Détournement de fonds archéologique
Stecci
Article mis en ligne le 12 mai 2011

par Irna

Un des aspects les plus pénibles de l’affaire des “pyramides” de Bosnie, et qui doit être insupportable pour tous ceux qui aiment, respectent, protègent, étudient, le patrimoine historique et archéologique bosnien, est la façon dont la Fondation de M. Osmanagic (et ses annexes) détournent régulièrement des éléments de ce patrimoine pour les intégrer à leur chimère pseudo-archéologique.

Stecci

Les premières “victimes” de ce détournement ont été les stecci, ces pierres tombales médiévales qu’on trouve, soit isolées, soit le plus souvent regroupées en nécropoles, dans toute la Bosnie-Herzégovine, mais aussi, en nombre plus réduit, dans les pays voisins (Serbie, Croatie...). Il y en a aujourd’hui plus de 60 000 répertoriées, mais il est probable que leur nombre réel était bien supérieur ; beaucoup d’entre elles ont malheureusement déjà disparu, victimes des ans, de la négligence, des guerres... Erigées entre le XIème et le XVIème siècle, elles ont des formes très diverses : coffres ou sarcophages, simples stèles dressées, obélisques... Si la plupart d’entre elles sont sans ornementation, plusieurs milliers offrent cependant des décors extraordinaires : frises géométriques, rosaces et spirales, croix, figures humaines ou animales ; et parfois une inscription exprimant le regret, la tristesse, ou l’espoir d’un autre monde.

Stecak à Radimlja
Stecak at Radimlja - Source

Quelques liens pour en savoir plus sur les stecci, qui sont un élément essentiel du patrimoine bosnien [1] :

 un catalogue numérique (en) des stecci conservés dans l’enceinte du Musée National de Sarajevo ;

 une page sur les stecci (en) avec de nombreuses photos et un catalogue des motifs décoratifs ;

 un site français entièrement consacré aux stecci, avec de très nombreuses photos sur des dizaines de sites ;

 quelques traductions d’épitaphes (en) de stecci en anglais ;

 un document du Conseil de l’Europe sur la nécropole de Radimlja (en) ;

 le site de l’Agence publique J.U. Radimlja Stolac, qui entretient et étudie le patrimoine de Radimlja et de sa région ;

 un article sur l’iconographie des stecci (en), avec une bibliographie ;

 un lien pour télécharger l’ouvrage (bs) de l’archéologue bosnienne Nada Miletic, Stećci - umetnost na tlu Jugoslavije , 1982 ;

 un ouvrage (bs) d’Alojz Benac, Stecci , 1967 (il faut s’inscrire sur Scribd.com et uploader un fichier pour pouvoir le télécharger) ;

 un ouvrage (bs + en) de Marian Wenzel, Ukrasni motivi na steccima - Ornamental motifs on tombstones from medieval Bosnia , 1965 ;

 une liste de pages (en) sur les stecci sur le site de la Commission pour la protection des Monuments nationaux en Bosnie-Herzégovine ;

 un catalogue (bs+en) sur les stecci du Montenegro, STEĆCI, mramori, bilizi, belezi, kami... , à l’occasion des EUROPEAN HERITAGE DAYS 2012 ;

 un ouvrage (bs) d’Ante Milosevic, Stećci i Vlasi , 1991, sur les fouilles archéologiques de nécropoles médiévales en Croatie ;

 un livre (bs) de Dubravko Lovrenovic, Bosansko i humsko mramorje Srednjeg Vijeka , 2009 ;

 un mémoire de maîtrise (en) de Dejan Vemic, Late Mediaval Tombstones , 2011, sur les stecci du Montenegro ;

