Le bout du tunnel ?
Article mis en ligne le 16 août 2011

par Irna

Je n’ai pas fait depuis longtemps de mise à jour sur les tunnels de la vallée de Visoko, pour lesquels la situation a passablement évolué depuis mon premier texte de 2006. Le moment me paraît bien choisi, le petit monde osmanagicien s’agitant beaucoup actuellement autour d’une "grande découverte" (bs) à l’intérieur du tunnel de Ravne. Ce sera donc l’occasion de faire un peu le point sur ce tunnel, ce qu’on en sait, l’interprétation qu’en font M. Osmanagic et ses partisans, et les hypothèses variées qu’on peut émettre sur ses origines.

Un labyrinthe souterrain

Commençons par la description du tunnel de Ravne : il s’agit d’un système souterrain relativement complexe (un "labyrinthe" bien sûr selon M. Osmanagic) comportant une galerie principale et toute une série de ramifications secondaires, et distant de près de 3 kilomètres de la colline de Visocica, dont il est séparé par plusieurs petits vallons. Il s’étend sous un plateau, ou une croupe aplatie, qui s’élève progressivement du nord (vallée de la Bosna) vers le sud, à une altitude comprise entre 475 et 500 mètres. L’entrée du tunnel elle-même se situe sur le flanc ouest de la croupe, à 470 mètres :

Image Google Earth
Google Earth image
Fichier kmz Ravne/Visocica

La Fondation de M. Osmanagic n’ayant jamais pris la peine de publier un relevé précis, il est impossible d’avoir l’altitude exacte du réseau souterrain, mais toutes les photos laissent supposer des galeries subhorizontales ; il s’agit donc d’un réseau peu profond, 15 à 20 mètres au maximum sous la surface.

L’extension et le plan du réseau sont également assez imprécis, la Fondation n’ayant là encore publié que des plans peu utilisables :

Plan du tunnel de Ravne
Plan of Ravne tunnel - Source

La longueur totale de galeries dégagées, qui était d’environ 350 mètres (bs) en novembre 2010, s’est rallongée d’environ deux cents mètres suite à la découverte (en), en fin d’année 2010, d’une section bien dégagée mais largement envahie par l’eau :

En rouge, les zones dégagées jusqu’en 2010 ; en bleu clair les nouvelles sections découvertes en décembre 2010 - In red : areas open before 2010 ; in light blue : new sections discovered in December 2010 - Source

Grès et conglomérat

Le matériau dans lequel est creusé ce tunnel est bien évidemment naturel, même si certains amateurs de pseudo-archéologie s’obstinent à y voir un matériau synthétique (en) [1]. La carte géologique de Visoko identifie ces terrains comme étant des conglomérats d’âge Miocène (conglomérats de la série de Lasva) ; il est possible cependant, la carte géologique n’étant pas très détaillée, que ces conglomérats soient localement surmontés d’une terrasse alluviale ancienne (perchée à 55 ou 60 mètres au-dessus des alluvions récentes de la Bosna à 420 mètres) qui n’apparaisse pas sur la carte.

Le géophysicien Amer Smailbegovic, qui a visité la première partie du tunnel avant les travaux d’élargissement de la Fondation, les mentionne dans son rapport géologique resté impublié (voir le premier document (en) sur cette page). Il les assimile lui aussi aux conglomérats de Lasva qui forment l’essentiel des pentes nord et est de Visocica, et les décrit comme un mélange de dolomite, quartz et ardoise, plus ou moins arrondis et mal triés, dans une matrice sableuse, friable et faiblement calcaire [2] (page 8). Il note également, page 18, que le tunnel semble établi sur le contact entre les conglomérats supérieurs de la série de Lasva et les grès plus anciens sous-jacents ; la succession stratigraphique semble donc bien être la même que sur Visocica : grès grossiers surmontés par des conglomérats, mais avec des différences locales de composition du sédiment.

Contact grès/conglomérat à l’entrée du tunnel de Ravne en 2006
Sandstone/conglomerate contact at the entrance to the Ravne tunnel in 2006 - Courtesy of Amer Smailbegovic
Contact grès/conglomérat à l’intérieur du tunnel
Sandstone/conglomerate contact inside the tunnel - Courtesy of Amer Smailbegovic

Ce sont les mêmes blocs de grès dont M. Smailbegovic note la présence à divers endroits du tunnel, avec d’après lui une fonction de renforcement de certaines parois et des croisements. Relevons enfin qu’il observe, d’une part une dégradation de la cohésion du conglomérat de l’entrée vers l’intérieur du tunnel, avec une matrice de plus en plus friable et non cimentée au bout d’une trentaine de mètres ; d’autre part une ventilation satisfaisante du tunnel, qu’il explique par la présence de conduits de ventilation tous les 15 mètres - conduits dont on n’observe cependant pas trace sur les diverses photos publiées du tunnel, à moins qu’il n’assimile à des conduits de ventilation les ouvertures latérales ?

Artefacts

Pour terminer sur cette description du tunnel, on peut noter trois éléments particulièrement intéressants apparus récemment, voire très récemment :

 la présence de galeries condamnées par des murets de pierre :

Parfois ces murets de pierre sont simplement alignés le long des parois du tunnel :

 la présence, dans la partie immergée du tunnel découverte en décembre 2010, d’un canal central rectiligne :

(à noter, sur ces photos, qu’il semble bien que l’on retrouve le contact, évoqué plus haut, entre grès, plutôt fin ici, et conglomérat ; là encore, la base du tunnel semble suivre exactement ce contact, seul le canal central s’enfonçant dans la couche inférieure).

 enfin, le dernier élément intéressant, qui pourra peut-être permettre rapidement d’y voir un peu plus clair, est la découverte faite le 23 juillet, à environ 90 mètres de l’entrée du tunnel, d’une possible structure enterrée sous le sol et révélée par le géoradar :

L’imagerie radar est d’une interprétation très délicate, et il est encore beaucoup trop tôt pour offrir une quelconque interprétation de cette anomalie, mais il est très peu probable qu’il puisse s’agir d’un élément naturel.

