exagéré des "anomalies" qui ne figuraient pas dans le rapport de Mme Nukic, ou qui n’étaient pas du tout relevées comme "anormales". Si l’on reprend les deux exemples d’anomalies citées plus haut, pour la première ("l’argile se transforme en marne, ce qui est quasiment impossible géologiquement du fait de la trop courte période - cela ne peut se produire en moins de 20 000 ans"), les géologues de Tuzla relèvent que "la géologue Nukic, dans son rapport, n’avait pas du tout relevé ce fait comme une anomalie. Dans le B1, à 3,70, l’argile surmonte des marnes argileuses ce qui est tout à fait naturel". Pour la deuxième ("mélange de marne, de sable et de traces noires (matériel organique)"), ils notent que "la géologue Nukic constate, entre 7,75 et 8,00 mètres, un mélange d’argile, marnes et de charbon avec du gravier et du sable, mais elle souligne qu’il est possible qu’il provienne de matériel tombé des parois du forage". Bref, les "anomalies" relevées par M. Osmanagic n’en étaient pas dans le rapport de sa géologue (même si on a vu plus haut que celle-ci admettait pourtant d’emblée l’existence de la pyramide).

Les géologues de Tuzla complètent ensuite cette analyse par une visite sur le terrain le 15 avril, où ils ont pu étudier les trois sondages réalisés l’année précédente. Toutes les roches identifiées, par l’étude de terrain et par les analyses pétrographiques et minéralogiques menées ensuite, sont des roches banales de la région : brèches, conglomérats, grès et calcaires gréseux, marnes et argiles. Ils concluent leur rapport ainsi : "L’étude de la colline de Visocica a montré que celle-ci est constituée de sédiments clastiques [=formés de débris de l’érosion] qui se caractérisent par une texture stratifiée. La partie inférieure de l’étage stratigraphique est composée de grès, marnes et argiles, la partie supérieure de conglomérats. Ces sédiments se sont déposés dans le cadre du bassin de Zenica-Sarajevo pendant le Miocène supérieur. La morphologie actuelle de Visocica résulte de processus endodynamiques [soulèvements et plissements] et exodynamiques [érosion] durant la période post-Miocène." [5]

La Fondation a fait totalement silence sur ce rapport qui contredit totalement les conclusions de M. Osmanagic. Les partisans des pyramides sur les forums soulèvent généralement deux objections :
 la visite des géologues de Tuzla sur le terrain a eu lieu avant le début de la campagne de fouilles, et ils n’ont donc pas pu tenir compte des "trouvailles" faites sur les pentes de Visocica (voir à ce sujet la rubrique sur les fouilles de 2006) ;
 le géologue égyptien M. Barakat, qui lui est resté un mois sur le terrain, maintient sa position, sinon d’une pyramide "construite" par l’homme, au moins d’une colline largement "aménagée". Sans vouloir ni pouvoir trancher entre ces deux positions, on peut cependant remarquer que, si M. Barakat a l’avantage d’un séjour plus long sur le site, les géologues de Tuzla ont eux l’avantage d’une connaissance de la géologie locale que n’a pas leur collègue égyptien.


Izvjestaj o geoloskom ispitivanju tla na lokaciji uzvisenja "Visocica" u Visokom
Nadija Nukic - 12 décembre 2005
Report on a geological survey of "Visocica" elevation in Visoko, Bosnia and Herzegovina
Nadija Nukic - 12 novembre 2005