 et surtout, même si l’ouvrage est un peu ancien, la somme (bs) de plus de 600 pages de Sefik Beslagic, Stecci - Kultura i Umjetnost , parue en 1979, qui contient, en plus d’une énorme bibliographie, un catalogue complet de tous les motifs décoratifs et de toutes les formes des stecci (fichier pdf de 167 Mo)... On peut aussi trouver du même auteur, toujours sur Scribd.com, le catalogue complet des stecci de Yougoslavie édité en 1971, Stecci - Katalosko-topografski pregled (http://www.scribd.com/doc/45651467/STECCI-SEFIK-BESLAGIC-1, fichier pdf, 13 Mo, 508 pages), ainsi qu’un ouvrage plus récent de 2004, Leksikon Stecaka , ou Encyclopédie des Stecci (http://www.scribd.com/doc/34709027/%C5%A0efik-Be%C5%A1lagi%C4%87-Leksikon-ste%C4%87aka, fichier pdf, 53 Mo, 287 pages, avec une préface de l’archéologue Lidija Fekeza [2]). Un extrait de cette préface : « Cependant, alors même que nous avions atteint ce degré de connaissance, ces régions ont vu, à la fin du XXème siècle, apparaître de nouvelles thèses idéologiques sur les stecci, mais avec des finalités différentes. En conséquence la publication par IP "Svjetlost" de l’Encyclopédie des Stecci est bienvenue. L’Encyclopédie est une sélection concise, par l’auteur, au sein de l’ensemble de ses travaux. Le livre est publié en un temps où l’ère des mythes est de retour, et où les résultats obtenus sont peu à peu “oubliés”. »

Au début de son entreprise pseudo-archéologique, M. Osmanagic a commencé par nier l’existence de stecci à proximité de ses “pyramides”. L’existence d’un cimetière médiéval, sur le “plateau” à l’ouest de Visocica, est en effet connue, et mentionnée par exemple dans l’ouvrage de Pavao Andelic, Visoko i Okolina kroz Istoriju  :

Pavao Andelic
Visoko i Okolina kroz Istoriju, 1984, p.160

« Des traces d’un cimetière médiéval, à proximité de notre agglomération, se trouvent sur la crête entre le village Grad et la forteresse. On peut voir encore aujourd’hui un stecak (endommagé), et on sait qu’il y en avait autrefois plus. » (Andelic, p.160)

Ces stecci, bien gênants pour M. Osmanagic puisqu’il soutenait que l’occupation médiévale de Visocica se limitait à une toute petite forteresse au sommet de la colline dont il ne restait plus rien, et que donc rien ne devait l’empêcher de “fouiller” sur Visocica, il suffisait d’en faire... des morceaux de la “pyramide” ! C’est ce qu’expliquait la blogueuse Stultitia en 2006, dans un article (en) où elle dénonçait l’interprétation par M. Osmanagic d’un stecak comme un bloc tombé de la pyramide (« one huge block that rolled from the top of the pyramid »)...

Photo de Stultitia
Photo : Stultitia 

Sur cette photo prise par Stultitia, on observe :
A : l’endroit où l’équipe Osmanagic a déterré un squelette partiel, qui a ensuite mystérieusement disparu ;
B : des restes d’une construction, probablement médiévale ;
C : la base d’une pierre tombale médiévale ;
et D : le stecak considéré par Osmanagic comme « un mégalithe ayant roulé depuis le sommet de la pyramide ».

Dans le même article (en), Stultitia dénonçait également d’autres cas de stecci interprétés de façon fantaisiste par M. Osmanagic, par exemple, dans son livre Bosanska Piramida Sunca , comme fragments d’un « temple astronomico-énergétique » (bs), ainsi que des cas de détournement de traditions populaires anciennes, par exemple des rituels de guérison liés aux stecci que M. Osmanagic rattachait aux sphères de pierre qu’il essaie de faire passer pour des éléments d’un “réseau énergétique mondial”.