Un festival de pseudoscience

Ces trois éléments confirment donc, s’il en était besoin, une intervention humaine sur ce tunnel de Ravne, intervention qui n’a jamais fait de doute pour moi (voir ce que j’en disais dès 2006) ; s’il n’est pas exclu que le deuxième tunnel, dit "tunnel KTK", qui se situe dans un contexte géologique très différent et qui est semble-t-il régulièrement parcouru par les crues de la Bosna, soit en grande partie d’origine naturelle, le tunnel de Ravne, lui, sauf peut-être pour quelques petites cavités naturelles toujours possibles même au sein d’un conglomérat peu calcaire, est bien un réseau artificiel creusé par l’homme. Reste à savoir à quelle époque, et dans quel but. Et c’est là que commence le festival des interprétations pseudo-scientifiques.

Pour M. Osmanagic et ses amis, comme pour ses comparses (ou rivaux ?) du SB Research Group, il ne fait aucun doute que le tunnel de Ravne est lié aux “pyramides” ; c’est une certitude qui n’est jamais remise en question, et même plus que cela, c’est un préalable. Dès 2005 (bs), M. Osmanagic affirmait l’existence d’un "complexe souterrain" : forcément, puisqu’il y a des souterrains sous les pyramides de Gizeh et Teotihuacan (en), il y en a aussi sous les "pyramides" de Bosnie. Donc tout réseau souterrain trouvé dans la région devait forcément faire partie du "complexe" ; c’est ce qui permettait à M. Osmanagic, comme à M. Debertolis, d’affirmer régulièrement que le tunnel de Ravne faisait trois kilomètres de long (en) [3] (c’est-à-dire la distance entre le tunnel et la "pyramide" de Visocica) alors même que seuls 300 mètres avaient été explorés.

Le lien entre "pyramides" et tunnel étant affirmé, sans jamais être démontré, le tunnel est régulièrement utilisé, dès 2006, comme preuve de l’existence des pyramides (en) (voir la "preuve" n°11, p. 17) ; d’où la volonté de repousser le plus loin possible l’âge du tunnel : un âge suffisamment élevé renforcerait cette "preuve", alors qu’un âge trop jeune fragiliserait la théorie de M. Osmanagic. Plusieurs datations ont donc été effectuées dans le tunnel, soit sur des éléments organiques (ou censés l’être, voir cette discussion), soit sur des stalactites et stalagmites. Ces datations donnent des résultats très - trop - variés, de 2000 ou 3000 ans à plus de 30 000 ? Qu’à cela ne tienne, M. Osmanagic reconstitue, à partir de ces datations ponctuelles et discutables, une chronologie "adaptée" (en) faisant intervenir pas moins de quatre civilisations différentes :
 une antérieure à 32 000 ans, responsable de la fabrication des "mégalithes", qui les aurait placés au-dessus de cours d’eau souterrains, mais avant que les tunnels existent (voir plus bas), donc je suppose à l’air libre...
 une deuxième, âgée de 5000 à 32 000 ans, qui aurait édifié les pyramides et creusé ou construit les tunnels... Il faut donc supposer soit que le conglomérat contenant le tunnel a été déposé il y a moins de 30 000 ans (théorie de M. Osmanagic père, voir ici, et de M. Osmanagic fils, qui considère que cette deuxième civilisation est sûrement âgée de « beaucoup moins de 32 000 ans, car il a fallu le temps que le conglomérat soit déposé par les inondations »...), soit que le tunnel a été construit de toutes pièces avec un conglomérat artificiel puis recouvert de 20 mètres de sédiment, théorie favorite de M. Debertolis (voir cet article (it) [4]).
 une troisième, âgée de plus de 3000 ans, responsable de la fermeture du tunnel par l’apport d’énormes quantités de matériaux, et du "nettoyage" du tunnel, expliquant ainsi l’absence totale d’artefacts.
 et enfin une dernière, la seule que M. Osmanagic relie à la chronologie traditionnelle, puisqu’il concède une occupation temporaire de l’entrée du tunnel par des Néolithiques entre 3000 et 4600 avant le présent.

Discutables datations

Cette chronologie, faisant appel à trois civilisations totalement inconnues jusqu’ici des préhistoriens ayant étudié la Bosnie (et dont on n’aurait d’autres traces que le tunnel, ses "mégalithes" et les "pyramides), repose sur un très petit nombre de datations (6 au total d’après ce texte (bs)), et des datations dont au moins une partie est très discutable. J’ai déjà évoqué ici le cas du "morceau de bois" prélevé dans le tunnel et qui pourrait bien n’être que du bois fossile Miocène, donnant donc une datation aberrante. La datation réalisée sur des “stalactites” et “stalagmites” est tout aussi peu concluante ; en soi, l’idée de dater des spéléothèmes présents dans une cavité n’est pas idiote, loin de là. Par exemple, une datation des stalactites présentes dans cette partie du tunnel, dont on peut être sûr qu’elles se sont développées dans une cavité existante, ne manquerait pas d’intérêt :

Cependant, ce que la Fondation a fait dater ne ressemble pas du tout à des stalactites ou stalagmites ! Pour l’échantillon daté à 5080 ans, par exemple, présenté comme issu d’une stalagmite, ce document (en) montre qu’il s’agit de tout à fait autre chose !

"Stalagmite"...

Plutôt que d’une stalagmite développée à l’air libre dans une cavité, il semble bien s’agir d’un filon calcitique développé dans une diaclase par les eaux qui circulent au sein de la masse du conglomérat. De tels filons calcitiques se développent au sein d’une masse rocheuse sans qu’il y ait nécessairement un vide : les eaux chargées en carbonates circulent dans le massif, empruntant des fissures microscopiques où les cristaux de calcite vont se développer peu à peu :

Filons de calcite blanche dans des calcaires
White calcite veins in limestone - Source

On a donc probablement eu d’abord la formation de la couche de calcite au sein du conglomérat, puis la chute du morceau de conglomérat suite à une rupture, et non l’inverse. Ce qui est daté serait donc l’âge du dépôt de la calcite dans la fissure, plutôt que le creusement du tunnel (voir aussi cette intéressante discussion (it) avec des géologues italiens sur le sujet). D’une façon plus générale, ce qui frappe les observateurs c’est le faible nombre et le faible développement des spéléothèmes dans ces galeries ; même en tenant compte d’une faible charge en carbonates de la matrice, et donc d’une croissance très lente des stalactites et stalagmites, on s’attendrait à voir dans un tunnel de plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’années des stalactites un peu plus longues que 5 centimètres, comme je l’avais déjà noté ici.

Restent donc deux datations isolées (3000 et 4600 ans), la Fondation restant assez floue sur le contexte des prélèvements ; par exemple, pour l’échantillon "Visoko 1" mentionné dans ce document (bs), on apprend juste qu’il a été prélevé "à proximité du mégalithe K2", et qu’il s’agit "d’un matériau de couleur rouge qui ressemble à de la terre brûlée". L’échantillon envoyé à Uppsala est lui présenté ici (bs) comme provenant "des restes d’un foyer au pied de la paroi du tunnel", mais les photos disponibles du prélèvement n’évoquent pas du tout un foyer :

Bref, bien peu pour construire une chronologie aussi précise que celle évoquée par M. Osmanagic, et reprise par M. Debertolis (en), et pour prétendre affirmer l’existence de trois civilisations inconnues...

Tchernobyl thaumaturgique

Si l’on en vient maintenant à la question de l’utilité et de l’usage des tunnels, il n’y a plus de limite à l’imagination des pseudo-archéologues ; toutes les hypothèses sont tour à tour avancées, et parfois en même temps, et le tunnel de Ravne serait tout à la fois un lieu de culte, de sacrifice, de guérison, de production d’énergie, un tombeau, une prison, un Tchernobyl en puissance... Aucun élément ne permet bien évidemment pour le moment d’appuyer aucune de ces versions, et M. Osmanagic comme M. Debertolis semblent incapables d’arriver à choisir entre elles ; ce qui n’empêche qu’elles nous sont assenées comme des vérités plus que comme des hypothèses. On apprend ainsi que le tunnel formerait « un labyrinthe de plusieurs dizaines de kilomètres de long » (en), qui relierait entre elles (en) toutes les "pyramides" ; qu’il avait une fonction défensive, avec la possibilité de susciter à volonté des tornades artificielles (bs) pour éliminer les envahisseurs ; que c’était un lieu de « régénération et de revitalisation » (en) capable de transformer « l’énergie négative » (sic) en « énergie positive » (re-sic) (en) ; qu’il a servi de carrière pour l’extraction des matériaux (en) ayant servi à construire la "pyramide" de Visocica ; qu’il contient « un des plus anciens autels de la planète » (en), et qu’il a servi à la tenue de « rites » religieux (en)... Les membres de "l’équipe scientifique" italienne font très fort, puisqu’ils arrivent à en faire à la fois une « bio-architecture » aux effets thaumaturgiques, capable de soigner une polyarthrite (en), et une véritable « boîte de Pandore » (en) renfermant un danger scellé volontairement par le comblement du tunnel, peut-être « quelque chose comme Tchernobyl » (en) gardé de plus par d’énigmatiques entités de brouillard (en) capables de se déplacer indépendamment des courants d’air.

La découverte d’une structure enterrée sous le sol du tunnel (bs), si elle a été peu commentée sur le site de la Fondation qui reste exceptionnellement prudente (bs) en refusant d’avancer la moindre interprétation avant d’avoir le résultat des fouilles [5], a relancé l’imagination des membres du SBRG, et particulièrement du professeur Debertolis qui nous offre un véritable morceau de bravoure sur son site (it) : l’anomalie relevée au géoradar est une « tombe très ancienne » - et c’est « démontré » (« L’anomalia al georadar all’interno dei tunnel si è dimostrata essere una tomba molto antica con due camere ») - contenant « deux personnes très importantes », peut-être un roi et une reine (« È chiaro che si tratta di due persone importanti. Un re e la sua regina ? ») ; c’est sans doute pour protéger cette tombe que le tunnel aurait été entièrement comblé avec de la terre sur 350 mètres (« Soprattutto appariva inspiegabile il fatto che fossero stati chiusi per una lunghezza di circa 350 metri con terra fino al soffitto »). L’histoire racontée par le professeur Debertolis fait également intervenir des pilleurs de tombes, et même un sacrifice humain, avec une pauvre victime enterrée vivante auprès de ses souverains (« Se qualcuno è stato chiuso vivo dentro i tunnel la motivazione poteva essere solo per una ragione veramente importante. [...] D’altra parte conosciamo altri episodi storici di questa terribile abitudine di tumulare persone vive accanto alle salme di persone importanti anche in altre civiltà. »), et qui aurait désespérément griffé les murs du tunnel de ses mains dans son agonie (« L’idea di cercare una tomba importante ci è venuta in mente presi dall’emozione dei segni di graffi che abbiamo trovato sulle pareti nella sezione dei tunnel oltre la parte sigillata dalla terra. »).