“Fantarchéologie” des stecci

Cette utilisation “fantarchéologique” des stecci, dont M. Osmanagic donne l’exemple avec ses « temples astronomico-énergétiques », d’autres dans son entourage plus ou moins proche l’ont poussée encore plus loin. Le site de la Fondation a en effet publié régulièrement des textes plus ou moins délirants sur ce thème des stecci. Si certains de ces textes n’étaient pas tout à fait sérieux - c’est le cas par exemple des textes du “Docteur Amer Kovacevic”, alias Izmo, qui s’était bien amusé à produire des parodies absurdes avalées sans sourciller par M. Osmanagic et son équipe ! - d’autres en revanche proposaient, cette fois tout à fait sérieusement, des interprétations pour le moins... originales des stecci. L’une d’entre elles émane du minéralogiste égyptien Aly Barakat, qui, sur la base d’une ressemblance de forme entre un stecak et la colline de Visocica, et visiblement sans avoir lu la littérature disponible sur les stecci, établit une connexion entre stecci et pyramides et considère les stecci comme « preuve de l’existence d’une ancienne civilisation mégalithique en Bosnie ».

Do the tombstones in Bosnia reflect the pyramidal shape of Visocica Hill ?
Texte communiqué par son auteur, Aly Barakat - Paper sent by author, Aly Barakat 

(Le texte ci-dessus, qui m’a été communiqué par son auteur, est également présent sur le site de la Fondation (en), mais largement édité, peut-être pour en faire disparaître quelques références !)

Pour Davorin Vrbancic (bs), ces pierres tombales sont des modes d’emploi destinés à faire fonctionner les machines à vapeur que sont les pyramides ; pour Fatih Hodzic (bs), par contre, elles sont les restes (en), dispersés par la chute d’un astéroïde suivie d’un tsunami, des monuments de l’Atlantide...

Dans un genre peut-être un peu moins “délirant”, mais tout aussi pseudo-scientifique, c’est maintenant au tour des membres du “SB Research Group” de s’approprier ces pauvres stecci bien malmenés. Nenad Djurdjevic, “l’historien” (!) du groupe [3], essaie depuis longtemps de faire des stecci soit directement l’oeuvre des constructeurs des “pyramides”, soit, plus indirectement, des oeuvres postérieures aux “pyramides” mais qui révèleraient la persistance de motifs et symboles hérités de ces mystérieux constructeurs. Ainsi, dans cet article (en) sur son blog, intitulé Sacrifice ou In the name of the Sun, and the Moon, and the Stars (lien direct vers le fichier pdf), il tente de transformer des stecci en autels et pierres de sacrifice, d’âge inconnu mais en tout cas nettement antérieur à la période médiévale. Le site qu’il décrit, près de Gorani, et qu’il dit avoir été « découvert en 2008 » par un architecte nommé Faris Licina [4], est très probablement celui de Sarcevina sur la commune de Gorani, répertorié par la Commission pour la protection des Monuments nationaux (bs). M. Djurdjevic nous explique qu’une première visite du site avec les « experts » que sont les Egyptiens Aly Barakat (minéralogiste) et Abu Bakr Moussa (spécialiste en peintures murales) n’a rien donné, mais qu’une deuxième visite lui a permis de découvrir un « autel de sacrifice » massif, ou peut-être plusieurs, ainsi que des trous creusés dans divers blocs de pierre qu’il interprète comme des cupules à destination rituelle. Mélangeant allègrement dans son article les références aux Crétois, aux Yorubas, aux Aztèques et Mayas, et à diverses civilisations néolithiques européennes, il cherche à rattacher, sans autre indice que de vagues ressemblances de formes, ces éléments à une civilisation pré-chrétienne pratiquant des sacrifices humains ou animaux. La lecture par exemple de l’ouvrage de Sefik Beslagic, Stecci - Kultura i Umjetnost (bs), lui aurait permis d’une part de constater que les formes des stecci sont très variées, incluant des blocs composés de plusieurs parties comme son “autel” (voir par exemple pages 88 et 92 du livre - pages 81 et 85 du fichier pdf) ; d’autre part qu’il n’est pas rare de trouver sur les stecci des “cupules”, petits trous ronds ou rectangulaires, et également, à proximité, des restes de feu et des ossements d’animaux, mais que ces éléments sont bien plus probablement liés à des coutumes mortuaires connues présentes au Moyen-Age et encore bien après, telles que les repas pris sur la tombe du défunt ou la coutume de la réinhumation au bout de quelques années (voir le chapitre sur les coutumes mortuaires à partir de la page 55 du livre - page 48 du fichier pdf).