"Yet, who knows what tragedy is hidden behind those silent signs. Someone sealed inside the tunnels ?" - Source

Un scellement bien peu hermétique

Tout cela est certes saisissant... mais bien peu fondé, et on ne peut que constater que le professeur Debertolis se laisse facilement emporter par son imagination. Ce n’est pas un reproche - l’imagination, plutôt que "l’obstacle épistémologique" de Bachelard, est souvent une qualité chez un scientifique, mais encore faut-il s’assurer d’une confrontation entre l’hypothèse offerte par l’imagination et les faits observés ; et vérifier également s’il n’est pas possible d’offrir pour ces faits une explication plus simple, nécessitant un peu moins de suppositions non étayées et d’hypothèses supplémentaires (principe de parcimonie, ou du rasoir d’Ockham).

Dans le cas du tunnel de Ravne, le rasoir d’Ockham est allègrement oublié tant par M. Debertolis que par M. Osmanagic ; toutes leurs hypothèses sur ce tunnel nécessitent d’admettre d’une part l’existence de deux ou trois civilisations totalement inconnues des préhistoriens spécialistes des Balkans, d’autre part l’existence d’une gamme variée soit de phénomènes non mesurables par la science actuelle ("énergie négative" des cours d’eau souterrains, réseaux Hartmann...), soit d’éléments non étayés par aucune analyse rigoureuse ("béton artificiel" des "pyramides" ou "pierre synthétique" des "mégalithes" du tunnel...). Par ailleurs, il me semble que certains faits sont largement exagérés ou déformés pour les besoins de la cause.

J’en prendrai un exemple, celui du supposé "scellement" volontaire du tunnel dans le but d’en protéger les secrets. S’il ne fait aucun doute que des galeries latérales ont bien été comblées de terre et de blocs, et murées par des empilements de pierre sèche, il ne semble pas que le tunnel principal ait jamais fait l’objet d’un comblement volontaire (alors qu’on aurait pu s’y attendre s’il y avait eu par exemple volonté de protéger la supposée "tombe royale" située à 90 mètres de l’entrée). Ce tunnel, connu des habitants - particulièrement des enfants - de la région avant l’arrivée de M. Osmanagic, était peu ou prou accessible, d’après Amer Smailbegovic, sur une longueur de 342 mètres en avril 2006, avant toute intervention de la Fondation ; les travaux de celle-ci, jusqu’à la fin de l’année 2010, ont consisté essentiellement en un élargissement de la galerie principale, une sécurisation de cette galerie, et l’ouverture de certaines des galeries latérales comblées. Une vidéo du 15 avril 2006 montre l’état du tunnel, largement praticable, à cette date (les travaux de la Fondation n’y ont commencé que durant l’hiver 2006-2007 (bs)), et on y voit clairement des graffitis charbonneux sur les parois, par exemple aux alentours de la 2ème minute.

Graffitis photographiés par Colette Dowell en 2006
Graffiti photographed in 2006 by Colette Dowell - Source

Il ne s’agit probablement donc pas, au moins pour la galerie principale, d’une galerie volontairement bouchée par un peuple mystérieux, mais tout simplement d’une galerie abandonnée, dont les parois friables se sont peu à peu effondrées, rendant l’accès de plus en plus difficile [6] ; les seules galeries volontairement murées étant certaines galeries secondaires (voir aussi cette vidéo du 13 mars 2007, tournée au cours des travaux d’élargissement de la toute première partie du tunnel).

Une histoire de tuyaux

Plus intéressant, il semble que le tunnel ait été utilisé, d’une manière ou d’une autre, jusque dans la deuxième partie du XXème siècle. En effet, à 30 cm sous le sol, au dessus de la structure détectée par le géoradar, a été retrouvé un tuyau de drainage en fibro-ciment :

L’existence de ce tuyau est mentionnée pour la première fois (en) par le "géologue" Richard Hoyle sur le forum de David Icke ; pour M. Hoyle, il s’agit d’un tuyau posé dans les années 60. Il y voit bien une "inconsistance mineure" avec la version "officielle" qui veut que le tunnel ait été entièrement comblé jusqu’à sa "découverte" par la Fondation, mais cela ne semble pas le gêner outre mesure, à la différence d’autres intervenants sur le même forum comme sur les forums italiens (it) fréquentés par les membres du SBRG. Comme certains de ces intervenants le perçoivent visiblement tout de suite, le fait que ce tunnel ait été utilisé au XXème siècle remet pas mal de choses en question : quelle qu’ait été son utilité "antique", on peut difficilement rattacher son utilisation contemporaine à une quelconque des théories mentionnées ci-dessus ; les gens qui l’ont utilisé au XXème siècle avaient sans doute une bonne raison de le faire, et il faudrait trouver laquelle.

Les membres du SBRG ont tenté de minimiser cette histoire de tuyau : M. Debertolis affirme (en) qu’il a été posé « plus récemment », sans préciser quand ; Andrea Venturini, le photographe du groupe, confirme (it) lui que le tuyau a été posé par des travailleurs de la Fondation, "au maximum trois ans auparavant". C’est possible... mais la vidéo d’avril 2006 évoquée plus haut semble bien montrer un morceau de tuyau absolument identique à proximité d’un des "mégalithes", à au moins deux reprises (vers 4’43" puis à nouveau vers 5’33") :

Alors, tuyau posé il y a moins de trois ans ? ou posé bien avant, peut-être plusieurs dizaines d’années avant ? A la place de la Fondation ou des membres du SBRG, j’essaierais de résoudre d’urgence cette question, et s’il s’avère qu’un tuyau de drainage a effectivement été posé à un moment quelconque du XXème siècle sur des dizaines ou des centaines de mètres à l’intérieur du tunnel, j’essaierais de savoir pourquoi...