Dans un autre article (en), intitulé Bosnian Stone Spheres revisited (lien direct vers le fichier pdf), M. Djurdjevic tente cette fois de faire un lien entre pyramides, sphères de pierre (qui sont en fait des concrétions tout à fait naturelles...), et stecci, en s’appuyant en particulier sur un stecak en forme d’obélisque situé à Bakici (commune d’Olovo), au lieu-dit Vlaskovac.

Obélisque de Vlaskovac
Obelisk in Vlaskovac - Source

Ce stecak, parfois appelé “obélisque du roi Tvrtko” d’après une légende locale [5], a une forme relativement inhabituelle, mais qui n’est pas pour autant inconnue (Sefik Beslagic, dans l’ouvrage mentionné plus haut, dénombre plus de 2800 stecci en forme de pilier, dont certains se terminent par une pyramide, parfois surmontée d’une sphère ou d’une demi-sphère, comme à Sokolac ou Rogatica, voir p. 104 du livre - p. 97 du fichier pdf ; voir aussi p. 106 - p. 99 du pdf, pour les différentes formes de piliers). Sa décoration, très riche, n’est pas non plus surprenante, dans la mesure où elle reprend beaucoup des motifs habituels des stecci (rosaces, spirales, cordes torsadées, grappes de raisin...). Il serait donc bizarre que la Commission pour la protection des Monuments nationaux, qui consacre une page à cet obélisque et ses alentours (bs), ait pu le qualifier de « unusual and impossible to figure out » (« inhabituel et impossible à comprendre ») comme l’affirme Nenad Djurdjevic. Et effectivement, si cette phrase est bien présente dans la page en question, elle ne se rapporte absolument pas à l’obélisque, mais se trouve dans un paragraphe général sur les stecci, qui explique qu’à côté des motifs habituels faciles à identifier, il existe sur certaines stèles quelques motifs « inhabituels et dont il est impossible de comprendre la signification ». Comme on l’a vu ici, ce n’est pas la première fois que M. Djurdjevic arrange les sources à sa manière...

Ce magnifique stecak, qui réunit sphère, pyramide, spirales... fait évidemment beaucoup fantasmer M. Djurdjevic, qui lui consacre, en plus de l’article (en) déjà mentionné, plusieurs textes (en) et vidéos (bs) sur son blog ; mais aussi tout autant M. Debertolis [6], qui le mentionne également à plusieurs reprises, en particulier dans cet article (it) [6], consacré aux sphères de pierre, sur divers forums (it), et surtout dans une série de trois articles (1 (it), 2 (it) et 3 (it) [6]), intitulée Le sfere, il Sole e le pietre taumaturgiche nella Civiltà di Visoko in Bosnia (« Les sphères, le Soleil et les pierres thaumaturgiques de la Civilisation de Visoko en Bosnie »).

Au nombre des éléments qui font fantasmer nos “chercheurs”, on trouve tout d’abord l’animal représenté sur les quatre faces.

Tête de sanglier
Boar’s head - Source Nadia Miletic

M. Djurdjevic l’identifie correctement comme une tête de sanglier, mais veut interpréter le corps stylisé comme celui d’un serpent : on aurait donc affaire à un dragon (p. 16), qu’il relie par exemple aux dragons chinois de la culture de Hongshan. Il y a cependant un élément qui n’est pas mentionné par M. Djurdjevic, c’est le bouclier qui, sur les quatre côtés de l’obélisque, figure sous le corps du sanglier. C’est cet écu qui permet à Sefik Beslagic (p. 280 - p. 273 du pdf), ainsi qu’aux autres spécialistes bosniens qui ont étudié ce stecak (Ćiro Truhelka, Alojz Benac, Nada Miletic...) d’interpréter cette composition comme un symbole héraldique, interprétation cohérente avec le contexte de la Bosnie médiévale, et qui ne nécessite pas de faire appel aux dragons chinois et à la déesse égyptienne Nout ! [7]

Autre élément “excitant” pour les pseudo-scientifiques : la forme du stecak. Comme dit plus haut, si elle n’est pas habituelle, cette forme d’obélisque n’est pas non plus unique, même si les stecci-obélisques sont généralement plus petits que celui-là.

Stecak au monastère de Dokmir en Serbie
Stecak in the Dokmir monastery in Serbia - Source

En fait, les stecci en forme de pilier (parallélépipédique ou non) surmontés d’une sphère ou d’une demi-sphère semblent être, d’après plusieurs historiens, une forme de transition entre le stecak proprement dit et le nisan (“nichan”), pierre tombale ottomane qui commence à se répandre en Bosnie à partir de la deuxième moitié du XVème siècle :

Nisani à Bakici Donji
Nisan in Bakici Donji - Source

On trouve en effet, du milieu du XVème siècle à la fin du XVIème, toute une gamme de formes intermédiaires qui semblent indiquer un mélange d’influences : stecci surmontés d’une boule comme les nisani, nisani reprenant des motifs de stecci (demi-lune, rosaces, spirales...), formes que l’on retrouve surtout en Bosnie centrale et orientale, où la pénétration des Ottomans fut plus précoce. La question de ces rapports entre stecci et nisani est largement discutée dans le chapitre 8 de l’ouvrage de Sefik Beslagic, à partir de la page 529 (p. 521 du pdf). L’auteur avance ainsi l’hypothèse, à partir de ces éléments (forme du stecak, symbole héraldique), que l’obélisque de Bakici aurait pu être érigé pour un féodal de la fin du XVème ou du début du XVIème siècle, chrétien et officier de l’Empire ottoman, peut-être un membre de la famille Bakic qui a donné son nom au village de Bakici. Ce n’est bien sûr qu’une hypothèse, mais qui a l’avantage sur celles de MM. Djurdjevic et Debertolis de s’intégrer parfaitement dans le contexte de la Bosnie médiévale, sans devoir faire appel à de vagues ressemblances de forme avec des civilisations distantes dans le temps et dans l’espace !

Le dernier élément qui a attiré l’attention du “SB Research Group” sur l’obélisque de Bakici est la présence de spirales et doubles spirales. Ces spirales ont enflammé l’imagination de M. Djurdjevic, qui consacre des pages (en) à la spira solaris (“spirale cosmique”, série de Fibonacci, galaxies, ADN, tout y passe !) ; même chose (it) [6] chez M. Debertolis, qui en fait l’élément essentiel de sa “symbologie de la civilisation de Visoko” (« Non sono decorazioni, ma hanno un preciso significato nella cosmogonia della Civiltà di Visoko. » - « La spirale (Spira Solaris) rappresenta l’energia costante dell’universo e la sua struttura la ritroviamo in ogni cosa animata e inanimata, dal DNA alla galassia, passando persino per le conchiglie e l’organo dell’udito. In questo caso rappresenta la connessione energetica tra la terra e il cielo, inteso come eternità. »). Là encore, comme le font beaucoup de pseudo-archéologues, la tentation est grande chez nos compères de négliger et le temps et l’espace, et d’aller chercher des comparaisons un peu partout : le professeur Debertolis n’hésite pas à rapprocher (it) les spirales de Bakici de celles peintes par la civilisation nuraghe en Sardaigne ! Il annonce (it) d’ailleurs son intention de concentrer ses recherches sur la Sardaigne, sur la base des « similitudes » de décoration :

Tomba della Scacchiera
(Chequered Tomb) - Source

Abacus suggérait déjà au professeur Debertolis d’aller étudier de plus près les spirales de Newgrange (en). Puis-je respectueusement ajouter quelques destinations au programme de voyage du “SB Research Group” pour les années à venir ? Il ne faudrait en effet pas oublier les spirales de Gavrinis, ni celles du Mont Bego ou d’Ecosse. Il ne faudrait pas non plus négliger le continent américain : spirales de Nazca, de Chaco Canyon et Mesa Verde, de Californie ou d’Alaska. Pour le retour, je suggère de passer par le Pacifique : Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Zélande...