Militaires

Une hypothèse que j’ai parfois vu avancée sur certains forums concernant le passé du tunnel, par exemple ici (en), est celle d’une utilisation par l’armée yougoslave, la JNA, peut-être pour y stocker des munitions. La même hypothèse a également parfois été avancée pour l’autre tunnel, le tunnel dit "KTK" - qui a servi de stockage, à une époque, sinon pour l’armée, au moins pour l’entreprise du même nom. En ce qui concerne le tunnel de Ravne, l’hypothèse me paraît assez peu soutenable : il aurait éventuellement pu servir de cache temporaire, par exemple à des résistants pendant la deuxième guerre mondiale, voire pendant le conflit des années 90 ; mais aucune armée moderne ne s’amuserait à stocker des munitions dans de telles galeries étroites et aux parois friables, et ce sans laisser aucune trace d’installation. Aucune des autres hypothèses parfois avancées (tunnel de sape romain, tunnel médiéval lié à la forteresse de Visoki, captage d’eau...) ne semble pouvoir à la fois expliquer une utilisation relativement récente du tunnel, et répondre aux différentes caractéristiques décrites au début de cet article.

Stériles, hague et drain

Il est cependant une hypothèse qui, bien que malheureusement moins romantique que celles développées par MM. Osmanagic et Debertolis, pourrait assez bien expliquer la plupart des caractéristiques de ce tunnel, et que je vais développer un peu ici. Qu’on m’entende bien, il ne s’agit pas de faire de l’archéologie "à distance" ! Mais simplement de montrer que les hypothèses pseudo-archéologiques ne sont pas inévitables, et qu’onpeut envisager pour le tunnel de Ravne une explication moins mystérieuse et sans doute plus conforme au contexte tant historique et archéologique que géologique, même s’il est possible que la réalité soit encore tout autre.

Le premier point est l’indéniable ressemblance du tunnel de Ravne, dans toutes ses caractéristiques, avec une ancienne mine. Il n’est en effet pas rare de trouver dans des mines antiques, médiévales, ou même du XVIIIème ou XIXème siècle, des éléments semblables à ceux que l’on observe à Ravne. Les murets de pierre sèche le long des galeries par exemple représentent une technique souvent utilisée pour se débarrasser des stériles sans avoir à les transporter jusqu’à l’extérieur de la mine ; cela permettait également, dans des sédiments peu consolidés, de renforcer les parois. On en trouve de nombreux exemples dans des mines de l’époque moderne :

Mine de plomb dans les Alpes
Lead-mine in the Alps - Source
Mine de fer dans les Alpes
Iron mine in the Alps - Source
Mine des Romains, plomb argentifère, dans les Alpes
Mine des Romains, silver and lead mine in the Alps - Source
Exploitation Lachal près de Grenoble
Lachal Works near Grenoble - Source

A comparer avec le tunnel de Ravne :

Le fait de boucher certaines galeries avec des stériles est également fréquent, soit parce qu’elles sont épuisées, soit parce qu’il s’agit de galeries de recherche qui se révèlent stériles. Le comblement de ces galeries permet à la fois d’évacuer les matériaux inutiles, et d’éviter les risques d’effondrement :

Remblaiement d’une galerie par des stériles et un muret dans le Languedoc
Infilling a gallery with waste rock, and a drystone wall, in the Languedoc - Source

Les Grecs pratiquaient déjà ainsi dans les mines d’argent du Laurion, mais dans ce cas semble-t-il plutôt pour économiser l’air, difficile à renouveler à ces profondeurs. Plus récemment, à l’époque moderne, cette technique a été systématiquement utilisée à grande échelle dans les carrières souterraines (par exemple à Paris jusqu’au XIXème siècle), et était appelée « technique de la hague et bourrage », le « bourrage » étant le remblai de stériles (ou de pierre de mauvaise qualité pour les carrières), et la « hague » le mur de pierre sèche.

Une autre caractéristique du tunnel de Ravne est la présence d’un système de drainage, soit, comme on l’a vu plus haut, par un tuyau datant sans doute de la deuxième moitié du XXème siècle, soit, pour la partie plus profonde et mieux conservée, par une rigole centrale :

rigole que la Fondation est d’ailleurs en train de reproduire à l’aval de la structure découverte au géoradar :

Ce type de drain, soit central, soit plus souvent rejeté sur un côté de la galerie, est fréquent dans les mines anciennes :

Mine gauloise dans le Limousin
Gallic mine in Limousin - Source
Rigole d’évacuation dans la mine de Baburet (XVIIe et XVIIIe) dans les Pyrénées
Drainage ditch in the Baburet mine (XVIIe-XVIIIe) in the Pyrenees - Source

Parfois, pour la facilité du déplacement, la rigole centrale était recouverte par un plancher de bois, comme c’était le cas dans la mine médiévale du Rammelsberg :

Galerie médiévale du Rammelsberg
Medieval gallery of Rammelsberg - Source

(voir aussi cette page sur les techniques minières, en particulier la figure 16 montrant un plancher surcreusé surmonté d’un passage en bois).

Gisements primaires, gisements secondaires

Si le tunnel de Ravne était une ancienne mine, est-il possible de déterminer ce qu’on aurait pu y exploiter ? La localisation du tunnel dans les couches sédimentaires de la série de Lasva exclurait les gisements de type intrusif (voir ici pour le contexte géologique, et pour les différents types de gîtes métallifères). Des gisements de charbon, comme on en connaît dans les couches plus anciennes (Miocène inférieur) du bassin de Zenica-Sarajevo, me paraissent ici peu probables : la série de Lasva contient bien quelques fragments de charbon ou lignite, mais pas de couches justifiant une exploitation. Les conglomérats de Ravne, roches détritiques formées d’anciennes alluvions transportées par les rivières du Miocène supérieur jusque dans le bassin de Zenica-Sarajevo, seraient essentiellement susceptibles de contenir des gisements alluvionnaires ; et parmi les gisements métallifères de ce type, l’hypothèse qui aurait ma préférence serait celle d’un gisement d’or alluvionnaire, ou "paléo-placer" [7]. Précisons un peu :

On distingue pour l’or des gisements dits "primaires" : liés à une intrusion magmatique, l’or s’y présente généralement sous forme de filons formés par des circulations hydrothermales profondes, et associé le plus souvent à du quartz ; et des gisements dits "secondaires" : suite à l’érosion en surface du gîte primaire, l’or sous forme détritique est mobilisé et transporté, avec les autres produits de l’érosion (sables, graviers, galets) par les cours d’eau à plus ou moins grande distance, puis déposé au fond du lit du cours d’eau ou dans un delta dès que la vitesse du courant diminue, dans un "placer". On peut même parfois parler de gisement "tertiaire", lorsqu’un placer ancien, consolidé, est à son tour attaqué par un cours d’eau actuel qui va remobiliser les paillettes ou grains d’or qui pourront être exploités dans le lit actuel.

Placers et paléo-placers
La roche métamorphique sous-jacente contient les gisements primaires sous forme de filons de quartz et d’or. Elle est surmontée d’un paléo-placer Tertiaire formé de sables et galets consolidés (grès et conglomérat) ; le cours d’eau actuel offre des placers plus récents, soit dans le lit, soit sous forme de terrasses alluviales du Quaternaire. - The underlying metamorphic rock contains primary deposits in the form of quartz veins and gold. It is topped by a Tertiary paleo-placer formed by consolidated sand and pebbles (sandstone and conglomerate). The current watercourse provides newer placers, either on the riverbed, or in the form of Quaternary alluvial terraces. -
Source

Les plus importants gisements primaires d’or de Bosnie se situent dans le massif de la Vranica (dans les "Mid-Bosnian Schist Mountains"), à l’ouest de Visoko, aux alentours de Fojnica et Bakovici. Ils consistent en filons de quartz et pyrite aurifères situés au contact entre les rhyolites intrusives (quartz porphyriques) notées X sur la carte ci-dessous (rouge) et les sédiments métamorphisés (schistes et ardoises) du Silurien et Dévonien notés SD et D sur la carte (gris foncé et gris clair) :

Carte géologique au 300 000 ème
Geological map at 1:300 000

La principale mine d’or dans l’entre-deux-guerres en Bosnie se trouvait dans cette région, à Bakovici (en), mais l’exploitation des gisements primaires de cette zone est beaucoup plus ancienne : un document de 1365 mentionne l’exploitation de l’or et de l’argent à Fojnica (bs), et l’historienne Desanka Kovacevic analyse dans "Les mines d’or et d’argent en Serbie et Bosnie" (1960) la véritable "ruée vers l’or" et vers l’argent qu’a connu la région de Fojnica aux XIVème et XVème siècles. Bien avant encore, dès l’époque romaine, la région connaissait une exploitation minière dense si l’on en juge par la carte publiée par Alfred Michael Hirt dans "Imperial mines and quarries in the Roman world" (en) où l’on observe une forte concentration de mines d’or, argent, fer et cuivre dans la vallée de la Fojnicka (Kresevo, Ostruznica, Busovaca...). Il est même probable que cette exploitation de l’or du massif de la Vranica soit encore antérieure aux Romains, puisque les préhistoriens ont montré le développement précoce de la métallurgie du cuivre et de l’or en Bosnie centrale (voir par exemple cet article (bs), page 23 et suivantes, où Mme Kujundzic-Vejzagic étudie la transition entre Néolithique et Chalcolithique ("Enéolithique") dans des sites comme Butmir et Okoliste).

Orpailleurs et paléo-placers

Ces gisements primaires du massif de Vranica, lorsqu’ils affleurent à la surface, sont bien sûr soumis à l’érosion, et de l’or se retrouve entraîné par les affluents de rive gauche de la Bosna qui descendent du massif, par exemple la Lasva, ou la Fojnicka qui rejoint la Bosna à Visoko. L’orpaillage, le lavage des sédiments de rivière pour y retrouver ces particules d’or, est attesté dans la Lasva et la Fojnicka, dans l’Antiquité : voir "Antiquarian researches in Illyricum" (en) de Arthur John Evans, qui mentionne page 125 l’existence dans la province romaine de Dalmatia, à côté des esclaves employés dans les mines impériales, d’orpailleurs indépendants, auri leguli ; mais aussi au XIXème siècle, par les récits de voyageurs allemands, voir par exemple "Geologischer Führer durch Bosnien und die Hercegovina" (de) de Friedrich Katzer (page 60). Le site officiel de la ville de Fojnica mentionne également des sables aurifères (bs) dans les rivières Zeljeznica (un affluent de la Fojnicka, à ne pas confondre avec la Zeljeznica qui se jette dans la Bosna près de Sarajevo) et Dragaca, et une activité d’orpaillage de loisir est même proposée aux touristes (en) !