Plus sérieusement, la spirale est un des motifs décoratifs les plus utilisés par l’homme, à toutes les époques et sur tous les continents. Dans le cas des stecci, en plus de l’aspect purement décoratif, les spirales sont très souvent associées aux grappes de raisin (comme c’est le cas sur l’obélisque de Bakici), et évoquent des représentations de vigne. Vouloir rattacher un monument à une civilisation distante de plusieurs centaines de kilomètres - et probablement de plusieurs milliers d’années - sur la seule base de la présence de spirales similaires est, malgré tout le respect qu’on peut avoir pour les compétences d’odontologue de M. Debertolis, une démarche stupide. Et prétendre, sur cette même base, contester la datation admise de ce monument pour le rejeter vers un lointain passé et une hypothétique civilisation dont on n’a aucune trace archéologique, est tout aussi stupide, comme l’avait déjà dit avant moi, mais plus diplomatiquement, Abacus.

Cela l’est d’autant plus que cette prétention à vouloir révolutionner la connaissance et l’interprétation des stecci s’accompagne d’une méconnaissance - volontaire ou non - des données de base sur ces mêmes stecci. En effet, le professeur Debertolis multiplie les contre-vérités sur les stecci :

 Il affirme, ici (it) ou là (it) [6], que les stecci n’ont pas été conçus comme des pierres tombales, et qu’on n’y trouve jamais de restes humains ; il ne concède que d’éventuelles “réutilisations” comme cimetière à une époque plus tardive (« Sono state considerate delle lapidi, ma nei numerosi scavi non sono mai state trovate delle ossa al di sotto o in vicinanza di esse, se non quando queste pseudo necropoli, poste in cima alle colline, sono state riutilizzate in epoche successive come cimitero. »). Rien n’est plus faux : toutes les fouilles de stecci en place ont livré des restes humains, et souvent plus d’un corps par tombe [8]. Le chapitre 2 de l’ouvrage de Sefik Beslagic décrit, en particulier à partir de la page 44 (p. 37 du pdf), des exemples de fouilles et les observations faites sur les squelettes et objets trouvés dans les tombes.

 Il affirme, par exemple ici (it) [6], qu’il n’y aurait aucune information sur les carrières dont les stecci auraient été extraits (« Invece, non esiste alcuna documentazione di una cava dalla quale queste pietre siano state estratte o quale laboratorio artigiano le abbia scolpite. Per questo motivo è possibile che siano state solo riutilizzate nel Medio Evo, risalendo in realtà a epoche molto precedenti. »). Là encore, c’est faux ; on a de nombreux exemples de nécropoles pour lesquelles on a identifié la carrière d’origine, qui se trouve d’ailleurs souvent à proximité de la nécropole, à quelques centaines de mètres (voir aussi page 37 et suivantes dans l’ouvrage de Sefik Beslagic, le chapitre Les carrières) : Mokra Gora (en), Boljuni (en), Gvozno (en), Bitunja (en)... On a même dans le cas de Radimlja (en) un exemple de stecak inachevé resté dans la carrière.

 Dans le même texte le professeur Debertolis prétend qu’on n’a pas non plus d’informations sur les artisans ayant sculpté les stecci (« non esiste alcuna documentazione [...] o quale laboratorio artigiano le abbia scolpite ») : faux encore. S’il est vrai que beaucoup d’entre eux ne sont pas signés, comme c’est souvent le cas pour les oeuvres médiévales, on a malgré tout un échantillon relativement conséquent de noms de sculpteurs et de scribes (ce n’était généralement pas la même personne qui sculptait le stecak et qui gravait les inscriptions). Sefik Beslagic consacre tout un chapitre, page 457 et suivantes (452 du pdf), à ces maîtres artisans dont certains étaient visiblement assez réputés pour être appelés en divers endroits du pays et pour avoir donné naissance à de véritables “écoles” : les noms de Maître Grubac, Maître Radoje, Maître Semorad, ont survécu aux siècles, aux outrages du temps et des hommes. Triste sort pour eux que d’être rayés de l’histoire par un odontologue italien et un vendeur de voitures croate...