Bien évidemment, ce phénomène d’érosion par les cours d’eau actuels a dû avoir lieu également dans le passé [8]. Au Miocène, au moment où s’est formé le bassin lacustre de Zenica-Sarajevo, le massif intrusif de Vranica était déjà surélevé, et des paléo-cours d’eau - les ancêtres des actuelles Lasva et Fojnicka - entraînaient vers le lac les débris arrachés au massif, y compris les quartz et pyrites aurifères. Rien n’interdit donc une concentration locale d’or au sein des sédiments déposés dans le bassin lacustre, et donc la formation de placers anciens créés par le réseau hydrographique Miocène. De tels types de "paléo-placers" sont fréquents et bien connus, et certains ont fourni ou fournissent encore des tonnages d’or très élevés. En voici quelques exemples :

 le Witwatersrand (en) en Afrique du Sud, qui a fourni près de 40 % du total de l’or extrait sur la planète, est formé d’un très ancien conglomérat déposé dans un bassin sédimentaire il y a plus de 2,5 milliards d’années. Je ne le cite que pour mémoire, l’histoire géologique du Witwatersrand étant très différente de celle des exemples suivants.

 le placer d’El Boludo (en), dans l’Etat de Sonora au Mexique, est formé de sédiments d’âge Tertiaire transportés dans un bassin lacustre depuis les montagnes environnantes affectées d’intrusions rhyolithiques ; il présente des alternances de conglomérats, micro-conglomérats et grès, l’essentiel de l’or étant concentré à la base des couches conglomératiques. Le gîte est interprété comme une série de cônes alluviaux ou d’estuaires, au débouché des cours d’eau dans l’ancien lac.

 le gisement aurifère de Las Médulas (en), exploité à très grande échelle par les Romains en Espagne, est également formé de conglomérats d’âge Miocène :

Conglomérats aurifères de Las Médulas
Auriferous conglomerates at Las Médulas - Source

 un autre exemple intéressant est celui du Napf, en Suisse ; les ruisseaux de cette région abondent en or, dont la source est très probablement un gisement secondaire contenu dans le massif conglomératique (molasse d’âge Miocène) du Napf. Le ou les paléo-placers du Napf n’ont pas encore été identifiés, mais quelques "mordus" cherchent activement ces placers en creusant des tunnels dans le conglomérat...

 exemples d’exploitations minières du XIXème siècle dans des paléo-placers en conglomérat dans le comté d’Okanagan, Colombie britannique :

Ce type de gîte pour l’or, même s’il n’est pas très fréquent, est néanmoins mentionné en Bosnie ; Mme Kujundzic-Vejzagic évoque ici (bs) une découverte récente de conglomérats aurifères aux environs de Praca et Renovica (à l’Est de Sarajevo) ; et on trouve des allusions à ce type de gisement dans les ouvrages géologiques anciens, par exemple dans "Einiges Uber Das Goldvorkommen In Bosnien" (de) de Anton Rucker, pages 64 et 97 pour les environs de Bistrica et Fojnica. Un peu plus loin, en Serbie, des couches de sédiments aurifères du Tertiaire sont mentionnées dans la vallée du Timok par Douchan Iovanovitch dans "Les richesses minérales de la Serbie", page 30. Par ailleurs, le journaliste français Albert Bordeaux, qui a traversé la Bosnie en 1904, mentionne dans "La Bosnie populaire" (page 264) sa rencontre avec un aventurier, un original qui prétend avoir des "placers souterrains comme en Californie", description qui ne pourrait convenir à des placers actuels dans un cours d’eau, et qui ne peut donc renvoyer qu’à des placers anciens dans un sédiment consolidé.

Conglomérats et paléo-Fojnicka

Est-il possible que le conglomérat de Ravne ait contenu un paléo-placer de ce type ? Il est bien sûr impossible d’avoir une certitude dans l’état actuel des choses, mais il y a un certain nombre d’indices concordants qui font que cette hypothèse devrait au moins être envisagée, avant tout recours à des "tombes royales", "bio-architectures thaumaturgiques" et autres explications pimentées de mystère et de quasi-surnaturel. Parmi ces indices :

 on retrouve dans le conglomérat du tunnel de Ravne des éléments, en particulier les quartz et schistes métamorphisés, qui pourraient tout à fait provenir des affleurements du Primaire du massif de Vranica par l’intermédiaire d’une "paléo-Fojnicka".

 le fait que le tunnel semble suivre systématiquement le contact entre grès sous-jacents et conglomérats est particulièrement intéressant : en période d’érosion faible et de sédimentation calme (donnant donc des grès, argiles, marnes), avec des cours d’eau peu actifs, il y a peu de chances que l’or, extrêment lourd, puisse être transporté sur de longues distances ; seules des phases d’érosion très active (donnant donc plutôt des conglomérats grossiers) et des crues torrentielles seraient susceptibles de transporter le minerai jusqu’au bassin lacustre. De par sa densité, l’or aurait tendance à se déposer tout au fond du lit, c’est-à-dire au contact du substrat, ici le lit de sables déjà consolidés du cycle sédimentaire précédent. C’est donc bien à la base d’une séquence conglomératique, juste au-dessus de la couche sous-jacente, qu’on aurait le plus de chances de retrouver de l’or :

 le plan même du tunnel est tout à fait compatible avec l’idée d’un paléo-placer : l’or ne serait pas uniformément dispersé dans la couche de conglomérat, mais plutôt concentré par poches dans le lit de l’ancien cours d’eau, ou dans les multiples chenaux de son cône alluvial. Le plan du tunnel révèlerait ainsi les tentatives de suivre et repérer ces zones de forte concentration du minerai, avec de multiples galeries de recherche abandonnées - et comblées - quand elles se révèlent stériles.

Recherche artefacts désespérément

Dans une telle hypothèse, quel pourrait être l’âge du tunnel ? difficile à dire en l’absence d’artefacts clairement datés. La fragilité des parois me ferait pencher pour une exploitation récente - XIXème siècle, poursuivie peut-être au XXème siècle, ce qui expliquerait la présence du tuyau de drainage en fibrociment (fibrociment dont la production ne remonte qu’au début du XXème siècle) ? Mais il est aussi possible qu’un tel gisement ait pu être exploité à plusieurs reprises, et qu’une installation médiévale voire antique ait pu être redécouverte et ré-exploitée au XIXème ou XXème siècle. La datation d’exploitations minières anciennes est souvent problématique, une reprise d’extraction plus tardive ayant souvent pour effet de gommer les traces antérieures - et de faire disparaître les éventuels artefacts utiles pour la datation. On a des exemples de ce type de difficultés dans le cas de certaines des mines romaines de Rosia Montana, étudiées par l’équipe de Béatrice Cauuet ; ainsi, dans ce document (en), page 88, est évoqué le cas d’un site impossible à dater, des travaux d’extraction modernes ayant fait disparaître les traces de l’exploitation ancienne, y compris les charbons de bois qui auraient pu donner lieu à datation.

“L’absence totale d’artefacts” dans le tunnel de Ravne, que M. Osmanagic explique par le "nettoyage" du tunnel par une de ses mystérieuses civilisations, est à relativiser. D’une part, dans le cas d’une galerie abandonnée, la disparition de tout artefact des zones accessibles n’a rien de bien surprenant ; d’autre part, il y a bien malgré tout quelques artefacts dans ce tunnel : un tuyau de drainage, une rigole, des murets, des traces d’outils sur certaines parois (les "griffures désespérées" de M. Debertolis), une niche qui a peut-être servi à poser une lampe :

Ce ne sont peut-être pas les artefacts que M. Osmanagic espérait, mais rien d’incompatible avec l’hypothèse d’une mine très artisanale. Par ailleurs, on peut se demander si tous les artefacts trouvés ont été publiés ; par exemple, un volontaire de 2010 mentionne sur son profil Facebook des “poteries” trouvées dans le tunnel (en), à proximité du “lac” souterrain (en) : je n’ai cependant trouvé aucune mention de poteries en lien avec le tunnel ni sur le site de la Fondation ni dans les documents du SBRG. Il y a également la possibilité que de petits artefacts (clous, petites pièces de monnaie...) échappent aux fouilleurs ; en effet, il semble que le sédiment extrait du tunnel ne soit pas tamisé, comme le montrent les premières minutes de cette vidéo (en). Enfin, la rareté ou l’absence d’artefacts dans une mine ancienne n’ont rien d’exceptionnel ; à Rosia Montana, à nouveau, des galeries attribuées aux Romains grâce à leur forme n’ont révélé aucun artefact (en) (page 87) : ni systèmes de drainage ou de ventilation, ni lampes ou niches de lampes, même dans les parties les plus profondes. Souvent, c’est plutôt à l’extérieur des mines, dans les haldes (les déblais), qu’on retrouve des artefacts intéressants. Dans le cas de Ravne, s’il s’agit effectivement d’une ancienne mine, on devrait pouvoir retrouver à proximité (et de préférence dans un endroit où il y a de l’eau en quantité suffisante) les restes des opérations de lavage, dont on peut supposer qu’elles se faisaient par un système de rocker, de long tom ou de sluice.

Pour terminer sur le sujet de cette hypothèse, notons que M. Osmanagic rejette catégoriquement l’idée d’une ancienne mine - et on comprend pourquoi - en s’appuyant sur l’opinion "d’experts". Les "experts" en question ne sont pas des spécialistes d’archéologie minière, mais des mineurs des mines de charbon de Zenica, et M. Enver Hasic, expert en sécurité minière (bs). M. Hasic donne deux arguments (en) contre l’idée d’une mine : "aucun reste de minerai n’a été trouvé" - mais en a-t-on réellement cherché ? l’or, à la différence du charbon, ne se voit généralement pas à l’oeil nu dans un sédiment... - et : "toutes les mines de Bosnie Herzégovine sont documentées" - là, je doute fort que toutes les mines anciennes aient réellement été documentées... d’autant qu’il s’agirait d’une exploitation assez artisanale, peut-être menée par un petit groupe de villageois de façon indépendante. Une enquête auprès des habitants les plus âgés du secteur pourrait peut-être donner quelque chose, si l’éventuelle mine a été utilisée il y a quarante ou cinquante ans - et si la version "osmanagicienne" de l’histoire locale n’a pas déjà remplacé les traditions orales. Un travail fastidieux de dépouillage des archives locales, si elles existent toujours, pourrait peut-être aussi donner des indications sur l’utilité du tunnel de Ravne. Bien évidemment, ce travail, qu’une équipe d’archéologues sérieux aurait mené avant toute fouille afin de se documenter le plus possible sur le contexte, il y a peu de chances que la Fondation s’en charge...

Où je mange mon chapeau (de paille d’Italie)

Quoi qu’il en soit, la fouille de la "structure" révélée par le géoradar ces derniers jours va peut-être permettre d’avancer un peu plus sur ce sujet du tunnel de Ravne. Si elle révèle la tombe plusieurs fois millénaire d’un roi et d’une reine, je serai obligée de manger mon chapeau... S’il s’agit d’une cache d’armes de résistants des années 40, on aura éclairci au moins l’utilisation récente du tunnel, sans répondre à la question de son origine. Est-il possible qu’il puisse s’agir d’une structure minière, par exemple un puits avec des restes de boisage [9] ? L’avenir le dira probablement très bientôt...